Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à "Libération-Champagne" le 21 avril 1999, sur le conflit du Kosovo et le défi de la sécurité en Europe, le traité d'Amsterdam et l'élargissement de l'Union européenne, le pacte de croissance sur l'emploi et l'euro, les aides communautaires aux régions, le financement du TGV-Est.

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Circonstance : Visite de M. Moscovici à Troyes (Aube) le 22 avril 1999-discours devant les étudiants de l'Université de technologie de Troyes

Média : LIbération Champagne

Texte intégral

ENTRETIEN AVEC "LIBERATION CHAMPAGNE" Troyes, 21 avril 1999
Q - Quels enseignements tirez-vous du Kosovo pour lavenir de la construction européenne ? Ce conflit est-il de nature, notamment, à pousser les pays de lUnion européenne à construire une Europe de la défense ?
R - La crise au Kosovo est un moment décisif pour lEurope. A laube du XXIème siècle, nous ne pouvons pas accepter que des politiques de terreur, de violation des Droits de lHomme, de « purification ethnique », soient poursuivies en Europe comme cest le cas aujourdhui au Kosovo du fait des forces serbes. Cest pourquoi nous devons poursuivre leffort entrepris avec nos alliés de lOTAN, après que toutes les tentatives diplomatiques pour convaincre le régime de Milosevic ont échoué.
Les Européens jouent un rôle essentiel dans les opérations militaires actuelles, de même quils avaient été au coeur des efforts diplomatiques, notamment lors de la Conférence de Rambouillet.
Pour autant, je suis davis que nous ne devons pas avoir comme seul choix dagir avec lOTAN ou bien de ne rien faire. Cest pourquoi jespère que nous allons avancer résolument, à la lumière de cette crise grave, vers la constitution dune capacité européenne autonome de défense.
Q - Est-ce que lOTAN se dirige vers une intervention terrestre au Kosovo pour permettre aux réfugiés de rentrer chez eux ? Quel est votre sentiment sur ce sujet ?
R - Les frappes aériennes sont destinées à affaiblir le dispositif militaire et répressif du régime serbe et de parvenir à lobjectif dun Kosovo en paix, au sein duquel tous les habitants puissent vivre en sécurité. Elles ont déjà permis des résultats très significatifs. Il faut les poursuivre. En même temps, il convient de porter assistance aux dizaines et dizaines de milliers de personnes déplacées, réfugiées dans les pays voisins. Les troupes alliées en Albanie et en Macédoine sy emploient, en soutien au Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés et aux organisations non gouvernementales, naturellement.
Cest en parvenant à une solution politique, même si cest par la force, que lon permettra à ces populations de rentrer chez elles.
Q - Vous venez à Troyes pour expliquer notamment le Traité dAmsterdam. Quapporte principalement ce Traité ?
R - Le Traité dAmsterdam, qui entrera en vigueur le 1er mai prochain, vient compléter lensemble des textes qui régissent le fonctionnement de lUnion européenne. Si javais à résumer ce traité, qui nest pas - je le reconnais - dun abord ou dune lecture facile, je dirais quil fait progresser lEurope des citoyens et quil renforce le poids de lEurope sur la scène internationale.
Tout dabord, il prévoit de nouveaux droits pour les citoyens européens comme, par exemple, légalité des chances entre hommes et femmes dans le domaine de lemploi. Il fait progresser lEurope sociale, notamment sous langle de la lutte contre le chômage et de la lutte contre les exclusions. Il insiste également sur la protection de la santé et de lenvironnement.
Par ailleurs, le traité fixe comme objectif la création dun espace européen de liberté, de sécurité et de justice qui vise à la fois à accorder de nouvelles libertés, comme la liberté de circulation, tout en assurant mieux la sécurité de nos concitoyens, par une meilleure coopération entre les polices et les justices de nos pays.
Enfin, le traité vise à renforcer le poids de lEurope sur la scène internationale, en renforçant les moyens de la Politique étrangère et de sécurité commune, notamment par la nomination dun Monsieur ou Madame PESC, qui sera la voix et le visage de lEurope, et fixe également comme but la mise en place dune défense commune.
Q - Ce traité comporte aussi des lacunes. Quelles sont ses faiblesses ?
R - Vous avez raison. Le traité comporte une lacune principale, cest labsence de réforme en profondeur des institutions européennes, dans la perspective de lélargissement de lUnion aux pays dEurope centrale et orientale.
Cétait pourtant lun des objectifs principaux fixés lors de la négociation du traité, entre 1995 et 1997, mais les divergences entre les Etats membres nont pas rendu possible un accord. Ainsi, malgré quelques progrès et, notamment, le renforcement du rôle du Parlement européen, lessentiel na pas été fait, comme la réduction nécessaire de la taille de la Commission européenne, la généralisation du recours au vote à la majorité qualifiée et le rééquilibrage du poids des Etats au sein du Conseil, afin daméliorer le processus de décision.
Ces réformes, indispensables avant larrivée des premiers nouveaux membres, doivent être mises en chantier dans les prochains mois.
Q - Tout traité constitue une étape dans la construction européenne. En quoi celui-ci peut-il servir dappui pour lavenir ?
R - Ce traité sert lavenir car il participe à la construction dune Europe politique, forte, au service de ses citoyens et qui ne se résume pas à sa seule dimension commerciale et financière. Il prépare également, même imparfaitement, comme je viens de le dire, lélargissement futur de lEurope.
Q - Quelle sera, à votre avis, la prochaine grande étape de la construction européenne ?
R - Je dirais que lEurope doit avoir une double ambition pour les prochaines années. La première, cest lélargissement de lUnion européenne aux pays dEurope centrale et orientale, cest-à-dire la réunification de notre continent, que la chute du rideau de fer rend désormais possible.
Il sagit dune tâche historique, dun moyen de renforcer lUnion et dassurer la paix sur notre continent. Mais il sagit aussi dun défi, tant pour les pays candidats que pour lUnion telle quelle existe aujourdhui, qui doit sadapter pour pouvoir fonctionner, dici une ou deux décennies, à 25 membres ou plus.
Lautre ambition, pour cette Europe réunifiée, sera de devenir une Europe plus forte, plus proche des citoyens, une Europe de la croissance et de lemploi et une Europe au service des libertés et de la sécurité, à lintérieur de ses frontières et dans le monde. Vous le voyez, la tâche nest pas mince, mais elle est enthousiasmante. LEurope peut bien être lidée neuve du siècle prochain !
Q - LEurope est dirigée actuellement en majorité par des gouvernements de gauche. Cette Europe rose peut-elle apporter une nouvelle voie, notamment en faveur de lemploi ?
R - Il est exact que, pour la première fois dans son Histoire, la plupart des pays européens sont gouvernés par des majorités de gauche ou, au moins, où la gauche est présente. Je dirais dabord que cela correspond au rejet, par les citoyens de lEurope, au cours des dernières années, des politiques conservatrices et libérales menées auparavant.
Cette situation nous donne des moyens politiques, elle nous confère également une grande responsabilité. Et je crois que, de ce point de vue, nous sommes parvenus, largement grâce à limpulsion donnée par Lionel Jospin dès juin 1997, à réorienter lEurope dans le bon sens, celui de la priorité donnée à la croissance, à lemploi, à lEurope sociale.
Le protocole social européen a pu être intégré dans le traité grâce au changement politique en Grande-Bretagne. Un sommet européen spécial a été consacré, pour la première fois, à lemploi en 1997 et la présidence allemande de lUnion prépare actuellement un « Pacte européen pour lemploi », qui sera présenté en juin et qui comprendra des objectifs chiffrés en matière de lutte contre le chômage.
De même, nous avons insisté sur le fait que leuro, qui est une grande réussite européenne, doit être un instrument au service dune politique de croissance et demploi, et non pas une fin en soi. La récente baisse des taux décidée par la Banque centrale européenne, indépendante des gouvernements, montre, je crois, que nous sommes entendus.
Q - LEurope souffre dun sérieux déficit dinformation. Le grand public ignore généralement comment fonctionnent ses institutions. Comment est-il possible de remédier à cette situation ?
R - Vous avez raison. Les questions européennes qui sont, il est vrai, souvent techniques et austères, demeurent trop lapanage de petits cercles de décideurs, alors que lEurope concerne la vie quotidienne de tous nos concitoyens. Je mefforce, pour ma part, de remédier à cette situation, notamment à loccasion de grandes campagnes nationales dinformation, comme celle qui est menée actuellement sur le Traité dAmsterdam et dans le cadre de laquelle je me rends demain en Champagne, à Troyes.
Pour cette campagne, nous avons édité une brochure dinformation pour le grand public, publiée à un million dexemplaires, et mis en place un site Internet (http ://www.amsterdam.info-europe.fr), qui permet aux visiteurs daccéder à un grand nombre dinformations, mais aussi de poser des questions sur lEurope, de dialoguer entre eux. Une autre campagne aura bientôt lieu pour encourager les Français à participer aux prochaines élections européennes, le 13 juin.
Q - De nouveaux fonds structurels seront mis en place dici la fin de lannée.Disposez-vous dinformations sur leur évolution et, notamment, sur le futur zonage ? Est-ce que lAube continuera à bénéficier de fonds structurels ?
R - Je veux dabord souligner que la région Champagne-Ardenne aura bénéficié, au total, sur la période 1994-1999, dune aide communautaire denviron 2 milliards de francs, essentiellement consacrés à la reconversion des régions affectées par le déclin industriel, au développement rural et à la coopération interrégionale.
Le récent Conseil européen de Berlin a, comme vous le savez, décidé dune certaine concentration de ces fonds structurels. Notre pays restera toutefois, en termes de population, le premier bénéficiaire de cet objectif et le niveau dintensité daide par habitant devrait rester proches de celui qui nous est actuellement alloué.
Le gouvernement va préparer maintenant la nouvelle carte des zones, en concertation étroite, bien sûr, avec les élus et les partenaires locaux ainsi quen articulation avec les travaux en cours sur les prochains contrats de plan Etat-région, afin que les régions puissent bénéficier de la nouvelle génération de crédits européens dès le début de lannée 2000. Je suis persuadé que les aides dont le département de lAube continuera à bénéficier seront importantes.
Q - LAube dispose désormais de bons espoirs que la ligne ferroviaire reliant Paris à Bâle soit électrifiée. LEtat est prêt à apporter 25% du coût des travaux entre Paris et Troyes, a annoncé le mois dernier Jean-Claude Gayssot aux élus de Champagne-Ardenne. Ce chantier peut-il bénéficier des fonds structurels européens et pour quel montant ?
R - Vous savez que lEurope sest dotée il y a quelques années, au Conseil européen dEssen, dun programme financier permettant lédification dun réseau transeuropéen dinfrastructures, notamment dans le domaine ferroviaire. Ce programme est concentré sur quatorze grands projets prioritaires. Cest dans ce cadre, par exemple, que la construction du TGV-Est, qui concerne aussi la région Champagne-Ardennes, sera en partie financée par lUnion européenne.
Mais cela nempêche pas que des sommes importantes soient également mobilisées, au niveau européen, pour dautres projets, comme lélectrification de la ligne Paris-Bâle, dès lors quils répondent à un certain nombre de conditions et notamment leur apport en matière denvironnement et bien sûr leur intérêt en terme daménagement de lespace européen./.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 avril 1999)