Texte intégral
Bienvenue et merci de choisir Europe 1. Je sais qu'ici ou ailleurs les visites matinales du Premier ministre sont plutôt rares. Vous ne parvenez pas à vous habituer, je crois, à ces rendez-vous du petit matin ?
Mais ma parole est plus économe. C'est vrai que je me couche très tard. Ce n'est pas très tôt le matin que je suis le plus efficient.
Et vous êtes plutôt prêt à écouter qu'à participer. Hier vous avez surpris à l'Assemblée et nous le verrons. Vous avez dit : aujourd'hui ce qui est important c'est ce que j'ai fait depuis quatre ans. Et avant ?
J'ai parlé de tout un parcours depuis 30 ans de militant et de responsable socialiste. J'ai été questionné aux questions d'actualité en tant que Premier ministre. C'est pourquoi j'ai fait référence à ces quatre ans, d'autant qu'il se trouve que cela fait à deux jours près quatre ans que j'ai été nommé Premier ministre.
Est-ce que cela veut dire que la vie de L. Jospin a commencé il y a quatre ans ? La vraie vie, celle où vous avez pu agir, montrer ce que vous valez ? Elle a commencé avec le pouvoir du Premier ministre à Matignon ?
Non, sûrement pas malgré le caractère passionnant de ma tâche j'aurai l'impression d'un dessèchement si je pouvais penser que j'avais commencé à vivre à 59 ans. L'histoire d'un homme c'est un mouvement, un itinéraire, c'est un parcours et tout d'une certaine façon est important. De toute façon on a toujours du goût pour sa jeunesse.
On assume toute sa jeunesse. On va le voir. Vous citiez souvent André Malraux : "un homme n'est pas ce qu'il cache, il est ce qu'il fait." Vous le citez aujourd'hui de la même manière ?
Oui, en littérature j'ai toujours été autant intéressé par le roman américain qui est le roman du comportement, le béhaviorisme en anglais, que par l'introspection qui caractérise le roman français ou anglais. Dans la vie sociale et politique, je crois que ce qui est important c'est ce que l'on fait, c'est ce que l'on construit, c'est ce qu'on assume. Ce n'est pas ce qu'on pense aussi en secret parce que là est le lieu de l'intimité, du privé, et que ces sont deux sphères différentes. Même en politique.
Mais à un moment, est-ce que l'on peut dissocier, distinguer ? Est-ce qu'on peut continuer à distinguer quand on est au sommet ?
On peut rapprocher et on peut éventuellement opposer mais à condition de bien comprendre - puisque vous parliez du temps - qu'il s'agit de l'itinéraire d'un homme qui se déroule sur trente à quarante ans. Quand on rapproche ce qui existait il y a trente ou quarante ans et ce qui existe aujourd'hui on crée un effet de contraste. Mais si on regarde ça comme une évolution qui est une évolution personnelle sans doute mais aussi une évolution historique - parce que la société et le monde ont formidablement changé pendant ces quarante ans - peut-être comprend-t-on mieux ?
Vous venez de battre le record historique de longévité d'un chef de gouvernement de gauche - quatre ans - et pourtant il n'y a eu ni cadeau, ni fleur, ni bougie. Cela s'est célébré en catimini. Pourquoi ?
Parce que je pense qu'il faut peut-être s'habituer à trouver normal que des gouvernements, du moins s'ils travaillent et s'ils ont une confiance raisonnable de l'opinion, durent. Je ne vois pas pourquoi on devrait sous la Vème République réveiller l'instabilité ministérielle qu'on promettait à la IVème. Cela fait quatre ans que je gouverne et je ne vois pas pourquoi j'aurais célébré cet événement.
Ce n'est pas parce que vous dîtes : "un bilan - même si ce n'est pas le moment d'en faire - même s'il est bon, ne se retient pas ou moins qu'un projet." ?
A condition que le projet soit retenu par celui qui le propose. A condition qu'on ne tourne pas le dos au projet qu'on a soi-même proposé. Il est clair que dans les prochains rendez-vous, il y aura à la fois un regard sur le bilan et puis l'examen par le peuple d'un projet ou des projets. C'est ça la démocratie.
Vous êtes l'inventeur et le symbole de la majorité plurielle. Elle va vous offrir - on le sent ou en tout cas on le dit - un an de calvaire à coup de surenchères, d'indisciplines, de chantages à la rupture ou à la démission. Est-ce que c'est supportable ?
Je ne le crois pas ou en tout cas je ne le veux pas. J'ai parlé aux différents responsables de la majorité plurielle séparément et ensemble. Pour leur dire que si certains avaient la tentation de s'en sortir mieux - alors que notre bilan collectif est bon et qu'ils le reconnaissent d'ailleurs individuellement - par la différence, la surenchère ou par la critique de l'autre, cela affecterait l'ensemble et affecterait chacun. Donc je crois que les Français ont apprécié dans la majorité plurielle sa diversité mais aussi son unité. Il faut donc continuer. Cette majorité ne m'a jamais fait défaut depuis quatre ans au plan parlementaire. C'est d'ailleurs pourquoi je suis toujours Premier ministre et il faut que cela continue pendant la dernière année.
Mais est-ce qu'il y a un seuil à ne pas franchir et en particulier la dernière année ?
Il faut voter les textes, c'est clair. A partir du moment où on ne vote pas les textes, on risque d'ouvrir des processus de crises politiques.
Et avec de tels alliés, est-ce que la gauche peut encore gagner en 2002 ?
Je ne crois pas si on regarde la cote des personnalités de gauche, si on regarde la cote des partis, si on regarde les intentions de vote pour les élections législatives ou pour l'élection présidentielle que cette question d'une victoire possible de la gauche soit hors de propos. Bien au contraire.
A quelles conditions ?
Il faut continuer à travailler comme nous l'avons fait. Ce Gouvernement a tenu ses engagements. Il les a tenus en matière d'emplois, il les a tenus en matière de réforme sociale. Il les a tenus en matière de modernisation de la société. Il a traité tous les grands dossiers qui se présentaient à lui, les plus difficiles - la Nouvelle-Calédonie, les grands dossiers industriels-, on s'attelle maintenant à la Corse par une méthode dont on disait qu'elle provoquerait des déchirements et finalement on a vu que ce n'était pas le cas à l'Assemblée nationale. Nous agissons de bonne foi pour tenir nos engagements et nous avançons. Cela me paraît être le point principal. Ensuite du débat mais pas de division et enfin la capacité à présenter un projet, les différents candidats - puisqu'on aura une élection présidentielle d'abord - les formations politiques, mais quelque chose qui puisse unir l'ensemble. Avec ça je pense que l'on pourra aborder avec confiance les Français. Ce sont eux qui trancheront.
Vous ne m'avez pas dit : on peut gagner ?
J'ai dit exactement ça. Je n'ai pas voulu employer un terme plus optimiste. Nous devrions gagner si nous sommes capables - à la fois de poursuivre sur le mouvement que nous avons lancé - de rester unis et puis de proposer un nouveau contrat aux Français. Je pense que ce serait logique.
En juin 2001 - c'est-à-dire hier et aujourd'hui - vous reconnaissez que dans les années 1960 vous aviez de l'intérêt pour les idées trotskistes. Il y a six ans vous affirmiez le contraire et vous dites que vous n'avez pas été trotskiste. Ce n'était pas la vérité alors ?
Tant que cette question n'a pas été une interpellation publique, honnêtement je ne voyais pas pourquoi j'aurais spécialement à m'en préoccuper. Je ne crois pas que les gens s'intéressent essentiellement à ce qu'ont été mes engagements dans les années 1960. Effectivement je n'en ai pas parlé. Et c'est vrai qu'une fois je me suis laissé aller à une dénégation.
Est-ce que cela veut dire que vous répondez à la pression politique et la pression des journaux tels que le Nouvel Observateur, l'Express et vous vous dites que vous ne pouvez pas faire autrement ? Je vais dire la vérité mais pourquoi avoir attendu ?
Il y a peut-être un réflexe psychologique : je ne suis pas de la culture de la confession. Je n'ai pas de goût pour les aveux et je ne vois pas pourquoi j'aurais forcément à m'expliquer sur de rencontres et des discussions qui ont toujours eu un caractère privé et qui étaient distincts de mon engagement politique public et ouvert dans le parti socialiste.
Avant le parti socialiste, vous voulez dire que vous n'aviez pas la carte. Mais c'était quelle organisation trotskiste ?
Les contacts et les relations que j'ai eus étaient avec l'organisation communiste internationale, c'est-à-dire un des mouvements du trotskisme. Il faut bien voir dans quel contexte cela est situé. C'était dans un contexte où la droite occupait le pouvoir sans partage, de façon très dur, étouffait la société, confisquait le pouvoir politique, ne laissait aucune place véritable à d'autres débats. C'est d'ailleurs pourquoi tout ça a débouché sur 1968, c'est-à-dire une espèce de révolte de la société. Du côté de la gauche, le parti communiste qui était le plus puissant à l'époque était un parti communiste très lié à l'Union soviétique et plutôt stalinien. Le parti socialiste de F. Mitterrand, celui qu'il a créé à partir de 1971 n'existait pas dans ce contexte des rencontres - le hasard de rencontres individuelles et intellectuelles m'ont amené à rencontrer ce mouvement et je dois dire que j'ai trouvé cette aventure intellectuelle tout à fait passionnante.
On ne reproche pas l'aventure mais on se dit : pourquoi est-ce si encombrant ou compromettant que vous ne le disiez pas. Vous avez lu la presse ce matin : on parle de "premiers aveux", "demi-aveux" " mensonges". Est-ce que vous même vous estimez avoir préféré une demi-vérité, une dissimulation, un mensonge ou une contre- vérité ? Comment le qualifiez-vous ?
Vous me parlez au passé de ce qui ne caractérise plus la situation d'aujourd'hui. Aujourd'hui, je suis interpellé publiquement ; je réponds en disant les liens que j'ai eus dans les années 60 avec ce mouvement, j'en explique le contexte.
Ce n'était donc pas votre frère Olivier ?
J'ai cru de bonne foi, quand les premiers murmures ont été avancés, qu'il s'agissait d'une confusion avec mon frère qui était un militant ouvert, déclaré de cette formation alors que moi, j'avais simplement des contacts et des relations d'une autre nature.
C'est le passé, vous avez dit tout à l'heure que vous l'assumez. Mais n'était-ce pas maladroit de le nier ?
Cela fait quatre fois que vous revenez sur cette histoire de négation, au moment où justement je suis dans l'affirmation !
Pendant la campagne, on va vous répéter "marxiste, trotskiste" , non pas parce que vous l'avez été mais parce que vous ne l'avez pas dit.
Maintenant c'est dit.
Expliquons les faits : vous étiez à l'ENA et vous aviez en même temps ces contacts de caractère personnel et intellectuel. Comment peut-on marier Trotski et l'ENA, l'école la plus élitiste et bourgeoise ? Comment marier le feu et l'eau ?
Vous croyez trop en la simplicité des hommes en des époques qui sont riches et complexes. Le fait d'avoir rencontré un certain nombre de personnalités fortes, des militants ouvriers, des autodidactes, parfois des intellectuels, a été un très utile contrepoint à la formation qui m'a été dispensée, par ailleurs excellente, à l'ENA. J'ai dit "contrepoint" mais j'aurais pu dire "antidote". Dans cette période d'incroyable conformisme, c'était une nourriture intellectuelle un peu moins fade. Comme j'étais de toute façon un homme de gauche, comme mes deux grandes motivations - comme je l'ai dit hier à l'Assemblée nationale - étaient l'anticolonialisme et l'anti-stalinisme, l'anti-totalitarisme, ces idées m'ont séduites. Il s'agit d'une séduction intellectuelle et politique.
D'un côté la révolution et la lutte contre le capitalisme et de l'autre, la gestion du capitalisme : c'est pourquoi je parle de contradiction de l'eau et du feu.
Soyons très clair : l'ENA, dans ma culture et dans la culture de ma famille, c'était le service public et non pas le capitalisme. C'était le service de l'intérêt général du pays. Je ne suis pas entré dans le privé à la sortie de l'école, je n'ai pas été dans de grandes entreprises mais dans le service public où on est moins payé mais où on a le sentiment c'était en tout cas ma culture, qu'on va servir l'intérêt général. L'opposition n'est absolument pas celle que vous dites.
En 1971 et 1972, vous entrez au PS. Vous étiez trotskiste.
Non. Quand je rentre au PS, particulièrement quand je prends des responsabilités au PS, j'agis comme un militant et un responsable socialiste. Je l'ai fait depuis 30 ans. Je ne vois d'ailleurs aucun moment de mon action publique, que vous suivez depuis des années, aucun moment de mes déclarations qui ait paru entaché par d'autres préjugés.
Il ne s'agit pas de mettre en accusation L. Jospin mais d'expliquer, puisque vous acceptez de le faire. Un trotskiste qui entre au PS n'est-il plus trotskiste ou donne-t-il des couleurs trotskistes au PS ?
Je ne sais pas comment c'était pour d'autres. En tout cas, moi je suis entré librement au PS et j'y ai agi librement. Encore aujourd'hui, je suis un individu libre. J'ai été militant, puis F. Mitterrand m'a proposé de rentrer au secrétariat national du PS. De 1973 à 1981, j'ai pris des responsabilités croissantes dans cette formation politique. J'ai fait ses campagnes, je l'ai dirigé. J'étais pleinement - et je suis pleinement - socialiste.
F. Mitterrand savait-il ?
Je n'en sais rien. Je pense que quelques uns ont dû le lui murmurer mais nous n'en n'avons jamais parlé. Je pense que ma façon d'agir lui convenait.
A partir de quel moment avez-vous réellement pris vos distances ? Est-ce une distance progressive ou une rupture. Y a-t-il une date ?
Ces questions de datation n'ont pas vraiment d'intérêt car à partir du moment où j'ai été un responsable socialiste, dès 1973, j'ai agi pleinement comme un militant socialiste. Tout le reste relevait de contacts et de discussions à caractère privé que j'ai pu continuer à avoir. Ces contacts, d'une certaine façon, me regardent. Sinon, regardez ce que j'ai fait de 1973 à 1981, encore après comme ministre de l'Education ou autre et dites-moi si cela pose problème.
Avez-vous arrêté ces contacts ? A quel moment ?
C'est un processus. Vous ne passez pas d'un engagement, de tentations de jeunesse à d'autres responsabilités sans que se produise une lente évolution que vous partagez avec d'autres, qui accompagne une évolution historique majeure. Il ne vous a pas échappé quand même que pendant ces mêmes années, la société internationale, la géopolitique internationale a été profondément modifiée. Tout le monde bouge.
Certes. En tant que Premier secrétaire du parti de 1981 à 1988, les contacts étaient finis ?
J'ai eu des contacts individuels avec très peu de gens pendant une période. Cette démarche intellectuelle était pour moi intéressante et stimulante. Elle n'a en rien empêché que j'exerce mes activités.
A votre avis, qui est derrière ce que l'on lit. Pourquoi maintenant cette interrogation qui montait depuis longtemps ?
Je ne pense pas que quelqu'un soit derrière. Cela n'a pas d'importance et même, d'une certaine façon, cela me permet, à travers le temps, de me mettre en accord avec moi-même, dans un long processus. Que cela vienne. Tant qu'on n'en parlait pas publiquement, je n'avais pas de raison de m'expliquer sur des choses à mon avis tout à fait honorables. Maintenant, c'est évoqué publiquement, j'en parle publiquement. C'est très bien.
Cela vous coûte-t-il puisque vous aimez garder une part personnelle ou secrète en vous - je ne vous parle pas de mystère ?
Je n'aime pas les tracts, les jugements, les procès. Je n'ai pas de goût pour la confession.
Je n'ai rien d'un prêtre ! Pouvez-vous répéter comme au Figaro Magazine, il y a 15 jours, que vous espérez que le moment venu les Français choisiront une forme d'authenticité et de vérité ?
Bien sûr. L'authenticité se juge aussi sur un parcours. Il s'agit de savoir au fond si ce parcours, en cette période du siècle, a sa cohérence ou s'il y a une contradiction majeure. Je ne le crois pas.
Finalement, vous avez l'occasion de dire tout ou presque tout sur Europe 1 ou à l'Assemblée nationale.
Sans m'encombrer de détails, j'ai dit ce qui est l'essentiel de la vérité de ma vie.
Y a-t-il encore des choses secrètes?
Non.
Est-ce un argument de transparence que vous pouvez désormais utiliser. Pensez-vous à 2002 ?
Je ne sais pas ce que je ferai en 2002. Je vous ai dit que je suis totalement libre. Ces décisions seront prises au début de l'année 2002.
Je ne suis pas membre de la majorité plurielle, ce n'est pas la peine de me dire cela car je pourrais ne pas le croire.
Une chose n'entraîne pas de discussion : la décision sera prise au début 2002. Ce n'est pas un problème de croyance, c'est un fait. Aucune décision ne sera prise avant en ce qui concerne le candidat des socialistes pour l'élection présidentielle.
L. Jospin n'a pas pris de décision personnelle ?
Dans la vie publique, vous prenez une décision quand elle est dite et que vous l'assumez. Et je pense que si on s'en tenait à cette clé, on comprendrait mieux un certain nombre de choses.
Vous avez dit à la fin de votre intervention hier une petite phrase ; je pense qu'elle n'a pas été relevée : "J'invite chacun, sur tout sujet, à donner sa vérité". C'est-à-dire...?
Je veux dire simplement que chacun, effectivement, s'il peut être interrogé sur ses actes, ses responsabilités, peut être amené à répondre.
C'est qui, chacun ? [...] Ce qu'un Premier ministre est contraint de faire, n'importe quel personnage, y compris le plus haut, peut le faire aussi...
C'est le commentaire d'Elkabbach.
Il n'y a pas de réponse... En quoi cette formation vous a-t-elle appris à comprendre le monde d'aujourd'hui et, si je vais un peu plus loin, peut-être pas la droite, mais vos alliés adversaires d'aujourd'hui ? Est-ce que vous les comprenez mieux à cause de ce que vous avez vécu dans cet itinéraire dont vous parlez ?
Je crois que ces contacts intellectuels, ce travail d'analyse m'ont très bien permis de comprendre les phénomènes du totalitarisme, ce qu'était l'URSS stalinienne et aussi l'URSS à l'époque de Brejnev, et pourquoi tout cela s'est effondré. C'était une école de lucidité sur les rapports de force dans le monde politique et dans le monde social. Cela aidait à comprendre aussi la réalité sociale de mon pays. D'une certaine façon, j'ai fait l'expérience de la radicalité. Donc je comprends peut-être mieux que d'autres, un certain nombre de mouvements radicaux rattachés à l'extrême gauche. Voilà peut-être quelques-unes des leçons que je peux tirer de ce que vous appelez "cette formation" qui n'a pas été unique et exclusive.
J'en suis sûr, vous disiez que vous aimiez la littérature américaine... A la fois Trotsky et les Américains, Faulkner et d'autres...
Un jeune homme un peu vivant, pas trop conformiste, fait son miel de beaucoup de choses.
On ne peut pas le lui reprocher, mais on peut dire qu'à un moment, il a moins cru à la révolution qu'à la réforme et à l'évolution par d'autres moyens que la violence ou la radicalité.
Si vous regardez l'évolution du siècle, l'évolution de la société, le bilan tiré sur le communisme tel qu'il s'est développé en URSS, la réalité économique internationale, ce qu'on appelle la globalisation. C'est vrai que pour un homme comme moi, compte tenu des responsabilités que j'ai été amené progressivement à prendre, à partir d'un certain moment, il vaut mieux, plutôt que de rêver la révolution, faire la réforme.
Je m'adresse au Premier ministre L. Jospin : il va y avoir des manifestations samedi 9 juin contre les licenciements pour qu'ils soient interdits, pour que l'administration ou le juge s'oppose aux chefs d'entreprise. Est-ce qu'on arrivera à vous imposer ces souhaits ?
D'abord, resituons le contexte. En quatre ans, 1 500 000 emplois ont été créés dans ce pays - je crois que nous y avons contribué par notre politique économique et sociale. Le chômage a diminué d'1 050 000 personnes (sic), c'est un phénomène majeur dans la vie des Français, pour les familles concrètement. Plus d'un million de chômeurs et de chômeuses en moins, cela concerne des millions et des millions de familles en France. Les licenciements économiques, dont on parle, qui sont faits par les entreprises, non pas sur une base individuelle mais sur une base collective, parce qu'elles disent qu'elles en ont besoin pour maintenir leur efficacité - chose qui doit être vérifiée - ont effectivement diminué de 40 % depuis quatre ans. Donc on n'est pas sur une tendance à l'augmentation de ces licenciements économiques, mais on est sur une tendance à leur diminution. Mais évidemment, on ne voit pas et on ne montre pas à la télé ou on ne fait pas s'exprimer en radio, tous les deux jours, les centaines de milliers de chômeurs et de chômeuses qui ne sont plus au chômage et qui pourraient aussi traduire une réalité vécue, une réalité psychologique.
Donc ceux qui vont manifester le 9 ne comprennent pas justement ce qui est en train de se passer ?
Non, le 9, un certain nombre de gens se mobilisent pour lutter contre des licenciements économiques. Je comprends tout à fait cette mobilisation. C'est d'ailleurs aussi le rôle des syndicats que de se mobiliser. Et nous-même, Gouvernement, avons dans la loi de modernisation sociale introduit d'abord ce qu'on a appelé l'amendement Michelin, c'est-à-dire une réaction des propositions plus dures pour réagir aux licenciements qui ont eu lieu chez Michelin, il y a plus d'un an ; nous avons même introduit des éléments nouveaux. Je dis simplement qu'on met le projecteur sur ceux qui sont licenciés dans des entreprises ; il y a des mobilisations et ces mobilisations sont justes. Il y a un changement positif de la législation ; c'est dans ce sens que nous allons. Je pense par ailleurs que l'on ne peut pas mettre un veto sur les licenciements et interdire le licenciement. On pourrait aussi interdire le chômage ou la maladie. Donc il faut une législation qui encadre mieux les choses et comme nous n'avons pas pu arriver à un accord au sein de la majorité sur ce point, nous sommes en train de discuter, nous avons un dialogue pour renforcer encore ces dispositions. Il ne faut pas pour autant que la législation française se distingue totalement des législations qui existent dans les autres pays européens ou dans les pays développés, notamment les pays les plus avancés en matière de droit social, sinon nous serions pénalisés économiquement. Voilà l'équilibre que nous allons trouver.
Ferez-vous de nouvelles concessions à R. Hue pour que le PC, je ne dis pas vote, mais en tout cas ne vote pas contre la loi de modernisation sociale ?
Si cette loi de modernisation sociale ne passait pas, cela voudrait dire que les mesures qui durcissent le licenciement ne seraient pas prises, que les dispositions sur les acquis professionnels qui permettent à des gens qui ont travaillé mais qui n'ont pas fait d'études de capitaliser leur travail pour obtenir des diplômes, ne seraient pas validées, que les mesures sur le harcèlement au travail et les dispositions positives pour les salariés ne seraient pas prises. Je pense que cela ne sera pas le cas. Comme nous allons améliorer le texte, je pense que nous aurons un accord. Si ce n'était pas le cas, nous aurions alors effectivement une vraie difficulté politique.
La croissance est en train de ralentir en Europe, en Allemagne et en France, "incontestablement" disait hier L. Fabius. Est-ce que le budget 2002 va s'en ressentir ? Il sera morose dit aujourd'hui La Croix. Tiendrez-vous le budget avec rigueur ou le laisserez-vous en disant que les dirigeants de 2003, quels qu'ils soient, se débrouilleront ?
On ne peut pas raisonner de cette façon. D'abord, il est possible que ce soit nous, ce serait donc une politique de gribouille. De plus, nous n'avons pas à laisser à nos éventuels successeurs je ne sais quelles ardoises. Nous conduirons ce budget comme nous le faisons, en permettant de financer les grandes options et les grandes politiques de l'Etat et en permettant que continue à se réduire le déficit public de la France. Nous avons trouvé en 1997 un déficit des comptes publics supérieur à 4 %, nous en sommes pratiquement à 1 %.
C'est-à-dire que les promesses de L. Jospin et de L. Fabius sur le budget seront tenues même si la croissance baisse ?
Evidemment; d'ailleurs, la discussion budgétaire sur le budget 2002 commence seulement maintenant entre les ministres. La croissance baisse ?! Depuis 4 ans, nous avons eu un certain nombres de trous d'air, d'accidents.
Cela pourrait donc être un trou d'air et non une inversion de cycle, une tendance ?
La différence, c'est ce qui est préoccupant, est que dans les trous d'air dont je parle, il s'est plutôt agi de l'effet de crises spéculatives qui se sont produites en Asie, en Russie ou en Amérique latine alors que là, l'effet vient sans doute du ralentissement de l'économie américaine. Plus l'économie américaine repartira vite, meilleure sera la situation pour les pays européens. Moins elle repartira vite, plus nous serons face à une conjoncture morose. Mais je rappelle que, grâce à la politique économique et sociale que nous avons menée notamment aux mesures en faveur de la consommation des Français, le taux de croissance en France est plus élevé que celui de l'Italie ou de l'Allemagne. Nous sommes dans une situation meilleure. Nous nous efforcerons de tenir compte de la conjoncture mais la politique d'un gouvernement n'est pas simplement l'application de la conjoncture. On crée la conjoncture, c'est ce que nous avons fait par notre politique des 35 h, des emplois-jeunes. La politique réformatrice du gouvernement se poursuit.
E.-A. Seillière, votre ami de jeunesse qui n'a jamais été trotskiste ....
Vous voyez, multiplication de mes expériences !
Il a peut-être, lui, d'autres formes d'expériences... Il vous demande de ne pas détourner les fonds de la sécurité sociale pour financer les 35 h. Il dit "pas de ponctions forcées". Que lui répondez-vous ?
Il n'y a aucun détournement des fonds de la sécurité sociale. Je rappelle que lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, la Sécurité sociale était en déficit de 55 milliards. La Commission des comptes de la Sécurité sociale se réunira demain. Je pense qu'on constatera que pour l'année 2000, la Sécurité sociale est en excédent. Donc, nous l'avons redressée. Simplement, nous avons dit depuis le début, M. Aubry notamment et E. Guigou suit notre politique, qu'à partir du moment où l'effet des 35 h est de réduire le chômage - 375 000 certainement - , d'augmenter les cotisations de la sécurité sociale puisque des salaires nouveaux sont distribués aux travailleurs, de diminuer les prestations chômage puisqu'il y a moins de chômeurs, la Sécurité sociale comme le budget de l'Etat a profité largement de cette politique des 35h donc il est normal qu'il en prenne sa juste part. Pas plus que sa part mais sa juste part.
Ce que le Medef appelle "détournement".
Ces mots n'ont pas lieu d'être. Je ne les emploie pas à l'égard des dirigeants du Medef, dans aucun domaine d'ailleurs. Je n'ai pas parlé d'AOM-Air Liberté alors qu'on pourrait en discuter car ce sont aussi des questions de responsabilités. Je dis ce que nous avons dit depuis le début, il n'y a pas de surprise. La Sécurité sociale a profité de la politique des 35 h : elle doit donc raisonnablement participer des dépenses nécessaires, pas nécessairement pour les 35 h mais pour d'autres choses.
Un mot de l'Europe. Le Traité de Nice est en débat de ratification au Parlement, le vote aura lieu le 12 juin. Je ne sais pas si c'est votre traité pour votre Europe. Avez-vous l'impression d'avoir tout dit de ce que contient votre agenda-programme sur l'Europe pour les 5 prochaines années ?
J'ai participé à un débat qui s'ouvre en France et à un débat qui s'ouvre en Europe sur l'avenir de l'Europe élargie. J'ai fait des propositions. Ce qui m'a rendu heureux, c'est que ces propositions non seulement ont reçu le soutien fort des socialistes au Parlement européen mais ont, je crois, intéressé les commentateurs en France.
On se dit "Enfin il parle de l'Europe ! Peut-être qu'il ne pouvait pas le faire pour différentes raison de politique intérieure mais enfin il le fait."
J'avais expliqué que je ne voulais pas m'exprimer après le Président de la République, éventuellement différemment, pendant la présidence française. La présidence française devait être un moment de travail et d'harmonie. Maintenant, c'est le débat : j'ai avancé mes propres idées autour de deux grands thèmes. Il faut parler des institutions de l'Europe, il faut les moderniser mais tout cela n'a de sens que si l'Europe a vraiment un projet de civilisation et une vision du monde, une capacité à peser sur le monde. Ce qui réunit les Européens, c'est une civilisation et non pas seulement des institutions. Le deuxième point, c'est avoir une démarche ambitieuse, d'où toutes les propositions que je fais pour améliorer le fonctionnement de l'Europe ou pour densifier ses politiques mais qui soient réalistes car au bout du compte, comme à Nice, il faudra conclure à l'unanimité, c'est-à-dire par consensus.
Quand on dit réaliste on ne dit pas tiède. On ne dit pas une conversation tardive ou on ne dit pas des convictions molles sur l'Europe. Je vous choque là.
Vous ne me choquez pas du tout parce que cela ne s'adresse pas à mon propos. Si j'en juge par ce qu'ont été les réactions dans les capitales européennes, chez mes collègues Premiers ministres européens, je crois que le propos que j'ai essayé de tenir - qui d'ailleurs s'inspirait aussi de la pensée de J. Delors avec qui j'en ai parlé - m'a paru être au centre du débat européen.
Vous êtes donc content de ce que vous avez dit ? Mais je vous ai demandé si c'était le programme de Jospin sur l'Europe pour les cinq prochaines années ?
C'est une participation à un débat, c'est une autre étape de cette discussion puisqu'elle doit se conclure pour 2004. Il y aura à adopter une position française. C'est-à-dire que le ou la Président de la république de l'époque et la majorité de l'époque - puisque ce sera après 2002 - auront à arrêter une position officielle de la France dans les discussions européennes. Nous n'en sommes pas à ce stade. C'est un responsable politique - celui que je suis - qui s'est exprimé. Quand je vois les réactions de mes collègues européens, j'ai l'impression que la position que j'ai essayée de définir est au centre de gravité du débat européen et sera utile au consensus final.
Quand on vous écoute parler d'autre chose que de l'itinéraire - je ne dis pas du passé - vous êtes à l'aise, vous essayez de vous battre, vous êtes convaincant mais êtes-vous même satisfait de vous ou de l'action du gouvernement ? Le seul embarras c'est le passé ?
C'est certainement moins un embarras aujourd'hui qu'hier.
Vous êtes soulagé ?
Je n'en sais rien, en tout cas, cela m'a permis de dire aussi cette vérité. C'est très bien.
Est-ce que tout ce tohu bohu explicable autour du moment trotskiste de votre passé vous fait douter pour votre suite, pour la suite ?
Non je vous dis que je suis un homme libre comme je l'ai été à chaque étape. Ce que vous appelez un tohu bohut est un moment.
Vous n'avez pas l'impression que vous êtes ce que vous détestiez et ce que vous combattiez il y a quarante ans, c'est-à-dire un social démocrate réformiste ?
Je suis un social démocrate réformiste. L'important est de faire effectivement des réformes - pas simplement d'en parler - et de faire de bonnes réformes. C'est ce que je m'efforce de faire. Je pense qu'il y a quelque chose de cohérent dans cette histoire. En tout cas, c'est la mienne.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 7 juin 2001)
Mais ma parole est plus économe. C'est vrai que je me couche très tard. Ce n'est pas très tôt le matin que je suis le plus efficient.
Et vous êtes plutôt prêt à écouter qu'à participer. Hier vous avez surpris à l'Assemblée et nous le verrons. Vous avez dit : aujourd'hui ce qui est important c'est ce que j'ai fait depuis quatre ans. Et avant ?
J'ai parlé de tout un parcours depuis 30 ans de militant et de responsable socialiste. J'ai été questionné aux questions d'actualité en tant que Premier ministre. C'est pourquoi j'ai fait référence à ces quatre ans, d'autant qu'il se trouve que cela fait à deux jours près quatre ans que j'ai été nommé Premier ministre.
Est-ce que cela veut dire que la vie de L. Jospin a commencé il y a quatre ans ? La vraie vie, celle où vous avez pu agir, montrer ce que vous valez ? Elle a commencé avec le pouvoir du Premier ministre à Matignon ?
Non, sûrement pas malgré le caractère passionnant de ma tâche j'aurai l'impression d'un dessèchement si je pouvais penser que j'avais commencé à vivre à 59 ans. L'histoire d'un homme c'est un mouvement, un itinéraire, c'est un parcours et tout d'une certaine façon est important. De toute façon on a toujours du goût pour sa jeunesse.
On assume toute sa jeunesse. On va le voir. Vous citiez souvent André Malraux : "un homme n'est pas ce qu'il cache, il est ce qu'il fait." Vous le citez aujourd'hui de la même manière ?
Oui, en littérature j'ai toujours été autant intéressé par le roman américain qui est le roman du comportement, le béhaviorisme en anglais, que par l'introspection qui caractérise le roman français ou anglais. Dans la vie sociale et politique, je crois que ce qui est important c'est ce que l'on fait, c'est ce que l'on construit, c'est ce qu'on assume. Ce n'est pas ce qu'on pense aussi en secret parce que là est le lieu de l'intimité, du privé, et que ces sont deux sphères différentes. Même en politique.
Mais à un moment, est-ce que l'on peut dissocier, distinguer ? Est-ce qu'on peut continuer à distinguer quand on est au sommet ?
On peut rapprocher et on peut éventuellement opposer mais à condition de bien comprendre - puisque vous parliez du temps - qu'il s'agit de l'itinéraire d'un homme qui se déroule sur trente à quarante ans. Quand on rapproche ce qui existait il y a trente ou quarante ans et ce qui existe aujourd'hui on crée un effet de contraste. Mais si on regarde ça comme une évolution qui est une évolution personnelle sans doute mais aussi une évolution historique - parce que la société et le monde ont formidablement changé pendant ces quarante ans - peut-être comprend-t-on mieux ?
Vous venez de battre le record historique de longévité d'un chef de gouvernement de gauche - quatre ans - et pourtant il n'y a eu ni cadeau, ni fleur, ni bougie. Cela s'est célébré en catimini. Pourquoi ?
Parce que je pense qu'il faut peut-être s'habituer à trouver normal que des gouvernements, du moins s'ils travaillent et s'ils ont une confiance raisonnable de l'opinion, durent. Je ne vois pas pourquoi on devrait sous la Vème République réveiller l'instabilité ministérielle qu'on promettait à la IVème. Cela fait quatre ans que je gouverne et je ne vois pas pourquoi j'aurais célébré cet événement.
Ce n'est pas parce que vous dîtes : "un bilan - même si ce n'est pas le moment d'en faire - même s'il est bon, ne se retient pas ou moins qu'un projet." ?
A condition que le projet soit retenu par celui qui le propose. A condition qu'on ne tourne pas le dos au projet qu'on a soi-même proposé. Il est clair que dans les prochains rendez-vous, il y aura à la fois un regard sur le bilan et puis l'examen par le peuple d'un projet ou des projets. C'est ça la démocratie.
Vous êtes l'inventeur et le symbole de la majorité plurielle. Elle va vous offrir - on le sent ou en tout cas on le dit - un an de calvaire à coup de surenchères, d'indisciplines, de chantages à la rupture ou à la démission. Est-ce que c'est supportable ?
Je ne le crois pas ou en tout cas je ne le veux pas. J'ai parlé aux différents responsables de la majorité plurielle séparément et ensemble. Pour leur dire que si certains avaient la tentation de s'en sortir mieux - alors que notre bilan collectif est bon et qu'ils le reconnaissent d'ailleurs individuellement - par la différence, la surenchère ou par la critique de l'autre, cela affecterait l'ensemble et affecterait chacun. Donc je crois que les Français ont apprécié dans la majorité plurielle sa diversité mais aussi son unité. Il faut donc continuer. Cette majorité ne m'a jamais fait défaut depuis quatre ans au plan parlementaire. C'est d'ailleurs pourquoi je suis toujours Premier ministre et il faut que cela continue pendant la dernière année.
Mais est-ce qu'il y a un seuil à ne pas franchir et en particulier la dernière année ?
Il faut voter les textes, c'est clair. A partir du moment où on ne vote pas les textes, on risque d'ouvrir des processus de crises politiques.
Et avec de tels alliés, est-ce que la gauche peut encore gagner en 2002 ?
Je ne crois pas si on regarde la cote des personnalités de gauche, si on regarde la cote des partis, si on regarde les intentions de vote pour les élections législatives ou pour l'élection présidentielle que cette question d'une victoire possible de la gauche soit hors de propos. Bien au contraire.
A quelles conditions ?
Il faut continuer à travailler comme nous l'avons fait. Ce Gouvernement a tenu ses engagements. Il les a tenus en matière d'emplois, il les a tenus en matière de réforme sociale. Il les a tenus en matière de modernisation de la société. Il a traité tous les grands dossiers qui se présentaient à lui, les plus difficiles - la Nouvelle-Calédonie, les grands dossiers industriels-, on s'attelle maintenant à la Corse par une méthode dont on disait qu'elle provoquerait des déchirements et finalement on a vu que ce n'était pas le cas à l'Assemblée nationale. Nous agissons de bonne foi pour tenir nos engagements et nous avançons. Cela me paraît être le point principal. Ensuite du débat mais pas de division et enfin la capacité à présenter un projet, les différents candidats - puisqu'on aura une élection présidentielle d'abord - les formations politiques, mais quelque chose qui puisse unir l'ensemble. Avec ça je pense que l'on pourra aborder avec confiance les Français. Ce sont eux qui trancheront.
Vous ne m'avez pas dit : on peut gagner ?
J'ai dit exactement ça. Je n'ai pas voulu employer un terme plus optimiste. Nous devrions gagner si nous sommes capables - à la fois de poursuivre sur le mouvement que nous avons lancé - de rester unis et puis de proposer un nouveau contrat aux Français. Je pense que ce serait logique.
En juin 2001 - c'est-à-dire hier et aujourd'hui - vous reconnaissez que dans les années 1960 vous aviez de l'intérêt pour les idées trotskistes. Il y a six ans vous affirmiez le contraire et vous dites que vous n'avez pas été trotskiste. Ce n'était pas la vérité alors ?
Tant que cette question n'a pas été une interpellation publique, honnêtement je ne voyais pas pourquoi j'aurais spécialement à m'en préoccuper. Je ne crois pas que les gens s'intéressent essentiellement à ce qu'ont été mes engagements dans les années 1960. Effectivement je n'en ai pas parlé. Et c'est vrai qu'une fois je me suis laissé aller à une dénégation.
Est-ce que cela veut dire que vous répondez à la pression politique et la pression des journaux tels que le Nouvel Observateur, l'Express et vous vous dites que vous ne pouvez pas faire autrement ? Je vais dire la vérité mais pourquoi avoir attendu ?
Il y a peut-être un réflexe psychologique : je ne suis pas de la culture de la confession. Je n'ai pas de goût pour les aveux et je ne vois pas pourquoi j'aurais forcément à m'expliquer sur de rencontres et des discussions qui ont toujours eu un caractère privé et qui étaient distincts de mon engagement politique public et ouvert dans le parti socialiste.
Avant le parti socialiste, vous voulez dire que vous n'aviez pas la carte. Mais c'était quelle organisation trotskiste ?
Les contacts et les relations que j'ai eus étaient avec l'organisation communiste internationale, c'est-à-dire un des mouvements du trotskisme. Il faut bien voir dans quel contexte cela est situé. C'était dans un contexte où la droite occupait le pouvoir sans partage, de façon très dur, étouffait la société, confisquait le pouvoir politique, ne laissait aucune place véritable à d'autres débats. C'est d'ailleurs pourquoi tout ça a débouché sur 1968, c'est-à-dire une espèce de révolte de la société. Du côté de la gauche, le parti communiste qui était le plus puissant à l'époque était un parti communiste très lié à l'Union soviétique et plutôt stalinien. Le parti socialiste de F. Mitterrand, celui qu'il a créé à partir de 1971 n'existait pas dans ce contexte des rencontres - le hasard de rencontres individuelles et intellectuelles m'ont amené à rencontrer ce mouvement et je dois dire que j'ai trouvé cette aventure intellectuelle tout à fait passionnante.
On ne reproche pas l'aventure mais on se dit : pourquoi est-ce si encombrant ou compromettant que vous ne le disiez pas. Vous avez lu la presse ce matin : on parle de "premiers aveux", "demi-aveux" " mensonges". Est-ce que vous même vous estimez avoir préféré une demi-vérité, une dissimulation, un mensonge ou une contre- vérité ? Comment le qualifiez-vous ?
Vous me parlez au passé de ce qui ne caractérise plus la situation d'aujourd'hui. Aujourd'hui, je suis interpellé publiquement ; je réponds en disant les liens que j'ai eus dans les années 60 avec ce mouvement, j'en explique le contexte.
Ce n'était donc pas votre frère Olivier ?
J'ai cru de bonne foi, quand les premiers murmures ont été avancés, qu'il s'agissait d'une confusion avec mon frère qui était un militant ouvert, déclaré de cette formation alors que moi, j'avais simplement des contacts et des relations d'une autre nature.
C'est le passé, vous avez dit tout à l'heure que vous l'assumez. Mais n'était-ce pas maladroit de le nier ?
Cela fait quatre fois que vous revenez sur cette histoire de négation, au moment où justement je suis dans l'affirmation !
Pendant la campagne, on va vous répéter "marxiste, trotskiste" , non pas parce que vous l'avez été mais parce que vous ne l'avez pas dit.
Maintenant c'est dit.
Expliquons les faits : vous étiez à l'ENA et vous aviez en même temps ces contacts de caractère personnel et intellectuel. Comment peut-on marier Trotski et l'ENA, l'école la plus élitiste et bourgeoise ? Comment marier le feu et l'eau ?
Vous croyez trop en la simplicité des hommes en des époques qui sont riches et complexes. Le fait d'avoir rencontré un certain nombre de personnalités fortes, des militants ouvriers, des autodidactes, parfois des intellectuels, a été un très utile contrepoint à la formation qui m'a été dispensée, par ailleurs excellente, à l'ENA. J'ai dit "contrepoint" mais j'aurais pu dire "antidote". Dans cette période d'incroyable conformisme, c'était une nourriture intellectuelle un peu moins fade. Comme j'étais de toute façon un homme de gauche, comme mes deux grandes motivations - comme je l'ai dit hier à l'Assemblée nationale - étaient l'anticolonialisme et l'anti-stalinisme, l'anti-totalitarisme, ces idées m'ont séduites. Il s'agit d'une séduction intellectuelle et politique.
D'un côté la révolution et la lutte contre le capitalisme et de l'autre, la gestion du capitalisme : c'est pourquoi je parle de contradiction de l'eau et du feu.
Soyons très clair : l'ENA, dans ma culture et dans la culture de ma famille, c'était le service public et non pas le capitalisme. C'était le service de l'intérêt général du pays. Je ne suis pas entré dans le privé à la sortie de l'école, je n'ai pas été dans de grandes entreprises mais dans le service public où on est moins payé mais où on a le sentiment c'était en tout cas ma culture, qu'on va servir l'intérêt général. L'opposition n'est absolument pas celle que vous dites.
En 1971 et 1972, vous entrez au PS. Vous étiez trotskiste.
Non. Quand je rentre au PS, particulièrement quand je prends des responsabilités au PS, j'agis comme un militant et un responsable socialiste. Je l'ai fait depuis 30 ans. Je ne vois d'ailleurs aucun moment de mon action publique, que vous suivez depuis des années, aucun moment de mes déclarations qui ait paru entaché par d'autres préjugés.
Il ne s'agit pas de mettre en accusation L. Jospin mais d'expliquer, puisque vous acceptez de le faire. Un trotskiste qui entre au PS n'est-il plus trotskiste ou donne-t-il des couleurs trotskistes au PS ?
Je ne sais pas comment c'était pour d'autres. En tout cas, moi je suis entré librement au PS et j'y ai agi librement. Encore aujourd'hui, je suis un individu libre. J'ai été militant, puis F. Mitterrand m'a proposé de rentrer au secrétariat national du PS. De 1973 à 1981, j'ai pris des responsabilités croissantes dans cette formation politique. J'ai fait ses campagnes, je l'ai dirigé. J'étais pleinement - et je suis pleinement - socialiste.
F. Mitterrand savait-il ?
Je n'en sais rien. Je pense que quelques uns ont dû le lui murmurer mais nous n'en n'avons jamais parlé. Je pense que ma façon d'agir lui convenait.
A partir de quel moment avez-vous réellement pris vos distances ? Est-ce une distance progressive ou une rupture. Y a-t-il une date ?
Ces questions de datation n'ont pas vraiment d'intérêt car à partir du moment où j'ai été un responsable socialiste, dès 1973, j'ai agi pleinement comme un militant socialiste. Tout le reste relevait de contacts et de discussions à caractère privé que j'ai pu continuer à avoir. Ces contacts, d'une certaine façon, me regardent. Sinon, regardez ce que j'ai fait de 1973 à 1981, encore après comme ministre de l'Education ou autre et dites-moi si cela pose problème.
Avez-vous arrêté ces contacts ? A quel moment ?
C'est un processus. Vous ne passez pas d'un engagement, de tentations de jeunesse à d'autres responsabilités sans que se produise une lente évolution que vous partagez avec d'autres, qui accompagne une évolution historique majeure. Il ne vous a pas échappé quand même que pendant ces mêmes années, la société internationale, la géopolitique internationale a été profondément modifiée. Tout le monde bouge.
Certes. En tant que Premier secrétaire du parti de 1981 à 1988, les contacts étaient finis ?
J'ai eu des contacts individuels avec très peu de gens pendant une période. Cette démarche intellectuelle était pour moi intéressante et stimulante. Elle n'a en rien empêché que j'exerce mes activités.
A votre avis, qui est derrière ce que l'on lit. Pourquoi maintenant cette interrogation qui montait depuis longtemps ?
Je ne pense pas que quelqu'un soit derrière. Cela n'a pas d'importance et même, d'une certaine façon, cela me permet, à travers le temps, de me mettre en accord avec moi-même, dans un long processus. Que cela vienne. Tant qu'on n'en parlait pas publiquement, je n'avais pas de raison de m'expliquer sur des choses à mon avis tout à fait honorables. Maintenant, c'est évoqué publiquement, j'en parle publiquement. C'est très bien.
Cela vous coûte-t-il puisque vous aimez garder une part personnelle ou secrète en vous - je ne vous parle pas de mystère ?
Je n'aime pas les tracts, les jugements, les procès. Je n'ai pas de goût pour la confession.
Je n'ai rien d'un prêtre ! Pouvez-vous répéter comme au Figaro Magazine, il y a 15 jours, que vous espérez que le moment venu les Français choisiront une forme d'authenticité et de vérité ?
Bien sûr. L'authenticité se juge aussi sur un parcours. Il s'agit de savoir au fond si ce parcours, en cette période du siècle, a sa cohérence ou s'il y a une contradiction majeure. Je ne le crois pas.
Finalement, vous avez l'occasion de dire tout ou presque tout sur Europe 1 ou à l'Assemblée nationale.
Sans m'encombrer de détails, j'ai dit ce qui est l'essentiel de la vérité de ma vie.
Y a-t-il encore des choses secrètes?
Non.
Est-ce un argument de transparence que vous pouvez désormais utiliser. Pensez-vous à 2002 ?
Je ne sais pas ce que je ferai en 2002. Je vous ai dit que je suis totalement libre. Ces décisions seront prises au début de l'année 2002.
Je ne suis pas membre de la majorité plurielle, ce n'est pas la peine de me dire cela car je pourrais ne pas le croire.
Une chose n'entraîne pas de discussion : la décision sera prise au début 2002. Ce n'est pas un problème de croyance, c'est un fait. Aucune décision ne sera prise avant en ce qui concerne le candidat des socialistes pour l'élection présidentielle.
L. Jospin n'a pas pris de décision personnelle ?
Dans la vie publique, vous prenez une décision quand elle est dite et que vous l'assumez. Et je pense que si on s'en tenait à cette clé, on comprendrait mieux un certain nombre de choses.
Vous avez dit à la fin de votre intervention hier une petite phrase ; je pense qu'elle n'a pas été relevée : "J'invite chacun, sur tout sujet, à donner sa vérité". C'est-à-dire...?
Je veux dire simplement que chacun, effectivement, s'il peut être interrogé sur ses actes, ses responsabilités, peut être amené à répondre.
C'est qui, chacun ? [...] Ce qu'un Premier ministre est contraint de faire, n'importe quel personnage, y compris le plus haut, peut le faire aussi...
C'est le commentaire d'Elkabbach.
Il n'y a pas de réponse... En quoi cette formation vous a-t-elle appris à comprendre le monde d'aujourd'hui et, si je vais un peu plus loin, peut-être pas la droite, mais vos alliés adversaires d'aujourd'hui ? Est-ce que vous les comprenez mieux à cause de ce que vous avez vécu dans cet itinéraire dont vous parlez ?
Je crois que ces contacts intellectuels, ce travail d'analyse m'ont très bien permis de comprendre les phénomènes du totalitarisme, ce qu'était l'URSS stalinienne et aussi l'URSS à l'époque de Brejnev, et pourquoi tout cela s'est effondré. C'était une école de lucidité sur les rapports de force dans le monde politique et dans le monde social. Cela aidait à comprendre aussi la réalité sociale de mon pays. D'une certaine façon, j'ai fait l'expérience de la radicalité. Donc je comprends peut-être mieux que d'autres, un certain nombre de mouvements radicaux rattachés à l'extrême gauche. Voilà peut-être quelques-unes des leçons que je peux tirer de ce que vous appelez "cette formation" qui n'a pas été unique et exclusive.
J'en suis sûr, vous disiez que vous aimiez la littérature américaine... A la fois Trotsky et les Américains, Faulkner et d'autres...
Un jeune homme un peu vivant, pas trop conformiste, fait son miel de beaucoup de choses.
On ne peut pas le lui reprocher, mais on peut dire qu'à un moment, il a moins cru à la révolution qu'à la réforme et à l'évolution par d'autres moyens que la violence ou la radicalité.
Si vous regardez l'évolution du siècle, l'évolution de la société, le bilan tiré sur le communisme tel qu'il s'est développé en URSS, la réalité économique internationale, ce qu'on appelle la globalisation. C'est vrai que pour un homme comme moi, compte tenu des responsabilités que j'ai été amené progressivement à prendre, à partir d'un certain moment, il vaut mieux, plutôt que de rêver la révolution, faire la réforme.
Je m'adresse au Premier ministre L. Jospin : il va y avoir des manifestations samedi 9 juin contre les licenciements pour qu'ils soient interdits, pour que l'administration ou le juge s'oppose aux chefs d'entreprise. Est-ce qu'on arrivera à vous imposer ces souhaits ?
D'abord, resituons le contexte. En quatre ans, 1 500 000 emplois ont été créés dans ce pays - je crois que nous y avons contribué par notre politique économique et sociale. Le chômage a diminué d'1 050 000 personnes (sic), c'est un phénomène majeur dans la vie des Français, pour les familles concrètement. Plus d'un million de chômeurs et de chômeuses en moins, cela concerne des millions et des millions de familles en France. Les licenciements économiques, dont on parle, qui sont faits par les entreprises, non pas sur une base individuelle mais sur une base collective, parce qu'elles disent qu'elles en ont besoin pour maintenir leur efficacité - chose qui doit être vérifiée - ont effectivement diminué de 40 % depuis quatre ans. Donc on n'est pas sur une tendance à l'augmentation de ces licenciements économiques, mais on est sur une tendance à leur diminution. Mais évidemment, on ne voit pas et on ne montre pas à la télé ou on ne fait pas s'exprimer en radio, tous les deux jours, les centaines de milliers de chômeurs et de chômeuses qui ne sont plus au chômage et qui pourraient aussi traduire une réalité vécue, une réalité psychologique.
Donc ceux qui vont manifester le 9 ne comprennent pas justement ce qui est en train de se passer ?
Non, le 9, un certain nombre de gens se mobilisent pour lutter contre des licenciements économiques. Je comprends tout à fait cette mobilisation. C'est d'ailleurs aussi le rôle des syndicats que de se mobiliser. Et nous-même, Gouvernement, avons dans la loi de modernisation sociale introduit d'abord ce qu'on a appelé l'amendement Michelin, c'est-à-dire une réaction des propositions plus dures pour réagir aux licenciements qui ont eu lieu chez Michelin, il y a plus d'un an ; nous avons même introduit des éléments nouveaux. Je dis simplement qu'on met le projecteur sur ceux qui sont licenciés dans des entreprises ; il y a des mobilisations et ces mobilisations sont justes. Il y a un changement positif de la législation ; c'est dans ce sens que nous allons. Je pense par ailleurs que l'on ne peut pas mettre un veto sur les licenciements et interdire le licenciement. On pourrait aussi interdire le chômage ou la maladie. Donc il faut une législation qui encadre mieux les choses et comme nous n'avons pas pu arriver à un accord au sein de la majorité sur ce point, nous sommes en train de discuter, nous avons un dialogue pour renforcer encore ces dispositions. Il ne faut pas pour autant que la législation française se distingue totalement des législations qui existent dans les autres pays européens ou dans les pays développés, notamment les pays les plus avancés en matière de droit social, sinon nous serions pénalisés économiquement. Voilà l'équilibre que nous allons trouver.
Ferez-vous de nouvelles concessions à R. Hue pour que le PC, je ne dis pas vote, mais en tout cas ne vote pas contre la loi de modernisation sociale ?
Si cette loi de modernisation sociale ne passait pas, cela voudrait dire que les mesures qui durcissent le licenciement ne seraient pas prises, que les dispositions sur les acquis professionnels qui permettent à des gens qui ont travaillé mais qui n'ont pas fait d'études de capitaliser leur travail pour obtenir des diplômes, ne seraient pas validées, que les mesures sur le harcèlement au travail et les dispositions positives pour les salariés ne seraient pas prises. Je pense que cela ne sera pas le cas. Comme nous allons améliorer le texte, je pense que nous aurons un accord. Si ce n'était pas le cas, nous aurions alors effectivement une vraie difficulté politique.
La croissance est en train de ralentir en Europe, en Allemagne et en France, "incontestablement" disait hier L. Fabius. Est-ce que le budget 2002 va s'en ressentir ? Il sera morose dit aujourd'hui La Croix. Tiendrez-vous le budget avec rigueur ou le laisserez-vous en disant que les dirigeants de 2003, quels qu'ils soient, se débrouilleront ?
On ne peut pas raisonner de cette façon. D'abord, il est possible que ce soit nous, ce serait donc une politique de gribouille. De plus, nous n'avons pas à laisser à nos éventuels successeurs je ne sais quelles ardoises. Nous conduirons ce budget comme nous le faisons, en permettant de financer les grandes options et les grandes politiques de l'Etat et en permettant que continue à se réduire le déficit public de la France. Nous avons trouvé en 1997 un déficit des comptes publics supérieur à 4 %, nous en sommes pratiquement à 1 %.
C'est-à-dire que les promesses de L. Jospin et de L. Fabius sur le budget seront tenues même si la croissance baisse ?
Evidemment; d'ailleurs, la discussion budgétaire sur le budget 2002 commence seulement maintenant entre les ministres. La croissance baisse ?! Depuis 4 ans, nous avons eu un certain nombres de trous d'air, d'accidents.
Cela pourrait donc être un trou d'air et non une inversion de cycle, une tendance ?
La différence, c'est ce qui est préoccupant, est que dans les trous d'air dont je parle, il s'est plutôt agi de l'effet de crises spéculatives qui se sont produites en Asie, en Russie ou en Amérique latine alors que là, l'effet vient sans doute du ralentissement de l'économie américaine. Plus l'économie américaine repartira vite, meilleure sera la situation pour les pays européens. Moins elle repartira vite, plus nous serons face à une conjoncture morose. Mais je rappelle que, grâce à la politique économique et sociale que nous avons menée notamment aux mesures en faveur de la consommation des Français, le taux de croissance en France est plus élevé que celui de l'Italie ou de l'Allemagne. Nous sommes dans une situation meilleure. Nous nous efforcerons de tenir compte de la conjoncture mais la politique d'un gouvernement n'est pas simplement l'application de la conjoncture. On crée la conjoncture, c'est ce que nous avons fait par notre politique des 35 h, des emplois-jeunes. La politique réformatrice du gouvernement se poursuit.
E.-A. Seillière, votre ami de jeunesse qui n'a jamais été trotskiste ....
Vous voyez, multiplication de mes expériences !
Il a peut-être, lui, d'autres formes d'expériences... Il vous demande de ne pas détourner les fonds de la sécurité sociale pour financer les 35 h. Il dit "pas de ponctions forcées". Que lui répondez-vous ?
Il n'y a aucun détournement des fonds de la sécurité sociale. Je rappelle que lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, la Sécurité sociale était en déficit de 55 milliards. La Commission des comptes de la Sécurité sociale se réunira demain. Je pense qu'on constatera que pour l'année 2000, la Sécurité sociale est en excédent. Donc, nous l'avons redressée. Simplement, nous avons dit depuis le début, M. Aubry notamment et E. Guigou suit notre politique, qu'à partir du moment où l'effet des 35 h est de réduire le chômage - 375 000 certainement - , d'augmenter les cotisations de la sécurité sociale puisque des salaires nouveaux sont distribués aux travailleurs, de diminuer les prestations chômage puisqu'il y a moins de chômeurs, la Sécurité sociale comme le budget de l'Etat a profité largement de cette politique des 35h donc il est normal qu'il en prenne sa juste part. Pas plus que sa part mais sa juste part.
Ce que le Medef appelle "détournement".
Ces mots n'ont pas lieu d'être. Je ne les emploie pas à l'égard des dirigeants du Medef, dans aucun domaine d'ailleurs. Je n'ai pas parlé d'AOM-Air Liberté alors qu'on pourrait en discuter car ce sont aussi des questions de responsabilités. Je dis ce que nous avons dit depuis le début, il n'y a pas de surprise. La Sécurité sociale a profité de la politique des 35 h : elle doit donc raisonnablement participer des dépenses nécessaires, pas nécessairement pour les 35 h mais pour d'autres choses.
Un mot de l'Europe. Le Traité de Nice est en débat de ratification au Parlement, le vote aura lieu le 12 juin. Je ne sais pas si c'est votre traité pour votre Europe. Avez-vous l'impression d'avoir tout dit de ce que contient votre agenda-programme sur l'Europe pour les 5 prochaines années ?
J'ai participé à un débat qui s'ouvre en France et à un débat qui s'ouvre en Europe sur l'avenir de l'Europe élargie. J'ai fait des propositions. Ce qui m'a rendu heureux, c'est que ces propositions non seulement ont reçu le soutien fort des socialistes au Parlement européen mais ont, je crois, intéressé les commentateurs en France.
On se dit "Enfin il parle de l'Europe ! Peut-être qu'il ne pouvait pas le faire pour différentes raison de politique intérieure mais enfin il le fait."
J'avais expliqué que je ne voulais pas m'exprimer après le Président de la République, éventuellement différemment, pendant la présidence française. La présidence française devait être un moment de travail et d'harmonie. Maintenant, c'est le débat : j'ai avancé mes propres idées autour de deux grands thèmes. Il faut parler des institutions de l'Europe, il faut les moderniser mais tout cela n'a de sens que si l'Europe a vraiment un projet de civilisation et une vision du monde, une capacité à peser sur le monde. Ce qui réunit les Européens, c'est une civilisation et non pas seulement des institutions. Le deuxième point, c'est avoir une démarche ambitieuse, d'où toutes les propositions que je fais pour améliorer le fonctionnement de l'Europe ou pour densifier ses politiques mais qui soient réalistes car au bout du compte, comme à Nice, il faudra conclure à l'unanimité, c'est-à-dire par consensus.
Quand on dit réaliste on ne dit pas tiède. On ne dit pas une conversation tardive ou on ne dit pas des convictions molles sur l'Europe. Je vous choque là.
Vous ne me choquez pas du tout parce que cela ne s'adresse pas à mon propos. Si j'en juge par ce qu'ont été les réactions dans les capitales européennes, chez mes collègues Premiers ministres européens, je crois que le propos que j'ai essayé de tenir - qui d'ailleurs s'inspirait aussi de la pensée de J. Delors avec qui j'en ai parlé - m'a paru être au centre du débat européen.
Vous êtes donc content de ce que vous avez dit ? Mais je vous ai demandé si c'était le programme de Jospin sur l'Europe pour les cinq prochaines années ?
C'est une participation à un débat, c'est une autre étape de cette discussion puisqu'elle doit se conclure pour 2004. Il y aura à adopter une position française. C'est-à-dire que le ou la Président de la république de l'époque et la majorité de l'époque - puisque ce sera après 2002 - auront à arrêter une position officielle de la France dans les discussions européennes. Nous n'en sommes pas à ce stade. C'est un responsable politique - celui que je suis - qui s'est exprimé. Quand je vois les réactions de mes collègues européens, j'ai l'impression que la position que j'ai essayée de définir est au centre de gravité du débat européen et sera utile au consensus final.
Quand on vous écoute parler d'autre chose que de l'itinéraire - je ne dis pas du passé - vous êtes à l'aise, vous essayez de vous battre, vous êtes convaincant mais êtes-vous même satisfait de vous ou de l'action du gouvernement ? Le seul embarras c'est le passé ?
C'est certainement moins un embarras aujourd'hui qu'hier.
Vous êtes soulagé ?
Je n'en sais rien, en tout cas, cela m'a permis de dire aussi cette vérité. C'est très bien.
Est-ce que tout ce tohu bohu explicable autour du moment trotskiste de votre passé vous fait douter pour votre suite, pour la suite ?
Non je vous dis que je suis un homme libre comme je l'ai été à chaque étape. Ce que vous appelez un tohu bohut est un moment.
Vous n'avez pas l'impression que vous êtes ce que vous détestiez et ce que vous combattiez il y a quarante ans, c'est-à-dire un social démocrate réformiste ?
Je suis un social démocrate réformiste. L'important est de faire effectivement des réformes - pas simplement d'en parler - et de faire de bonnes réformes. C'est ce que je m'efforce de faire. Je pense qu'il y a quelque chose de cohérent dans cette histoire. En tout cas, c'est la mienne.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 7 juin 2001)