Interview de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la justice, à Europe 1 le 2 novembre 2010, sur la prévention de la délinquance juvénile.

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Circonstance : Remise au Président de la République le 3 novembre 2010 du rapport de mission du secrétaire d'Etat à la justice sur la prévention de la délinquance des mineurs

Média : Europe 1

Texte intégral

M.-O. Fogiel.-   Vous êtes le secrétaire d'Etat à la Justice, vous présentez demain à   N. Sarkozy, votre rapport de mission sur la prévention de la   délinquance juvénile. Je rappelle, en deux mots, qu'il vous a été   commandé suite aux évènements de Grenoble et au discours tout   sécuritaire, vivement critiqué par l'opposition, du Président après   les émeutes. Ce rapport, on va le détailler et puis on va parler   également, évidemment de l'actualité politique du jour. Mais il est   plus classique sur la ligne de la prévention ou alors c'est un rapport   tout sécurité ?  
 
Non, mais d'ailleurs le Président n'est pas tout sécuritaire. La   discussion que j'ai eue avec lui début août, lorsque nous, nous sommes   rencontrés, qu'il m'a proposé cette mission, faisait également référence   à tout le travail qu'on avait fait par le passé ensemble. Moi comme   maire et comme président des maires de grande ville, lui comme   ministre de l'Intérieur, on a toujours été dans une démarche équilibrée.   Et ce rapport...  
 
Alors dans la démarche équilibrée, la première mesure, la mesure   phare, c'est laquelle ?  
 
Si vous voulez, l'originalité de ce rapport, ce n'est pas une mesure, il y   en aura 15. L'originalité de ce rapport, c'est d'abord d'agir, peut-être   plus qu'on ne l'a fait jusqu'à présent, non pas simplement, et c'est   important, sur les mineurs récidivistes, multirécidivistes pour les aider à   en sortir, c'est agir, j'allais dire, sur les flux. C'est-à-dire tout faire,   pour que le gamin en difficulté, ne bascule pas. Vous savez, depuis   vingt ans, la délinquance des mineurs, elle a augmenté de 118 %, ce qui   n'est pas rien.  
 
Très bien, mais ça c'est le constat, mais comment vous faites ? On a   ici, fait une enquête très bonne, par M. Peyraube sur la prévention.   Elle nous a expliqué, qu'il fallait donner des exemples concrets, des   moyens. Vous êtes bien placé pour savoir, on l'a vu dans les moyens   qui sont donnés au secrétaire d'Etat à la Justice, les moyens vous ne   les avez pas, on rabote les moyens.  
 
Je conteste ce point de vue, parce que mon rapport, c'est déjà de voir   plus large. Il se trouve que mon expérience d'élu local, m'amène à vous   dire qu'il y a vingt ans, il y avait les moyens de la Protection judiciaire   de la jeunesse, les juges des enfants qui continuent à faire un travail   formidable. Il y avait les départements avec les éducateurs de rue qui   étaient en baisse. Depuis, avec notamment les contrats locaux de   sécurité, les moyens des collectivités, des mairies - moi, je peux en   témoigner comme maire de Mulhouse pendant vingt ans - se sont   multipliés.  
 
Et la délinquance aussi, alors concrètement, parce que les gens qui   vous écoutent, là, finalement...  
 
Ce qui fait que les moyens, ils existent. Simplement souvent, il y a du   double emploi, souvent on ne sait pas qui fait quoi ? Alors quels sont   les grands axes, en réalité, pour éviter que nos jeunes ne basculent dans   la délinquance ? Il y a d'abord l'espace privé, c'est là où on se   construit, c'est la parentalité. La famille, elle a changé, bien entendu. Il   n'y a pas de nostalgie de la famille d'autrefois, il faut la prendre telle   qu'elle est d'aujourd'hui.  
 
Donc vous tapez au porte-monnaie des parents démissionnaires ?  
 
Le but n'est pas de taper au porte-monnaie...  
 
Mais est-ce que vous le faites dans ce que vous préconisez ?  
 
Je vais vous dire, pour - là aussi, je me base sur une expérience - que   des parents acceptent la main qu'on leur tend, pour que des parents   acceptent de retrouver leur dignité, leur autorité parentale, et finalement   ils ne demandent que ça, il faut qu'ils se bougent à un moment donné.  
 
Mais la réponse, est-ce que vous tapez au porte-monnaie, oui ou   non, comme le président du Conseil général des Alpes-Maritimes,   E. Ciotti le fait ?  
 
Alors je vais vous dire, Ciotti, c'est un très bon exemple. Alors je vous   réponds d'abord. Je pense que les mesures existantes en matière de   mise sous tutelle, de suspension des allocations familiales, elles doivent   exister pour qu'évidemment on n'ait pas besoin d'y recourir, mais que   ce soit une pression pour permettre à certains parents...   Donc vous le faites ?   Je vous donne un exemple sur Ciotti, justement. Dans les Alpes-   Maritimes, il a été le premier à initier le contrat de responsabilité   parentale, que je veux largement développer. Il me dit : la mise sous   tutelle des allocations familiales dans les 130 premiers cas, je n'ai pas   eu une seule fois besoin de la mettre en oeuvre.  
 
Les bandes de filles, comment vous faites ? La délinquance, on en   parle beaucoup...  
 
Elle a beaucoup augmenté, c'est vrai.  
 
...Des phénomènes de bandes de filles, comment vous la régulez d'après votre rapport, vos 15 mesures ?  
 
Alors là, il y a un aspect extrêmement concret que j'ai pu voir en   Allemagne, à Berlin précisément, qui existe depuis 17 ans. Les jeunes   qui sont, je dirais, juste avant la case prison, c'est-à-dire les jeunes,   vraiment qui ont eu vraiment beaucoup de problèmes de violence et qui ont d'ailleurs eux-mêmes fait beaucoup de bêtises, eh bien on met en   place, après l'école, des petits groupes 6 à 10, et on leur fait des stages   antiviolence, de 4-5 heures, par jour, pendant 3-4 mois, avec des   exercices très professionnels. C'est efficace, puisque 2 gamins sur 3, et notamment les filles, ne recommencent pas.  
 
Détecter dès l'école primaire les comportements violents de certains   élèves, est-ce que vous êtes adepte, vous de ça ?   
 
Si je puis me permettre, il y a les parents, la sphère privée, et vous avez   raison, il y a l'école, beaucoup se jouent à l'école ...  
 
Mais dès l'école primaire, on limite (inaud.).  
 
...Et entre les deux, il y a l'espace public. Aujourd'hui, on se rend   compte au collège, moi, beaucoup de mes expérimentations qu'on vient   voir de partout à Mulhouse, se passent au collège. De manière à ce   qu'on travaille davantage en partenariat, police, justice, etc. Ça marche,   mais on se rend compte que c'est parfois déjà un peu tard. Il y a des   comportements violents, il y a des jeunes qui vont victimes   d'agressivité, il y a également des jeunes qui sont en souffrance, parfois   même dès l'école maternelle, il faut donc intervenir plus tôt, en effet. Et   là, par tout moyen, l'Education nationale, les services de santé, les   services sociaux, tout adulte qui repère.  
 
Vous remettez, ce rapport demain, est-ce que c'est un rapport que   vous allez mener ensuite en action ? Est-ce que vous serez au   Gouvernement, vous pensez, pour pouvoir le faire ? Ou alors vous   n'avez pas la frustration de faire un rapport peut-être pour rien ?  
 
Premièrement, je n'ai aucune frustration, parce que c'est un sujet, vous   l'avez compris, qui me passionne et ça me paraît très utile, parce que   c'est le regard que porte la société française sur sa jeunesse. Est-ce   qu'on est dans la peur ? Ou est-ce qu'on est de nouveau dans la   confiance ? Et pour cela, naturellement, il faut agir, avec l'idée d'un   bon équilibre entre à la fois la nécessaire fermeté, pour qu'on se bouge   et la main tendue, la prévention...  
 
Mais est-ce que vous serez aux manettes pour pouvoir faire avancer   votre rapport à votre avis ?  
 
Donc ce rapport, il va faire travailler, j'ai au moins consulté une dizaine   de membres du Gouvernement, donc ce n'est pas le rapport d'un   secrétaire d'Etat ou d'un ministre. C'est une priorité du pays, donc je   n'ai aucune frustration, je suis très heureux de l'avoir fait. Je ne   demande pas à poursuivre, il n'y a pas vocation à poursuivre, tout le   monde, à son niveau, mettra en oeuvre, et pour ce qui est de la suite, la   réponse dépend évidemment du président de la République.  
 
Sauf que vous aviez des états d'âme que vous aviez fait partager   autour de votre ministre de tutelle, il y a quelques mois. Ils sont   réglés ces états d'âme ? Vous êtes...  
 
Ma caractéristique, si vous voulez, c'est que, vous savez, ou on part ou   on se met au travail. Moi, j'ai trouvé des missions passionnantes donc   je n'ai plus d'état d'âme.  
 
Vous avez travaillé...  
 
J'ai des bonnes relations avec le ministre de tutelle. Et puis l'ouverture,   pour moi, aujourd'hui, c'est la place de la Gauche moderne, dans la   campagne présidentielle, l'aile gauche de la majorité qui sera un   marqueur, un signal pour le deuxième tour, on aura besoin de tout le   monde pour gagner. Donc moi, je suis partant, mais en tout état de   cause, je serai dans cette bataille de 2012. Le reste, c'est le président   qui a la réponse.  
 
Donc vous postulez en tout cas, pour rester au Gouvernement, on   l'a entendu, merci, J.-M. Bockel, donc secrétaire d'Etat, pour   l'instant, à la Justice.  
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 novembre 2010