Déclaration de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, sur le projet de loi sur la liberté de communication, le numérique terrestre et l'internet au Sénat le 29 mai 2000.

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Circonstance : Présentation du projet de loi de réforme de l'audiovisuel au Sénat le 29 mai 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
J'ai le plaisir de vous présenter aujourd'hui à nouveau le projet de loi sur la liberté de communication, et de vous en rappeler les axes fondateurs. Ce texte a déjà fait l'objet de deux lectures à l'Assemblée nationale, d'une première lecture devant votre haute Assemblée : c'est dire qu'il atteint aujourd'hui un réel degré de maturation et qu'il a déjà bénéficié de riches apports parlementaires.
La question du numérique terrestre, fondamentale pour l'avenir de l'audiovisuel, a en particulier été soulevée ici même. Je me dois aujourd'hui de vous dire comment le gouvernement a pensé le dispositif qu'il a déjà soumis à l'appréciation de l'Assemblée Nationale. Par ailleurs, autre élément d'avenir fondamental, je souhaite également insister à ce stade sur le sens que le gouvernement entend donner à l'article 1erA de ce projet, concernant l'internet.
Mais avant d'en venir à ces deux sujets, qui montrent la volonté du gouvernement, face à l'évolution des technologies, de donner à la loi toute son amplitude, je souhaite revenir rapidement sur les autres enjeux d'une loi qui marque à mon sens la détermination du gouvernement à assurer le développement de ce secteur important, tant sur le plan économique que sur le plan culturel.
1) Les grands enjeux du projet de loi
Le secteur audiovisuel représente l'un des lieux exemplaires où s'exprime la volonté du gouvernement de moderniser ses modes d'intervention : d'une part, pour affirmer et renforcer l'utilité du secteur public ; d'autre part, pour dynamiser un secteur économique dans toutes ses composantes, en favorisant son développement par un système de régulation adapté. Le projet de loi dont nous faisons la deuxième lecture devant vous aujourd'hui s'inscrit profondément dans cette démarche.
1.1 Il s'agit d'abord de développer un projet ambitieux pour le service public
C'est le premier objectif de cette loi. Dans un paysage culturel où l'on sait que 77% des Français regardent la télévision tous les jours, pour une durée hebdomadaire moyenne qui dépasse 21 heures, l'État se doit de porter toute son attention sur ce qui est proposé à l'écoute et au regard de nos concitoyens.
Ce principe, pour être bien connu, n'en mérite pas moins d'être répété. Il s'agit bien sûr de consommation, il s'agit bien sûr d'un marché concurrentiel. Mais il s'agit aussi de pluralisme, de création, d'information, d'accès à la culture et à la connaissance : tous ces sujets, aux yeux du gouvernement, méritent l'intervention d'un secteur public fort, agissant au nom de l'intérêt général.
Développer un projet ambitieux pour le service public passe par deux conditions :
a) Premièrement, réaffirmer le sens que nous donnons à l'existence d'un secteur public conforté dans ses missions.
Pour la première fois, la loi va ainsi consacrer les missions confiées par la collectivité nationale aux entreprises du secteur public audiovisuel. Cette solennité n'est pas vaine : il s'agit bien de donner davantage de poids à la conception que nous nous faisons du secteur public audiovisuel, en termes de pluralisme, de diversité, de place faite à la création, d'écoute à l'égard des besoins exprimés par les téléspectateurs.
Mais cette affirmation ne suffit pas. C'est pourquoi ce projet de loi traite aussi des moyens.
b) Des moyens financiers, d'abord. Il s'agit d'une part de corriger une tendance à l'accroissement de la part prise par les ressources commerciales dans le financement de la télévision publique : cette tendance peut en effet s'avérer contradictoire avec l'accomplissement des missions que je viens d'évoquer. Une limite fixée à huit minutes de publicité par heure s'impose donc dorénavant. Il en résulte la nécessité de contribuer plus fortement au financement de ces entreprises sur des ressources publiques : le remboursement intégral des exonérations de redevance, inscrit dans son principe dans cette loi, garantira la pérennité d'une ressource supplémentaire.
Des moyens structurels, ensuite. La création d'une société holding, regroupant l'essentiel des entreprises audiovisuelles, a pour objet de favoriser une dynamique stratégique favorable au développement du secteur public. L'enjeu est de mieux affirmer la richesse éditoriale du secteur public tout en renforçant son efficacité économique.
Quant au champ éditorial couvert par la Sept-Arte, qui vous le savez, n'entrera pas dans cette holding, un champ central au regard des missions que doit assumer le secteur public audiovisuel, il devra être globalement intégré dans la stratégie de développement de celui-ci, sur la base des relations que les entreprises concernées devront nouer.
Enfin, dernier point : s'agissant des moyens nouveaux dont disposera le secteur public audiovisuel, je souhaite insister sur la rénovation de l'environnement contractuel dont bénéficieront les entreprises concernées. Une rénovation qui passe d'une part par l'allongement de la durée du mandat des présidents, de 3 à 5 ans : un gage favorable donné au développement de projets plus ambitieux. D'autre part, la mise en uvre de contrats d'objectifs et de moyens doit garantir la bonne traduction des missions en objectifs. Je tiens à dire ici toute l'importance que j'accorde à une telle démarche car, lorsqu'elle est bien conduite, comme récemment à l'INA, elle donne aux entreprises, devenues plus autonomes dans leur gestion, une meilleure visibilité à moyen terme de leur activité, et elle permet à l'Etat de fixer précisément les orientations stratégiques des établissements et des entreprises dont il assume la tutelle.
Voilà, s'agissant du secteur public.
1.2 Mais plus généralement, la loi a pour ambition de dynamiser le secteur audiovisuel dans son ensemble
Il faut de ce point de vue - et c'est ce que fait ce projet de loi - s'intéresser à la régulation du secteur dans son ensemble, et au monde multiforme et si important pour la création que constitue la production audiovisuelle.
Je n'insisterai pas sur la question de la régulation, sauf pour indiquer qu'il s'agit de donner aux instances qui en sont chargées, le Conseil de la Concurrence et surtout le CSA, tous les outils et toutes les orientations dont elles ont besoin pour accomplir leur mission. Il convient de faire évoluer le dispositif actuel et de créer un environnement qui à la fois permette à l'Etat de définir des règles, et aux groupes français et européens d'affronter la concurrence internationale.
Je souhaiterais en revanche revenir un peu plus longuement sur l'effet dynamique que doivent avoir sur l'industrie des programmes certaines dispositions du texte qui vous est soumis.
La nécessité de renforcer notre industrie de programmes est un objectif qui n'est contesté par personne. Si la situation de la production cinématographique résiste bien à l'examen comparatif au niveau européen - et l'accord que la profession vient de signer le 20 mai dernier avec l'un des principaux opérateurs en matière de télévision payante est un signe encourageant pour la préservation et le développement de ce secteur -, la situation de la production audiovisuelle est en revanche préoccupante. La profession s'est, vous le savez, manifestée avec force et émotion à l'occasion des Etats généraux de la création audiovisuelle, qui se sont tenus le 20 mars dernier.
La loi répond d'ores et déjà à certaines de leurs préoccupations : je pense notamment à la réforme et au renforcement du financement de l'audiovisuel public, au développement du numérique terrestre, à la soumission de l'ensemble des diffuseurs (hertziens, par câble et par satellite) à des obligations de contribution à la production, à la mise en place de dispositions favorisant la fluidité des droits.
Je pense aussi bien sûr à l'amendement voté à l'Assemblée Nationale, qui supprime la prise en compte des parts de co-production dans le décompte des obligations des diffuseurs en faveur de la production indépendante. C'est une première réponse concrète apportée par le gouvernement aux attentes de la profession: une mesure importante, puisqu'elle clarifie encore les relations entre production indépendante et diffusion.
Pour le reste, les choses se feront après la loi. Le gouvernement s'est engagé à favoriser la concertation entre diffuseurs et producteurs : j'ai effectivement mis en oeuvre ce processus dès mon arrivée, en reprenant les engagements énoncés par Catherine Trautmann en la matière. A l'issue de cette concertation, des accords seront bien sûr conclus, je l'espère, entre les partenaires concernés. Et le gouvernement aura ensuite de son côté à élaborer les décrets d'application de cette loi.
Je reste donc très vigilante sur le déroulement de la concertation et très attentive à l'évolution du marché de la production audiovisuelle.
Cette attention ne se fait pas sans un regard particulier porté sur l'avenir du secteur : c'est aussi ce que permet la loi que je vous présente. Et c'est, à mon sens, l'un de ses axes fondamentaux. C'est pourquoi je me permets d'y insister tout particulièrement.
2) Préparer l'avenir du secteur audiovisuel
Deux sujets majeurs méritent à ce titre une attention toute particulière. Le numérique terrestre d'abord : j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui la conception qu'en a le gouvernement. L'internet d'autre part : un sujet qui a suscité un très vif débat, à partir duquel je me dois d'expliquer notre position.
2.1 Le numérique terrestre : une nouvelle frontière pour la télévision
a) Notre objectif est clair. Il s'agit de permettre à un public beaucoup plus large que celui des internautes et des abonnés à la télévision payante de se familiariser avec de nouveaux moyens de communication : une démarche qui s'inscrit dans celle qu'a souhaitée le gouvernement, en faveur de la diffusion des nouvelles technologies. En l'espèce, c'est un développement et une diversification de l'offre télévisuelle qui sont attendus, au bénéfice du plus grand nombre. Un objectif démocratique donc, qui est en même temps l'occasion d'une part de redonner au secteur public la possibilité d'expliciter ses valeurs, d'autre part d'ouvrir la voie à de nouveaux opérateurs de contenus, et enfin de dynamiser l'industrie des programmes.
b) Les moyens proposés par le gouvernement pour répondre à cet objectif s'inscrivent dans le dispositif d'attribution des fréquences qu'il a mis au point. Il s'est agi à la fois de permettre l'arrivée des nouveaux acteurs de la télévision hertzienne, et d'inciter les opérateurs existants à s'engager dans ce nouveau mode de diffusion, un intérêt évidemment important pour la réussite économique du numérique terrestre.
De ce point de vue, l'attribution des ressources numériques multiplexe par multiplexe - c'est le choix que vous avez fait, Monsieur le rapporteur, comme vous l'aviez fait dans votre projet initial - est pénalisante pour les nouveaux entrants, qui ne disposent pas d'emblée d'une offre adaptée. Ce choix ne me paraît pas non plus conforme à l'objectif de préservation du pluralisme que nous poursuivons, puisque chaque opérateur aurait toute liberté pour constituer son offre.
Quant à l'attribution canal par canal, elle encourt le risque, que vous évoquez cette fois à juste titre Monsieur le rapporteur, d'une gestion peu optimale de la ressource hertzienne et d'un éclatement de l'offre audiovisuelle.
C'est pourquoi le gouvernement a cherché à concilier l'objectif de pluralisme et celui d'efficacité, en prévoyant que l'attribution de la ressource relève du CSA, mais dans le cadre de critères précis fixés par la loi, et sur la base d'un mécanisme d'attributions prioritaires.
Le CSA devra donc veiller à favoriser les regroupements techniques et commerciaux : le souci d'optimisation de la gestion de la ressource s'exprime ici clairement. Les critères d'appréciation qu'il maniera ne seront pas seulement quantitatifs, mais également qualitatifs.
Par ailleurs, la loi prévoit une attribution prioritaire de la ressource au service public, qui bénéficie ainsi d'un traitement particulier : il s'agit tout simplement d'étendre le mécanisme prévu pour la diffusion analogique par la loi de 1986 à l'attribution des fréquences numériques. Le rôle du secteur public, garant d'une offre pluraliste et diversifiée, est de cette manière affirmé avec force. L'Etat actionnaire s'est engagé, sur la base d'une dotation en capital d'un milliard, à accompagner l'effort de développement qui devra ainsi être consenti.
Le CSA devra également attribuer deux canaux aux opérateurs privés existants - deuxième priorité qui, comme la première, devrait assurer un développement rapide du numérique terrestre -. Ces opérateurs disposeront donc d'un droit à l'attribution automatique d'un canal pour diffuser en simulcast leur chaîne analogique. Un canal supplémentaire, dès lors que le service proposé sera conforme aux critères posés par la loi, leur sera également attribué de manière prioritaire.
Enfin, ces attributions de fréquences, qui se feront pour le reste dans le cadre d'appels à candidature, seront en tout état de cause limitées à 5 canaux par opérateur.
Cette position n'est donc pas celle qu'a retenue votre Commission. Celle-ci a préféré en revenir, pour l'essentiel, au dispositif qu'elle avait imaginé lors de la première lecture devant votre haute Assemblée. Vous aviez alors utilement pris l'initiative, en permettant d'ouvrir le débat sur la base de propositions concrètes, le gouvernement a de son côté pris le temps de la concertation. Lors de la première lecture, le gouvernement n'avait reçu le rapport de synthèse de M. Raphaël Hadas Lebel que depuis fort peu de temps : il n'avait donc pas souhaité exposer sa position. Aujourd'hui, je me devais de vous présenter ce travail, après la large concertation que le gouvernement a organisée auprès de tous les opérateurs concernés.
Ce texte est fondamentalement un texte d'équilibre : équilibre entre la prise en compte des réseaux existants et le souci que nous avons d'assurer, comme la plupart de nos partenaires européens et comme les Etats-Unis l'ont fait, le développement de cette nouvelle technologie ; équilibre entre le secteur privé et le secteur public ; équilibre entre les opérateurs existants et la juste place qu'il convient d'ouvrir aux nouveaux opérateurs. Le gouvernement maintiendra donc sa position.
2.2 L'Internet : une première pierre pour un dispositif centré sur la liberté de communication mais soucieux de préserver les droits des personnes
Evoquer la question d'Internet dans le cadre de la loi relative à la liberté de communication me paraît essentiel : c'est comprendre en effet que ce nouveau mode de communication doit bien être traité en termes de liberté de communication, avec les droits et devoirs qui s'y attachent.
A ce stade, ce qui a déjà fait l'objet d'un travail important au niveau parlementaire a aussi été l'occasion de réactions, parfois très vives, dans le milieu concerné. Des réactions qui me semblent pour l'essentiel relever du malentendu - et la concertation que le gouvernement a organisée a été l'occasion de lever ces malentendus. Il faut donc s'entendre, s'entendre sur les objectifs et s'entendre sur les termes que le gouvernement et les parlementaires ont souhaité inscrire dans la loi.
Si l'Internet se conçoit comme le lieu d'une liberté la plus totale possible, il ne peut être question pour autant d'en faire une zone de non droit. C'est là le fondement de l'intervention de l'Etat, dans un secteur qui requiert l'application des principes républicains auxquels nous sommes tous attachés : principe de la liberté de communication, principe du droit des internautes, principe du respect des droits des personnes.
Je n'insiste pas davantage à ce stade, puisque nous allons revenir très vite sur un sujet qui s'inscrit, je l'ai dit, dans le 1er article de ce projet de loi.
Sachez simplement, et je finirai là dessus, que notre objectif a été d'articuler un certain nombre de principes fondamentaux : principe de liberté d'abord, celui de la liberté de communication au public ; à rapprocher d'un principe d'identification ensuite, qui en est la contrepartie légitime ; lequel s'accompagne lui-même d'un droit à l'anonymat. J'ai la conviction que nous parviendrons ainsi à un équilibre satisfaisant.
Monsieur le Président, mesdames et messieurs les Sénateurs, cette loi traduit, je le répète pour conclure, quelques axes qui sont au fondement de l'action gouvernementale. Elle traite d'un secteur qui, au regard de la réalité quotidienne de la vie de nos concitoyens, est essentiel.
Elle ouvre la voie à une nouvelle dimension audiovisuelle, à un nouveau champ d'expression et de créativité. Elle garantit en même temps certains principes auxquels nous sommes attachés.
C'est un texte d'équilibre et d'avenir dont nous avons à débattre.

(source http://www.culture.gouv.fr, le 30 mai 2000)