Interview de M. Patrick Devedjian, ministre chargé de la mise en oeuvre du plan de relance, à RTL le 19 février 2010, sur l'augmentation des dépenses sociales des conseils généraux et la baisse des recettes, et sur son attachement au département des Hauts-de-Seine.

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Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Bonjour, P. Devedjian.
 
Bonjour.
 
La Une des Echos nous alertait, mercredi, sur une véritable menace : des dizaines de conseils généraux en France, donc au niveau des départements, n'arrivent pas à boucler leur budget parce que leurs recettes, notamment les droits de mutation chutent à cause de la crise, alors que les dépenses sociales, elles, explosent. Le Conseil général des Hauts-de-Seine que vous présidez, P. Devedjian, est réputé être riche, l'un des plus riches de France, pas le plus riche, mais vous aussi vous rencontrez ce type de problème, c'est-à-dire des budgets qui se modifient profondément et qui se déséquilibrent.
 
Oui, bien sûr, la crise frappe tout le monde, absolument tout le monde ; et les recettes ont été réduites, notamment celles qui viennent de l'économie. Et c'est normal...
 
Droits de mutation.
 
Ce qu'on appelle les droits de mutation ; pour ce qui est du Conseil général, une recette qui était de 400 millions a perdu 150.
 
Elle est tombée à 250.
 
Elle est tombée à 250.
 
En 2009, elle sera à 270, selon vos prévisions en 2010. Donc, ça veut dire que vous perdez beaucoup d'argent, vous perdez beaucoup de recettes ?
 
Et en même temps, les dépenses sociales augmentent parce que, évidemment, il y a plus de gens en difficulté à cause de la crise.
 
Et les gens qui gèrent les conseils généraux, les présidents de conseils généraux, s'alarment du fait que les dépenses sociales augmentent et contrairement à ses engagements, l'Etat ne compense pas tout le temps, partout, comme il s'était engagé à le faire, l'augmentation de ces dépenses ?
 
Il le fait beaucoup mieux maintenant qu'il ne le faisait autrefois...
 
C'est ce que disent beaucoup de conseillers généraux.
 
C'est quand même vrai, même si ce n'est pas toujours satisfaisant. Depuis 2004 la réforme constitutionnelle, il y a dans la Constitution une disposition qui oblige, en principe, l'Etat à compenser équitablement. Avant, ça n'existait pas, et donc l'Etat en abusait. Je vous donne un exemple : lorsque L. Jospin a mis en place l'allocation personnalisée d'autonomie pour les personnes âgées...
 
En 2001.
 
... Notre compensation dans les Hauts-de-Seine est de quatre millions par l'Etat et le coût est de 73. Voyez, il y a un gros écart.
 
Il y a une petite marge. Et donc, du coup, il y a des...
 
Maintenant ça, c'est admis. Pour le passé, évidemment on continue à subir cela.
 
Du coup, beaucoup de conseillers généraux envisagent de porter plainte. Alors, conseils généraux socialistes mais j'ai noté, par exemple, C. Namy, président du Conseil général UMP de la Meuse qui, lui aussi, menace d'aller en justice parce que, dit-il, l'Etat ne compense pas les dépenses sociales des départements.
 
Oui, ça c'est grâce à la réforme que la droite a fait voter par la réforme constitutionnelle de 2004 et qui oblige maintenant l'Etat à compenser équitablement.
 
Mais c'est terrible d'en arriver à régler ces problèmes devant les tribunaux tout de même !
 
Ah non, c'est le propre d'un Etat de droit.
 
Ah, ça ne vous choque pas plus que ça ?
 
Ah, bien oui, le recours à la justice c'est au contraire quelque chose que je trouve impartial et indiscutable.
 
On attendrait tout de même que des responsables politiques s'accordent. Si des engagements sont pris et sont tenus, on n'a pas besoin d'alerter le juge pour les faire tenir ?
 
Oui, mais ce qu'il faut dire aussi c'est que notre système est un système souvent incohérent et qui est en cours de mutation et en cours de changement. Alors, vous m'interpelliez pour me demander comment on va éviter la faillite ? Moi je vais vous le dire : en appliquant la réforme qui est mise en place par le président de la République et qui a deux principes. Le premier, c'est de rapprocher les départements des régions pour avoir une coopération et donc, éviter les doublons. Vous savez, les financements croisés, souvent c'est une facilité naturellement mais ça oblige chaque collectivité locale à avoir des services instructeurs pour chaque problème. Alors vous avez sur un même objet, vous avez six services instructeurs éventuellement parce que vous avez six partenaires au financement. Donc, ça c'est le premier objet : rapprocher les collectivités pour avoir des coopérations. Et puis, deuxième objet : se spécialiser et le coeur du métier des départements, c'est le social. Eh bien, il faut se concentrer sur son coeur de métier.
 
Mais ça, ça coûtera de plus en plus cher...
 
Le social coûtera de plus en plus cher.
 
L'allocation personnalisée autonomie ou le RSA notamment, grève considérablement les finances de ces collectivités territoriales. On évitera des augmentations d'impôts dans les départements ?
 
Je crois qu'on augmentera raisonnablement les impôts.
 
On les augmentera ?
 
Les Hauts-de-Seine : nous ne les augmentons pas. Nous restons stables mais nous avons emprunté.
 
Vous les avez augmentés ?
 
Oui, l'année dernière, on a augmenté de 3%. Cette année, nous n'augmenterons pas les impôts parce qu'il faut aussi être responsable devant la crise et favoriser l'économie en modérant la pression fiscale.
 
Est-ce que ce mauvais état des finances publiques départementales, régionales aussi sans doute, ne dit pas qu'à côté d'un déficit gigantesque de l'Etat, les collectivités territoriales sont, elles aussi, menacées ; que certaines pourraient se retrouver d'une certaine façon en cessation de paiement ?
 
Je ne le crois pas. Mais la France a deux caractéristiques : c'est le seul pays qui ait autant d'éparpillements des collectivités locales, nous sommes le seul pays d'Europe à avoir 36.000 communes ; ça n'aide pas quand même à rationaliser la dépense. Et deuxièmement, c'est le seul pays aussi où toutes les collectivités ont la compétence générale, c'est-à-dire qu'elles peuvent s'occuper de tout ; et ça non plus, ça n'est pas raisonnable.
 
Et on se demande comment on en arrive à ce résultat. C'est la faute des responsables politiques qui n'organisent pas leur propre sphère d'activités ou qui l'organise mal ?
 
C'est une faute collective historique depuis toujours.
 
Depuis toujours ? Tout le monde le sait !
 
Vous savez, s'agissant des départements, ça existe depuis la Révolution. Alors, c'est le grand mérite quand même du président de la République de s'attaquer à des choses aussi lourdes qui durent depuis si longtemps.
 
Un renouvellement cantonal aura lieu l'année prochaine. Donc, il concerne aussi les Hauts-de-Seine comme d'autres départements. Vous avez envie de continuer votre mission à la tête du département, P. Devedjian ?
 
Oui, surtout parce que c'est difficile ; et donc, c'est le moment d'être utile.
 
Vous savez pourquoi je vous pose la question ?
 
Oui, j'ai bien compris, on me la pose à chaque fois.
 
Et vous répondez tout le temps la même chose. Donc J. Sarkozy va devoir attendre pour prendre votre place ?
 
Eh bien écoutez, il a parfaitement le droit d'être candidat et moi aussi.
 
Et vous redoutez un peu qu'il le soit ?
 
Je ne redoute rien. Vous savez, dans la vie politique, on ne sait jamais ce qui va arriver ; et finalement il faut accepter le verdict des urnes.
 
Diriez-vous comme d'autres, P. Devedjian, viennent de le dire, que vous n'avez qu'une envie : celle de servir la population des Hauts-de-Seine ?
 
En tous les cas, je suis attaché à ce territoire, c'est le mien. J'y ai passé ma vie, j'y ai fait aussi ma carrière politique ; et j'y suis très attaché.
 
Là aussi je crois que vous avez compris l'allusion. Avez-vous envie de servir seulement les habitants des Hauts-de-Seine ?
 
Vous savez, j'ai appris aussi l'humilité. Servir les habitants des Hauts-de-Seine, c'est assez exaltant. C'est un département, vous l'avez dit, très important où il y a du développement économique et j'y suis très heureux.
 
Alors, je vais poser ma question autrement. Madame Penchard, ministre de l'Outre Mer, a-t-elle dit une bêtise ?
Je ne le crois pas !
 
Ah, ah, ah vous ne le croyez pas ?
 
Non, non je vais vous dire.
 
Si, vous le croyez, mais vous ne pouvez pas le dire, c'est ça ?
 
Non, mais je vais vous dire ce que je pense.
 
Vraiment ?
 
Oui, oui je vais vous le dire. Tous les élus sont attachés à leur territoire et ils en parlent toujours avec un peu d'excès. Moi-même quand je parle des Hauts-de-Seine parce que j'y suis attaché, je peux en parler avec un peu d'excès.
 
C'était maîtrisé ce matin votre propos sur les Hauts-de-Seine, il n'y avait pas des excès. Si ?
 
Mais parce que vos questions étaient également de circonstance ; et donc, M.-L. Penchard a exprimé avec un peu de sentimentalité sa passion pour la Guadeloupe qui est un Territoire difficile ; et il ne faut pas non plus en faire un plat.
 
Pas un plat ! Mais tout de même, un ministre de la république ne parle pas comme ça ! On est d'accord ?
 
Vous savez, les ministres de la République sont des hommes ou des femmes comme les autres et j'ai souvent entendu dire beaucoup de bêtises par tout le monde.
 
On attend aujourd'hui la nomination de trois nouveaux membres du Conseil constitutionnel. Alors, votre nom a parfois été cité, P. Devedjian. Vous serez dans le lot ?
 
Il n'y a aucune raison pour cela. Pour moi, ce serait une manière de prendre sa retraite et voilà... Je n'ai pas envie de prendre ma retraite.
 
Quand on est au Conseil constitutionnel, on est à la retraite ?
 
A partir d'un certain âge, en tous les cas c'est pour neuf ans. Moi j'ai 65 ans, vous comprenez bien que ça serait l'abandon de ma carrière politique.
 
Donc, les trois nouveaux nominés seront heureux d'apprendre qu'ils vont à la maison de retraite.
 
Non, ça dépend pour qui. Mais pour moi, je considérerais que c'en est une.
 
D'accord. Allez, P. Devedjian, président du Conseil général des Hauts-de-Seine, était l'invité de RTL ce matin. Bonne journée.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 mars 2010