Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur une nouvelle relation entre l'Union européenne et les pays de l'Afrique, Caraïbes, Pacifique, notamment en matière de développement local et d'aide au retour des migrants, Paris le 19 mars 1999.

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Circonstance : Séminaire des Hauts fonctionnaires européens "Europe et migrations" à Paris le 19 mars 1999

Texte intégral

Mesdames, Messieurs les Représentants des pays européens,
Madame, Monsieur les Représentants du Premier Ministre,
Monsieur le Délégué interministériel,
Mesdames, Messieurs les Représentants des Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi, en tout premier lieu, de vous souhaiter la bienvenue en France et de vous remercier pour avoir accepté de répondre positivement à notre invitation.
Vous le savez, notre rencontre de ce jour, regroupant les responsables et spécialistes des questions migratoires des pays européens et de la Commission, est le fruit dune initiative que jai souhaité prendre, à loccasion dun Conseil du développement, dès novembre 1997, quelques mois après ma prise de fonction.
Cest la raison qui nous conduit à nous réunir aujourdhui à Paris. Je voudrais, en entrée de mes propos, remercier nos partenaires allemands qui, au moment où ils exercent la présidence de lUnion, ont bien voulu accepter la tenue de cette réunion en France.
Novembre 1997 - mars 1999, voilà donc près de 18 mois que cette réflexion entre migrations et développement, dans le cadre de nos relations avec les ACP, a été lancée. Au cours de cette période nous avons avancé. En France en liaison avec les pays partenaires, des pistes nouvelles ont été lancées, celles déjà anciennes ont été renforcées. Parmi les initiatives nouvelles je dois, en premier lieu, mentionner la mission confiée par le Premier ministre à M. Sami Naïr, qui, depuis plus dun an assure les fonctions de Délégué interministériel au co-développement et aux migrations internationales ; il vous expliquera dans quelques minutes, sitôt après mon intervention, le contenu de sa mission, mais aussi lorientation donnée aux actions quil a été appelé à proposer dans le cadre dune démarche interministérielle depuis sa prise de fonction. En Europe nous avons entamé des discussions bilatérales notamment lors de rencontres avec mes collègues européens ; à Bruxelles, enfin, où les négociations entre lUnion et les ACP se sont engagées il y a quelques mois. Ce faisant, nous ouvrons la voie, je lespère à un nouveau chapitre de nos relations avec lAfrique, la Caraïbe et le Pacifique.
En dautres termes, nous souhaitons aller vers une relation renouvelée dans notre dialogue avec les ACP, une relation qui pourrait illustrer notre souhait de mieux intégrer les liens entre migrations et développement. Et je voudrais vous le dire en quelques mots.
1) La future Convention de Lomé devra, en effet, être profondément revisitée tout en préservant les acquis de ce que certains appelleront « lesprit de Lomé ». Ces acquis, nous souhaitons les conserver. Nous inscrivant dans cet esprit, nous avons accepté le principe du renouvellement de la Convention. Il convient de le signaler, car cela nallait pas de soi au départ. La pérennité de Lomé était en effet remise en cause par certains. Les discussions autour du « Livre vert » de la Commission avaient donné la mesure de ces interrogations sur la pertinence du maintien de cette spécificité relationnelle. Nous devons, il est vrai, reconnaître que la Convention na pas toujours été en mesure de remplir tous ses objectifs ; elle na pas su éviter par exemple une certaine marginalisation de quelques pays ACP ; elle na pas réussi non plus à lever le doute sur lefficacité de notre aide, critiquée pour sa rigidité et pour sa lourdeur. Mais au final, lEurope sest mobilisée : des chercheurs, des ONG ont conclus à la nécessité de consolider les liens déjà noués, puis les gouvernements et lUnion se sont engagés dans la voie dune Convention rénovée.
LUnion européenne, tout au moins nombre de ses membres, et les pays en développement, sont liés par des siècles dhistoire, déchanges qui sinscrivent dans une sorte de tradition de rapports au sein desquels les complicités positives, les amitiés occupent une place non négligeable.
La consolidation de ces liens passe par la préservation de certaines valeurs, comme le lien entre commerce et développement ou encore le maintien des mécanismes de compensation des pertes de recettes dexportation pour prendre en compte leur impact sur les producteurs eux-mêmes. Dans cette démarche nous retrouvons le même état desprit qui guide nos préoccupations lorsque nous nous efforçons de lier migrations et développement.
2) La consolidation passe aussi par le renouvellement de notre convention. LEurope change.
Aujourdhui, dautres rapports se superposent. LEurope est liée par des engagements internationaux nouveaux destinés à sadapter aux mutations de léconomie mondiale. La mondialisation sest aussi traduite par des interdépendances accrues, des flux de biens, de services et de personnes.
LUnion a aussi pris une dimension politique. Elle est en effet maintenant en mesure de mettre en oeuvre une politique extérieure globale intégrant la politique étrangère, de sécurité, de développement et humanitaire. Une telle évolution suppose néanmoins lamélioration du fonctionnement de la Politique étrangère et de sécurité commune, en faveur de laquelle nous plaidons avec insistance. Lentrée en vigueur du Traité dAmsterdam, la désignation dun Haut représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune, linclusion des Affaires intérieures et notamment des questions migratoires, permettront, et nous y sommes résolus, des avancées dans ce sens
Cest, en effet, à la lumière de notre réflexion sur le renouvellement de la Convention de Lomé et compte tenu de louverture de lUnion à de nouveaux thèmes politiques quil me semble opportun dengager une réflexion sur les synergies européennes en matière de migrations internationales.
On peut aisément convenir quil soit difficilement envisageable, tant pour des raisons économiques, techniques que politiques, mais aussi pour des raisons profondément humaines, que chaque pays membre puisse continuer à conduire, de façon indépendante, ses propres négociations avec les pays partenaires. Cette remarque est valable pour la plupart des dossiers traités ; elle me paraît particulièrement pertinente dans le domaine des migrations.
Sagissant de mon pays, plusieurs actions ont été expérimentées au cours de ces dernières années. Je voudrais vous en entretenir.
Mais auparavant, et pour éviter malentendu ou incompréhension je voudrais lever ici toute éventuelle ambiguïté. En effet, et veillons à ne pas loublier, sagissant de ces questions délicates qui mettent en jeux tant dintérêts humains, nous ne devons pas nous tromper de débats : plus que de la maîtrise des flux migratoires, il sagit bien avant tout de faire en sorte que les populations avec lesquelles nous entretenons des relations de coopération en faveur de leur développement, aient plus de raisons et de motifs de trouver avantage à vivre et se développer sur la terre qui les a vues naître que de chercher, loin de leurs racines, lespoir hypothétique dune vie meilleure. Nous sommes bien là au coeur du débat, celui du développement. Vos réflexions, vos échanges, les recommandations concrètes et pragmatiques qui vont en découler devront avoir sans cesse cette dimension à lesprit.
De par ses liens anciens et historiques la France dispose de quelques grilles danalyse des questions liées aux mouvements migratoires, elle sest efforcée dy apporter des éléments de réponse en particulier à travers son dispositif « aide au retour » et à travers ses projets de développement local. Je voudrais dailleurs quon ne les confonde pas. Laide au retour nest pas nécessairement de laide au développement tel que nous lentendons ; il relève plus de laccompagnement à la réinsertion des migrants dans leur pays dorigine. Je me réjouis dailleurs de constater que ces dispositifs, qui vous seront présentés au cours de la matinée, sont depuis plusieurs années conduits chez nous dans un esprit de bonne coordination interministérielle.
Cest pourquoi, quelques uns de nos partenaires européens ont jugé utile de sinformer des expériences menées par notre pays, pour développer à leur tour des programmes locaux destinés à fixer les populations, à améliorer leurs conditions de vie et les conditions dun meilleur développement économique de leur région.
Cet intérêt manifesté par nos partenaires européens, tant sur lexpérience française que sur la problématique qui la sous-entend, a mis en évidence une certaine insuffisance de la prise en compte de cette question par les instances de Bruxelles. Heureusement les choses semblent évoluer de façon positive et cette préoccupation émerge de plus en plus dans les discussions communautaires. Cétait bien là le sens de mon initiative de novembre 1997, que jai rappelée au début de mon propos.
Cette initiative a suscité un intérêt qui sest aussitôt traduit par le déplacement de certains de mes collaborateurs dans plusieurs capitales européennes et par laccueil de délégations des pays membres, soucieuses den savoir davantage sur notre dispositif, son fonctionnement, son financement. Je me réjouis à cette occasion dapprendre que certains dentre-vous ont accepté de participer, aux côtés des équipes françaises, à lévaluation de notre Programme de développement local migration, plus connu sous son sigle PDLM, et dont une présentation vous sera faite dans quelques instants.
Aujourdhui les conditions sont remplies pour que le débat européen soit véritablement lancé. Cest donc sur la base des encouragements prodigués par nos partenaires de lUnion, que la France accueille ce Séminaire regroupant les hauts fonctionnaires européens en charge de ces questions dans leurs pays respectifs.
Lun des objectifs que nous nous étions fixés, cest à dire confronter nos expériences et influer sur les instances communautaires, me semble aujourdhui atteint. La tenue de ce Séminaire devrait le confirmer. Le fait que la problématique « migrations et développement » figure dans le mandat du groupe « Asile et migrations », récemment réuni à La Haye, aux Pays-Bas, en constitue une preuve supplémentaire.
Demain, la Convention de Lomé pourrait se montrer plus ambitieuse, plus imaginative dautant que lactuelle Convention permet dores et déjà de prendre des initiatives de ce type en finançant des programmes ou des projets de formation de ressortissants ACP candidats au retour dans leur pays.
Pour les pays du pourtour méditerranéen, qui ont fourni, et qui continueront très probablement de fournir les plus gros contingents dimmigrants, le programme MEDA pourrait constituer un cadre adapté à ces types de programmes.
Vous comprenez que lobjectif final est bien la mise en place dun dispositif de développement partenarial à léchelle européenne en sinspirant dinitiatives déjà prises par certains Etats membres. Ce dispositif devra sadresser exclusivement à des réémigrants volontaires, et prendre appui sur les pays dorigine des migrants. Laccent devra être porté sur lobjectif de développement local. Nous devrons veiller à prendre en compte les conditions socio-économiques et culturelles de nos partenaires concernés ; noublions pas non plus enfin lévolution institutionnelle de ces mêmes partenaires qui lentement, certes, mais progressivement sengagent dans la décentralisation ; les acteurs de notre société civile : les associations de solidarité, les collectivités locales ont aussi un rôle à jouer ; on a peut-être un peu trop tendance à oublier cette autre dimension de la solidarité internationale dont sont porteurs les militants et les élus.
Ces principes directeurs qui impliquent un effort dassistance lourd, durable et très personnalisé des « réémigrants » et une forte motivation de leur part, pourraient être plus systématiquement pris en compte dans les programmes de développement externes de lUnion européenne. Cest du moins la position défendue par la France aujourdhui.
Au cours de cette journée, tour à tour, les dispositifs expérimentés par nos pays seront présentés. Nous allons beaucoup apprendre à nous écouter et à échanger. Les conclusions qui découleront des débats auxquels vous allez vous livrer constitueront les prémices dune position commune, qui mieux identifiée sera aussi mieux partagée. Ce seront autant dhypothèses dactions que nous pourrons plaider auprès de la Commission et des pays partenaires pour qui des programmes concrets verront le jour.
Cest du moins, et au nom du gouvernement français, les voeux que je formule pour la suite de vos travaux. En attendant de prendre connaissance de vos conclusions et recommandations, je souhaite plein succès à vos travaux et, à tous nos amis européens, un bon séjour en France.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 mars 1999)