Extraits de l'entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec RTL le 30 août 2010, sur la réduction des moyens du ministère des affaires étrangères, la polémique suscitée par l'expulsion des Roms et ses conséquences sur l'image de la France et la poursuite de son action au sein du gouvernement.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Ca va, docteur ?
R - Oui, ça va très bien docteur. Je n'ai ni migraine, ni céphalée, et je ne suis pas spécialement déprimé !

Q - Depuis trois ans, vous dirigez la diplomatie française sous l'autorité du président de la République. Le 7 juillet dernier, deux illustres de vos prédécesseurs, Alain Juppé et Hubert Védrine, ont écrit ceci dans le journal "Le Monde" : "Nous sommes inquiets des conséquences pour la France d'un affaiblissement sans précédent de ses réseaux diplomatiques et culturels". Etes-vous le ministre du déclin diplomatique français ?
R - Je suis le ministre des Affaires étrangères ; ils l'étaient, l'un et l'autre - ce qui les rapproche - durant la période bénie de la cohabitation. Je ne les attaque pas ; je n'ai pas cherché à répondre violemment à ces collègues. Il est en effet plus facile dans une période de cohabitation de proposer des solutions aux multiples problèmes. Depuis bien longtemps, près de vingt-cinq ans, le ministère des Affaires étrangères consent à des sacrifices plus que tout autre ministère. Il est plus que tout autre fidèle et il réduit ses moyens - on lui impose souvent.

Q - Tout le monde tire la sonnette d'alarme ! Les ambassadeurs, les anciens secrétaires généraux, les anciens ministres des Affaires étrangères (...) Tous disent la même chose.
R - Eh bien, ils se trompent. J'ai produit les chiffres à la Conférence des ambassadeurs. Je pense que cela s'est très bien passé ; j'ai trouvé des crédits, en particulier pour la réforme culturelle, l'action extérieure de l'Etat, la sécurité des ambassades, ainsi que pour bien d'autres sujets qui sont tout à fait nécessaires. Mais je participe aussi - cela ne m'amuse pas -, parce que tous les ministères le font - à l'effort imposé par la Révision générale des politiques publiques et aux réductions nécessaires.
Quand il faut un budget en équilibre, quand les déficits doivent être comblés, chacun se sacrifie ; le ministère des Affaires étrangères moins que tout autre. On a demandé à tous de ne remplacer qu'un fonctionnaire à la retraite sur deux. Pour ma part, je n'aurai même pas à remplacer un départ sur cinq. C'est exceptionnellement bon pour ce ministère.
La Conférence des ambassadeurs vient de se terminer et je crois qu'ils ont compris et approuvé ma démarche. Ils ont surtout, c'est ce que je voulais, approuver la réforme culturelle qui donnera à la France les moyens nécessaires à sa représentation à l'étranger.

Q - L'image de la France à l'étranger souffre-t-elle de l'expulsion des Roms opérée par le gouvernement cet été ?
R - Si vous parlez de l'image de la France rapportée par la presse étrangère, elle souffre sans aucun doute. C'est pour cela que j'ai expliqué aux ambassadeurs ce que je pensais de ce rapport, tellement excessif, du comité pour l'élimination de la discrimination raciale. La presse reproduit simplement ce qu'il a de négatif et pas ce qu'il a de positif pour lutter contre les discriminations. La France n'a vraiment pas à rougir, au contraire, nous sommes le premier pays d'asile européen ; le deuxième au monde. Nous sommes passés devant les Canadiens. Les Etats-Unis sont le premier pays d'asile ; le deuxième est la France. Mais ce n'est pas parfait, je ne suis pas content de ce qui s'est passé.

Q - De quoi ?
R - Les Roms, je m'en occupe depuis vingt-cinq ans.

Q - De quoi n'êtes-vous pas content, Bernard Kouchner ?
R - Je ne suis pas content de cette polémique, de cette espèce de mayonnaise verbale...

Q - Et de la politique, vous en êtes content ?
R - Quelle politique ? Vous parlez des Roms, ou vous parlez en général ?

Q - Des Roms ?
R - Je pense, tout d'abord, qu'il est nécessaire de faire respecter la loi. Cela ne m'amuse pas, cela me serre le coeur, je m'en occupe depuis vingt-cinq ans... La différence, c'est qu'il y a vingt-cinq ans la Roumanie, la Bulgarie et d'autres pays n'étaient pas dans l'Union européenne ; le mur de Berlin n'était pas tombé. Maintenant, l'Europe existe mais chacun est responsable de l'intégration de ses populations.
Vraiment, cela me fend le coeur de voir les Roms - pas seulement les Roms mais les Roms en particulier - être malmenés, exploités, de voir des enfants drogués pour paraître malades et apitoyer les populations... Il y a une véritable oppression, voire même un esclavagisme de ces populations. Comment faire pour y remédier ? En démissionnant ? J'y ai pensé.
..
Q - Vous avez pensé à la démission à propos des Roms ?
R - Oui, Monsieur, je viens de vous le dire. Mais pour quoi faire ?

Q - Cela dit tout de même votre malaise !
R - Oui, mais mon malaise s'est heurté à la réalité. Nous sommes mobilisés depuis près de quatre ans. Nous avons été les premiers, sous Présidence française de l'Union européenne, à demander une réunion sur les Roms à Bruxelles - cela n'a pas intéressé grand monde -, et puis une autre à Cordoue, où se trouvait Pierre Lellouche. Pierre Lellouche est mon secrétaire d'Etat, il s'occupe de cette affaire. Il a déjà effectué deux voyages en Roumanie et il doit y retourner. Je me suis moi-même rendu deux fois en Roumanie et j'y retournerai également. Nous voulons l'intégration des Roms, avec le soutien financier de l'Europe qui s'élève à près de 20 milliards d'euros, dont 1% seulement a été dépensé. Nous voudrions que les Roms, chez eux, ne soient pas sujets aux mauvaises intentions.

Q - C'est la première fois, si je peux me permettre, depuis que vous êtes ministre des Affaires étrangères, que vous confessez avoir songé à démissionner !
R - Profondément, oui....

Q - Qu'est-ce qui vous a retenu de le faire ?
R - L'efficacité. Qu'est-ce que cela aurait fait pour les Roms ? Il faut absolument s'en occuper beaucoup plus. Encore une fois, j'ai commencé il y a vingt-cinq ans, c'est très difficile. Tout le monde le sait.

Q - Vous parlez de vos états d'âme avec Nicolas Sarkozy ?
R - Bien sûr, si on n'en parle pas avec le président, on en parle avec qui ?

Q - Et il vous a convaincu de rester à votre poste ?
R - Je voudrais finir ma phrase..

Q - Finissez-la..
R - Il est très important de continuer. S'en aller, c'est déserter. S'en aller, c'est accepter.
Premièrement, il faut souligner que ces gens sont partis de façon volontaire. Deuxièmement, lorsque des Roms occupent un terrain illégalement et qu'il y a eu des décisions de justice, il faut les faire appliquer. Vous savez qu'il y a eu une loi Besson, excellente, qui prévoit des aires d'accueil adaptées. Si les Roms s'y installent, personne ne les expulse. Mais dans les endroits qui appartiennent à une municipalité, il faut faire quelque chose. Nous leur avons proposé de partir, ils l'ont fait après des décisions de justice. Dans leur pays d'origine, il y a aussi des projets, financés par la France et par l'Europe. Il faut absolument les mettre en oeuvre, voilà ce qui les protègera.
A propos de la santé, je vais vous donner un exemple : lorsque les Roms font la queue à l'hôpital en Roumanie, très souvent, on ne les accepte pas. Chez nous, illégaux ou pas, nous les traitons et nous scolarisons les enfants.

Q - Vous êtes sur le départ, Bernard Kouchner ?
R - Non, je suis sur le départ de votre studio, mais c'est tout, mon vieux ne vous faites pas d'illusion, je n'ai pas de migraine !

Q - Bernard Kouchner ne sera plus là après le prochain remaniement ?
R - Allez, on parie ?

Q - On parie.
R - Non, vous allez perdre, je ne vais pas vous faire ça !

Q - Allez ! Je veux bien prendre les paris, moi si vous voulez !
R - Oui, alors c'est ça ! Si vous m'invitez dans cinq ans, je ne serais plus là ! Non, écoutez M. Aphatie. Je vais bien. Ne lisez pas les journaux, les complots ! Vous avez vu ma place dans les sondages ? Ce n'est pas pour m'en vanter. Cela fait exactement trois ans et demi qu'on dit que je pars tous les jours.

Q - Bernard Kouchner invité de RTL, ce matin.
(...).

source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 août 2010