Lettre de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, adressée à M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la situation et l'avenir de la sécurité sociale et sur le refus du MEDEF de voir financer la réduction du temps de travail par les ressources de la sécurité sociale, Paris le 5 juin 2001.

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Texte intégral

Monsieur le Premier Ministre,
Il est de notre devoir de vous faire part de notre grave inquiétude sur la situation et l'avenir de la Sécurité Sociale.
* Ni le Gouvernement, ni le Parlement, ni les partenaires sociaux, ni les administrations de gestion ne parviennent aujourd'hui à maîtriser l'évolution de la Sécurité Sociale.
La confusion des responsabilités est totale.
* Son équilibre financier n'est pas assuré à moyen et long termes, compte tenu de l'absence de toute réforme de la retraite de base et de l'assurance-maladie, alors que nos partenaires européens prennent les mesures nécessaires.
* La complexité des financements est telle que l'on ne sait plus qui paie quoi, qui reçoit quoi, et qui transfère à qui. Il est difficile de discerner l'ampleur et le sens des redistributions opérées, et les principes d'égalité sont mis à mal.
Alors qu'ils assument depuis 55 ans leurs responsabilités dans le domaine de la Sécurité Sociale, les entrepreneurs s'interrogent sur le devenir du dispositif actuel et doutent de l'utilité de leur rôle. Cette interrogation et ce doute s'amplifient dès lors que vos intentions semblent être de mettre à contribution la Sécurité Sociale pour le financement des 35 heures.
Cette mise à contribution serait jugée par le MEDEF comme un détournement inacceptable de l'argent prélevé pour la Sécurité Sociale, à la fois injuste, illégitime, incohérent et périlleux.
- injuste, car les malades, les retraités ou les familles n'ont pas à supporter la charge des 35 heures. Les cotisations versées à la CNAM, à la CNAF ou à la CNAV doivent bénéficier uniquement aux salariés ou aux retraités du secteur privé, et ne peuvent être utilisées qu'à des dépenses liées à la santé, à la vieillesse ou à la famille. Tout prélèvement indu correspondrait à une diminution injustifiable de leurs droits ;
- illégitime, car contraire à toutes les lois existantes qui ont expressément prévu que les charges imposées par l'Etat à la Sécurité Sociale doivent faire l'objet d'une " compensation intégrale ". L'objet de la Sécurité Sociale n'est pas de contribuer aux décisions budgétaires de l'Etat ;
- incohérent, car au moment où tout le monde s'accorde à reconnaître que le vieillissement de la population va se traduire par des charges nouvelles pour tous les régimes de sécurité sociale, la priorité doit être d'assurer l'avenir, en constituant des réserves, et non de détourner l'argent des cotisations pour financer les 35 heures ;
- périlleux, car l'équilibre comptable actuel de la sécurité sociale est à la fois fragile et transitoire. Le ralentissement de l'économie française, et l'augmentation incontrôlée des dépenses d'assurance-maladie annoncent ainsi un nouveau déficit de la Sécurité Sociale d'ici un an.
Le Mouvement des Entreprises de France vous demande donc avec force :
- de ne pas détourner, directement ou indirectement, les ressources de la Sécurité Sociale pour financer les 35 heures que vous avez imposées à l'économie française ;
- de ne pas passer outre, une nouvelle fois, à la volonté des partenaires sociaux, qui sont opposés à cette ponction forcée ;
- de renoncer dès lors, aujourd'hui comme demain, à tout financement, direct ou indirect, apparent ou masqué, des exonérations liées aux 35 heures par les régimes de sécurité sociale ;
- et de prendre toutes les dispositions nécessaires pour limiter les dépenses liées aux 35 heures, en assouplissant les dispositions d'une législation rigide et inadaptée, afin d'éviter tout prélèvement nouveau, quel qu'il soit, lié à leur mise en oeuvre.
Je vous prie de croire, Monsieur le Premier Ministre, à l'assurance de ma haute considération.
(source http://www.medef.fr, le 8 juin 2001)