Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, sur les raisons et les modalités du prêt accordé à la Grèce pour trois ans, les leçons à tirer de la crise en matière de gouvernance économique européenne et de régulation financière, à l'Assemblée nationale le 3 mai 2010.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2010, à l'Assemblée nationale le 3 mai 2010

Texte intégral

La Grèce s'est heurtée, vous le savez, à deux difficultés majeures : (i) conséquence directe de la crise économique et financière, l'accès au financement pour certains pays européens s'est rétréci, pour la Grèce en particulier ; (ii) au-delà de ce contexte conjoncturel, la Grèce a fait face à un problème, bien spécifique, de crédibilité.
La révélation par le Premier ministre Georges PAPANDREOU, en octobre dernier, de dissimulations dans les prévisions de déficit de la Grèce pour l'année 2009 a écorné la confiance dont le pays jouissait auprès des marchés. La prévision de déficit avait alors plus que doublé, creusant, le temps d'une annonce, le déficit réel de 6% à 12,5% entraînant une sanction immédiate des marchés : l'écart de taux de financement avait également doublé, passant d'environ 100 points de base en novembre 2009 à 200 points de base à la mi-décembre. La stabilité de la zone euro était menacée et la riposte des Etats-membres n'a pas tardé.
Lors des Conseils européens des 11 février et 25-26 mars, les chefs d'État et de Gouvernement ont, au terme d'une discussion que le Président de la République a personnellement engagée avec la Chancelière allemande, affirmé le principe de la solidarité européenne avec la Grèce dans le but de préserver -je cite « si nécessaire, la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble ».
Le 11 avril dernier, une réunion extraordinaire de l'Eurogroupe précisait les modalités du plan de soutien à la Grèce : le montant maximum de l'aide annoncée s'élèverait, pour la première année, à 30 Mdeuros, apportés par les États membres de la zone euro, auxquels s'ajouteraient des fonds apportés par le FMI.
Evoquons tout de suite la question du FMI : doit-on encore s'interroger sur la légitimité du FMI à intervenir au sein de la zone ? Au regard de l'ampleur des besoins à financer, le soutien du FMI est le bienvenu. Et ce sont les institutions de la zone euro qui sont restées maîtresses du déclenchement de la procédure.
Le 11 avril, il a été décidé que l'aide prendrait la forme de prêts qui rémunérés à un taux non concessionnel, de l'ordre de 5% pour un prêt à taux fixe sur trois ans, soit un taux proche des conditions faites par le FMI. Chacun des États membres s'était par ailleurs engagé à prendre les mesures nécessaires pour apporter une aide rapide à la Grèce. Celle-ci a demandé, le 23 avril dernier, à la Commission, à la BCE et à la Présidence de l'Eurogroupe l'activation du mécanisme de soutien.
Hier soir enfin, lors de l'Eurogroupe extraordinaire tenu à Bruxelles, nous avons décidé d'activer le plan de soutien financier à la Grèce pour un montant de 110 milliards d'euros sur trois ans. Le Gouvernement a déposé aujourd'hui un amendement tirant les conséquences de l'engagement financier qui est demandé aux États de la zone euro sur la période complète de 3 ans.
Mesdames, messieurs les députés, nous n'avons pas d'autre choix que celui de la réactivité car c'est la stabilité de la zone euro qui est désormais en jeu pour la première fois de son histoire. Assurément l'opportunité nous est donnée une fois encore, en votant ce projet de loi, d'exprimer par la voix du législateur (I) la détermination à mettre un terme à la confusion des marchés ; et pour (II) réaffirmer et mettre en oeuvre l'impératif en matière de régulation financière. Le marché, c'est bien ; rien que le marché, c'est trop.
I- Un dispositif de prêt jusqu'à 16,8 milliards d'euros sur une période de 3 ans
Conformément au mécanisme de soutien agréé le 11 avril dernier, le Gouvernement vous présente un projet de loi de finances rectificative visant à nous donner les moyens juridiques et budgétaires pour apporter le concours de la France à la Grèce.
A l'issue d'un week-end où s'est joué, sans doute, une partie de l'avenir de l'Europe, le Gouvernement vous présente aujourd'hui un amendement visant à augmenter le montant des autorisations d'engagement afin de refléter les discussions du week-end.
Comme vous le savez, le gouvernement grec a annoncé, lors d'un Conseil des ministres extraordinaire dimanche matin, qu'il s'engageait à respecter le programme négocié avec la Commission européenne, le FMI et la BCE.. En contrepartie des efforts de la Grèce, l'Eurogroupe auquel j'ai participé hier, a décidé d'activer le plan de soutien financier à la Grèce d'un montant de 110 Mdeuros répartis en trois ans. Les États membres de la zone euro se sont engagés à apporter 80 Mdeuros de prêts à la Grèce, le solde étant pris en charge par le FMI. Je me réjouis en outre de l'engagement des grandes institutions financières mondiales, regroupées au sein de l'IIF (Institute of International Finance) de prendre leur part à l'engagement collectif, c'est un signal fort adressé aux marchés.
En accord avec le Président et le Rapporteur général de la Commission des finances avec lesquels j'ai été en contact étroit au cours du week-end, l'amendement du Gouvernement vise à refléter l'engagement de la France, non plus sur la première année du programme, mais sur les trois années entières. En accord avec la clé de répartition au capital de la BCE de chacun des États membres hors Grèce (soit 20,97% pour la France), l'engagement total de la France s'élèvera à 16,8 Mdeuros pour les trois prochaines années. Les crédits de paiement proposés dans le projet de loi déposé par le Gouvernement ne seront pas modifiés. Le programme de financement pour 2010 ne sera pas davantage modifié. Pour les années suivantes, nous verrons s'il est nécessaire d'augmenter le montant des émissions de dette à moyen et long terme : il est encore trop tôt pour se prononcer.
Permettez-moi d'insister également sur deux principes sur lesquels la France ne transigera pas :
(i) Premier principe, un principe de solidarité : la France a toujours été un moteur dans l'histoire de l'Europe. Ce projet de loi de finances rectificative réaffirme notre engagement à mettre en oeuvre la solidarité européenne. Nous avons été les premiers à initier le processus législatif autorisant le versement de notre quote-part. Depuis la présentation en Conseil des ministres le 21 avril dernier du PLFR, d'autres États membres nous ont suivis. Une fois encore la France s'illustre avec force dans son engagement européen.
(ii) Second principe, un principe de fermeté. La solidarité toutefois, n'exclut pas l'exigence ; nous ne signerons pas un chèque en blanc aux frais des contribuables français.
Je serai extrêmement vigilante à l'égard des mesures prises en application du programme agréé ce week-end par le gouvernement grec en accord avec la Commission, la BCE et le FMI. Les mesures demandées dans ce programme sont très précises tant sur leur contenu que sur leur calendrier et notre surveillance sera régulière, détaillée et rigoureuse (12 revues trimestrielles sont prévues jusqu'à 2013, c'est sans précédent). Chaque versement du prêt sera naturellement conditionné par la mise en oeuvre du programme d'assainissement des comptes publics auquel le gouvernement grec s'est engagé. Ce programme est non seulement ambitieux mais il est surtout nécessaire : la Grèce doit être rapidement en mesure de revenir sur les marchés à des conditions raisonnables et rassurer ses partenaires. Le plan que nous vous demandons de voter est aussi pour la France un gage de crédibilité et de responsabilité.
Soyons clairs : le mécanisme de soutien proposé par la France est un mécanisme de solidarité à l'exclusion de toute arrière-pensée. Il n'est pas question de tirer un profit indu de notre soutien à la Grèce mais il en va de la crédibilité du plan proposé. Les prêts sont effectués à des taux non concessionnels afin d'inciter la Grèce à retourner sur les marchés le plus rapidement possible. Nous avons décidé d'un plan et nous le mettrons en oeuvre : les prêts seront remboursés comme l'intégralité de la dette grecque. Et ensemble nous en tirerons toutes les conclusions afin d'éviter la survenance de nouvelles crises.
II- Les leçons de la crise
a. Gouvernance
L'une des leçons de la crise grecque est la nécessité de poursuivre nos efforts en faveur de l'instauration d'une véritable gouvernance économique européenne.
Au niveau de la zone euro, l'Eurogroupe a ainsi décidé dès le mois de janvier dernier - à l'initiative de la France et de l'Allemagne, qui avaient écrit en ce sens à Jean-Claude Juncker - de renforcer la gouvernance de la zone euro tant en terme de moyens que d'ambitions dans la coordination des politiques économiques. Assurément nous devons poursuivre nos efforts en ce sens.
Plus largement, la Commission travaille actuellement à l'élaboration d'une Communication sur la gouvernance économique européenne, qui nous sera présentée au mois de mai. Autre enseignement, à l'origine de la crise grecque, se trouve la faillite de son système statistique. A nous d'en garantir désormais la fiabilité afin d'éviter qu'un État membre de transmette des données de finances publiques incorrectes ou imprécises à Eurostat dans le cadre du système de surveillance budgétaire. La Commission a déjà démontré sa volonté d'avancer sur ce sujet et je m'en félicite également.
Il faudra aussi des disciplines nouvelles. Le Président du Conseil européen, Herman VAN ROMPUY doit animer un groupe de travail, auquel le Président de la République m'a demandé de participer, pour faire des propositions de réforme de la gouvernance avant la fin de l'année.
Surtout cette crise financière ravive crûment l'urgence d'une régulation harmonisée.
b. Régulation financière
La régulation des agences de notation est d'abord une priorité que la France avait portée déjà lorsqu'elle assumait la présidence tournante du Conseil. Le 12 novembre 2008, l'Union européenne a adopté un règlement communautaire prévoyant pour la première fois un contrôle et un enregistrement des agences de notation en Europe. Il entrera en vigueur dans un mois, le 7 juin prochain. Il fixe des règles strictes de prévention des conflits d'intérêt, de transparence sur les méthodes de notation et les hypothèses utilisées et prévoit que les États-membres définissent le régime de sanctions applicable.
Ce règlement prévoit aussi que chaque État membre doit informer la Commission européenne de l'autorité qu'il désigne comme autorité compétente pour enregistrer et contrôler les agences de notation. Je vous annonce que j'ai signé aujourd'hui même un courrier adressé à Michel BARNIER et l'informant que je charge l'Autorité des marchés financiers d'assurer l'enregistrement et le contrôle des agences de notation.
La situation de la Grèce a également illustré les dysfonctionnements criants du marché des dérivés de crédit, c''est-à-dire les CDS. Quand un État soupçonne des pratiques répréhensibles sur ces marchés, il est aujourd'hui dans l'incapacité d'être tout simplement informé des positions et des acteurs présents sur ces marchés. Les marchés de CDS sont devenus les véritables trous noirs de la finance et leur régulation doit être une priorité.
Leur marché reste toutefois largement international et toute tentative de régulation nationale se trouverait immédiatement isolée, donc vaine. Par conséquent, le Président de la République, la Chancelière allemande, le Président de l'Eurogroupe et le Premier ministre grecque ont adressé au mois de mars dernier au Président de la Commission européenne et à José Luis ZAPATERO, Président en exercice de la Présidence tournante de l'Union, des propositions concrètes pour qu'avance la régulation de ces marchés. La Commission européenne proposera prochainement une directive qui imposera l'enregistrement de toutes les transactions. Avec ces registres, les États et les autorités de surveillance disposeront enfin d'une information exhaustive et fiable. Nous souhaitons également que les banques recourent à des chambres de compensation comme celle qui fonctionne en France depuis le 28 mars dernier. Dorénavant, les banques qui n'y auront pas recours risquent un malus prudentiel sévère.
Mesdames, Messieurs les députés,
Notre soutien à la Grèce est un impératif moral au nom de nos engagements européens : une monnaie unique implique de faire preuve de solidarité au moment où la Grèce s'engage dans un programme d'ajustement structurel très rigoureux. Mais c'est aussi un impératif économique : secourir la Grèce aujourd'hui est un signal fort pour l'avenir de la zone euro et son renforcement.
Ces impératifs dépassent les clivages droite-gauche et je sais pouvoir compter sur l'esprit de responsabilité de tous sur ces bancs. Aussi, je vous demande, en considérant la gravité des enjeux, de bien vouloir voter le projet de loi du Gouvernement.
Je vous remercie.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 4 mai 2010