Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, sur le rôle de la nouvelle Autorité de contrôle prudentiel dans la sortie de crise économique et financière, la réforme du système financier international et la protection des consommateurs de produits bancaires, Paris le 9 mars 2010.

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Circonstance : Installation de l'Autorité de contrôle prudentiel, à Paris le 9 mars 2010

Texte intégral

Monsieur le Gouverneur de la Banque de France et Président de l'Autorité de contrôle prudentiel, Cher Christian,
Monsieur le Président de l'Autorité des marchés financiers, Cher Jean-Pierre,
Monsieur le Vice-Président de l'Autorité de contrôle prudentiel,
Monsieur le président de la Commission des sanctions,
Mesdames et messieurs les membres du collège,
Mesdames et messieurs les membres de la commission des sanctions,
Mesdames et messieurs,
Créer une « super-autorité » pour renforcer le contrôle du secteur financier au service de l'intérêt général
Ce n'est pas tous les jours qu'un Ministre de la République préside à l'installation d'une autorité de cette envergure. La crise a montré que le secteur financier était « super-sensible ». Avec l'Autorité de contrôle prudentiel, c'est aujourd'hui une « super-autorité » que nous créons pour renforcer le contrôle du secteur financier au service de l'intérêt général.
Cette Autorité de contrôle prudentiel ce sont d'abord...
- des équipes remarquables avec 900 agents dotés d'une expertise incontestée.
- C'est également un collège de 16 membres et une commission des sanctions avec des représentants des autorités publiques, des magistrats et d'anciens professionnels.
- C'est un Vice-Président expérimenté en matière d'assurance.
- C'est enfin un Président qui est aussi le Gouverneur de la Banque de France afin d'incarner le lien très fort que j'ai voulu entre le contrôle prudentiel et l'Eurosystème. Ce lien est la garantie d'une parfaite coordination dans les situations d'urgence.
* Le système français de supervision a bien fonctionné
Avec la crise, les projecteurs sont désormais tournés vers le modèle continental de contrôle et de supervision. Plus équilibré, plus sûr, en un mot mieux régulé, le système de supervision français a bien fonctionné.
Le secteur des assurances n'a pas connu d'incident. Et avec l'Italie et le Canada, la France est un des trois seuls pays où le dispositif de soutien aux banques n'a pas coûté un centime aux contribuables. La mobilisation et le sang froid des personnels de l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles et de la Commission bancaire font honneur à ces deux institutions.
* Réformer notre système de contrôle pour tirer les leçons de la crise
Mais nous ne pouvons pas nous arrêter là. La crise qui trouve son origine aux Etats-Unis a frappé toutes les économies du monde. Notre responsabilité est d'en tirer les leçons pour dessiner ensemble un modèle de supervision plus efficace pour demain.
Tous les grands pays ont engagé cette réflexion. Mais la France est le premier pays à mettre en oeuvre une réforme ambitieuse. Dès août 2008, la loi de modernisation de l'économie a habilité le Gouvernement à réformer notre système de supervision.
L'Autorité de contrôle prudentiel est le fruit d'un long travail d'analyse et de concertation. J'ai voulu cette autorité pour renforcer l'efficacité de notre système de contrôle au service de l'intérêt général. Je formule le voeu que l'Autorité de contrôle prudentiel devienne une référence incontournable en Europe. Elle le deviendra à condition de relever avec succès les défis qui vous attendent.
C'est pourquoi je voudrais à l'occasion de cette installation, partager avec vous ce que je vois comme votre feuille de route pour les mois à venir. Elle s'articule autour de 4 objectifs :
1. Réussir la fusion au service de l'intérêt général
2. Réussir la sortie de crise
3. Réussir la réforme du système financier international
4. Protéger les consommateurs
* Ma feuille de route pour la nouvelle autorité
1. Réussir la fusion au service de l'intérêt général
Le préalable est de réussir la fusion. La fusion doit réussir parce c'est l'efficacité du système français de supervision qui est en jeu au moment où nous vivons les turbulences d'une crise sans précédent.
Une fusion est une aventure humaine complexe. Le changement suscite des inquiétudes, voire des craintes. L'installation de la nouvelle autorité stabilise le cadre général, c'est essentiel. La priorité de la nouvelle Autorité est maintenant de créer, avec sa Secrétaire générale, Danièle NOUY et l'équipe de direction, les conditions pour que les personnels se sentent totalement opérationnels dans un cadre renouvelé et stimulant.
Pour tous cette fusion est un défi. Mais la crise était un défi bien plus difficile encore : l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles et la Commission bancaire l'ont relevé séparément. C'est maintenant ensemble que je vous invite à réunir vos talents et vos énergies au service de la création d'une autorité dont nous serons fiers.
2. Réussir la sortie de crise
Votre deuxième objectif est de réussir la sortie de crise. 2010 est une année transformationnelle pour la banque et l'assurance. Dans cet environnement mouvant, vous devez garder le cap de la stabilité financière tout en accompagnant les transformations nécessaires.
Ces transformations, c'est d'abord un environnement économique et financier difficile. Depuis la crise de Dubaï, en passant par les tensions sur la dette grecque, les sinistres de la tempête Xynthia ou encore les mouvements de taux et de bourse, ce sont les risques de contrepartie des banques et la valeur des actifs des assureurs qui sont affectés. Vous êtes le premier rempart de l'économie française pour préserver le système financier des assauts d'une conjoncture exceptionnelle.
Mais ces transformations, c'est aussi accompagner toute une industrie au moment où elle aborde des révolutions réglementaires sans précédent :
- Bâle 3 pour les banques et
- solvabilité 2 pour toutes les activités des assurances : l'assurance-vie bien sûr mais aussi les responsabilités civiles et professionnelles et l'assurance dommages parce que ce sont des services de première nécessité pour les ménages et les entreprises ; leur continuité ne peut être remise en cause : vous devrez vous en assurer.
Ces transformations, ce sont aussi des réorganisations industrielles. Je pense à la création de BPCE dans la banque ou au rapprochement de MACIF, MAIF et Matmut dans l'assurance. C'est notamment votre action comme autorité d'agrément qui est en première ligne pour accompagner l'évolution de l'industrie vers plus de compétitivité au service des consommateurs.
Ces transformations, c'est enfin l'action dynamique des entreprises françaises à l'international. Votre mission sera ici d'accompagner, de coopérer et de garantir un contrôle efficace des géants internationaux notamment au travers des collèges de superviseurs et des instances internationales.
3. Réussir la réforme du système financier international
2010 est une année particulière parce que vous devrez mener de front deux exercices : la sortie de crise, mais aussi la réforme du système financier international, c'est votre troisième objectif. La volonté politique de nos partenaires pour réformer le système financier ne sera pas éternelle. Nous devons travailler dès maintenant avec le G20 pour refonder le système financier international.
Avec le G20, nous avons décidé de règles pour encadrer les bonus des opérateurs de marché. La France a été le premier pays à mettre ces règles en oeuvre dans son droit national. Par un arrêté du 3 novembre, je vous ai confié la responsabilité du contrôle de ces rémunérations. Je compte sur votre totale vigilance pour garantir la pleine et entière application en France des règles du G20.
La France avec le G20 soutient également le renforcement de la solidité du secteur financier avec Bâle 3 :
- plus de fonds propres face aux activités les plus risquées des banques ;
- des fonds propres de meilleure qualité ;
- une meilleure gestion des risques de liquidité ;
- moins de pro-cyclicité.
L'Autorité de contrôle prudentiel est en première ligne dans la négociation de Bâle 3 au sein du comité de Bâle. La France a deux intérêts vitaux dans cette négociation. Ces intérêts sont en quelque sorte le mandat de négociation dont vous êtes dépositaire : (i) la réforme ne doit pas pénaliser le crédit aux ménages et aux entreprises ; (ii) elle doit garantir l'égalité des conditions de concurrence entre zones économiques et modèles bancaires.
Un deuxième bouleversement réglementaire est en préparation : solvabilité 2 dans le secteur des assurances. La priorité est ici de d'accompagner le Gouvernement dans la négociation des textes d'application au niveau européen. Nous devons exploiter efficacement tous les leviers utiles pour préserver l'investissement des assureurs dans le financement en actions des entreprises.
Sous l'impulsion de la Présidence française de l'Union européenne, nous avons enfin renforcé l'efficacité du système européen de supervision. J'ai notamment voulu créer votre autorité pour renforcer l'influence de la France dans les discussions internationales. Vous avez la responsabilité de faire entendre la voix de la France dans ces enceintes. C'est notamment vous qui nous représenterez au sein de l'European Banking Authority (EBA) et de la European Insurance and Occupational Pensions Authority (EIOPA).
4. Protéger les consommateurs
Je souhaite enfin votre pleine et entière mobilisation au service de la protection des consommateurs, c'est votre quatrième objectif. La crise a provoqué un besoin de sécurité chez les consommateurs d'assurance et de produits bancaires. C'est pourquoi, j''ai voulu confier à votre autorité une nouvelle mission de plein exercice : la protection des clientèles.
C'est un enjeu prudentiel bien sûr - parce que des contentieux à grande échelle sur des questions de commercialisation peuvent fragiliser un établissement - mais l'essentiel n'est pas là. Les services financiers ne sont pas des services comme les autres. L'asymétrie d'information entre consommateur et prestataire de services y est abyssale. Une régulation est nécessaire pour inciter les acteurs à répondre avec loyauté aux besoins des clients. Les abus et les excès du crédit à la consommation sont une bonne illustration.
C'est pourquoi j'ai voulu la création d'un pôle commun à l'Autorité de contrôle prudentiel et à l'Autorité des marchés financiers chargé de développer et de coordonner l'action des autorités en matière de contrôle de la commercialisation. Il constituera également un point d'entrée pour les demandes des consommateurs. Je veux que - fort de l'expérience de l'AMF et de l'ACAM - ce pôle développe de véritables politiques et un savoir-faire français en matière de contrôle des pratiques de commercialisation en coordination avec la DGCCRF.
Ça suppose des moyens mais aussi une révolution culturelle parce que le contrôle de la commercialisation n'est pas dans les gènes d'un contrôleur prudentiel. Le pôle commun doit être l'outil d'une fertilisation croisée entre l'AMF et la nouvelle autorité. Je compte sur le collège de l'ACP pour faciliter et accompagner cette mutation génétique.
* Conclusion
En conclusion, je voudrais insister sur la dimension collégiale.
Un collège, c'est d'abord une envie de travailler ensemble. Votre collège, je le vois au service de l'intérêt général et à l'écoute de tous, des plus petites entités comme des plus grands groupes. Je le vois aussi à l'écoute des différentes disciplines. Votre mission est à la fois de respecter les identités mais aussi bâtir une identité commune en croisant les regards de l'assurance et de la banque.
Vous devrez prendre garde à ne pas vous replier dans le confort d'un « chacun chez soi » au sein des sous-collèges sectoriels. Au contraire, vous devez bâtir une identité commune pour une autorité forte dont je veux avec vous qu'elle devienne un modèle de régulation pour l'Europe.
Je vous demande de prendre cette mission à bras le corps. Je vous demande avec Christian Noyer et le Vice-Président de faire preuve de volontarisme pour y parvenir.
Ce que je viens de dire du collège s'applique également aux personnels de l'Autorité de contrôle prudentiel. Avant de travailler ensemble, vous vous croyez tellement différents. Mais en réalité, vous partagez déjà une culture commune, celle de servir l'intérêt général. C'est un acquis sans pareil pour réussir ensemble.
Ma responsabilité était de prendre la décision de réformer le système français de supervision pour le moderniser et le rendre plus efficace. Votre responsabilité est maintenant de provoquer la réussite de l'une des plus importantes autorités de contrôle et de supervision au monde.
Je vous remercie.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 9 mars 2010