Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Le 15 janvier dernier, j'étais appelée par le Président de la République et le Premier Ministre à passer de l'écologie à la prospective et l'économie numérique. Me voilà de retour sur des questions d'écologie tant les démarches de prospective, c'est-à-dire la prévision et l'analyse des avenirs possibles, sont liées aux questions d'écologie et de développement durable.
La question de la valeur de la biodiversité est par ailleurs un combat ancien pour moi puisqu'en tant que secrétaire d'Etat chargée de l'Ecologie, j'avais défendu en juillet 2008 l'intégration dans la loi française de la responsabilité environnementale et du principe de nécessaire réparation de certains dommages à l'environnement.
Si la Convention sur la biodiversité, adoptée en 1992 à Rio, a marqué une première étape dans ce domaine, si la conférence de Johannesburg, dix ans plus tard, a permis d'affirmer la nécessité de parvenir d'ici 2010 à une réduction significative du rythme actuel d'appauvrissement des équilibres biologiques, si la stratégie nationale française pour la biodiversité a repris cet objectif en se voulant même plus ambitieux, - il s'agissait alors de stopper l'érosion de la biodiversité d'ici 2010 - , je crois que le Grenelle de l'environnement a permis de franchir une nouvelle étape, celle de la reconnaissance par notre société de cet enjeu majeur que constitue la biodiversité : dans son discours de clôture le Président a ainsi rappelé que toutes les décisions publiques seraient arbitrées en intégrant leur coût pour la biodiversité et qu'un projet dont le coût environnemental est trop lourd serait refusé.
Ces propos du Président de la République nécessitent de connaître la valeur de biodiversité. Ces propos sont directement à l'origine du travail du Centre d'Analyse Stratégique.
La France n'est pas seule à s'intéresser à ces questions, puisqu'au plan international, le G8 est également très actif sur cette question : il a en effet en 2007 demandé que des travaux soient engagés pour évaluer le coût global, pour la société, de la dégradation de la biodiversité et des services écosystémiques et il a confié ce travail à Pavan Sukhdev qui nous fait l'honneur d'être présent : je sais que le groupe de travail du CAS a regardé avec beaucoup d'attention le rapport intermédiaire qu'il a produit.
Mais, revenons au rapport du Centre d'Analyse Stratégique. Permettez-moi cependant d'insister sur quelques points.
Par lettre du 16 janvier 2008, le Premier Ministre - sur proposition du ministre d'État, ministre de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire (MEEDDAT) - a demandé à mon prédécesseur et au Centre d'Analyse Stratégique de dresser un bilan des connaissances scientifiques sur le thème de la monétarisation des services rendus par les écosystèmes et de la valeur de la biodiversité et d'estimer les premières valeurs de référence pour sa prise en compte, qui pourront être utilisées notamment dans les études socio-économiques relatives aux projets d'infrastructures.
En parallèle, le Premier Ministre avait également demandé un rapport destiné à estimer le prix nécessaire de la valeur de la tonne-carbone pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 75 % à 2050 ; le Centre d'analyse stratégique a remis son rapport en juin de l'année dernière en envisageant une valeur de 100 euros la tonne de C02 à 2030. Cette estimation bénéficiait d'un énorme avantage, celui d'avoir une unité de mesure simple, la tonne de C02 rejetée, ce dont ne dispose pas la présentation de la biodiversité, qui devient dès lors un sujet beaucoup plus complexe, même si le Centre d'analyse stratégique avait publié fin janvier 2008, une première note d'analyse qui avait précisé les enjeux de cette problématique.
Compte tenu de cette complexité initiale, je voulais remercier Bernard Chevassus-au-Louis, en associant bien sûr votre vice-président, M.Selles, et votre rapporteur général, M.Pujol, du travail effectué et des avancées que vous avez menées sur un sujet difficile : celui de la valorisation de la biodiversité. Vous savez par ailleurs tous qu'à travers la question de la valorisation économique de la biodiversité, la lettre de mission du Premier Ministre posait la question des échanges possibles de biodiversité et que ce thème avait donné lieu à de vifs échanges dans le groupe de travail.
J'ai bien compris également à la lecture du rapport que par moment vous aviez cherché à questionner le politique en soulignant notamment que l'objectif actuel consistant à arrêter la perte de biodiversité française en 2010 était clair dans son principe mais qu'il souffrait de la difficulté de définition du concept et d'une absence de déclinaison concrète (indicateurs de réussite, échéance, espace géographique concerné). Nous devrons là encore y revenir.
Le groupe propose dans cette valorisation de distinguer biodiversité remarquable et biodiversité ordinaire, la première étant trop exogène par rapport aux différentes dimensions du calcul écologique. Vous avez ensuite retenu une démarche pragmatique de valorisation de la biodiversité à travers la valorisation des services écosystémiques auxquels elle contribue et vous avez envisagé une valeur de référence moyenne de l'ordre de 900 euros/ha x an pour l'ensemble des services forestiers, et d'au moins 600 euros/ha x an dans le cas des prairies permanentes. Vous avez précisé de plus que ces valeurs de référence, considérées comme minimales, devraient être adaptées à une échelle locale pour corriger les imprécisions et les lacunes (absence d'évaluation de certains services) dont une approche nationale ne peut rendre compte.
Sur le modèle de l'approche suivie pour les forêts tempérées, le groupe a souhaité que des synthèses critiques des données disponibles soient réalisées pour les autres écosystèmes métropolitains et des Départements et Territoires d'Outre-mer, en examinant en particulier la possibilité de fournir des données spatialisées, au moins à l'échelle départementale, de la valeur économique des différents services.
Mais si vous avez répondu à nos premières interrogations, le rapport ouvre également de nombreuses questions. Compte tenu de la présence ce soir de nombreux représentants de la société civile qui s'intéressent à cette problématique, je mettrais volontiers au débat deux questions simplement évoquées dans ce rapport :
a) Si les procédures de détermination des valeurs de référence peuvent être initiées par les ministères, le rapport recommande néanmoins que celles-ci donnent lieu à l'instauration de « procédures délibératives », dont les modalités et le niveau territorial pertinents seront à définir, mais qui devront assurer, notamment à travers le respect des critères de transparence et d'indépendance, la « légitimité sociale » nécessaire à l'utilisation concrète de telles valeurs. J'aimerais connaître les préférences du groupe sur les différents schémas qui peuvent dès lors être envisagés pour fixer ces valeurs : commande de ce ministère auprès d'une société spécialisée dans le domaine ou d'un organisme public, concertation avec les parties prenantes à un niveau local, régional ou national, concertation interministérielle ou non, ...
b) Le groupe de travail du CAS a souhaité que les approches de monétarisation soient réservées principalement au calcul socioéconomique a priori de l'opportunité d'investissements publics : une fois décidés de tels investissements, la compensation des impacts résiduels éventuels doit reposer en priorité sur des approches non monétaires. En outre, les procédures de compensation devraient se dérouler sous l'autorité d'une « autorité indépendante » s'impliquant dans les décisions clés (autorisation de la transaction, désignation des bénéficiaires) et s'inscrire dans le cadre d'espaces d'échange relativement locaux (régionaux ou infra-régionaux), même si les règles de procédure devront être établies à l'échelle nationale, voire européenne. Comment envisager cette autorité indépendante qui serait chargée de la régulation des mécanismes de compensation et qui pourrait vraisemblablement être confiée soit à l'échelon territorial, départemental, région ou bassin, soit à une autorité nationale ?
Je finirai enfin mon propos en évoquant la parution prochaine du rapport Stiglitz. Début 2008, le Président de la République a créé la « Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social » afin notamment de définir de nouveaux indicateurs capables de remédier aux lacunes de la mesure donnée par le PIB et plus généralement du système statistique mondial actuel et en a confié la présidence à Joseph Stiglitz. Trente-trois économistes Américains, Français, Anglais, Indiens travaillent sur ce sujet depuis plus d'un an.
Les aberrations du produit intérieur brut (PIB) sont connues : il augmente en cas de catastrophe naturelle grâce aux dépenses de reconstruction engagées, mais le coût de la catastrophe, lui, n'est pas comptabilisé. De même, la progression du PIB est loin d'aller de pair avec l'amélioration des conditions de vie des populations.
Il me paraît indispensable que ce nouveau PIB intègre la biodiversité.
Merci encore, M.Chevassus, M.Selles et M.Pujol, et permettez-moi de vous féliciter pour ce travail ainsi que l'ensemble des membres du groupe.
Aujourd'hui vous me remettez le rapport qu'a commandé le Premier Ministre. J'aurais l'honneur de l'adresser officiellement à la Commission européenne dans le cadre de l'appel à éléments de preuve pour la phase II de l'étude sur « L'économie des écosystèmes et de la biodiversité » pilotée par Pavan SUKHDEV, comme contribution de la France aux fondements scientifiques et économiques pour la valorisation des écosystèmes et de la biodiversité.
Source http://www.prospective-numerique.gouv.fr, le