Interview de M. Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, à "La Chaîne Info" le 26 mai 2010, sur la réforme des retraites, notamment le report de l'âge légal de départ à la retraite, l'alignement des cotisations sociales des fonctionnaires sur celles du secteur privé.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.-  (Inaudible) ...L'âge légal de départ en retraite ? 
 
Mais je l'avais dit, comme le président de la République d'ailleurs, à  plusieurs reprises, qu'il fallait travailler plus longtemps. Il s'agit de  votre vie professionnelle, elle va être plus longue parce que vous vivez  tout simplement plus longtemps. 
 
Oui, le départ réel, mais le départ légal on pouvait ne pas y toucher. 
 
C'est une option logique du Gouvernement, c'est tout à fait logique que  le Gouvernement suive cette option, on va repousser l'âge légal. On  verra dans quelles conditions, on verra quel nouvel âge adopter. Tout ça  c'est encore soumis évidemment à discussion et aucune décision n'est  prise. Mais c'est logique, dans tous les pays on l'a fait. Vous avez une  vie professionnelle, vous avez une vie tout court, votre vie tout court  augmente, donc il est logique que votre vie professionnelle à un  moment donné augmente. Je n'ai pas vu d'ailleurs dans les propositions  qui m'ont été faites, on a beaucoup discuté, beaucoup concerté, je n'ai  pas vu de propositions convaincantes, alternatives à celle-là, en termes  tout simplement de soutenabilité de notre régime par répartition. 
 
Si c'était aussi évident, aussi logique, pourquoi l'avoir caché  pendant des semaines ? Est-ce que ce n'était pas une concertation  bidon pour éviter la colère sociale ? 
 
Oui, j'ai entendu ça... Non. J'ai d'abord une concertation très  approfondie, et puis, deuxième point, on n'a rien caché du tout. Dans le  document d'orientation qu'a fait le Gouvernement il y a une semaine,  dix jours, il est clairement indiqué qu'il y a deux options sur la table,  l'option de l'augmentation de l'âge légal, et l'augmentation de la durée  des cotisations. Il est donc très clair que le Gouvernement avait fait un  certain nombre de choix. Que la vraie question après, la vraie question  après, c'est quel est l'âge, comment tout ça se construit, comment  articuler ça avec la durée de cotisations, tout cela reste totalement à  déterminer. 
 
Est-ce que ce sera dès 2011, quel que soit l'âge ? 
 
Oui, bien sûr, la réforme c'est en 2001, la réforme c'est à partir de  2001, il y a urgence. Notre système de retraites n'est pas financé, les  Français doivent le savoir, il n'est pas financé ! La crise est passée par  là, a fait gagner, si je puis dire, vingt ans d'avance sur les déficits, il  faut répondre à ça, c'est notre responsabilité d'hommes et de femmes  d'Etat. Le président de la République s'est complètement engagé pour  cela. Vingt ans d'avance, ce n'était pas le cas il y a deux ans. Donc il  faut absolument répondre, et il faut soutenir, garantir nos régimes de  retraites. 
 
"62 ans est un minimum, 65 ans en 2030 est possible", c'est l'UMP  qui ça, A. Robinet, secrétaire national, chargé des retraites... 
 
Ce n'est pas l'UMP qui dit ça, c'est A. Robinet... 
 
C'est lui, enfin c'est quand même le spécialiste ! Est-ce que c'est  votre ligne ? 
 
Non, non, ce n'est pas notre ligne. Je ne veux pas rentrer dans un débat  sur l'âge, il y aura des décisions le moment venu. 
 
C'est trop 62, 65... ? 
 
...je ne rentre pas du tout là-dessus. Ce que je veux dire c'est que tout  cela est progressif, quelles que soient les décisions, c'est progressif. Et  ce matin, M. Aubry sur une autre radio... 
 
Sur RTL... 
 
... a menti. 
 
Elle dit, "ceux qui ont 58 ans, ils vont rempiler"... 
 
...elle a menti aux Français ! Elle le fait sur les recettes, elle le fait sur  un pseudo projet qui ne répond pas au problème des retraites. Toute  réforme des retraites est progressive ; vous prenez un trimestre, etc.,  tout ça peut être très construit, très progressivement... 
 
Ce sera votre méthode, un trimestre de plus par an à partir de  2011 ? 
 
On verra de combien, mais c'est très progressif. Ce que je veux dire  c'est que vous ne passiez pas du blanc au noir, vous passez au blanc,  puis vous mettez, au fur et à mesure, les choses se renforcent, vous  changez la couleur, au fur et à mesure du temps, très progressivement.  Vous passez très progressivement à autre chose. Quelqu'un qui a 58 ans  ou quelqu'un qui a 59 ans aujourd'hui, il ne voit quasiment pas la  différence, c'est fait au fur à et mesure du temps, génération par  génération. La réforme d'E. Balladur a mis quinze ans pour  s'appliquer ; 1993, elle a été appliquée définitivement, les 25 meilleures  années dans le secteur privé, en 2008. Donc tout ça est très progressif.  Je veux rassurer les Français là-dessus, il y aura bien progressivité de la  réforme. Oui, on va sauvegarder et garantir notre système par  répartition, et oui on va prendre en compte les carrières longues, des  gens qui ont commencé à travailler de bonne heure, je l'ai dit dès le  début. 
 
Ils ne pourront pas continuer à partir à 60 ans s'ils ont commencé à  travailler à 18 ans ? 
 
Nous verrons quelles sont les conditions, mais on va bien continuer à  prendre en compte le fait qu'on ait commencé plus tôt à travailler.  D'ailleurs, nous l'avons fait en 2003. La réforme de 2003 de F. Fillon, a  fait en sorte qu'on prenne en compte les carrières longues ; le PS n'a  pas voté pour. Quand je vois madame Aubry se pavaner en réalité, pour  dire "il faut faire attention, les gens qui ont commencé tôt", elle a voté  contre, elle a voté contre en 2003 ! Donc, nous on est tout à fait  cohérents, la réforme de 2003, elle s'applique et la réforme de 2003  c'était aussi les carrières longues, il n'y a pas que ça, mais il y avait des  carrières longues. Et dans la réforme de 2010, nous allons bien sûr  prendre en compte les carrières longues et la pénibilité, l'usure au  travail. Nous l'avons mis sur la table tout de suite et on va le faire. 
 
Si vous attendez pour donner les détails de cette progressivité, c'est  peut-être parce que vous craignez la colère sociale ? Vous  modulerez en fonction de la mobilisation de la rue dès demain ?
 
Je ne crains rien, la seule chose que je craigne, ce n'est pas de répondre  à la question posée. La question posée, et celle à quoi le président de la  République m'engage à répondre et à lui faire des propositions, comme  au Premier ministre, c'est sauvegarder le système de retraites par  répartition. C'est le patrimoine social des Français, c'est la garantie  pour les jeunes d'avoir une retraite solidaire, une retraite généreuse, une  retraite par répartition, avec la solidarité entre les générations. C'est ça  l'essentiel, il n'y a pas d'autres sujets. Et je pense que les Français sont  en train de le comprendre d'ailleurs. Au fur et à mesure des sondages,  on voit... 
 
Ils se résignent ! 
 
Non, je ne crois pas... Enfin, "se résigner", il faut regarder la vie de  face, sinon on passe à côté de la vie. La vie est merveilleuse parce  qu'on vit plus longtemps. Et on fait comme les autres pays, quand on  vit plus longtemps, à un moment donné, on travaille plus longtemps. 
 
Confirmez-vous que les cheminots seront épargnés par cette  réforme, comme l'affirme une note interne de la SNCF ? 
 
Je n'ai pas vu cette note interne. Ce que nous disons dans le document  d'orientation, c'est que nous respecterons à la lettre les engagements  qui ont été pris en 2007. 
 
Pour les régimes spéciaux, ils sont tranquilles jusqu'en 2018 ? 
 
La peinture est à peine fraîche. C'est le même Gouvernement et ce sont  les mêmes partenaires sociaux, ce sont mêmes entreprises. 
 
Mais la crise est arrivée depuis, donc pour eux aussi ! 
 
Les régimes spéciaux ont été réformés, et considérablement réformés.  Donc ça veut dire qu'ils convergent aujourd'hui vers la fonction  publique, donc évidemment, les critères de la réforme s'appliqueront  mais ils s'appliqueront dans le respect du calendrier et dans le respect  du calendrier des régimes spéciaux. 
 
Pour les fonctionnaires justement, est-ce que leur cotisation retraite  s'alignera sur celles du privé ? 
 
Il y aura des mesures de convergence entre le privé et le public. Il y en a  eues en 2003, les socialistes s'y sont d'ailleurs tout à fait opposés, nous  allons continuer à en avoir. On est en train de discuter avec les  fédérations de fonctionnaires. Hier, G. Tron les recevait, on est en train  d'en discuter ; il y a plusieurs solutions et plusieurs pistes. Quand il est  normal de considérer qu'on est fonctionnaire, ce n'est pas la même  chose que d'être salarié du privé, il y a donc des règles qui sont  différentes, de rémunérations, d'entrée dans la carrière, on en tient  compte au moment de la retraite. Et donc, il est logique qu'il n'y ait pas  tout à fait le même système, parce que ce n'est pas le même métier, ce  n'est pas la même chose. Quand on n'arrive pas à expliquer les  différences, c'est là-dessus évidemment qu'on doit faire des réformes,  qu'on va faire bouger les choses. 
 
Une mère qui a eu au moins trois enfants dans la fonction publique  après quinze ans de service, elle peut partir à la retraite ? 
 
Ce n'est pas le cas dans le privé aujourd'hui, c'est une règle historique,  il faut qu'on regarde les choses. 
 
Il faut la changer ? 
 
Non, je ne dis pas ça comme ça. Je pense qu'il ne faut pas être trop  brutal, je pense que c'est trop facile de stigmatiser aujourd'hui les  fonctionnaires en disant : "regardez, ils ont plein d'avantages alors que  moi, je n'en ai pas". Nous allons regarder, nous sommes en train de le  faire évidemment, de façon très détaillée, d'où viennent toutes ces  mesures, quelle est leur histoire, comment elles s'appliquent à la  fonction publique d'aujourd'hui. Et lorsqu'on considérera que ce n'est  pas juste entre le privé et le public, parce qu'au fond, ils sont dans la  même situation mais pas traités de la même manière, alors nous  changerons les choses, mais quand nous considérerons qu'ils ne sont  pas traités de la même manière, parce que c'est juste qu'ils ne le soient  pas, parce que ce ne sont pas les mêmes métiers, on conservera les  différences. 
 
A quoi ressemblera la taxe promise sur les hauts revenus ? Cela  commence où les hauts revenus ?
 
On va le fixer. Tout ce qu'on a dit, c'est qu'il faut des ressources  supplémentaires. Ce n'est pas le coeur du dispositif, c'est d'abord la  démographie parce que le régime par répartition, c'est de la  démographie, il n'y a que M. Aubry qui ne veut pas le voir et qui essaye  de l'éviter. Mais nous aurons des recettes supplémentaires, sur les hauts  revenus, les revenus du capital ; nous verrons comment fixer tout ça.  Mais on a encore un mois. J'ai indiqué que nous annoncerons la  réforme d'ici le 15 ou le 20 juin, c'est... 
 
Comme ça les syndicats tiennent leurs congrès tranquillement... 
 
C'est un délai qu'on s'est fixés dès le mois d'avril ou dès le mois de  mars. C'est un délai normal pour discuter, pour concerter. Il n'y a  jamais eu autant de concertations sur une réforme je tiens à le dire, et je  tiens notamment à le dire à ceux qui considèrent qu'il n'y a pas de  concertations, parce que ceux-là, c'est parce que leurs idées ne sont pas  retenues. Mais souvent il n'y a pas d'idées, le PS n'a pas d'idées... 
 
15 % d'impôts supplémentaires sur les banques... 
 
Ce sont des idées d'impôts, elle se trompe d'un zéro ! Le PS a même  été incapable de calculer le montant de l'impôt sur les sociétés ! Mais je  ne vais pas revenir là-dessus. 
 
Vous ferez payer les retraités, par exemple ? 
 
Bien sûr que non. Le PS le propose, la machine à penser du PS propose  qu'on taxe les retraités ; nous, disons non, on ne doit pas taxer les  retraités. 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 mai 2010