Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, à "Europe 1" le 15 décembre 2009, sur les arbitrages concernant l'emprunt d'Etat, sur la polémique autour de la liste des évadés fiscaux.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

M.-O. Fogiel.- Vous êtes donc le ministre du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l'Etat. Alors concernant le montant de l'emprunt, vous aviez estimé que plus la fourchette est basse, mieux le ministre du Budget se porte. Vous allez très bien ce matin donc ?

Je vais bien, mais la fourchette est... En réalité, quand on regarde les choses, c'est évidemment une somme tout à fait considérable. Investir trente-cinq milliards d'euros, ça ne s'est jamais fait en France depuis toujours. Donc c'est considérable...

Vous vous souvenez qu'il y avait des députés et même un conseiller du Président qui parlaient de cent milliards, donc...

Oui, ils avaient demandé beaucoup plus. Mais en réalité, on ne monte pas comme ça à l'échelle de (inaud.) pour savoir combien il faut. Ce qu'il faut, c'est que ce soit la bonne somme pour investir dans des domaines limités, mesurés. Alors, les politiques industrielles, l'enseignement supérieur et la recherche...

Mais vous, vous êtes content, ce matin, qu'on n'ait pas, comme ça, une dette et un déficit énormes, c'est rassurant pour vous ?

Oui, moi, je suis content sur deux choses. La première, c'est que c'est un emprunt qui est vraiment focalisé sur des investissements majeurs pour le pays, avec une idée de rentabilité - le Président a très, très bien expliqué cela. Et puis, deuxième point, c'est vrai que j'étais heureux aussi que le Président, dans son discours, indique que tout cela devait être compatible avec une stratégie de retour à l'équilibre, une stratégie de finances publiques, la fixation de règles, etc. C'est une partie très importante de son discours aussi...

Justement, le retour à l'équilibre, il a dit évidemment ça hier, des économies immédiates sur les dépenses de l'Etat. Soyez concret, qui va payer la facture, nous ?

Non, parce que, vous savez, il y a trop de dépenses de fonctionnement, c'est clair, on a plus de dépenses de fonctionnement que la plupart des autres pays. On en a plus...

Comment vous allez régler ça ?

On va regarder, au fond, vous savez, on a une révision générale des politiques publiques, c'est-à-dire qu'on regarde chaque politique, si elle est utile, si elle est efficace, si on ne peut pas réduire la gabegie ou réduire le trop de dépenses...

Parce qu'il y a gabegie aujourd'hui ?

...Donc on va aller plus loin. Quand vous avez un budget de 350 milliards d'euros, il y a nécessairement ici ou là des dépenses qui peuvent être réduites...

De combien ? Vous estimez à combien la réduction possible ?

En l'occurrence, ce qu'a dit le Président, c'est que les charges d'intérêt de l'emprunt seraient gagées, c'est-à-dire gagées sur une diminution des dépenses de fonctionnement...

Mais combien en pourcentage ?

C'est à peu près 800 millions d'euros. Cela va être entre 800 millions et un milliard d'euros...

On va pouvoir économiser 800 millions ?

Oui, mais c'est ce que nous faisons déjà chaque année, chaque année, nous le faisons. Aujourd'hui, les dépenses publiques de l'Etat, comme de la Sécurité sociale, elles sont mises sous contrat, elles n'augmentent pas plus que l'inflation. Eh bien, on peut aller plus loin. L'Allemagne a 4, 5, 6, 7 % de dépenses publiques en moins que la France, et pourtant, il y a des services publics de qualité.

Donc c'est objectif. F. Hollande parle de grand emprunt, mais il annonce aussi un grand impôt. Vous dites quoi, vous ?

Que c'est F. Hollande qui fait des formules, mais qui ne fait pas de l'économie...

Il n'y aura pas de grand impôt ?

Non, il n'y aura pas d'impôt, il n'y a pas d'augmentation d'impôts. C'est une voie - on le dit beaucoup et le Président, hier, l'a redit - évidemment, ce n'est pas une bonne voie pour la France. On est le pays ou l'un des pays les plus imposés au monde. Donc ce n'est pas une bonne solution pour la France. La France, ça passe par des économies, par moins de dépenses publiques, plus de dépenses d'investissement - c'est le cas de ce grand emprunt - un retour aussi à une croissance plus importante...

On le saura quand si ce grand emprunt est efficace ?

On le saura au fur et à mesure du temps, là, je vous réponds... Je ne peux pas vous répondre autre chose. Je pense que ce qui compte...

Mais il n'y a pas d'objectif chiffré ? On ne se dit pas, "dans un an, on fait un bilan" ?

Je pense qu'il faut faire des bilans très vite, parce que ce qui compte, c'est, dès 2010, commencer à investir. Ce n'est pas un plan de relance, ce n'est pas un plan de relance, c'est de la croissance à moyen terme pour la France, c'est des emplois pour la France à moyen terme...

Donc dès 2010, on devrait le ressentir ?

C'est de la compétitivité pour la France à moyen terme.

Un autre sujet, la liste des évadés fiscaux, vous avez lu le Parisien ce matin ?

J'ai regardé, oui, oui...

Alors, vous avez peut-être vu qu'on apprend que celui qui vous a donné la liste de la banque HSBC voulait vendre son fichier au Liban. Qu'est-ce qui fait qu'il a donné à la France ce qu'il aurait vendu au Liban ?

Moi, je suis un homme carré, mais je ne fais pas du John Le Carré tous les matins. Enfin, si vous voulez, c'est complètement stupide, on va chercher... Cette histoire, elle est toute simple...

Mais il vous les a vraiment donnés ?

Bien sûr qu'il nous les a donnés, il nous les a donnés, il a donné ça à l'administration fiscale, et il a donné ça également à la justice et la justice travaille avec l'administration fiscale, et nous, on lutte contre la fraude, parce que la fraude, c'est frauder les Français...

Mais est-ce que vous avez eu des états d'âme ? J.-F. Copé a confié, dimanche, que lorsqu'il était ministre du Budget, il a décliné une offre un peu similaire à celle des fichiers dérobés par cet ancien cadre. Lui, il a plus, manifestement, d'éthique que vous ?

Non, c'est navrant. Enfin, c'est une déclaration navrante de J.-F. Copé, pour la bonne raison que...

Ça va lui faire plaisir s'il écoute Europe 1 ce matin...

Mais je veux dire, je suis obligé de dire les choses, parce que si ça a été le cas, d'abord, J.-F. Copé était ministre délégué au Budget, et c'est monsieur Breton qui était ministre de l'Economie et du Budget, donc il faut leur poser la question à tous les deux. Et je pense qu'on doit lutter contre la fraude. Et si Jean-François, à l'époque, n'a pas lutté contre la fraude et qu'il a eu des informations de même nature, c'est-à-dire des informations...

Ce serait une faute du ministre délégué de l'époque ?

...C'est-à-dire des informations qui sont des informations qu'on ne paie pas, et qui sont des informations qui ne sont pas anonymes, c'était des informations dont on sait d'où elles viennent.

Et donc ce serait une faute ?

C'est une faute, si c'est le cas...

Il le dit que c'est le cas, donc...

Il faut lutter contre la fraude. Et pour lutter contre la fraude, il ne faut pas être naïf, il faut savoir qui vole qui. Qui vole qui ? Est-ce qu'on est là pour protéger...

Ça, vous l'avez dit l'autre jour sur France 2, E. Woerth...

Oui, mais ce n'est pas mal comme formule parce que c'est la réalité. Il faut lutter contre la fraude, et il ne faut pas hésiter à employer des moyens qui sont moyens légaux, mais je n'ai pas et nous n'avons pas à protéger les fraudeurs, parce que la fraude, c'est de la fraude contre les Français.

Un mot, s'il vous plait, sur le RER A. Certains de nos auditeurs galèrent ce matin, sixième jour de grève. Est-ce que vous encouragez la direction à céder ?

Je n'encourage pas du tout, évidemment, la direction à céder. Là, il y a un dialogue social, il doit se faire. Moi, je pense surtout à ceux qui attendent leur RER dans le temps et dans le froid. C'est, je pense, vraiment pas bien de faire ça aux voyageurs, en plein hiver, et à tout moment, d'ailleurs. Je pense qu'il y a d'autres moyens que la grève en fait pour s'exprimer aujourd'hui dans le monde moderne.

Dernier mot. Les restaurateurs arrivent chez vous, tout à l'heure, à Bercy, pour faire le bilan sur la baisse de la TVA. Vous, le bilan, vous dites quoi ? Peut mieux faire ?

Non, moi, je dis qu'on a bien fait de faire ça. J'ai rencontré hier des débitants de tabac, qui sont en même temps restaurateurs, très sincèrement, il ne faut pas oublier que tout ça se situe sur fond de crise, et que, aujourd'hui, le secteur de la restauration, il se tient bien, et que c'est des centaines de milliers d'emplois. Donc on a bien fait de le faire, et on a bien fait de dire aux restaurateurs qu'ils pouvaient avoir le même taux de TVA que la restauration rapide. Je crois qu'il faut assumer cette mesure, et que c'est une mesure qui est bonne pour l'économie française.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 décembre 2009