Texte intégral
J'ai écouté avec attention, Monsieur le Député, ce que vous avez dit avec gravité sur la nécessité - au-delà du cas particulier que vous avez évoqué - de faire respecter les droits de l'Homme et de défendre les libertés. Je vous remercie de cette occasion qui m'est donnée, à travers cette proposition de résolution, de réaffirmer de manière solennelle que nous croyons - comme vous - au principe de responsabilité dans l'action extérieure de la France. Ce principe guide notre action de manière constante, en particulier dans le domaine des droits de l'Homme. Il l'a donc guidée tout au long de l'affaire qui nous rassemble aujourd'hui : le drame de la disparition, à ce jour non élucidée, de l'opposant tchadien Ibni Oumar Mahamat Saleh. Je souhaite revenir, après vos interventions et afin de répondre aux interrogations qu'elles contiennent, sur les aspects principaux de cette affaire. Ces éléments permettront, je l'espère, d'éclairer votre vote.
Mais auparavant, laissez-moi replacer le débat dans son contexte, qui est celui de l'action continue de la France dans la lutte contre les disparitions forcées et l'impunité. Car c'est la France qui, avec l'Argentine, porte depuis vingt ans le combat sur la scène multilatérale pour que les disparitions forcées - on en dénombre 43.000 à ma connaissance - fassent enfin l'objet de poursuites. C'est à l'action de notre diplomatie que l'on doit l'adoption d'une convention internationale qui marque un tournant dans la répression de ces crimes particulièrement odieux.
Partout, au Tchad comme ailleurs, les défenseurs des droits de l'Homme connaissent le prix de nos efforts. Mais il ne suffit pas de faire adopter des textes - comme vous l'avez dit - pour changer les réalités. C'est pourquoi la lutte contre l'impunité est au coeur de notre action extérieure. La France a porté depuis l'origine l'idée d'une Cour pénale internationale ; elle en finance le fonctionnement et en soutient les procédures. Que ce soit au plan local ou au plan international, la France soutiendra sans faillir l'action de ceux qui se battent pour la manifestation de la vérité et la sanction des auteurs de ces crimes.
Que cela soit bien clair : la France entretient avec la plupart des Etats une longue relation. Elle a parfois des amitiés anciennes. Mais nous plaçons les droits de l'Homme au-dessus de toute autre considération. Lorsqu'il est question de crimes, la France ne couvre ni ne couvrira personne. Ce n'est pas l'intérêt des droits de l'Homme, ce n'est pas son intérêt.
Revenons maintenant sur la disparition ignoble de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh. Je suis d'accord avec vous : cette affaire est grave, insupportable. Pourtant je veux, devant vous, réaffirmer de manière très claire que la France peut s'enorgueillir de son action. Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour faire déclencher une enquête, pour qu'elle aboutisse, et donc pour obtenir l'application effective des recommandations émises dans le rapport de la commission d'enquête tchadienne concernant les événements de février 2008. Nous n'avons pas agi seuls, et j'ajouterai même que nous avons toujours été en première ligne de l'action internationale. A ce jour, la lumière n'a toujours pas été faite sur la disparition de M. Saleh. Nous ne nous en satisfaisons pas. Nous n'aurons de cesse d'agir pour que le mystère de cette disparition soit élucidé, ne serait-ce que pour permettre à sa famille, avec qui nous sommes en lien constant, de faire - éventuellement - son deuil et d'obtenir - en tout cas - des explications.
Vous connaissez le contexte particulier de ces événements. Le 28 janvier 2008, une colonne de près de 300 véhicules des forces rebelles a lancé une incursion en territoire tchadien à partir du Soudan. Les 2 et 3 février, les rebelles ont livré bataille au coeur de N'Djamena, sans parvenir à s'emparer de la présidence de la République tchadienne. La coalition rebelle a entamé son repli à partir du 4 février, vers les zones frontalières de l'est du pays. C'est donc dans un contexte particulièrement troublé - un contexte de guerre - qu'est intervenue cette disparition. L'ambassade de France était sous le feu ; notre souci prioritaire était d'assurer la protection, la sécurité et l'évacuation de nos compatriotes et des autres ressortissants étrangers. Les troupes françaises présentes à N'Djamena se sont concentrées sur cette mission et ont mené à bien l'évacuation de 1.600 ressortissants français et étrangers - autrichiens, saoudiens, etc. Les forces spéciales autrichiennes ont été évacuées de l'hôtel Kempinski par les forces françaises. Notre attaché de défense et son équipe n'ont pas quitté l'ambassadeur, qu'ils ont aidé dans cette tâche. Je rappelle que l'ambassade était "bunkérisée" et que les communications étaient coupées. Nos forces n'ont ouvert le feu que pendant une très courte période, en évacuant les ressortissants étrangers - autour, il est vrai, de la présidence.
Dès que nous avons appris sur place, par un appel du fils de M. Lol Mahamat Choua, la disparition de trois opposants politiques dont ce dernier, et conformément aux principes qui guident notre action, nous avons immédiatement réagi. Qu'a fait la France depuis lors ? Son action peut se décrire en quatre phases, dont la dernière se poursuit encore aujourd'hui.
Durant la première phase, au cours du mois de février 2008, nous n'avons eu de cesse de nous inquiéter auprès des dirigeants tchadiens du sort des disparus. Nous avons appris le 3 février au soir, comme je l'ai dit, la disparition d'un opposant, M. Lol Mahamat Choua. Des rumeurs ont circulé - dans une ville qui bruissait de rumeurs, et où plus aucun réseau de téléphonie ne fonctionnait - sur la disparition d'autres opposants. La France est alors immédiatement intervenue au plus haut niveau auprès des autorités tchadiennes. J'ai moi-même appelé en ce sens le président Déby en présence de mon homologue, M. Allam-Mi, dès le 5 février. Nos multiples efforts de sensibilisation ont permis de retrouver deux des opposants disparus, M. Lol Mahamat Choua et M. Ngarjely Yorongar. M. Saleh est resté introuvable. Je le sais parce que j'étais sur place et que je suis aller chercher moi-même M. Yorongar.
La deuxième phase de notre action a alors consisté à appuyer la commission d'enquête tchadienne, dont le travail est aujourd'hui salué par tous. Ce sont d'ailleurs sur ses recommandations que se fonde votre proposition de résolution. Cette commission, c'est bien la France, accompagnée par l'Union européenne et l'Organisation internationale de la Francophonie, qui en a obtenu la création : le président Sarkozy, présent à N'Djamena dès le 27 février, a demandé au président tchadien Idriss Déby la création d'une commission d'enquête chargée de faire la lumière sur la disparition d'Ibni Oumar Mahamat Saleh et sur l'ensemble des événements de février. Il l'a obtenue et, vous le savez, les conclusions de la commission sont rudes. Nous avons également insisté pour que la composition de cette commission soit équilibrée. Nous avons ensuite participé à toutes ses réunions, en tant qu'observateurs, et appuyé son action à travers la mise à disposition d'un expert. Cette commission a rendu son rapport au chef de l'Etat tchadien le 5 août 2008. De l'avis de tous, ce rapport est d'une qualité rare pour le Tchad et les pays environnants.
Le président Déby a alors pris publiquement deux engagements fermes : la publication rapide du rapport et la mise en place d'un dispositif de suivi, en particulier judiciaire, des enquêtes non achevées et des recommandations du rapport.
Le souci de mise en oeuvre de ces recommandations nous a amenés, dans une troisième phase, à encourager le Tchad à agir et à mettre en place les instruments normatifs nécessaires. C'est bien pour cela que le gouvernement tchadien a créé, au début du deuxième semestre 2008, un "comité interministériel de suivi des recommandations du rapport de la commission d'enquête", présidé par le Premier ministre et composé de huit ministres. Ce comité se réunit tous les deux mois environ ; sa dernière séance s'est tenue le 26 janvier 2010. Un sous-comité technique a également été constitué pour traiter les dossiers au fond et arrêter les mesures de mise en oeuvre des recommandations du rapport. Il est composé de quatre cellules - sécurité, action juridique, soutien psychologique et matériel, investigation économique et financière. Je note que ces instruments sont précisément ceux que réclame la proposition de résolution. Vous souhaiteriez que ce comité de suivi soit international : les autorités tchadiennes en ont jugé autrement. Mais notre ambassadeur n'a jamais eu à se plaindre de son fonctionnement : toutes ses demandes ont été exaucées.
En outre, toutes nos démarches ont directement contribué à ce que le gouvernement tchadien dépose en décembre 2008 une plainte contre X, qui a déclenché une enquête judiciaire portant notamment sur la disparition d'Ibni Oumar Mahamat Saleh.
Durant la quatrième phase en cours, nous demeurons très attentifs aux avancées de cette enquête - tout en respectant, bien sûr, le secret de l'instruction -, à travers des démarches bilatérales ou européennes auprès du président tchadien, de son Premier ministre ou des ministres concernés. J'ai moi-même eu l'occasion de m'y employer lors de chacun de mes déplacements au Tchad. Nous veillons notamment à ce que l'équipe de magistrats tchadiens dispose des moyens nécessaires à son action.
Cette enquête, encore en cours, a débouché sur de nombreuses auditions qui concernent des acteurs politiques, des militaires et des membres de la société civile. Le mandat du cabinet d'instruction vient d'être prolongé de six mois, et son budget augmenté. Le gouvernement tchadien affirme vouloir accélérer l'enquête pour qu'un procès puisse avoir lieu dans le courant de cette année.
Mais je n'oublie pas l'application des autres recommandations. Ainsi, la France et ses partenaires ont pesé pour que les femmes violées soient indemnisées, ce qui a été fait.
En réponse à votre question, Monsieur Gorce, je réaffirme que la France ne connaissait pas - et ne connaît toujours pas - les circonstances de la disparition de M. Saleh. Seule l'enquête judiciaire pourra les déterminer.
Enfin, je tiens à souligner l'importance de cette séance : pour la première fois, vous discutez d'une proposition de résolution. En effet, vous le savez, nous expérimentons pour la première fois cette nouvelle procédure d'initiative parlementaire en matière de politique étrangère. Il faut en rappeler le cadre légal : l'article 34-11 de la Constitution dispose bien que l'action du gouvernement ne peut être mise en cause. Nous ne sommes pas non plus dans le cadre d'une commission d'enquête ; nous n'avons donc pas, à ce stade, à prendre d'autres initiatives éventuelles. Pour ces raisons, je me suis pour l'heure borné à éclairer votre vote en soulignant l'action résolue de la France.
Si je comprends et partage votre désir de vérité, nous devons également tenir compte de la façon dont notre position sera appréciée au Tchad. Ce pays progresse actuellement sur la voie de la démocratie et de la consolidation de l'Etat de droit, et nous l'y encourageons. Dans ce contexte, je laisse à votre appréciation la manière dont la résolution dont vous discutez pourrait être interprétée localement. Il ne faudrait pas que, soucieux de voir le débat s'ouvrir au Tchad et sous couvert de bons sentiments, nous en arrivions à galvauder les progrès accomplis par le pays. Je connais l'enchaînement des prises de pouvoir au Tchad, pour les avoir vécues. Je pourrai vous les détailler, si vous le souhaitez. Entre 2006 et ce qui se prépare aujourd'hui, des progrès ont été accomplis ; ne les négligeons pas. S'il est tout à fait normal de demander que justice soit faite en mettant à profit nos bonnes relations diplomatiques, il serait absurde d'interférer sur le cours de la justice de cet Etat indépendant. Aucun pays ne mérite la caricature, et nous nous honorons d'encourager ceux qui tirent leur force des droits de l'Homme.
Je vous remercie à nouveau de cette occasion qui m'a été offerte de revenir sur notre action inlassable en faveur des droits de l'Homme, en particulier celle qui concerne les drames des disparitions, dont je vous ai fourni le nombre. Dans ce dernier domaine, nous nous attachons à faire appliquer la résolution que nous avons obtenue. Il s'agit en particulier, bien sûr, de la disparition de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh, qui nous rassemble aujourd'hui, après deux ans. Je vous le répète : la France continuera d'agir pour contribuer à ce que la vérité soit faite, par le Tchad, sur ce drame. C'est dans ce cadre que je demanderai à notre ambassadeur chargé des droits de l'Homme de se rendre très prochainement à N'Djamena.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, je partage votre sentiment sur la nécessité de justice et de vérité. Il faut en effet clarifier cette affaire. Cela étant, je voudrais préciser certains points.
Cette exigence de vérité doit être aussi une exigence de vérité historique. Vous demandez que la communauté internationale intervienne, non sur cette affaire, mais au Tchad en général, dont l'histoire est très compliquée et marquée par une succession de coups d'Etat à partir de M. Tonmbalbaye : il y a eu Goukouni Oueddeï, puis Hissène Habré et Idriss Déby. Ces coups d'Etat, très meurtriers, se sont succédé jusqu'en 2006. Depuis, les progrès de la démocratie sont visibles et, même si c'est facile par rapport à ce qui se passait avant, il faut le souligner.
Notre position s'explique parce que - vous l'avez dit - la géopolitique de ce pays est importante. Mais il ne faut pas oublier que son voisin envoie en permanence des groupes rebelles qui se livrent, à intervalles successifs, à des attaques armées sur le territoire. Nous devons, si nous tenons à la stabilité de l'ensemble, participer de cette stabilité. Il y a eu une intervention en 2006 : les avions français positionnés à N'Djamena ont tiré devant la colonne qui arrivait, comme d'habitude, d'un pays voisin. En 2008, nous ne sommes pas intervenus militairement. C'était déjà un changement considérable. Je le répète, nous ne sommes pas intervenus. L'armée française n'a tiré qu'une seule fois pour exfiltrer des ressortissants étrangers. Le courage de nos troupes a permis d'en faire sortir 1.600.
Q - Et pour protéger l'aéroport ?
R - L'aéroport n'est pas à protéger puisqu'il n'y en a qu'un ! Une partie de l'aéroport n'a pas été attaquée. Un obus est tombé, les rebelles attaquaient et tiraient sur l'aéroport. Je vous signale qu'il s'agit de l'aéroport civil. C'est là aussi que les avions militaires tchadiens sont basés, pas à l'endroit que nous occupons avec l'opération Epervier, à côté, mais il y a une seule piste !
Q - Cela ne veut-il pas dire que nous avons protégé les hélicoptères tchadiens ?
R - Non, absolument pas ! Les hélicoptères tchadiens n'étaient pas au même endroit. Ils étaient du côté tchadien ; cela n'a rien à voir ! On peut construire une autre piste, mais c'est une autre histoire !
Nous n'avons véritablement opéré à partir de cette base française que pour aller chercher les ressortissants étrangers, ce qui était très difficile. Puisque vous parlez d'intervention internationale, tous les pays ont salué le courage des soldats français.
Quant à l'intervention internationale, comme il y a des populations civiles sur le chemin des rebelles, la France a demandé à dix-sept pays européens de lancer l'opération EUFOR. Pendant un an, de 2008 à 2009, vous vous en souvenez, Madame Hostalier, car vous avez rendu visite à nos troupes, il n'y a pas eu une seule attaque de djandjaouid, c'est-à-dire de milices qui, de l'autre côté, venaient semer la terreur parmi les populations civiles tchadiennes, notamment auprès des femmes et des enfants. Il y a eu un an de présence internationale. Nous pouvons demander à ces dix-sept pays et à l'Europe d'aller encore dans le même sens pour exiger vérité et justice sur cette affaire, qui n'est pas intervenue au même moment puisque l'opération EUFOR s'est déroulée de 2008 à 2009 et que nous avons passé la main, le jour dit, aux forces des Nations unies. Mais je vous assure que, dans toutes ces opérations, nous avons été très attentifs à protéger la population tchadienne.
Monsieur Muzeau, vous avez parlé de trente morts. C'est une mauvaise plaisanterie !
Le rapport de la commission d'enquête, qui est sérieux, fait état de 1.323 blessés et de 730 morts. Ce n'est pas la même chose !
Q - J'ai dit qu'il y avait eu des centaines de morts.
R - Je vous prie de m'excuser, j'avais compris que vous parliez de trente morts. Je me souviens des ravages terribles subis par cette ville ; elle était complètement détruite. L'attaque avait été extraordinairement forte et aurait dû normalement triompher de l'ensemble des structures administratives et politiques.
C'était vraiment un chaos particulier, une terreur pour les populations. Cela n'excuse rien du tout, je ne suis pas en train de vous dire que c'était normal. Considérez toutefois, s'il vous plaît, ce qu'ont fait les Tchadiens pour se défendre contre des attaques rebelles répétitives qui viennent toujours du pays voisin. Je souhaite évidemment la paix. Il y a d'ailleurs eu, ces temps-ci, quelques signatures, ce qui représente un progrès.
Vous voulez que soit créé un comité de suivi avec une présence internationale. Comment l'obtenir ?
Q - C'est l'article 11 des conclusions de la commission d'enquête !
R - Certes, mais la commission d'enquête a été constituée dans un pays souverain. Il revient donc à son gouvernement de décider s'il doit y avoir une présence internationale. Nous l'avons fait accepter pour la commission d'enquête, et si vous voulez que les Français agissent de même pour le comité de suivi, on peut essayer.
Exiger, non, mais suggérer, pourquoi pas ?
Je vous signale également, parce que nous devons aussi être quelque peu raisonnables, que l'accord du 13 août 2008 a prévu la représentation des partis de l'opposition. On compte ainsi quatre ministres, dont un est d'ailleurs du même parti que M. Saleh. Ce sont des progrès qu'il faut noter. Je suis toutefois tout à fait favorable à ce que l'on aille plus loin, si vous le souhaitez.
Q - Tout va donc bien et on ne fait rien !
R - Vous ne pouvez pas dire que l'on ne fait rien ! Je viens de vous préciser que l'on est en train d'agir et que personne n'a autant insisté !
Q - Ce n'est pas clair !
R - Si ce n'est pas clair, je vais vous le répéter : nous sommes le seul pays à avoir fait bouger la communauté internationale ! Je ne peux pas accepter d'entendre dire qu'on ne fait rien au Tchad ! Nous avons été les seuls à intervenir de façon extrêmement efficace. Vous l'avez d'ailleurs reconnu dans tous vos discours. Admettez-le maintenant également, s'il vous plaît !
Q - Mais qu'en est-il maintenant ?
R - Je suis en train de vous répondre : nous avons fait beaucoup et beaucoup plus que vous !source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 mars 2010
Mais auparavant, laissez-moi replacer le débat dans son contexte, qui est celui de l'action continue de la France dans la lutte contre les disparitions forcées et l'impunité. Car c'est la France qui, avec l'Argentine, porte depuis vingt ans le combat sur la scène multilatérale pour que les disparitions forcées - on en dénombre 43.000 à ma connaissance - fassent enfin l'objet de poursuites. C'est à l'action de notre diplomatie que l'on doit l'adoption d'une convention internationale qui marque un tournant dans la répression de ces crimes particulièrement odieux.
Partout, au Tchad comme ailleurs, les défenseurs des droits de l'Homme connaissent le prix de nos efforts. Mais il ne suffit pas de faire adopter des textes - comme vous l'avez dit - pour changer les réalités. C'est pourquoi la lutte contre l'impunité est au coeur de notre action extérieure. La France a porté depuis l'origine l'idée d'une Cour pénale internationale ; elle en finance le fonctionnement et en soutient les procédures. Que ce soit au plan local ou au plan international, la France soutiendra sans faillir l'action de ceux qui se battent pour la manifestation de la vérité et la sanction des auteurs de ces crimes.
Que cela soit bien clair : la France entretient avec la plupart des Etats une longue relation. Elle a parfois des amitiés anciennes. Mais nous plaçons les droits de l'Homme au-dessus de toute autre considération. Lorsqu'il est question de crimes, la France ne couvre ni ne couvrira personne. Ce n'est pas l'intérêt des droits de l'Homme, ce n'est pas son intérêt.
Revenons maintenant sur la disparition ignoble de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh. Je suis d'accord avec vous : cette affaire est grave, insupportable. Pourtant je veux, devant vous, réaffirmer de manière très claire que la France peut s'enorgueillir de son action. Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour faire déclencher une enquête, pour qu'elle aboutisse, et donc pour obtenir l'application effective des recommandations émises dans le rapport de la commission d'enquête tchadienne concernant les événements de février 2008. Nous n'avons pas agi seuls, et j'ajouterai même que nous avons toujours été en première ligne de l'action internationale. A ce jour, la lumière n'a toujours pas été faite sur la disparition de M. Saleh. Nous ne nous en satisfaisons pas. Nous n'aurons de cesse d'agir pour que le mystère de cette disparition soit élucidé, ne serait-ce que pour permettre à sa famille, avec qui nous sommes en lien constant, de faire - éventuellement - son deuil et d'obtenir - en tout cas - des explications.
Vous connaissez le contexte particulier de ces événements. Le 28 janvier 2008, une colonne de près de 300 véhicules des forces rebelles a lancé une incursion en territoire tchadien à partir du Soudan. Les 2 et 3 février, les rebelles ont livré bataille au coeur de N'Djamena, sans parvenir à s'emparer de la présidence de la République tchadienne. La coalition rebelle a entamé son repli à partir du 4 février, vers les zones frontalières de l'est du pays. C'est donc dans un contexte particulièrement troublé - un contexte de guerre - qu'est intervenue cette disparition. L'ambassade de France était sous le feu ; notre souci prioritaire était d'assurer la protection, la sécurité et l'évacuation de nos compatriotes et des autres ressortissants étrangers. Les troupes françaises présentes à N'Djamena se sont concentrées sur cette mission et ont mené à bien l'évacuation de 1.600 ressortissants français et étrangers - autrichiens, saoudiens, etc. Les forces spéciales autrichiennes ont été évacuées de l'hôtel Kempinski par les forces françaises. Notre attaché de défense et son équipe n'ont pas quitté l'ambassadeur, qu'ils ont aidé dans cette tâche. Je rappelle que l'ambassade était "bunkérisée" et que les communications étaient coupées. Nos forces n'ont ouvert le feu que pendant une très courte période, en évacuant les ressortissants étrangers - autour, il est vrai, de la présidence.
Dès que nous avons appris sur place, par un appel du fils de M. Lol Mahamat Choua, la disparition de trois opposants politiques dont ce dernier, et conformément aux principes qui guident notre action, nous avons immédiatement réagi. Qu'a fait la France depuis lors ? Son action peut se décrire en quatre phases, dont la dernière se poursuit encore aujourd'hui.
Durant la première phase, au cours du mois de février 2008, nous n'avons eu de cesse de nous inquiéter auprès des dirigeants tchadiens du sort des disparus. Nous avons appris le 3 février au soir, comme je l'ai dit, la disparition d'un opposant, M. Lol Mahamat Choua. Des rumeurs ont circulé - dans une ville qui bruissait de rumeurs, et où plus aucun réseau de téléphonie ne fonctionnait - sur la disparition d'autres opposants. La France est alors immédiatement intervenue au plus haut niveau auprès des autorités tchadiennes. J'ai moi-même appelé en ce sens le président Déby en présence de mon homologue, M. Allam-Mi, dès le 5 février. Nos multiples efforts de sensibilisation ont permis de retrouver deux des opposants disparus, M. Lol Mahamat Choua et M. Ngarjely Yorongar. M. Saleh est resté introuvable. Je le sais parce que j'étais sur place et que je suis aller chercher moi-même M. Yorongar.
La deuxième phase de notre action a alors consisté à appuyer la commission d'enquête tchadienne, dont le travail est aujourd'hui salué par tous. Ce sont d'ailleurs sur ses recommandations que se fonde votre proposition de résolution. Cette commission, c'est bien la France, accompagnée par l'Union européenne et l'Organisation internationale de la Francophonie, qui en a obtenu la création : le président Sarkozy, présent à N'Djamena dès le 27 février, a demandé au président tchadien Idriss Déby la création d'une commission d'enquête chargée de faire la lumière sur la disparition d'Ibni Oumar Mahamat Saleh et sur l'ensemble des événements de février. Il l'a obtenue et, vous le savez, les conclusions de la commission sont rudes. Nous avons également insisté pour que la composition de cette commission soit équilibrée. Nous avons ensuite participé à toutes ses réunions, en tant qu'observateurs, et appuyé son action à travers la mise à disposition d'un expert. Cette commission a rendu son rapport au chef de l'Etat tchadien le 5 août 2008. De l'avis de tous, ce rapport est d'une qualité rare pour le Tchad et les pays environnants.
Le président Déby a alors pris publiquement deux engagements fermes : la publication rapide du rapport et la mise en place d'un dispositif de suivi, en particulier judiciaire, des enquêtes non achevées et des recommandations du rapport.
Le souci de mise en oeuvre de ces recommandations nous a amenés, dans une troisième phase, à encourager le Tchad à agir et à mettre en place les instruments normatifs nécessaires. C'est bien pour cela que le gouvernement tchadien a créé, au début du deuxième semestre 2008, un "comité interministériel de suivi des recommandations du rapport de la commission d'enquête", présidé par le Premier ministre et composé de huit ministres. Ce comité se réunit tous les deux mois environ ; sa dernière séance s'est tenue le 26 janvier 2010. Un sous-comité technique a également été constitué pour traiter les dossiers au fond et arrêter les mesures de mise en oeuvre des recommandations du rapport. Il est composé de quatre cellules - sécurité, action juridique, soutien psychologique et matériel, investigation économique et financière. Je note que ces instruments sont précisément ceux que réclame la proposition de résolution. Vous souhaiteriez que ce comité de suivi soit international : les autorités tchadiennes en ont jugé autrement. Mais notre ambassadeur n'a jamais eu à se plaindre de son fonctionnement : toutes ses demandes ont été exaucées.
En outre, toutes nos démarches ont directement contribué à ce que le gouvernement tchadien dépose en décembre 2008 une plainte contre X, qui a déclenché une enquête judiciaire portant notamment sur la disparition d'Ibni Oumar Mahamat Saleh.
Durant la quatrième phase en cours, nous demeurons très attentifs aux avancées de cette enquête - tout en respectant, bien sûr, le secret de l'instruction -, à travers des démarches bilatérales ou européennes auprès du président tchadien, de son Premier ministre ou des ministres concernés. J'ai moi-même eu l'occasion de m'y employer lors de chacun de mes déplacements au Tchad. Nous veillons notamment à ce que l'équipe de magistrats tchadiens dispose des moyens nécessaires à son action.
Cette enquête, encore en cours, a débouché sur de nombreuses auditions qui concernent des acteurs politiques, des militaires et des membres de la société civile. Le mandat du cabinet d'instruction vient d'être prolongé de six mois, et son budget augmenté. Le gouvernement tchadien affirme vouloir accélérer l'enquête pour qu'un procès puisse avoir lieu dans le courant de cette année.
Mais je n'oublie pas l'application des autres recommandations. Ainsi, la France et ses partenaires ont pesé pour que les femmes violées soient indemnisées, ce qui a été fait.
En réponse à votre question, Monsieur Gorce, je réaffirme que la France ne connaissait pas - et ne connaît toujours pas - les circonstances de la disparition de M. Saleh. Seule l'enquête judiciaire pourra les déterminer.
Enfin, je tiens à souligner l'importance de cette séance : pour la première fois, vous discutez d'une proposition de résolution. En effet, vous le savez, nous expérimentons pour la première fois cette nouvelle procédure d'initiative parlementaire en matière de politique étrangère. Il faut en rappeler le cadre légal : l'article 34-11 de la Constitution dispose bien que l'action du gouvernement ne peut être mise en cause. Nous ne sommes pas non plus dans le cadre d'une commission d'enquête ; nous n'avons donc pas, à ce stade, à prendre d'autres initiatives éventuelles. Pour ces raisons, je me suis pour l'heure borné à éclairer votre vote en soulignant l'action résolue de la France.
Si je comprends et partage votre désir de vérité, nous devons également tenir compte de la façon dont notre position sera appréciée au Tchad. Ce pays progresse actuellement sur la voie de la démocratie et de la consolidation de l'Etat de droit, et nous l'y encourageons. Dans ce contexte, je laisse à votre appréciation la manière dont la résolution dont vous discutez pourrait être interprétée localement. Il ne faudrait pas que, soucieux de voir le débat s'ouvrir au Tchad et sous couvert de bons sentiments, nous en arrivions à galvauder les progrès accomplis par le pays. Je connais l'enchaînement des prises de pouvoir au Tchad, pour les avoir vécues. Je pourrai vous les détailler, si vous le souhaitez. Entre 2006 et ce qui se prépare aujourd'hui, des progrès ont été accomplis ; ne les négligeons pas. S'il est tout à fait normal de demander que justice soit faite en mettant à profit nos bonnes relations diplomatiques, il serait absurde d'interférer sur le cours de la justice de cet Etat indépendant. Aucun pays ne mérite la caricature, et nous nous honorons d'encourager ceux qui tirent leur force des droits de l'Homme.
Je vous remercie à nouveau de cette occasion qui m'a été offerte de revenir sur notre action inlassable en faveur des droits de l'Homme, en particulier celle qui concerne les drames des disparitions, dont je vous ai fourni le nombre. Dans ce dernier domaine, nous nous attachons à faire appliquer la résolution que nous avons obtenue. Il s'agit en particulier, bien sûr, de la disparition de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh, qui nous rassemble aujourd'hui, après deux ans. Je vous le répète : la France continuera d'agir pour contribuer à ce que la vérité soit faite, par le Tchad, sur ce drame. C'est dans ce cadre que je demanderai à notre ambassadeur chargé des droits de l'Homme de se rendre très prochainement à N'Djamena.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, je partage votre sentiment sur la nécessité de justice et de vérité. Il faut en effet clarifier cette affaire. Cela étant, je voudrais préciser certains points.
Cette exigence de vérité doit être aussi une exigence de vérité historique. Vous demandez que la communauté internationale intervienne, non sur cette affaire, mais au Tchad en général, dont l'histoire est très compliquée et marquée par une succession de coups d'Etat à partir de M. Tonmbalbaye : il y a eu Goukouni Oueddeï, puis Hissène Habré et Idriss Déby. Ces coups d'Etat, très meurtriers, se sont succédé jusqu'en 2006. Depuis, les progrès de la démocratie sont visibles et, même si c'est facile par rapport à ce qui se passait avant, il faut le souligner.
Notre position s'explique parce que - vous l'avez dit - la géopolitique de ce pays est importante. Mais il ne faut pas oublier que son voisin envoie en permanence des groupes rebelles qui se livrent, à intervalles successifs, à des attaques armées sur le territoire. Nous devons, si nous tenons à la stabilité de l'ensemble, participer de cette stabilité. Il y a eu une intervention en 2006 : les avions français positionnés à N'Djamena ont tiré devant la colonne qui arrivait, comme d'habitude, d'un pays voisin. En 2008, nous ne sommes pas intervenus militairement. C'était déjà un changement considérable. Je le répète, nous ne sommes pas intervenus. L'armée française n'a tiré qu'une seule fois pour exfiltrer des ressortissants étrangers. Le courage de nos troupes a permis d'en faire sortir 1.600.
Q - Et pour protéger l'aéroport ?
R - L'aéroport n'est pas à protéger puisqu'il n'y en a qu'un ! Une partie de l'aéroport n'a pas été attaquée. Un obus est tombé, les rebelles attaquaient et tiraient sur l'aéroport. Je vous signale qu'il s'agit de l'aéroport civil. C'est là aussi que les avions militaires tchadiens sont basés, pas à l'endroit que nous occupons avec l'opération Epervier, à côté, mais il y a une seule piste !
Q - Cela ne veut-il pas dire que nous avons protégé les hélicoptères tchadiens ?
R - Non, absolument pas ! Les hélicoptères tchadiens n'étaient pas au même endroit. Ils étaient du côté tchadien ; cela n'a rien à voir ! On peut construire une autre piste, mais c'est une autre histoire !
Nous n'avons véritablement opéré à partir de cette base française que pour aller chercher les ressortissants étrangers, ce qui était très difficile. Puisque vous parlez d'intervention internationale, tous les pays ont salué le courage des soldats français.
Quant à l'intervention internationale, comme il y a des populations civiles sur le chemin des rebelles, la France a demandé à dix-sept pays européens de lancer l'opération EUFOR. Pendant un an, de 2008 à 2009, vous vous en souvenez, Madame Hostalier, car vous avez rendu visite à nos troupes, il n'y a pas eu une seule attaque de djandjaouid, c'est-à-dire de milices qui, de l'autre côté, venaient semer la terreur parmi les populations civiles tchadiennes, notamment auprès des femmes et des enfants. Il y a eu un an de présence internationale. Nous pouvons demander à ces dix-sept pays et à l'Europe d'aller encore dans le même sens pour exiger vérité et justice sur cette affaire, qui n'est pas intervenue au même moment puisque l'opération EUFOR s'est déroulée de 2008 à 2009 et que nous avons passé la main, le jour dit, aux forces des Nations unies. Mais je vous assure que, dans toutes ces opérations, nous avons été très attentifs à protéger la population tchadienne.
Monsieur Muzeau, vous avez parlé de trente morts. C'est une mauvaise plaisanterie !
Le rapport de la commission d'enquête, qui est sérieux, fait état de 1.323 blessés et de 730 morts. Ce n'est pas la même chose !
Q - J'ai dit qu'il y avait eu des centaines de morts.
R - Je vous prie de m'excuser, j'avais compris que vous parliez de trente morts. Je me souviens des ravages terribles subis par cette ville ; elle était complètement détruite. L'attaque avait été extraordinairement forte et aurait dû normalement triompher de l'ensemble des structures administratives et politiques.
C'était vraiment un chaos particulier, une terreur pour les populations. Cela n'excuse rien du tout, je ne suis pas en train de vous dire que c'était normal. Considérez toutefois, s'il vous plaît, ce qu'ont fait les Tchadiens pour se défendre contre des attaques rebelles répétitives qui viennent toujours du pays voisin. Je souhaite évidemment la paix. Il y a d'ailleurs eu, ces temps-ci, quelques signatures, ce qui représente un progrès.
Vous voulez que soit créé un comité de suivi avec une présence internationale. Comment l'obtenir ?
Q - C'est l'article 11 des conclusions de la commission d'enquête !
R - Certes, mais la commission d'enquête a été constituée dans un pays souverain. Il revient donc à son gouvernement de décider s'il doit y avoir une présence internationale. Nous l'avons fait accepter pour la commission d'enquête, et si vous voulez que les Français agissent de même pour le comité de suivi, on peut essayer.
Exiger, non, mais suggérer, pourquoi pas ?
Je vous signale également, parce que nous devons aussi être quelque peu raisonnables, que l'accord du 13 août 2008 a prévu la représentation des partis de l'opposition. On compte ainsi quatre ministres, dont un est d'ailleurs du même parti que M. Saleh. Ce sont des progrès qu'il faut noter. Je suis toutefois tout à fait favorable à ce que l'on aille plus loin, si vous le souhaitez.
Q - Tout va donc bien et on ne fait rien !
R - Vous ne pouvez pas dire que l'on ne fait rien ! Je viens de vous préciser que l'on est en train d'agir et que personne n'a autant insisté !
Q - Ce n'est pas clair !
R - Si ce n'est pas clair, je vais vous le répéter : nous sommes le seul pays à avoir fait bouger la communauté internationale ! Je ne peux pas accepter d'entendre dire qu'on ne fait rien au Tchad ! Nous avons été les seuls à intervenir de façon extrêmement efficace. Vous l'avez d'ailleurs reconnu dans tous vos discours. Admettez-le maintenant également, s'il vous plaît !
Q - Mais qu'en est-il maintenant ?
R - Je suis en train de vous répondre : nous avons fait beaucoup et beaucoup plus que vous !source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 mars 2010