Interview de M. Benoist Apparu, secrétaire d'Etat chargé du logement et de l'urbanisme, sur France 2 le 22 décembre 2009, sur la situation des SDF en période de grand froid et de crise économique, le droit au logement opposable et sur le débat sur l'identité nationale.

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Média : France 2

Texte intégral

M. Darmon.- A la fin de l'année, il récupère le dossier le plus sensible, celui d'une promesse jamais tenue, ni par la droite ni par la gauche, zéro SDF. C'est l'autre face des jours de Noël, les SDF dans la rue qui peuvent mourir de froid. A ce jour combien de SDF sont morts de froid ?
 
On estime que cinq SDF sont morts de froid depuis le début des grands froids, c'est-à-dire depuis une dizaine de jours. SDF ou mal logés.
 
On sait exactement pour quelle raison ? C'est à cause de la longueur de la vie dans la rue ou c'est le froid ?
 
Evidemment, ceux qui vivent dans la rue sont évidemment beaucoup plus fragiles que vous ou que moi. Il y a une fragilité de leur vie qui les rend évidemment beaucoup plus sensibles sur toute une série d'accidents possibles, le froid en étant bien évidemment un.
 
Il y a également donc toute cette logistique qui se met en place chaque année. Les Restos du Coeur et autres associations se plaignent de ne pas avoir assez d'aide de l'Etat. Que leur répondez-vous ?
 
Je leur réponds que je suis en train de regarder avec elles d'ailleurs, avec ces quatre associations qui s'occupent de l'aide alimentaire, les voies et moyens pour leur donner plus d'argent cette année. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'on sait qu'il y aura plus de demandes d'aide alimentaire cette année que l'année précédente.
 
A cause de la crise ?
 
A cause de la crise, bien évidemment. Et on estime qu'il y aura une augmentation, de10, 15, 20 % des demandes alimentaires. Donc, bien évidemment, l'Etat sera à leurs côtés, on est en train de travailler avec elles pour fixer le montant nécessaire supplémentaire.
 
Quand, concrètement ?
 
Très concrètement, d'ici la fin de la semaine, il y aura une annonce du Gouvernement pour fixer le montant de l'aide alimentaire supplémentaire que l'Etat accordera aux quatre associations en question.
 
C'est parce qu'il y a plus de demandes, également pour palier une baisse de la générosité des Français, il y a moins de dons peut-être aussi en période de Fêtes ?
 
Non, je ne le crois pas. En tout cas, sur les retours que nous avons pour l'instant, il n'y a pas une baisse de la solidarité des Français qui intervienne cette année, comme l'année dernière, au bénéfice de ceux qui en ont le plus besoin. Et l'Etat, bien évidemment, accompagnera cette année ces besoins supplémentaires.
 
C. Bruni-Sarkozy, épouse du président de la République, accorde une interview au journal Macadam distribué par les SDF. C'est l'ère du "social chic " ?
 
Vous le prenez comme vous voulez. Si elle ne fait rien, vous allez la critiquer, si elle fait quelque chose, vous la critiquerez quand même !
 
C'est une question...
 
Donc, quoi qu'il arrive, par principe, elle sera critiquée. Moi ça me paraît plus sain, plutôt bien que C. Bruni fasse une interview dans ce magazine-là, tout comme elle a fait des sorties discrètement, sans caméras...
 
Vous y étiez ?
 
Je n'y étais pas... Sans caméras aucune, en toute discrétion, pour simplement se rendre compte de la réalité de ce qui se passe, et essayer d'apporter sa pierre à l'édifice.
 
La promesse "zéro SDF", tout comme celle de "droit au logement opposable", deux promesses du candidat Sarkozy, jamais tenues, vraiment jamais suivies d'effets. Pourquoi s'engage-t-on dans de telles déclarations quand on sait que c'est tellement impossible de le mettre en place ?
 
Parce que les déclarations ne sont pas celles-là. La déclaration de N. Sarkozy, c'était quoi ? "Je ne veux pas que quelqu'un soit contraint de vivre à la rue", ce n'est pas "zéro SDF", ce n'est pas tout à fait la même chose. Premier élément. Concernant...
 
Le discours de Charleville-Mézières, "zéro SDF"...
 
Ce n'est pas "zéro SDF", reprenez le discours, vous verrez. Concernant le droit opposable au logement, cette promesse a été tenue par cette majorité. Dans 90 départements sur 100, ça marche bien ; dans dix départements, là où on a les tensions les plus fortes, je pense évidemment à l'Ile-de-France, effectivement on n'a pas les résultats que l'on souhaite. On a, allez, 25 % de relogement. Ce n'est pas suffisant. Et donc clairement, mon objectif cette année, c'est de monter les relogements sortis de DALO en Ile-de-France.
 
Le maire parisien du 10e arrondissement vous invite à venir voir les exilés afghans qui dorment du côté du canal Saint-Martin. Vous y allez ou pas ?
 
Je n'ai pas attendu sa demande pour me rendre compte de ce qui se passait sur place, comme à Vincennes, comme dans d'autres endroits, nous avons effectivement des poches particulièrement difficiles à résorber, et des situations particulières parce que les Afghans, en l'occurrence, il s'agit d'une immigration clandestine. Mais je rappelle quand même une chose, les centres d'hébergement, c'est un accueil qu'on appelle "inconditionnel", tout le monde peut y aller. Il n'y pas de ségrégation à l'entrée, tout le monde peut y aller.
 
Vous préviendrez E. Besson qu'il y a des expulsables, puisqu'il s'agit d'immigration clandestine ?
 
Ce n'est pas la même chose. L'accueil de ceux qui vivent à la rue est inconditionnel, bien évidemment, parce que c'est un principe humain. Derrière effectivement la question se pose : est-ce qu'ils sont quand même expulsables ? La réponse est oui, bien évidemment. Il n'y a pas, de ce point de vue-là, à avoir de différenciation entre celui qui vit à la rue et celui qui n'y vit pas.
 
Autre tradition d'accueil que souligne et met en avant ces jours-ci A. Juppé, dont vous êtes proche, c'est la tradition d'accueil de la France, et il souligne que ce débat sur l'identité nationale, tel qu'il est posé, est absolument inutile. Est-ce que vous partagez son analyse ?
 
Pour une fois, je ne partagerai pas l'analyse d'A. Juppé. Vous l'avez dit, je suis et je reste un proche d'A. Juppé, mais en l'occurrence pas sur ce sujet-là. Je crois que ce débat est indispensable, on en a besoin. Est-ce que la question est importante ? La réponse est oui. Dès lors qu'une question est importante, pourquoi voulez-vous qu'on l'évacue ? Je n'en vois pas la raison.  Donc je crois que ce débat, un, est important, et deux, qu'il faut le continuer.
 
Et pourtant, cette manière de dénoncer ce débat, comme le fait A. Juppé, correspond aussi à un petit peu la fibre humaniste et sociale de votre engagement politique. C'est difficile de défendre cette démarche quand on est au gouvernement de N. Sarkozy ?
 
Mais pourquoi est-ce que vous avez forcément, pourquoi est-ce qu'on aurait forcément une vision négative de ce débat sur l'identité nationale ? ! Ma vision humaniste, sociale des choses, me pousse bien évidemment à défendre ce débat. Parce que si on considère qu'un combat humaniste, et que le plus beau des combats humanistes ce n'est pas seulement de se dire : pourquoi on vit ensemble, comment on vit ensemble ? Cette question est éminemment humaniste. Le problème c'est quoi ? C'est que trop souvent, on veut résumer le débat de l'identité nationale au débat "qu'est-ce que l'islam ?", "qu'est-ce que l'immigration en France ?". Ce n'est pas ça le débat, ce n'est pas simplement cela. Et si on pouvait tous essayer d'élever un peu le débat, de sortir du marigot et des dix déclarations nauséeuses qui ont pu être faites, il y en a 40.000 qui ne le sont pas et qui sont de belle dimension. J'aimerais que les intellectuels se servent de ce débat, le prennent en charge, pour qu'on ait effectivement un débat digne de ce nom.
 
Et pourquoi vous n'écoutez pas les Français : un Français sur trois dit : "on ne comprend pas ce débat, on veut qu'il s'arrête, nos vrais problèmes c'est le chômage, vous ne parlez pas de nos vrais problèmes". Pourquoi simplement ne pas dire : "OK, on s'est trompés" ?
 
Pour une raison très simple c'est que, jusqu'à preuve du contraire, on ne gouverne pas avec les sondages.
 
Jusqu'à preuve du contraire... Ce n'est pas le sentiment que ça donne quand même depuis quelque temps.
 
C'est votre choix. On ne gouverne pas avec les sondages. Ce n'est pas parce que les sondages vont dire blanc, vont dire noir, qu'on va effectivement suivre les sondages. Je considère que ce débat est essentiel, il est important pour nous, savoir pourquoi on est là, pourquoi on vit, pourquoi est-ce qu'on veut vivre ensemble, qu'est-ce que cette République française...
 
Cela ne nourrit pas un sentiment d'islamophobie pour vous ?
 
Absolument pas. En tout état de cause, il ne faut pas que ça se résume à ça. Et au contraire, on a plein d'autres sujets. Comment est-ce que...quel est l'apport des cultures différentes ? Qu'elles soient des cultures régionales ou des cultures identitaires. Ca, c'est une question d'identité nationale. De la même façon que nous avons d'autres questions qui se posent, qui est la place du monde rural. Ce sont aussi des questions d'identité nationale. Donc si on le résume à l'immigration, on se plante.
 
Comment convaincre les Français de payer une taxe carbone quand on voit qu'à Copenhague les chefs d'Etat n'ont même pas réussi à se mettre d'accord pour s'engager à limiter les gaz à effet de serre ?
 
Tout simplement parce que la France se veut le premier pays en la matière. On veut être le plus exemplaire qui soit. Et si on n'arrive pas à changer le comportement des Français en terme de consommation, on se plantera. Et donc les choses sont très simples, la contribution de carbone ou la taxe anti-carbone, peu importe son nom, quel est son objet ? Son objet c'est de réorienter la consommation des Français vers ce qui est durable. On a fait un premier pas à Copenhague, je ne vais pas vous dire que je me réjouis des résultats de Copenhague, c'est un premier pas, insuffisant...
 
Cela ne va pas être un peu difficile à porter pour la campagne des élections régionales, parce qu'il n'y a pas de succès à Copenhague, donc, là, il ne faut pas s'en vanter.
 
Il faut assumer les choses. J'assumerai totalement pendant ma campagne électorale puisque je suis tête de liste dans mon département, j'assumerai totalement cette contribution...
 
Dans la Marne...
 
... anti-carbone, parce que je crois qu'il est nécessaire de réorienter la consommation des Français vers des produits durables.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 janvier 2010