Déclaration de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la justice, sur la prévention de la délinquance juvénile et sur les missions des éducateurs, à Roubaix (Nord) le 30 septembre 2010.

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Circonstance : Ouverture de la nouvelle session de l'Ecole nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ), à Roubaix le 30 septembre 2010

Texte intégral

Monsieur le Directeur,
Monsieur le Préfet de région,
Madame et Monsieur les Chefs de cour et de juridiction,
Mesdames et Messieurs les éducateurs et directrice de service en formation,
Je suis particulièrement heureux de venir ouvrir cette nouvelle session de l'Ecole Nationale de Protection Judiciaire de la Jeunesse implantée sur un site d'une ancienne manufacture du Nord qui témoigne de la valeur centrale du travail mais aussi d'un lien social fort que nous avons tous à coeur de restaurer.
Je tiens tout particulièrement à saluer Monsieur Jean-Pierre Valentin, votre directeur général, et son équipe pédagogique ainsi que les 162 éducateurs et 18 directeurs stagiaires qui constituent la promotion 2010-2012. Tout d'abord, permettez-moi de vous féliciter d'avoir réussi ce concours.
En rentrant dans cette école, vous avez fait un choix qui consiste à prendre en charge des mineurs en difficulté et vous savez à quel point les réponses qu'il convient d'apporter à la délinquance des mineurs constituent un élément essentiel de mon engagement.
Si la professionnalisation est au coeur de la démarche de votre école, la vocation de l'ENPJJ est aussi d'être un lieu d'échanges, de confrontation des expériences fondée sur une culture de travail authentiquement pluridisciplinaire qui transcende les cloisonnements.
En complément de l'action des magistrats de la jeunesse, vous incarnez une mission de service public qui vise à aider les jeunes à réintégrer un monde commun fait de droits et de devoirs, à retrouver une place digne au sein du contrat social, afin de perpétuer une certaine conception du vivre ensemble.
Mais à ce stade, j'aimerai axer mes réflexions sur deux points qui me tiennent particulièrement à coeur :
. La mission de prévention de la délinquance de la jeunesse à laquelle la PJJ contribue grandement et qui pour moi est indispensable
. Le métier d'éducateur auquel je souhaite rendre un hommage appuyé.
I-/ La mission de prévention de la délinquance juvénile
Comme vous le savez, le Président de la République m'a confié le 3 août dernier une mission dédiée à la prévention de la délinquance des mineurs qui sera consacrée par l'organisation d'Assises nationales le 14 octobre prochain à Paris.
Cet évènement sera suivi par la remise d'un rapport à Nicolas Sarkozy qui déclinera plusieurs propositions. Je remercie d'ailleurs Monsieur Cabourdin que j'ai déjà auditionné comme grand témoin et qui a été d'une aide précieuse sur le sujet grâce à son expertise.
Je vais vous donner clairement mon positionnement sur la question : répression et prévention vont de pair. Elles sont indissociables. La politique de la main tendue n'a de sens que si la sanction est possible. En revanche, le répressif n'a aucun sens sans la mise en oeuvre d'une vraie politique de prévention.
La prévention de la délinquance de la jeunesse constitue un enjeu de mobilisation qui doit être partagée par l'ensemble des acteurs. Elle doit dépasser les clivages idéologiques, professionnels, corporatistes. Cette politique publique s'inscrit dans le long terme, pour faire en sorte que la République puisse mener un véritable travail de reconquête des esprits comme des territoires.
J'entends à cet égard développer 3 axes qui constitueront la structure de mes propositions :
. La restauration de la citoyenneté
. Le soutien à la parentalité
. La reconquête de l'espace public
Chacun de ces axes pourrait faire l'objet d'un rapport en soi. Mais compte tenu de l'urgence, j'ai voulu aller droit aux faits, repérer les problématiques et élaborer un ensemble de propositions.
Au coeur de ma démarche se trouve l'idée que la prévention doit être envisagée le plus en amont possible, dès que l'on décèle un signal de décrochage, une faille qui est peut être annonciatrice de désordres.
Vous le savez je n'oppose nullement prévention et sanction et ne porte aucun crédit aux explications sociologiques ou psychologisantes qui tendraient à exonérer de leurs responsabilités certains mineurs coupables de crimes ou de délits. Pour autant, je suis convaincu que l'on peut anticiper ces infractions par une meilleure politique de prévention qui articule davantage les bonnes pratiques locales pour les mutualiser et par une meilleure coordination entre l'ensemble des acteurs.
- Il est clair que la citoyenneté constitue un axe majeur de la prévention. Il faut se demander qui diffuse les valeurs de la République, comment et pourquoi elles ne sont pas forcément assimilées et respectées.
Les obstacles que sont le consumérisme, le communautarisme, les difficultés rencontrées dans les apprentissages fondamentaux, mais aussi certaines inégalités ou discriminations existent certes, mais ils peuvent être combattus. Je dirai qu'il faut croire en nous même et revenir en tous domaines à ces principes qui structurent le vivre ensemble pour rendre la République désirable et habitable. Avant toute chose il faut l'enseigner, la transmettre. C'est une question de volonté et d'engagement.
- Concernant la parentalité, un travail de fond doit être fourni sur cette question cruciale qui requiert davantage d'appui. A l'évidence les figures d'autorité qui structuraient la société se sont considérablement affaiblies et parfois même délitées. Familles recomposées ou monoparentales, on constate un vrai malaise dans la parentalité qui constitue le terreau de bien des dérives ou décrochages.
Ce n'est nullement une fatalité. Non seulement les parents ne doivent plus être exclus du processus de prévention, mais bien au contraire, ils doivent être restaurés dans leur fonction. Il faut comprendre et analyser ces situations non pour exonérer certains manquements dommageables mais pour apporter des solutions concrètes qui leurs permettent de reprendre une prise sur le cours des choses.
- L'espace public a été trop longtemps laissé à l'abandon. Chacun a en tête cette funeste expression de territoire perdu de la République.
Comment pourrions-nous nous résigner à accepter que certains lieux soient assujettis à d'autres règles que la loi commune, qui demeure en République l'expression de la volonté générale.
Comment accepter que règles imposée par les caïds puissent pervertir des générations successives de nos jeunes ?
Il va donc falloir réinvestir cet espace public tout d'abord parce qu'il signifie que nous appartenons à un monde commun où aucun particularisme communautaire comme aucune bande organisée pour la délinquance ne peut imposer sa loi qui est attentatoire aux libertés fondamentales. Dans cette entreprise de reconquête l'Etat, les collectivités locales, les éducateurs doivent unir leurs forces pour faire prévaloir une idée du vivre ensemble qui n'est en rien une valeur du passé.
Vous ne serez pas surpris d'apprendre que le rapport que je remettrai au Président de la République évoquera l'importance de votre métier qu'il convient de valoriser et de développer.
II-/ Le métier d'éducateur
Vous êtes déjà ou vous allez devenir des éducateurs. Qu'allez-vous faire ? Et pourquoi ?
Vous allez relever des défis en permanence. Vous allez être confrontés à des échecs, à des difficultés mais sachez que vous êtes des messagers de la République, situés aux avants postes d'une réelle souffrance sociale. Ce combat peut être gagné. Mais il implique bien sûr que votre rôle soit valorisé que vous jouissiez de l'estime et du soutien du reste de la société, des institutions, des partenaires.
. La difficulté de ce métier et l'objectif de votre mission
Il est clair que rien n'est jamais acquis. Vous allez sûrement devoir repartir de zéro avec ces jeunes en mal de repères et d'acquisitions essentielles pouvant aller jusqu'aux formes élémentaires de civilité. Il va falloir leur réapprendre à vivre ensemble, à respecter les règles, à avoir confiance en eux, à respecter la société.
Ceci est un travail difficile, de longue haleine, mais tout aussi essentiel que celui fourni en d'autres temps par les hussards noirs de la République.
Votre objectif est d'établir un contact et une relation suffisamment dense pour permettre à ces jeunes de se réapproprier des repères sociaux nécessaires à leur construction et à leur intégration.
. Les qualités requises pour être éducateur
Vous êtes des gens de terrain, vous avez le sens du contact. Ceci est irremplaçable. On ne peut pas aider les individus par la seule maîtrise des procédures, il faut les soutenir au fil d'un parcours qui se dessine au quotidien, il passe par des liens de parole qui doivent se substituer aux passages à l'acte.
Vous allez devoir être un interlocuteur fin, pour comprendre les différentes personnalités auxquelles vous serez confrontés. Vous devrez en outre rester un adulte cohérent, sûr de sa position pour faire comprendre la gravité des transgressions et des engrenages y ayant conduit, pour expliquer les sanctions qui ont aussi une valeur structurante et pédagogique.
Il vous faudra apprendre à gérer des situations difficiles, parfois mêmes douloureuses quand elles mettent en cause vos propres valeurs.
Il vous faut donc vous armer de grandes qualités humaines, de sociabilité, de patience, de contact, de management, de partage, de coordination, mais aussi de fermeté pour pouvoir exercer votre métier.
. Une mission de Service Public
Les missions que vous vous apprêter à exercer sont placées sous le signe de l'intérêt général. Vous allez assumer des responsabilités extrêmement importantes non seulement pour ces jeunes en difficulté mais aussi pour la société entière, pour faire prévaloir les valeurs dont nous avons hérité et que nous devrons léguer aux générations futures.
Votre travail qui mérite d'être fortement et mieux reconnu, est à cet égard primordial. Vous êtes un pilier de la prévention de la délinquance des jeunes, vous, disposez d'un savoir et d'un savoir faire avec les mineurs qui vous seront confiés.
A la fin de votre formation, vous détiendriez une expertise et des expériences de terrain inestimables.
Vous allez faire le lien avec les institutions judiciaires et les familles.
. Lien avec les institutions judiciaires
Vous devez connaître la législation et le droit pour mener cette mission à bien. Vous allez être en relation permanente avec le monde judiciaire (magistrats du siège et du parquet, avocats). Si vos missions relèvent de ce qu'on appelle le travail social, sachez toujours qu'il est complémentaire du travail judiciaire et réciproquement. Les deux ensembles sont nécessaires pour que la société marche sur ses deux jambes.
Votre métier a d'ailleurs beaucoup évolué ces dernières années dans le sens de cette prise en compte de la loi ces dernières années. Par exemple, les Centre Educatifs Fermés, ces établissements pour mineurs, ou la création d'Etablissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) s'inscrivent dans ce contexte et témoignent de la nécessité d'apporter des prises en charge adaptées à certains profils de délinquance juvénile.
. Lien avec la famille
Vous vous occupez des mineurs, d'enfants et d'adolescents, mais vous allez aussi être confrontés aux familles. Vous serez un interlocuteur privilégié. Vous devez avoir conscience que quelque soit le crime ou le délit commis, les parents jouent un rôle fondamental dans le processus de réintégration des mineurs.
En effet, on demande aux parents d'être des parents responsables, mais chaque fois qu'un jeune est pris en charge, ils ont souvent le sentiment d'être écartés. Il va donc falloir que vous les intégriez au mieux du processus de réinsertion.
De plus, par votre intermédiaire, il sera possible de repérer et soutenir ces parents souvent déboussolés ou dépassés. Vous pourrez donc agir comme un véritable relais, car en fournissant aux familles ce type de fléchage, on aide assurément ces jeunes.
Pour conclure, je veux vous dire que je crois en vous. Je crois en votre métier. J'ai confiance dans le travail que vous exercez pour faire en sorte que la société soit plus juste et plus unie, que la République soit respectée et renforcée, que les jeunes puissent y trouver une place à la mesure de leurs talents et de leurs capacités.
Ensemble, nous pouvons agir pour mettre en oeuvre une grande politique publique de prévention de la délinquance dont vous constituez un pilier essentiel.
Je vous remercie de m'avoir écouté, et vous souhaite beaucoup de succès dans votre avenir professionnel.Source http://www.justice.gouv.fr, le 4 octobre 2010