Interview de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, à "Itélé" le 27 mai 2010, sur l'âge légal de départ à la retraite, et sur la question des niches fiscales.

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Média : Itélé

Texte intégral

L. Bazin.- Et notre invité politique, c'est F. Baroin. Bonjour.

Bonjour.

Monsieur le ministre du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l'Etat, maire de Troyes. Monsieur le ministre, en 93, N. Sarkozy affirmait qu'il aurait voté la retraite à 60 ans. En 2008, il affirmait que l'âge légal n'était pas dans son mandat et qu'il ne repousserait pas l'âge légal. Est-ce qu'un Président peut renier sa parole, comme ça, régulièrement ?

Mais vous savez, en 2007, on avait des prévisions du Comité d'orientation des retraites, qui nous expliquait que le niveau des déficits que nous avons aujourd'hui en 2010 ne serait atteint qu'en 2030. Si on n'est pas capable d'adapter, sur un sujet aussi important, les politiques publiques, quand on est en responsabilité, il faut probablement changer de métier.

Il y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, c'est ça votre réponse ?

C'est qu'il y a une telle dégradation ! Et si on a un objectif partagé, ce qui est le cas aujourd'hui, entre les pouvoirs publics et les organisations syndicales, de sauver le système de retraite par répartition, de solidarité entre les générations, d'un héritage de plus de cinquante ans, il n'y a pas d'autre solution que d'engager une réforme, que de l'engager de manière volontariste et en même temps, inscrite dans le calendrier, pour que ça ne bouleverse pas en profondeur les gens qui sont proches aujourd'hui des 60 ans ou de la retraite. Mais c'est incontestable, et personne de sérieux ne peut contester aujourd'hui en France, comme dans le monde entier, et surtout dans la zone euro, qu'il y a un sujet retraite, c'est un problème démographique...

... Age légal...

Il y a une adaptation démographique...

Est-ce que ça n'est pas... quand on voit les sondages, notamment, le sondage, hier, réalisé par BVA pour Les Echos, qui était très intéressant, qui donnait le projet socialiste d'une certaine manière plébiscité ou en tout cas, préféré par les Français au projet du Gouvernement ; ça ne vous inquiète pas ça ?

Ça n'a rien d'inquiétant, puisqu'il y a un travail de pédagogie, d'explication. Le problème est démographique, on le dit, et on le sait, et c'est un progrès de la science, il faut plutôt s'en féliciter. Ce n'est d'ailleurs pas un problème, c'est une question qui est posée à laquelle nous devons apporter une réponse, vivre plus longtemps, ça n'est pas un problème. C'est une exigence derrière de prendre des mesures pour permettre à chacun d'avoir un niveau de vie, une fois qu'il aura quitté le monde du travail, relativement stable, et lui permettant d'avoir à nouveau des projets.

Donc c'est inéluctable ?

C'est inéluctable.

Donc irrévocable, l'âge de la retraite sera reculé.

Savez-vous que la France est derrière Malte comme étant le pays qui travaille le moins : on part à la retraite en moyenne à 58,8 ans, un peu moins de 59 ans. Tous les autres pays, vous avez quinze pays sur vingt-sept, plus de quinze d'ailleurs, qui sont à 65 ans. Ne pas voir ça, c'est ne pas prendre au fond son esprit de responsabilité, ne pas considérer qu'on ne peut pas continuer avec un système comme celui-ci. Savez-vous qu'on paie une retraite...

Donc c'est irrévocable, c'est ce que j'entends...

Le ministre du Travail...

On va reculer l'âge de la retraite, point barre...

Le ministre du Travail...

Quoi qu'il se passe dans la rue aujourd'hui...

Le ministre du Travail... On respecte évidemment les mouvements sociaux. Les organisations syndicales ont un rôle majeur dans l'organisation du dialogue entre les intérêts du personnel et puis les pouvoirs publics, l'Etat. Mais permettez-moi de le dire, l'âge de la retraite, les annonces du ministre du Travail, qui pilote cette réforme dans un calendrier qui est tenu, sont à la fois logiques, étaient inscrites dans le document d'orientation diffusé aux syndicats il y a une dizaine de jours, et puis s'inscrivent dans l'évolution naturelle. Même D. Strauss-Kahn a évoqué cette piste, et D. Strauss-Kahn est un socialiste, il a soutenu F. Mitterrand. Et vous parliez de l'affaire des 60 ans, et au fond, de l'attachement de l'opinion publique à cette affaire des 60 ans, cette réforme, mise en place en 81 par l'arrivée de la gauche, Programme commun, a été une réforme qui, si elle était flatteuse pour la qualité de vie, s'est avérée malheureusement cruelle pour la réalité de la préservation de notre système par répartition. On ne peut pas financer - et c'est une question de responsabilité générale, ce n'est pas une question de gauche ou de droite - on ne peut pas financer par emprunt, c'est-à-dire faire payer à nos enfants, les retraites d'aujourd'hui, on ne peut pas demander à nos enfants, à vos enfants, aux miens, de payer votre retraite, celle de vos parents, et éventuellement, d'essayer de cotiser pour la leur. Cela va être quoi leur vie demain ? Ne pas voir ça, c'est quand même être atteint plus ou moins d'une forme de cécité, je ne le dis pas pour les organisations syndicales, je le dis pour les partis de gouvernement, notamment à gauche, qui veulent s'enfermer dans une posture et qui ne veulent pas défendre une ligne politique de responsabilité.

Les syndicats, on va les entendre, B. Thibault notamment, qui était sur Canal+ ce matin, qui trouve que le Gouvernement n'est pas très courageux dans cette affaire. Ecoutez-le.

B. Thibault (document Canal+) : Choisir un texte de loi qui paraîtrait fin juin, ce qui semble confirmé, c'est-à-dire juste avant les départs en congés, un Conseil des ministres qui examinerait ce texte de loi mi-juillet, c'est-à- dire à un moment où déjà, des salariés seront en congés. Et pour une saisine du Parlement, dans les tous prochains jours... les premiers jours de septembre, c'est-à-dire alors que les salariés ne sont pas encore tous complètement rentrés de congés, ça n'est pas faire preuve d'un grand courage politique.

Qu'est-ce que vous lui dites ?

B. Thibault défend ses positions, franchement, cette question des retraites, ce n'est pas l'enfant trouvé, et on voit bien que la crise...

Vous le faites en catimini, d'une certaine manière, c'est ça qu'il dit...

On le fait à livre ouvert...

Il y a la Coupe du monde de football, il va y avoir les vacances d'été, effectivement...

Mais ça, le Gouvernement n'y est pour rien...

Certains disent : on nous refait le coup de Balladur, non ? Sur la Coupe du monde de football, je vous fais ce crédit.

Oui, on n'y est pour rien pour la qualification, on n'y est pour rien pour la main de T. Henry, on n'y est pour rien, et on n'y est pour rien pour la Coupe du monde. Et la question de ce calendrier des retraites est pour partie liée à l'impact de la crise sur nos régimes spéciaux, sur l'effondrement des recettes, et donc sur le trou du déficit...

Donc sans la crise, on n'aurait pas eu à reculer l'âge légal, c'est ce que vous dites ce matin ?

Il est possible que ce débat sur les retraites en France, comme dans tous les autres pays, sans la crise, n'aurait pas eu cette prégnance, et le calendrier, franchement, s'étale sur deux mois de concertations. Le débat est en juillet ; en septembre, il va y avoir trois semaines de sessions extraordinaires autour de ce sujet, c'est à livre ouvert, les Français regardent les positions du Gouvernement, écoutent les positions des syndicats. Et puis, la représentation nationale prendra ses responsabilités au moment de ce débat. Mais je crois que le Gouvernement prend ses responsabilités, et franchement, si l'on pouvait sortir, c'est un voeu pieux, je le formule devant vous, de ce débat gauche/droite, M. Aubry ne peut pas, dans un premier instant, un premier réflexe de bonne logique, dire : « oui, probablement, il faudra allonger la durée de travail », et quelques jours plus tard, s'enfermer dans une posture idéologique, dogmatique, qui a fait tant de mal au début des années 80. Et donc on va voir la différence entre les progressistes et les conservateurs.

Oui, F. Baroin, je me souviens d'avoir lu ce nom comme porte-parole du gouvernement d'A. Juppé, en 95, vous savez ce que c'est que de mettre pendant trois semaines des millions de personnes dans la rue et d'avoir un pays pratiquement bloqué. Qu'est-ce qui vous ferait reculer, cette fois-ci ? Rien ?

Le constat d'évidence est que la responsabilité, le sens de l'Etat, le sens de l'avenir, et le sens des générations qui nous suivent...

Donc rien ne vous fera reculer ?

...poussent le président de la République, à juste titre, et le Gouvernement dans cette déclinaison à proposer une réforme juste, équitable, équilibrée et qui préserve l'essentiel, c'est-à-dire le système par répartition.

C'est pour éviter un scénario comme celui de 95 que les régimes spéciaux ne seront pas concernés ?

Les régimes spéciaux ont déjà été traités, les régimes spéciaux ont déjà vécu une réforme, et ils sont dans leur évolution décalés dans le temps par une réforme qui va être...

Donc vous dites : pas de double peine pour les régimes spéciaux, d'une certaine manière ?

Ils y sont déjà passés, et comme le dit très justement E. Woerth, la peinture est encore fraîche, donc qu'il y ait une convergence public/privé, ça fait partie des axes de recherche et de réflexion du gouvernement...

Mais ce n'est pas de la politique, ce n'est pas une façon d'éviter que ceux qui ont les moyens de bloquer le pays le bloquent...

Non, mais ce qui est vrai, en 95, le courage d'A. Juppé avait amené à proposer une réforme globale, et quand on a mis les régimes spéciaux dans la barque, on est passé en dessous de la ligne de flottaison, et la barque a coulé. 95, c'était il y a une éternité, il y a quinze ans. La société a évolué, le problème démographique est plus présent. L'opinion a également évolué et est prête aujourd'hui à accepter des choses qu'elle n'aurait pas acceptées parce qu'elle ne les aurait pas comprises, il y a quinze ans. Aujourd'hui, dans ce qui se passe dans le monde entier, la France n'est pas une île. Je crois qu'il y a un chemin, qui est peut-être un chemin de crête, mais il y a un chemin pour faire accepter une réforme équitable. Cette réforme, elle sera partagée, elle sera vécue, elle sera acceptée si elle est équitable...

Partagée, ça veut dire aussi par les fonctionnaires. Le Parisien ce matin prête au Gouvernement un certain nombre de pistes, vous pouvez les confirmer ou les infirmer ou ne rien dire.

Je vais essayer, mais... ou ne rien dire...

Cotiser plus, taux de cotisations des fonctionnaires aujourd'hui, 7,85%, c'est 11% dans le privé, il faudra qu'ils cotisent plus ?

Alors, juste, je ne vais pas esquiver la question, on a un pilote qui s'appelle E. Woerth, il est ministre du Travail...

Oui, j'entends, j'entends...

Il annonce, il déroule, c'est une réforme difficile...

Vous avez les cordons de la bourse, ce n'est pas rien...

J'ai mon avis personnel, j'ai ma réflexion personnelle, j'ai mes convictions personnelles...

Oui, donc ?

Mais je ne veux pas les exprimer tant que le document de travail...

A titre personnel, vous pensez qu'il faut qu'ils cotisent plus ?

A titre personnel, sur un sujet comme celui-ci, ça n'a aucun intérêt de le donner.

Suppression de l'avantage donné aux fonctionnaires qui ont élevé trois enfants, qui leur permet de partir plus tôt. Même motif, même punition pour la réponse... Attendez, un milliard d'économies, Monsieur le ministre du Budget, si vous supprimez cet avantage...

On va agir sur la dépense, ça, c'est sûr, on ne va pas agir sur les impôts, mais sur la dépense. Permettez-moi de vous dire qu'un pays qui dépense plus de 1.000 milliards dans tous les secteurs avec trois sources de dépenses, de l'Etat, de la Sécurité sociale et des collectivités locales, on a pas mal de gisements, outre que celui que vous proposez.

Donc vous laisserez les fonctionnaires tranquilles sur ce sujet-là.

On les valorise même, dans la RGPP, on les valorise, une partie des économies de fonctionnement liées à la suppression du 1 sur 2 est redistribuée en forme d'intéressement.

Bon. Vous êtes l'homme du rabot, on en parlait à l'instant, l'homme du rabot, c'est parce que c'est C. Lagarde, elle-même, qui a parlé du coup de rabot ; vous passerez un coup de rabot sur les niches fiscales, d'un mot, ou est-ce que vous allez choisir les bonnes niches et les mauvaises niches ?

En gros, sur les niches, on a 75 milliards de dépenses fiscales, c'est-à-dire d'un choix de l'Etat de ne pas recevoir de l'argent à travers un prélèvement d'impôts, pour irriguer une politique publique, essentiellement en faveur de l'emploi. J'ai demandé sur chacune de ces niches, il y en a plus de 400, mais il y en a au fond une quinzaine qui sont très importantes, une étude d'impact. Et c'est sur la base de ces études d'impact que nous allons regarder si on fait un rabot, si on prend un bouquet...

Un rabot, c'est : allez, 10% sur tout le monde !

Un rabot : moins 10% sur tout le monde, c'est simple, c'est juste, c'est vendable...

C'est juste, franchement ?

Ah oui, c'est juste, dans un contexte...

C'est bon pour l'économie ? Sur des mesures comme la TVA à 5,5 dans le bâtiment, par exemple ?

Ce qui est mauvais pour l'économie, c'est de continuer d'avoir des déficits à ce niveau-là, ce qui est mauvais pour l'économie, c'est que cette question de la dette, elle angoisse aussi les Français, ce qui est mauvais pour l'économie, c'est que cette angoisse se traduit par plus d'épargne et pas assez de consommation, et ce qui est mauvais pour l'économie, c'est que la consommation, qui est le moteur de la croissance, a besoin de repartir, c'est ça qui est mauvais pour l'économie. Et on voit bien que cette question de la dette est aujourd'hui une priorité nationale, et que la résorption des déficits est aussi une priorité nationale d'égale valeur, c'est la raison pour laquelle, le rabot, il n'est pas indigne, et il peut être compris par tous, on a aussi le bouquet, pas un bouquet de fleurs, mais qui est un bouquet de dépenses fiscales. Est-ce qu'on va faire les deux...

Oui, un bouquet d'épines en l'occurrence...

Du rabot ou du bouquet, est-ce qu'on va, in fine, choisir plutôt le rabot, parce que c'est le plus acceptable et le plus juste ? Nous allons essayer d'être là aussi équitables et protéger tout ce qui sert l'économie, et éliminer tout ce qui a plutôt favorisé des détournements ou des contournements.

Equitables et prudents, je l'entends ce matin. Un mot du chiffre magique...

Un mot sur le calendrier, tout ce qui va sortir dans la presse ici ou ailleurs...

C'est faux... D'ici fin juillet, ce sera pour amuser le tapis, ça peut être des leurres qui sont envoyés, ça peut être des fausses coupes diffusées ici ou là. Le calendrier du Gouvernement : fin juillet, nous aurons une vision plus précise, et il y aura encore des arbitrages fin août, donc on aura l'occasion d'en reparler...

Ne croyez rien de ce qu'on lit dans les journaux, dit le ministre du Budget ce matin. Le chiffre magique, c'est l'engagement à l'équilibre budgétaire que le Président veut inscrire dans la Constitution. Quand pensez-vous que cette mesure peut être votée, il nous reste trente secondes.

Cette révision, elle est très importante. Il y a trois idées simples : on va associer le Parlement sur le monopole, l'exclusivité des dépenses fiscales dans la loi de Finances, on va l'associer sur les engagements pris par la France vis-à-vis de nos partenaires européens, et on va proposer que le Premier ministre, en début de législature, dise : à la fin de la législature, on sera à l'équilibre. Nous allons consulter les partis politiques début juillet, et nous allons engager la poursuite de cette consultation au cours de l'automne, en parallèle de la loi de Finances.

Donc, vote éventuellement d'une réforme constitutionnelle avant la fin de l'année ?

Dès qu'on aura défini les contours du consensus, on sera en situation, comme l'a souhaité le président de la République, d'offrir cette révision constitutionnelle.

Merci. Dernier mot, pardon Thomas, je prends dix secondes, France/Costa Rica : 2-1, c'est une bonne nouvelle, vous adorez le foot...

Révélation Diaby, révélation Valbunea, c'est plutôt de bon augure pour un 4-3-3 qui peut être efficace.

Diaby, Valbunea, 4-3-3, voilà.

T. Thouroude : Nous avons, je pense, trouvé notre consultant. Oui, mais je vais sur Europe 1, je suis désolé.

T. Thouroude : F. Baroin, vous êtes le bienvenu.

Eh bien, vous viendrez chez nous aussi.

Avec plaisir.

T. Thouroude : Merci à vous Messieurs.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 mai 2010