Déclaration de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'écologie, sur la préparation et les enjeux de la conférence de Nagoya (Japon) sur la défense de la biodiversité, à Paris le 19 octobre 2010.

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Circonstance : Colloque organisé par l'association des Entreprises pour l'Environnement (EpE), à Paris le 19 octobre 2010

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Il est urgent de sauver la biodiversité. Il ne faut plus se contenter des mots, et de discours faits de bonnes intentions, il faut agir.
Si vous êtes réunis ici aujourd’hui, c’est que vous en êtes également convaincus.
Pourtant cela reste difficile de mobiliser sur ce sujet dont les enjeux restent lointains, et l’appréhension souvent trop technique.
Cette année, année internationale de la biodiversité, se tient la 10ème réunion de la convention des parties sur la diversité biologique à Nagoya. Cette année est une opportunité unique de faire remonter la biodiversité en haut des agendas politiques des Etats. C’est une opportunité pour faire prendre conscience de la richesse de notre biodiversité.
La mobilisation de tous sera essentielle à Nagoya. Celle des entreprises est attendue.
I. Les entreprises et la biodiversité
Le dernier baromètre de l’IFOP, « Entreprises et Biodiversité », révèle que selon les Français, les activités des entreprises ont un impact négatif sur la biodiversité notamment du fait des rejets des polluants et des ponctions dans les ressources naturelles. Cette posture accusatrice est contrebalancée par le fait que 91% des Français considère que les entreprises sont susceptibles de jouer un rôle important dans les années à venir en matière de protection de la biodiversité. La balle est dans votre camp, mais nous allons vous aider à y participer !
1. Le diagnostic « Entreprises »
Tout commence par la prise de conscience. Chaque entreprise, y compris les TPE-PME, doit connaître l'impact de ses activités sur les écosystèmes, mais aussi la marge de manoeuvre pour agir. C’est pourquoi, dans le cadre de l’Année Internationale de la Biodiversité, mon ministère a créé un outil d’auto-évaluation à destination des entreprises (bientôt en ligne). Ainsi vous mesurerez votre degré de dépendance vis-à-vis de la biodiversité ainsi que vos impacts sur la biodiversité.
2. Produire des biens et services qui n’impactent pas la biodiversité
La prise de conscience est un premier pas. Il faut ensuite intégrer les enjeux de biodiversité dans toutes les étapes et processus de production. Tout ceci sans remettre en cause l’activité économique des entreprises. Bien au contraire ! Je suis convaincue que vous pourrez même en retirer des gains de productivité.
C’est tout l’enjeu de l’éco-conception qui doit se généraliser. C’est un tremplin pour l’innovation. La préservation des ressources naturelles et la gestion durable des matières premières sont les garanties de la pérennité de vos activités. Beaucoup le font de façon volontaire. Mais la loi sur la responsabilité environnementale impose aux entreprises d’éviter les impacts sur l’environnement, sinon de les réduire puis enfin de les compenser.
Dans le cadre de projets d'aménagements les entreprises doivent intégrer cette exigence dès la conception des projets. Lorsqu’un évitement complet s’avère impossible, l’application d’une démarche de réduction des impacts doit être engagée. Et si et seulement si, à l’issue de cette démarche, il reste des impacts résiduels, il est nécessaire de compenser en vue de la restauration des éléments perturbés (espèces, milieux naturels et fonctionnalités écologiques).
Il est impératif que la compensation génère une additionnalité écologique réelle et mesurable, en d’autres termes, il faut que le bilan soit positif après l’instauration de ces mesures.
Pour que chacun soit mieux armé pour satisfaire cet objectif, j’installerai le mois prochain un comité national de pilotage sur la compensation. Le mandat du comité sera lourd car les attentes sont importantes pour encadrer à l’amont et à l’aval la mise en oeuvre de la compensation.
3. Mécénat
Le mécénat environnemental peut s’inscrire dans une stratégie intégrée de compensation. Financer la restauration d’une zone humide, réhabiliter une espèce, sensibiliser le public en aidant une association de protection de l’environnement, ou un parc naturel, et bien d’autres actions sont possibles encore.
Entre 1998 et 2008, la dépense nationale liée à la protection de la biodiversité a plus que doublé pour atteindre un milliard. Or dans le même temps la contribution des entreprises a baissé, elle se situe aujourd’hui autour de 2%. Le Mécénat environnemental, qui ne représente que 10% du mécénat en France, peut vous permettre de vous investir pour préserver la biodiversité.
Le Ministère de l’Ecologie, depuis 2009, a mis en place des moyens et une stratégie pour promouvoir et développer le mécénat environnemental. La première étape a été franchie avec la création d’une Mission Mécénat au Ministère dont la vocation est de rapprocher entreprises et porteurs de projet. Elle s’est dotée d’outils opérationnels qu’elle met à disposition des tous :
- un site internet, véritable plateforme du mécénat environnemental,
- un guide pratique juridique et fiscal,
- un réseau de « correspondants mécénat » dans mes services et dans les Chambres de commerce et d’industrie.
- Enfin, nous remettrons, en décembre, les Trophées du Mécénat 2010, qui a pour objectif de récompenser les meilleurs projets des couples de mécènes-mécénés.
II. La valeur économique de la biodiversité
Au-delà des différentes possibilités pour une entreprise d’agir en faveur de la biodiversité, il reste un travail de fond à réaliser : donner une valeur à la biodiversité. Faire prendre conscience et faire prendre en compte.
Cette réflexion a connu ses pionniers. Pavan Suhkdev, dans son rapport TEEB, indique que « le bien-être de chaque population humaine dépend fondamentalement et directement des services rendus par les écosystèmes ». Notre alimentation, notre santé en dépendent. 50% de nos médicaments contiennent des éléments chimiques présents à l’état naturel dans des espèces de plantes médicinales. Plus de 70% des cultures (35% du tonnage de ce que nous mangeons) dépendent de la pollinisation animale. Des publications scientifiques font état d’une valeur de l’ordre de 50 milliards d’euros au plan mondial pour ce service rendu.
Les travaux de Bernard Chevassus-au-Louis et du CAS ont fait date et a inscrit la France en position de leader de cette réflexion économique majeure. Ces travaux ont permis d'évaluer la valeur à accorder aux services rendus par les écosystèmes forestiers et prairiaux de métropole. Nous continuons d’ailleurs à travailler sur les suites du rapport du CAS en appliquant la méthodologie à d’autres milieux que les prairies et les forets.
Il ne s’agit évidement pas de donner une valeur monétaire à la biodiversité. Mais au contraire de faire prendre conscience, en utilisant les référents comptables du monde économique, en utilisant votre langage, que les écosystèmes ont une valeur, que les services qu’ils nous rendent ne sont pas gratuits.
Les répercussions économiques du déclin de la biodiversité sont potentiellement importantes : le rapport TEEB chiffre le coût de l’inaction à 7% du PIB mondial à l’horizon 2050. La biodiversité est donc au coeur de l’économie et participe au développement de nos sociétés. La remise à Nagoya des travaux conduits par Pavan Sukdhev devrait nous convaincre que le capital naturel est considérablement érodé, menaçant ainsi développement le développement des sociétés humaines.
III. Nagoya
La prise en compte de la biodiversité dans le calcul des richesses des nations, est incontournable. Encore nous faut-il améliorer notre niveau de connaissance des écosystèmes et de leur évolution notamment du fait de l’activité humaine. Sans des savoirs communs, des connaissances validées et des résultats reconnus, il est en effet difficile d’établir des constats partagés, de définir des objectifs à la fois ambitieux et atteignables.
C’est bien là le coeur de votre message au Symposium International « Business & Biodiversity ». Vos témoignages, votre engagement, votre conviction sont un soutien inestimable pour les Etats qui porteront des objectifs mondiaux ambitieux et concrets pour 2020, en vue de freiner l’érosion de la biodiversité. Votre message m’a touché par la justesse de son analyse, la pertinence de ses engagements. C’est la raison pour laquelle je suis là aujourd’hui. La délégation Française à Nagoya se sentira plus forte grâce à vous. D’autant plus que les négociations seront dures et pourtant déterminantes.
1. L’IPBES
Un des enjeux fondamentaux de Nagoya est la mise en place de l’IPBES. Je suis convaincue que l’outil de l’IPBES, en appréciant mieux l’érosion de la biodiversité mais aussi de ses services, permettra de mieux qualifier ces objectifs, de les rendre plus tangibles, plus compréhensibles. L’IPBES nous permettra de donner à la biodiversité une crédibilité et une légitimité mondiales, comme le changement climatique a été porté par le GIEC.
2. L’adoption d’un protocole sur l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages qui en résultent
Le partage juste et équitable des avantages découlant de l'exploitation des ressources génétiques est fondamental. L’adoption d’un protocole sur l’accès aux ressources génétiques a pour objectif de reconnaître aux États un droit de souveraineté sur leurs ressources naturelles.
C’est la raison pour laquelle aujourd’hui les pays fournisseurs sont très attachés à obtenir à Nagoya un protocole à la CDB apportant la garantie d'un partage juste et équitable des avantages issus de l’utilisation des ressources génétiques.
La France bénéficie d’un double statut, à la fois de fournisseur notamment grâce à son patrimoine ultra-marin, et d’utilisateur (importance pour les secteurs industriel et de la recherche). Nous sommes attachés à l’objectif d’un accord international contraignant.
3. Financements
A Nagoya, nous n’éviterons pas la question des financements. Selon une estimation réalisée par le MAEE, le montant alloué à la conservation de la biodiversité à l’international est passé de 155M€ en 2008 à 262M€ en 2009, soit une hausse de près de 67%. Mais cela reste modeste puisque qu’en 2009, la biodiversité ne représentait que 2,6% de l’APD. La majeure partie de ces financements relève de l’Agence française de développement, environ 2% de son portefeuille, et du FFEM (Fonds français pour l’environnement mondial), qui a attribué en moyenne 7M€ par an à la biodiversité ces quatre dernières années. Ce sont des sommes en progression mais qui demeurent clairement insuffisantes au regard des besoins. C’est pourquoi la mise en place de mécanismes de financements internationaux est indispensable.
Et ce d’autant plus que les attentes des pays en développement sont fortes. L’une des solutions consisterait à soutenir la proposition faite par les pays africains le mois dernier de créer un fonds multilatéral, pas nécessairement autonome, mais alimenté par le produit de l’exploitation de certaines ressources génétiques. Ce fonds mettrait les entreprises qui exploitent ces ressources à contribution.
La proposition de certains pays comme le France repose sur des contributions volontaires dès lors qu’on se dote des moyens de les valoriser pour les encourager. Les pays européens soutiennent le projet de création d’un label « biodiversité » par exemple. Les fonds récoltés par les entreprises qui souhaitent être titulaires de ce label alimenteront le fonds multilatéral.
Nagoya doit être un accord « gagnant-gagnant » c'est-à-dire pragmatique et concret : établir des règles transparentes pour prévenir la bio-piraterie et faire en sorte que les bénéfices soient affectés à la sauvegarde de la biodiversité et au développement. C’est à cette condition que nous nous donnerons les moyens de nos ambitions. C’est à cette condition que nous tracerons la voie d’engagements réalistes pour 2020, avec les moyens de les atteindre. C’est une telle vision partagée qui imprimera notre volonté de travailler ensemble durant la prochaine décennie, que je souhaite porter.
C’est avec une motivation neuve et optimiste que nous aborderons le rendez vous de Nagoya. Je suis pour ma part confiante que, dans un esprit d’ouverture, nous pourrons développer des solutions originales et des partenariats solides, et j’aurai un grand plaisir à vous y retrouver, pour ceux et celles qui seront à Nagoya la semaine prochaine pour les construire ensemble.Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 20 octobre 2010