Interview de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, à "France 2" le 2 novembre 2010, sur le budget de la sécurité sociale pour 2011.

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R. Sicard.- C'est aujourd'hui que les députés vont adopter le budget de la Sécurité sociale, budget prévu en déficit de plus de 21 milliards. Ça reste un très gros déficit.

Ça reste un très gros déficit, naturellement. C'est un déficit qui, s'il n'y avait pas eu les réformes structurelles, la réforme des retraites, toutes les mesures que nous avons mises en oeuvre pour maîtriser l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, qui pour la première fois d'ailleurs depuis 1997 va être respecté, aurait été autour de 30 milliards. Donc nous sommes... nous garrottons l'hémorragie en quelque sorte, nous proposons une inflexion mais nous avons encore des efforts à produire dans les années qui viennent. Le budget de la Sécu, c'est presque une fois et demie le budget de l'Etat.

Pour arriver à limiter les déficits, des médicaments seront moins bien remboursés, c'est un petit peu injuste pour ceux qui ne peuvent pas payer.

Non, parce que ceux qui ne peuvent pas payer, comme vous dites, ceux qui ont le moins de moyens, bénéficient à la fois de la Couverture médicale universelle, ils ont également une faculté, pour les 4 millions de personnes concernées, d'avoir un accès à une complémentaire santé. Donc ceux-là sont protégés, sont préservés, et bénéficient pleinement de la solidarité.

Et pour les classes moyennes ?

Les classes moyennes participeront à l'effort général mais de manière maîtrisée. Je veux dire que tout ce que nous avons mis en oeuvre au sein du Gouvernement, est lié très profondément à la crise de 2008/2009. Moi, je suis frappé de voir à quel point on oublie, à quel point on oublie même ne serait-ce qu'il y a six mois, que l'euro a été menacé, que les Européens se sont mis à la table pendant un week-end pour sortir 750 milliards, que la Grèce, que l'Espagne, que le Portugal, regardez ce que fait la Grande Bretagne, il n'y a rien de tout cela en France. Mais nous avons une réforme des retraites importante, qui est favorable pour nos finances publiques. Nous avons un budget où nous réduisons quand même le déficit budgétaire de 60 milliards, ce qui est considérable. Et nous avons un financement de la Sécurité sociale qui évite les dérapages sur le plan des déficits. Mais ça, c'est l'impact de la crise.

Mais sur la Sécu, les députés de l'UMP, certains députés de l'UMP, proposaient de taxer plus le tabac et surtout le patrimoine. Vous avez dit non. Pour quelle raison ?

D'abord, sur la partie patrimoine, on avait déjà des taxations importantes. Le président de la République avait proposé de faire porter une partie de l'effort de la solidarité sur la réforme des retraites, autour des hauts revenus. On a créé une tranche à 41 % sur les hauts revenus, une fiscalisation supplémentaire sur les stock-options, les retraites chapeau également, plus une augmentation des points de fiscalité du taux sur les plus-values mobilières et immobilières.

Mais là, la proposition allait beaucoup plus loin...

La proposition, elle est plus loin et nous faisait prendre le risque de passer sous la ligne de flottaison, mais il y a aussi...

C'est-à-dire ?

Sous la ligne de flottaison, c'est-à-dire qu'à un moment donné, l'impôt est, comme on dit, confiscatoire ou dissuasif. C'est-à-dire que les gens ne se seraient plus mobilisés sur ces types de financements et seraient allés ailleurs, où la fiscalité est réduite, donc, il y a des transferts que nous devons calculer.

Ce budget de la Sécu, pour son niveau, il dépend aussi de la croissance et de l'emploi. En matière de croissance, qu'est-ce que prévoit le Gouvernement ?

On a tablé sur une croissance de 2 % pour l'année, prochaine, elle a été révisée à Brégançon à la fin du mois d'août, et nous calculons, puisque nous travaillons dans la durée, notre objectif est de ramener le niveau de déficit en 2014 à 2 % et d'être à l'équilibre budgétaire au même moment à peu près que les Allemands, en 2016, même si les Allemands auront peut-être un peu moins de chemin que nous à parcourir. Donc ça veut dire une activité économique entre 2 et 2,5 %.

Et en matière de chômage ?

Et en matière de chômage, les chiffres sont bons, nous avons créé 60.000 emplois cette année. Quand je dis « nous », c'est l'économie, ce n'est pas l'Etat, « nous », c'est une action collective, la richesse, la croissance, c'est l'addition des efforts de tous, donc nous sommes sur la bonne tendance.

A propos d'impôts, J.-L. Borloo propose ce matin ce qu'il appelle "un Grenelle de la fiscalité" pour tout remettre à plat. Qu'est-ce que vous en pensez ?

Bon, le Grand soir, ça peut exister. Il y a des pistes qui peuvent prendre la forme de ce que souhaite - et que je partage - le président de la République c'est-à-dire une nouvelle stratégie fiscale, autour de l'ISF, anomalie française, du bouclier fiscal qui est décrié par certains, et d'une réflexion qui va aussi sur l'impôt sur le revenu, sur la CSG. Donc, de toute façon il y a une réflexion d'ensemble qu'il faut avoir. Je vais vous donner un exemple : l'impôt sur le revenu, qui parle le plus aux gens, représente 50 milliards. Vous avez 36 millions de foyers en France, il n'y en a que 15 qui paient l'impôt sur le revenu, 500.000 Français représentent 43 % du financement de ces 50 milliards. Et pourtant, cet impôt sur le revenu, il ne produit pas assez. On doit avoir une réflexion autour de cela : produire plus, ça ne veut pas dire que plus de gens vont entrer dans le système, ça veut dire qu'il faut trouver des dispositifs, où la CSG, les impôts proportionnels, seraient de nature à rentrer dans...

Mais cette idée...

Donc une stratégie...

Mais cette idée d'un "Grenelle de la fiscalité", où on mettrait tout le monde autour de la table, c'est une bonne idée ou pas ?

Ça se fait... Il faut regarder, en termes de finances publiques ce que tout cela coûte. Je prends l'exemple de la réforme ISF-bouclier, elle doit être neutre pour les finances publiques. On n'a pas les moyens, aujourd'hui, de se payer le luxe d'une réforme de la fiscalité qui ferait rentrer moins d'argent dans les caisses de l'Etat. On a besoin d'argent, on a eu un effondrement de nos recettes, plus de 50 milliards, effondrement des recettes pendant la crise. Donc nous devons créer les conditions, en effet - et c'est ça le sens de la stratégie fiscale - une bonne réforme fiscale, c'est quoi ? C'est celle qui atteint un double objectif : d'être acceptée, acceptée par tous, c'est très important d'avoir un impôt qui soit accepté par tous, et que ce soit un outil...

Et ça passe pas un Grenelle ?

Grenelle, pas Grenelle... Le terme stratégie fiscale définit par le président de la République, me parait plus correspondre à ce qu'une évolution de notre fiscalité, partagée par tous, et outil au service du développement économique, peut produire dans les mois et les années qui viennent.

J.-L. Borloo, justement, on l'entend beaucoup en ce moment, est-ce qu'il se pose en Premier ministre potentiel ?

J'ai l'impression que c'est une carte sérieuse, oui, J.-L. Borloo...

C'est-à-dire ?

Il est ministre d'Etat, il a fait un parcours, il a plein d'idées. Voilà, c'est un...

Ça ferait un bon Premier ministre ?

Je ne suis pas là pour distribuer les bons points ou les mauvais points. Il vous reste, quoi, une quinzaine de jours ou trois semaines, peut-être un mois à attendre, voilà.

Pour ce qui vous concerne, on parle de regrouper à la fois les activités de C. Lagarde et les vôtres. Est-ce que ça, ça vous parait une bonne configuration, un très grand Bercy ?

Je ne veux pas rentrer là-dedans. Honnêtement, si on joue à ce jeu-là, on va abattre ses cartes, ce n'est pas le Poker Tour là... Moi, je suis concentré sur la mission qui m'est confiée. On a le budget avec 60 milliards à trouver, la Sécu que l'on vote cet après-midi, où on réduit également les déficits, et puis après, lors des discussions au Sénat, j'ai pas mal de pain sur la planche.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 novembre 2010