Déclaration de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, sur la biodiversité dans le massif des Pyrénées et notamment la question de l'ours, Toulouse le 26 juillet 2010.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Rencontre avec les membres du Comité de massif des Pyrénées, à Toulouse le 26 juillet 2010

Texte intégral

Messieurs les Présidents du comité
Mesdames, Messieurs les élus
Mesdames, Messieurs
C'est un moment important aujourd'hui que de venir ici devant le comité de massif pour présenter un projet concernant la biodiversité pyrénéenne.
Je remercie les deux présidents, M Maïtia et M Dominique Bur, le préfet coordonnateur de massif, d'avoir organisé cette réunion. Et je veux vous remercier toutes et tous pour être venus à Toulouse, aussi nombreux, afin de débattre ensemble.
Je voudrais saluer le travail de Monsieur le préfet, un travail difficile qu'il a conduit depuis le groupe national ours jusqu'à la proposition qui va vous être présentée maintenant. C'est un sujet difficile.
L'écologie n'est pas une affaire de spécialistes, l'écologie est un sujet de société, une vision de l'avenir. C'est donc naturellement avec le comité de massif qu'il faut d'abord en parler. C'est donc naturellement que Jean-Louis Borloo m'a demandé de venir aborder cette question ici, avec vous.
De fait la biodiversité doit être une des composantes de la réflexion à conduire en matière d'aménagement des territoires. Elle est partie liée à bon nombre d'activités humaines, elle est partie intégrante de tout projet de développement.
Vous avez, au sein de ce comité de massif, depuis longtemps, fait ressortir le rôle de l'écologie et vu en l'écologie une approche transversale à prendre en compte pour développer, aménager et protéger vos montagnes.
Le schéma interrégional d'aménagement et de développement des Pyrénées que vous avez approuvé en 2006 rappelle qu'« on met beaucoup moins en avant le fait que le capital économique repose pour partie sur ce patrimoine écologique, principalement produit par l'exploitation agricole de la montagne ». Tout est lié et tout est interdépendant. Les milieux ouverts et riches de biodiversité se maintiennent grâce aux éleveurs, les fromages des montagnes doivent leur saveur aux fleurs des prairies et aux pollinisateurs...
Le premier de vos axes stratégiques est de « viser une gestion environnementale et patrimoniale exemplaire » et c'est donc naturellement avec vous que je propose de construire une stratégie pyrénéenne de préservation et de valorisation de la biodiversité.
Cette approche globale sur le massif de la biodiversité est une idée naturelle pour vous. Elle s'est imposée à travers les entretiens que nous avons eus depuis l'automne.
Comme vous le savez les travaux conduits dans le cadre du Groupe National Ours dans les Pyrénées installé par Nathalie Kosciusko-Morizet en 2008 et conduits par le Préfet de massif Dominique Bur ont abouti à l'été 2009 à une série de propositions pour la poursuite du plan ours.
J'ai souhaité, pour me faire ma propre idée, rencontrer les principaux acteurs du dossier. Tout le monde a été invité et nous avons reçu ceux qui l'ont demandé.
Au-delà du projet de plan ours brun stricto sensu qui n'est pas oublié pour autant et dont j'évoquerai avant notre débat les principaux objectifs proposés, j'ai perçu à plusieurs reprises lors de ces entretiens deux attentes fortes :
- avoir une approche globale de la biodiversité pyrénéenne prenant en compte de façon plus ambitieuse le rôle des activités humaines, dont le pastoralisme, la foresterie, le tourisme...
- faire confiance aux pyrénéens pour être les porteurs de cette approche globale au côté de l'Etat qui est comptable de l'engagement de la Nation de stopper la perte de biodiversité.
C'est pourquoi, je vous propose de nous engager dans une vision plus globale et collective de la gestion de la biodiversité pyrénéenne. Je ne viens pas avec un plan Etat tout ficelé. Nous sommes d'accord, il faut rapprocher toutes les actions conduites par chaque acteur (collectivités territoriales, organisations professionnelles, associations et Etat). Et nous devons le faire avec un objectif partagé non seulement de préservation mais aussi de valorisation de la biodiversité pyrénéenne. La biodiversité, ce n'est pas un monde « sous cloche », c'est un monde qui participe au développement économique, qui participe à l'avenir des Pyrénéens.
La future stratégie nationale de la biodiversité repose sur le principe que la biodiversité exige la participation de l'ensemble de la société civile. Vous êtes les représentants de cette société civile et la biodiversité est aussi votre responsabilité.
Et je ne vous apprends rien en vous disant que vos Pyrénées sont exceptionnellement riches en biodiversité. C'est exceptionnel en Europe. C'est exceptionnel dans le monde; certaines espèces ne se trouvent qu'ici. C'est une exception que vous devez à la géographie et surtout aux hommes. Vous avez donc une chance. Et vous avez donc une responsabilité.
Et c'est tellement stupide de dire que la nature ne doit rien à l'homme comme de penser que l'homme ne doit rien à la nature. La diversité biologique des Pyrénées résulte évidement de la qualité naturelle des espaces montagnards et des activités humaines qui s'y exercent :
- Sans pastoralisme, pas de milieux ouverts, donc pas d'asters des Pyrénées par exemple ;
- Sans activité forestière, des territoires en déshérence
Et cette diversité biologique, ce n'est pas une simple affaire de spécialistes ; c'est et cela doit devenir une question de développement des Pyrénées. Et vous savez la biodiversité, ce n'est pas un simple sujet de cadre de vie. C'est la pharmacopée, c'est la cosmétologie, c'est l'alimentation. Et pensez vous qu'on aimerait autant les Pyrénées sans cette beauté, sans ses espèces, c'est-à-dire sans la vie ?
Voilà ce que nous devons montrer collectivement, montrer que la biodiversité est un immense territoire de développement. Regardez au Canada, regardez en Finlande, la valorisation de l'activité forestière et du tourisme autour de la biodiversité. Regardez ce que fait le parc naturel régional des Pyrénées catalanes avec la valorisation du pin à crochets.
Alors, évidemment, ces sujets ne peuvent être traités par des instances purement naturalistes. C'est à vous, Comité de massif, de le faire.
Vous voulez « changer d'horizon », nous aussi.
Vous avez pour mission de proposer un « développement équitable et durable », le sujet est là. Et nous, nous voulons parler à une instance qui regroupe tous les acteurs, toutes les forces vives des Pyrénées. Nous, nous voulons faire le lien entre la biodiversité et toutes les activités humaines : l'agriculture, l'exploitation forestière, le tourisme ou encore la chasse.
Evidemment, toutes les politiques sectorielles peuvent avoir un impact positif ou négatif sur la biodiversité.
A nous d'avoir une approche transversale pour réduire les impacts négatifs et développer les impacts positifs. Et je vais vous donner un exemple concret qui va vous surprendre. Sans les chasseurs, qui plaiderait la cause du grand tétras quand les coupes forestières se discutent dans un Conseil municipal ?
Ma politique est simple, je veux sortir le débat de la focalisation sur une ou deux espèces emblématiques. Je veux travailler sur toutes les espèces et les espaces, sur toute la biodiversité qu'elle soit exceptionnelle ou ordinaire. Evidemment, nous parlerons des espaces menacées comme l'ours brun, le vautour percnoptère, le gypaète barbu, le desman, le grand tétras, l'aster des Pyrénées. Mais nous parlerons aussi de fétuques, de hêtres, de sangliers ou encore d'isards.
La DREAL vous présentera, juste après mon intervention, les axes que nous pourrions développer, les pistes à explorer, les thèmes à approfondir. Ce n'est pas un document « prêt à consommer », ce sont des idées destinées à porter un projet commun et qu'il conviendra d'enrichir par vos critiques constructives et vos propositions.
Le comité de massif et l'Etat définiront un comité de suivi de stratégie, qui va d'abord l'élaborer sur la base de consultations larges, qui livrera au comité de massif un projet. J'attends de vous que vous le structuriez que vous veillez à sa cohérence avec les politiques de la Montagne. Ensuite je validerai cette stratégie, ce sera notre feuille de route partagée.
Notre idée est simple, comme le Grenelle, c'est à vous de nous faire la proposition de cette stratégie pyrénéenne de la biodiversité. A vous de l'imaginer, de l'élaborer.
Alors, parlons du sujet qui malheureusement focalise le débat. Parlons du sujet qui le rétrécit : l'ours brun.
Je suis dans une obligation d'honnêteté intellectuelle. Certes j'aurais pu faire trainer en longueur ce dossier et le transmettre aux ministres suivants. C'est finalement assez simple.
Mais je souhaite vous tenir un langage de vérité.
En aucun cas l'Etat français ne peut être responsable de l'extinction des ours dans les Pyrénées. Nous avons des obligations européennes et internationales. Je n'ai pas signé telle ou telle directive mais aujourd'hui nous sommes responsables de leur application.
Ecoutez, on va être très clairs. Si nous ne respectons pas nos obligations européennes, ce n'est pas simplement une amende que l'Etat aura à payer. Ce sont l'ensemble des crédits européens pour les Pyrénées qui sont menacés. Et j'ai un exemple dans une autre région. Le prêt de la Banque européenne d'investissement pour le grand port de Rouen est bloqué car la Commission européenne considère que nous ne remplissons pas nos obligations environnementales dans l'estuaire de la Seine. Il n'est pas question qu'il en soit de même ici pour le plan de soutien à l'activité agricole, par exemple.
Donc, première évidence, nous devons avoir un plan de conservation des ours crédible. Dans le même temps, deuxième évidence, les conditions sociales ne sont pas réunies pour une nouvelle opération massive de réintroduction d'ours. Mais entre accepter l'extinction et une réintroduction imposée, il y a une marge.
L'objectif qui doit être poursuivi est de conserver une population viable, c'est-à-dire qui se reproduit naturellement sans besoin d'introduction. Aujourd'hui, les conditions semblent réunies pour un accroissement naturel de l'ours. Gardons cette tendance, même si elle est lente. Nous surveillerons l'évolution annuelle de la population d'ours. Ni plus, ni moins. Donc, pas de politique de réintroduction ; mais dans le même temps, chaque ours mort accidentellement sera remplacé. Ce qui me conduit au remplacement de Franska, tuée par un automobiliste en 2007. Et si la population décroît, nous envisagerons alors des réintroductions. Donc je le répète pour être claire, pas de réintroduction systématique, des remplacements si nécessaire, et surtout des animaux qui naissent dans les Pyrénées et qui sont adaptés aux conditions de ce massif.
Autre point important, il y a trop de débat sur le retrait de certains ours à problème. J'ai quand même un doute sur ce qui s'est passé avec Franska. Toutes les conditions semblaient réunies pour reconnaitre là un « ours à problème » qu'il fallait retirer. Alors, mettons nous d'accord, je vous propose au sein du comité de massif de revoir la définition de ce qu'est un « ours à problème » et de renforcer l'efficacité de notre dispositif de retrait.
Naturellement, j'aurai beaucoup plus à vous dire sur le suivi ou encore les activités économiques, mais nous en reparlerons dans le débat.
Puisqu'aucun sujet ne doit être évacué, continuons sur le vautour.
Cette espèce inquiète les éleveurs. Non seulement, les vautours sont en bon état de conservation, mais la modification de la réglementation sur l'équarrissage les a incités à passer la frontière.
J'ai demandé au parc national des Pyrénées non seulement de suivre ces oiseaux, mais aussi d'expérimenter l'indemnisation des dégâts et des tirs d'effarouchement. Ces oiseaux nécessitent une gestion transfrontalière et peuvent faire l'objet d'un tourisme de vision mais ils ne doivent pas mettre en péril le pastoralisme dont la montagne pyrénéenne a tant besoin.
Mais la biodiversité ne se résume pas aux ours et aux vautours. On devrait parler beaucoup plus du desman des Pyrénées. Là où il y a des Desmans, il y a des truites. Et vous qui voulez développer les activités en eaux vives, voilà un bon témoin de la qualité des eaux. Et pourquoi pas son emblème ?
On devrait parler des bouquetins, je sais combien vous y tenez. Nous voulons réintroduire cette espèce en collaboration avec l'Espagne afin de retrouver cette richesse patrimoniale.
Le milieu le permet et nombreux sont ceux qui souhaitent son retour. C'est en outre une espèce facile à observer et qui permettrait de renforcer le tourisme de nature.
Vous aimez vos Pyrénées, et vous savez vous faire entendre, même jusqu'à Paris. Mais, nous avons tout pour reprendre un travail serein, nous le devons. Et vous avez tout dans les Pyrénées.
Cette force est la vôtre, c'est pourquoi la stratégie pyrénéenne pour la biodiversité sera écrite ici. C'est pourquoi le comité de massif avec sa connaissance de la montagne, son expérience des projets transversaux aura un rôle central.
Nous avons une responsabilité, l'homme n'a pas à choisir les espèces qu'il protège mais il doit déterminer quels équilibres il souhaite atteindre. Ces équilibres ne sont pas un choix scientifique, c'est un choix politique. A nous de le trouver.Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 27 juillet 2010