Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "RMC Info" le 9 décembre 2009, sur les "évadés fiscaux", sur le financement des collectivités territoriales après la suppression de la taxe professionnelle.

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Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Est-il vrai qu'un ancien cadre d'une filiale d'HSBC, en Suisse, a fourni au fisc français une liste de détenteurs de comptes en Suisses, c'est vrai ou pas ?

Vous savez, il faut poser la question à E. Woerth, parce que c'est lui qui s'occupe des questions de recouvrements, de contrôles fiscaux, etc. Je l'ai appelé ce matin pour lui demander si on avait payé, il m'a dit : "on ne paye pas !". Bon, alors voilà, vous voyez, la réponse est très claire, mais...

Mais vous ne savez pas si le fisc détient cette liste ?

C'est à lui qu'il faut poser la question.

Parce que, en août dernier, E. Woerth annonçait qu'il disposait d'une liste d'évadés fiscaux, "liste obtenue de manière anonyme", disait-il... C'est peut-être cela ? Bon, c'est à lui qu'il faut poser la question, on est d'accord. Mais est-ce que le fisc français détient des documents sur des Français, qui seraient des évadés fiscaux ?

Mais le fisc français détient beaucoup d'informations. D'abord parce qu'il y a des sources multiples. Et puis je vous rappelle que depuis maintenant un an, avec Eric, on mène un combat forcené, j'allais dire un marathon...

Vous faites revenir des évadés fiscaux...

Non, pour deux choses : un, pour faire revenir des "expatriés fiscaux", c'est comme ça que je les appellerais, parce que ils ont choisi un autre pays pour aller gagner leur vie et placer leur patrimoine...

Mais, pardon, parfois ce sont des Français qui vont placer leur argent à l'étranger pour échapper au fisc quand même !

S'ils se domicilient ailleurs parce que ils sont déçus par la France pour des raisons fiscales, et qu'ils souhaitent aller, je ne sais pas, en Belgique ou ailleurs, et que soudain ils s'aperçoivent qu'on a fait beaucoup de réformes, qu'on a décidé de ne pas augmenter les impôts, et que ça vaut la peine de revenir, moi j'appelle ces gens-là "des expatriés fiscaux" qui se "répatrient". Et puis, on signe aussi avec de multiples pays, qui avaient refusé jusqu'à présent de nous donner de l'information, des accords d'échanges d'informations. On l'a fait avec la Suisse, on l'a fait avec le Luxembourg, on l'a fait avec... Environ 150 accords ont été signés ces huit derniers mois pour avoir de l'information. Quand on a des doutes sur quelqu'un, c'est légitime, on demande aux autorités fiscales du pays vers lequel on pense qu'il y a eu de l'évasion fiscale, de nous donner de l'information.

Vous avez fait revenir combien d'expatriés fiscaux ?

Il faut à nouveau vérifier ça auprès des services fiscaux.

...Auprès d'E. Woerth. Enfin, vous savez quand même, non, plusieurs centaines ?

Honnêtement, je ne sais pas quel est le nombre.

On dit plusieurs centaines, 3.000 ou 4.000...

Oui, c'est très possible, parce que dans mes déplacements à l'étranger je vois souvent des Français qui m'interrogent sur les réformes "est-ce que vous les faites ?", réponse "oui" ; les impôts, "est-ce que vous les augmentez", réponse, "non", "ah bon !". Et il y en a qui considèrent éventuellement de revenir, c'est bien.

J'ai juste une question, vous allez me dire ce que vous en pensez, et répondre à cette question, que je posais ce matin aux auditeurs de RMC : les Français qui ont gagné leur argent en France, et qui pour des raisons fiscales vont le cacher à l'étranger, doivent-ils être déchu de leur nationalité française ?

La première chose, c'est d'abord que sur le plan de l'évasion fiscale, on engage les poursuites et qu'on récupère les impôts qui sont dus. Ça, pour moi, c'est la première préoccupation. La nationalité française c'est un tout autre débat, vous savez que ça fait l'objet de multiples tribunes actuellement...

Justement, justement...

...et je ne m'avancerai pas sur ce terrain.

Vous n'avez pas de réponse, là ?

Non, la nationalité française c'est quelque chose de bien plus profond, bien plus multi-dimentionnel. On ne peut pas simplement sur un critère d'évasion fiscale déchoir quelqu'un de sa nationalité.

On est fraudeur quand on va cacher son argent à l'étranger pour des raisons fiscales, on est fraudeur, sous le coup de loi.

Bien sûr qu'on est fraudeur ! Quand on va se domicilier hors de France parce qu'on est déçu par un système fiscal français, ce qui a été le cas dans les années antérieures, ce n'est pas de la fraude, c'est un choix déterminé de quitter le pays. Quand on revient parce que le Gouvernement fait des réformes et que le Gouvernement décide de ne pas augmenter les impôts, on revient en France.

Oui, mais si on ne revient pas ?

Alors, deux solutions : soit on est un expatrié fiscal parce qu'on a décidé de quitter le pays, très bien, c'est comme ça...

On quitte la nationalité alors ?

Mais non, parce qu'il faut toujours laisser aux gens la chance, d'abord de revenir dans des conditions légitimes, en payant son dû. Et puis, la nationalité, c'est quelque chose de trop...trop, trop, trop important pour être, comme ça...

Parlons de la suppression de la taxe professionnelle. Je sais que c'est l'un de vos grands combats. Suppression votée par le Sénat pendant le week-end. Vous nous garantissez, vous nous garantissez que nous ne paieront pas plus d'impôts locaux après la mise en place de cette réforme ?

Si les collectivités territoriales et les gens qui les gèrent sont raisonnables, ce devrait être le cas. Pourquoi ? Parce que la suppression de la taxe professionnelle est remplacée à l'identique par toute une série d'autres recettes qui seront à la disposition des collectivités territoriales, c'est-à-dire qu'elles ne perdent pas un kopeck, pas un centime d'euro. Donc, l'addition est la même.

Elles disent que c'est garanti sur un an, mais ce n'est pas garanti à vie, si je puis dire, ce n'est pas garanti sur une longue durée.

D'abord, c'est garantie sur un an, et c'est garantie ensuite, parce que grâce au débat parlementaire, et notamment à l'apport des deux commissions des finances, de l'Assemblée nationale et du Sénat, le texte a grandement évolué et elles ont dorénavant une espèce de garantie de ressources équivalentes à ce que paient les entreprises. Et au bout du compte, elles s'y retrouvent à l'identique, je répète, à l'identique, avec une partie de la contribution économique territoriale que paient les entreprises, et qui est assise sur la valeur ajoutée créée par les entreprises, qui va évoluer au fur et à mesure de la croissance du pays. Donc il y a une véritable garantie, non seulement de ressources à l'identique, mais une partie des ressources vont nécessairement croître, parce qu'on n'aura pas tous les ans de la décroissance, n'est-ce pas. Donc les collectivités territoriales sont en très bonne situation. Elles ont massivement désinformé. J'espère que maintenant que le texte est définitif, elles auront l'honnêteté d'indiquer à tous leurs administrés qu'il n'y aura pas de risque à cause de la réforme de la taxe professionnelle. Maintenant, les régions, c'est vrai qu'au cours des dernières années, elles ont fait preuve de beaucoup de largesses fiscales en votant des impôts, en augmentant la TIPP jusqu'au taquet et on paie des impôts régionaux qui sont très importants. Mais moi, je ne veux pas qu'on prenne le prétexte de la réforme de la taxe professionnelle pour faire passer des hausses d'impôts qui conviendraient aux collectivités territoriales. On a aujourd'hui une responsabilité en tant que puissance publique, que se soit au niveau de l'Etat ou au niveau des collectivités territoriales, d'être prudents. C'est-à-dire de ne pas augmenter les impôts, de gérer la dépense publique de manière extrêmement attentive, parce qu'on ne peut pas s'endetter et augmenter les imp??ts.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 10 décembre 2009