Texte intégral
Q - Bonjour, Bernard Kouchner. Au Niger, 7 personnes dont 5 Français travaillant pour Areva et Vinci ont été capturé dans la nuit de mercredi à jeudi. Avez-vous des nouvelles ce matin ?
R - Je n'ai aucune nouvelle précise. On croit qu'ils se dirigent vers le Mali, mais actuellement nous n'en savons pas plus. Evidemment, ils ont été, non pas suivis puisque l'on ne sait pas exactement quel chemin ils ont emprunté, mais la surveillance a été renforcée. L'armée nigérienne est pleinement mobilisée et nous-mêmes, tous nos services sont alertés. Je vous rappelle que les Français vont être évacués, si ce n'est déjà fait, d'Arlit vers Niamey.
Q - Sont-ils nombreux ?
R - Oui, ils le sont, mais il en restera peu. De toute façon, Areva avait un personnel qui comprenait plus de 95% d'agents locaux je crois, donc un personnel nigérien.
Q - Mais vous ne demandez pas aux ressortissants qui sont là-bas de rentrer ?
R - A ceux d'Arlit, si.
Q - Mais pour les autres ?
R - Non. Pas pour le moment.
Q - Y a-t-il déjà des revendications ?
R - Il n'y en a aucune. On imagine qu'il s'agit, sinon exactement des mêmes groupes, au moins de la mouvance Aqmi, c'est-à-dire Al Qaïda au Maghreb islamique.
Ceux qui ont enlevé ces hommes et ces femmes peuvent être des Touaregs travaillant à la commande - si je puis dire - ou alors étant eux-mêmes membres de la mouvance. Hélas, nous avons eu souvent à faire à eux.
Q - A la commande, c'est-à-dire qu'ils les kidnappent, ils vont les vendre ou les échanger avec les terroristes d'Al Qaïda ?
R - Avec les terroristes qui ne sont pas très nombreux.
Q - Suspectez-vous, ce matin, Al Qaïda Maghreb islamique ?
R - Bien sûr, mais je n'en ai aucune certitude puisque l'enlèvement n'a pas été revendiqué.
Q - Vous y rendrez-vous ?
R - Si cela est utile, bien sûr. J'y suis allé récemment mais, hélas, c'est souvent utile.
Q - Qu'est-il mis en oeuvre pour les libérer ?
R - La première mesure, c'est d'abord prévenir, car c'est une zone très dangereuse. C'est la zone rouge et un certain nombre de gens doivent faire attention. Tous ceux qui sont sur place, qui font des trajets réguliers et tous les Français qui ne sont pas utiles directement doivent cesser leurs activités. Il y a d'autres zones un peu plus faciles mais, de toute façon, les "conseils aux voyageurs", indiqués sur le site Internet, doivent être suivis à la lettre. C'est une zone dangereuse, les Français y sont ciblés ; et pas seulement les Français, les occidentaux en général.
Q - Selon votre collègue Brice Hortefeux, la menace terroriste est réellement renforcée ces derniers jours, ces dernières heures ici en France. Vous le sentez, vous le confirmez ?
R - Je le confirme. Tout d'abord, c'est la responsabilité du ministre de l'Intérieur de dire cela et il a raison de le dire. Il faut absolument se prémunir contre d'éventuelles attaques.
Q - Et la France est une cible ?
R - La France, les pays occidentaux, la démocratie, oui. Et la France particulièrement puisqu'elle représente, mieux que les autres peut-être, enfin mieux que certains, la démocratie et le monde occidental.
Q - Vous étiez à Bruxelles. La France s'est mis beaucoup d'Européens à dos d'après ce que l'on entend, ce qu'on lit et ce que l'on voit. Selon le président de la République, la totalité des chefs d'Etat et de gouvernement étaient choqués par les propos outranciers, injurieux de Vivian Reding, qui ne s'est pas excusée...
R - Ne mettons pas "de l'huile sur le feu".
Q - Non, mais ils ont fait semblant de croire qu'elle s'est excusée.
R - Vous faites semblant de croire qu'elle s'est excusée. Elle a présenté ses regrets, cela a suffi au président de la République.
Q - Pour être plus près de la vérité elle a dit : "je regrette les interprétations". Elle ne regrette pas ses propos ou ses comparaisons, elle regrette l'interprétation qui en a été faite. Il faut peut-être lui demander des excuses !
R - Il ne faut pas vous gêner.
Q - Mais, c'est à vous !
R - Non, le président de la République a dit très clairement que cela suffisait. D'abord, il ne l'avait pas attaquée et personne ne l'a attaquée en tant que Luxembourgeoise. Nous nous sommes expliqués avec nos amis luxembourgeois, avec le ministre des Affaires étrangères et avec Jean-Claude Junker ; cela s'est très bien passé.
Elle est commissaire et cela veut dire que la Commission doit la défendre, c'est ce qu'a tenté de faire M. Barroso. Pour le reste, essayons d'oublier tout cela, qui n'a pas une énorme importance.
Q - Vous lui dites simplement qu'elle retienne son tempérament ?
R - Je ne lui dis rien du tout de personnel. Cela n'a aucune importance, nous connaissons son tempérament depuis longtemps.
Ce que je retiens et n'accepte pas, c'est la comparaison qu'elle a eu l'imprudence de faire entre les événements de la Seconde Guerre mondiale, entre ce qui s'est passé à propos des Juifs de l'Holocauste et ce qui s'est passé maintenant. Cela était inacceptable et les 26 chefs d'Etat et M. Sarkozy ont regretté et ont été, dans cette discussion un peu vive avec M. Barroso, du côté du président de la République, très clairement, y compris et surtout les Roumains.
J'espère d'ailleurs que M. Trian Basescu va changer l'attitude de la Roumanie face à ses Roms. Il faudrait d'abord reconnaître qu'ils viennent de Roumanie et qu'ils sont donc des citoyens roumains. Ensuite, changer et intégrer plus facilement ces communautés, c'est-à-dire que les enfants aillent à l'école et qu'ils aient la possibilité d'aller à l'hôpital s'ils sont malades ; c'est ce qu'ils peuvent faire en France.
Q - Comment qualifiez-vous l'accrochage ou l'échange vif, on a dit éruptif, viril, violent, mâle, comment le qualifiez-vous ?
R - En politique, cela arrive souvent. Dans l'Europe aussi. Ce n'est pas un incident majeur. M. Barroso et M. Sarkozy se connaissent très bien, ils ont beaucoup travaillé ensemble. Nous avons soutenu M. Barroso pour son deuxième mandat.
Q - Il est ingrat !
R - Non, mais chacun est dans son rôle.
Q - Lorsqu'il dit que la discrimination des minorités ethniques est inacceptable, il laisse entendre que cela se pratique en France. Mais le président de la République lui dit qu'il ne peut pas laisser insulter son pays : "j'ai dit franchement ce que la France pensait". Cela a tout l'air d'un échange qui était, disons mesuré !
R - Attendez, ce n'est pas un lit de roses ! Il y a eu des échanges, des échanges sincères comme l'on dit et assez vifs. Et pourquoi pas ? C'est souvent comme cela. Il y en a eu sur le Moyen-Orient, sur le Pakistan, il y en a partout et tout le temps. Là, c'était particulièrement vif, car cibler un groupe humain est inacceptable, c'est-à-dire stigmatiser un groupe, je ne l'accepterai jamais.
Q - La première circulaire du 5 août vous a horrifié ?
R - Cette circulaire qui a échappé à tout le monde a été changée par le gouvernement français dans l'heure qui a suivi sa divulgation. Et ce qui n'est pas acceptable non plus, ce sont les paroles de Mme la Commissaire. Ou elle n'a jamais lu l'Histoire ou elle ne sait pas de quoi elle parle mais, de toute façon, c'était inacceptable.
Il est normal que M. Barroso, le président de la Commission, ait défendu sa Commission et il est tout à fait respectable et normal que le président de la République ait demandé des excuses et dit qu'il était inadmissible de penser que la France pouvait faire cela.
Q - L'autre incident c'est que la chancelière Merckel lui aurait confié qu'elle va...
R - Mais, dites, vous n'avez vu que des incidents !
Q - ...qu'elle va renvoyer par étape, chez eux, au Kosovo, 12.000 Roms et Berlin a démenti. Est-ce fait en aparté ou cela n'a pas existé ? La délégation a-t-elle inventé, elle a des problèmes avec la réalité ou ce sont les autres qui mentent ?
R - L'Histoire tranchera. Moi, je n'ai pas assisté alors que j'étais là tout le temps.
Q - Mais que vous a dit le président de la République ?
R - Le président de la République ne m'a pas dit spécialement quelque chose à ce propos. Je ne sais pas si cet incident a eu lieu en aparté. Ce n'est pas un incident ! De quoi parlait-on ? De l'Europe dans le monde ! Cette séance était importante, il y avait un mode d'emploi de l'Europe qui était évoqué ou travaillé. Il y avait également l'attitude de l'Union européenne vis-à-vis du Pakistan et son implication dans les pourparlers au Proche-Orient.
Q - Mais on n'a parlé que de la question des Roms ?
R - C'est beaucoup plus important que trois mots échangés avec un peu de vivacité. Lorsque l'on a le sang vif, on fait de la politique ; quand on fait de la politique, on a le sang vif.
Q - Nicolas Sarkozy, après cela, pourra-t-il présider et animer le G20 dans de bonnes conditions ? Il n'y a pas à rigoler !
R - Si, il y a à rire car cela n'est pas en question !
Q - C'est une vraie question !
R - Il n'y a pas à rigoler, c'est très sérieux en effet. Ce qu'a dit le président de la République - qui deviendra président du G8 et du G20 - a été tout à fait admiré. La méthode qu'il a présentée a été tout à fait acceptée immédiatement par tous.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 septembre 2010