Interview de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, à "Europe 1" le 27 octobre 2010, sur la réduction des déficits publics et sur la situation financière d'autres pays européens.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Vous savez que cet après-midi, l'Assemblée adopte solennellement la réforme des retraites. Au Parlement c'est fini. F. Baroin, bonjour.

Bonjour.

Bienvenue. Récemment vous craigniez que les agences de notation dégradent l'excellente note « triple A » de la France. Après ce vote des retraites, est-ce que vous êtes moins inquiet, et pour autant la France n'est-elle plus un pays à risques ?

La France est l'une des meilleures signatures en Europe et dans le monde. On a une économie diversifiée, on a une main-d'oeuvre qualifiée, on a un système bancaire avec des ratios liés aux fonds propres qui sont très solides, on a un taux d'épargne privée à plus de 16%, qui est un élément de protection, et on a une détermination très forte à réformer le pays, à réduire nos déficits. La retraite est l'un des moteurs de cette fusée à 3 étages, avec la Sécurité sociale pour la réduction des déficits et puis avec le projet de loi de Finances pour, là encore, économiser 40 milliards et revenir à un niveau de déficit acceptable.

Justement, cette nuit encore vous défendiez à l'Assemblée le budget 2011, dont le volet recettes a été hier approuvé. En 2011, c'est 40 milliards d'économies. C'est douloureux, certes, pour les Français, mais pourtant il y a beaucoup d'experts qui disent que c'est encore trop timide à cause de ce qui va nous arriver, à cause de la suite.

Il y a peut-être des gens qui aiment les potions amères. En tout cas, quand je vois ce qui se passe en Espagne, où on baisse les traitements des fonctionnaires, où on augmente la TVA, quand je vois ce qui se passe au Portugal, gouvernements socialistes au passage...

Et en Grande-Bretagne 95 milliards en un an.

Et en Grande-Bretagne, en Allemagne aussi. Le plan français, pour le résumer, c'est 100 milliards d'économies sur trois ans. C'est un effort important, nous avons du chemin à parcourir, nous voulons revenir, je le rappelle, à l'équilibre budgétaire en 2016. Comme les Allemands. Mais nous ne voulons pas ni casser la reprise, ni altérer notre modèle social. C'est pour ça, par exemple, que le plan français n'a rien à voir avec le plan britannique, par exemple.

F. Baroin, sur les 40 milliards de réductions de déficit, en fait il y a 5 milliards qui seront à la charge des particuliers, 5 milliards à la charge des entreprises, égalent 10 milliards. Mais vous avez prévu 3 fois plus, et plus dur, 30 milliards en 2012, 30 milliards en 2013, c'est-à-dire que les vrais efforts sont à venir.

On ne peut pas le dire. C'est un budget historique, celui qu'on prépare pour l'année prochaine, historique parce qu'on va réduire de 60 milliards le déficit budgétaire, de 40%, ça ne s'est jamais fait au cours de ces 50 dernières années. Et dans les 40 milliards, certes, il y a la suppression du plan de Relance, à 16 milliards, mais vous avez l'effort puissant que l'Etat fait sur lui-même.

7 milliards.

7 milliards. On gèle, pour la première fois, les dépenses de l'Etat. On va faire des économies importantes.

7 milliards de hausse de rentrées fiscales s'il y a une croissance calculée à 2%, elle va être à 1,5.

Ça c'est la partie recettes liées à l'activité économique. Il y a 7 milliards liés aux efforts que l'Etat fait sur lui-même. On va réduire de 5%, dès l'année prochaine, les crédits des ministères, les crédits d'interventions, les subventions, on va mutualiser la politique d'achat, on va faire des économies sur l'immobilier, on va faire des économies sur la communication. Donc, ce que je veux dire c'est que, l'Etat, certes, demande des efforts aux Français, équilibrés, d'ailleurs plus portés sur les entreprises, et dont 70% d'effort sera affecté à la préservation de la Sécurité sociale pour renforcer...

Ça c'est cette année, mais ce que je veux dire c'est que l'année prochaine et l'année d'après, ça va être 3 fois plus. 30 milliards, 30 milliards.

Oui, on doit être à 4,6 de niveau de déficit en 2012, et on doit revenir en 2013, c'est-à-dire après demain, au niveau de déficit que nous avions avant la crise car, J.-P. Elkabbach, il y a eu la crise, et tout le monde semble vouloir l'oublier. Et cette crise, si elle est derrière nous, elle laisse des cicatrices, elle laisse des stigmates, c'est ça que nous avons à gérer aujourd'hui.

Vous disiez tout à l'heure, l'équilibre en 2016. T. Breton, J. Attali et d'autres disent, plutôt 2020.

Nous devons avoir une détermination implacable dans la réduction des déficits.

Est-ce que vous confirmez, F. Baroin, que la facture d'électricité va augmenter de 3% en janvier ?

C'est une déclinaison du Grenelle de l'environnement, qui lui-même est une déclinaison de la plateforme de N. Hulot que, que et S. Royal, qui a été battue, et N. Sarkozy, qui a été élu, avaient pris...

Donc c'est confirmé ?

Donc c'est confirmé.

Les députés veulent relever les amendes de stationnement d'un coup à 20 euros. Vous, vous dites entre 15 et 20. Est-ce que je peux vous demander, c'est plus près de 15 ou de 20 ?

Ce sera plus près de 15, mais il faut les augmenter. Pourquoi ? Très rapidement. Ça n'a pas bougé depuis 86, en 25 ans nos villes ont changé, les recettes liées aux amendes vont pour partie dans les caisses des collectivités locales, qui transforment leurs villes. On supprime les places de stationnement, on finance des transports en commun en site propre, donc les villes changent...

Plus près de 15, et avant Noël ?

Ça ne sera peut-être pas le cadeau de Noël, il y a déjà une addition, une mesure significative, ce sera en début d'année.

Est-ce que le mouvement social, qui n'est pas terminé, aura des effets négatifs sur la croissance en 2010 ?

En tout cas il faut que le mouvement, qui est en phase de conclusion... on a une démocratie sociale et une République parlementaire, ou une République sociale et une démocratie parlementaire, les deux se sont exprimées, il ne faut pas que ça coûte trop cher. On n'a pas les moyens de se payer le luxe d'un mouvement qui coûte à l'économie.

On entend que la prochaine étape du quinquennat de N. Sarkozy sera marquée par le social. Social tous azimuts. F. Baroin, la justice sociale elle coûte combien, quand l'Etat frôle la faillite ? C'est combien la justice sociale ?

Si vous prenez le taux de redistribution, par exemple, on a 2000 milliards. L'addition des efforts de tous c'est 2000 milliards, on a plus de 1000 milliards de dépenses publiques, on a 850 milliards de prélèvements obligatoires, à l'intérieur de ces 850 vous en avez plus de 500 qui sont en redistribution pour un modèle social. Le modèle français est le modèle le plus redistributif, avec la Suède.

Mais on a les moyens de faire de la justice sociale ?

On a les moyens de protéger l'essentiel et de préserver les fondamentaux, mais on a aussi l'exigence, pour le préserver, de réformer. C'est le sens de la réforme des retraites, c'est le sens de ce que nous faisons sur la Sécurité sociale, c'est le sens de ce que nous faisons sur les dépenses d'Assurance Maladie, tout ça c'est un tout.

Est-ce que vous confirmez ce matin, qu'en juin 2011 sera enterré le symbole de l'injustice sociale, le bouclier fiscal ?

Est-ce qu'il est si injuste, est-ce qu'il est si injuste que 50% des impôts, ou du travail que l'on fait, va dans les impôts ? Moi je crois que nous devons nous éloigner d'une idée d'un impôt spoliateur ou confiscatoire... Il y a une stratégie qui a été définie : le président de la République...

Non, mais vous confirmez que « good bye bouclier fiscal » ?

Non, je ne vous le confirme pas comme ça, nous devons atterrir. De toute façon le bouclier ne bougera pas si l'ISF ne bouge pas. S'il y a un bouclier, c'est que la France a une anomalie, une singularité, c'est d'avoir un impôt de solidarité sur la fortune. Donc, si nous avons une réflexion globale pour atterrir sur quelque chose d'équilibré, de juste, et au fond c'est quoi une stratégie fiscale juste ? C'est quelque chose qui atteint ce double objectif : l'équité, c'est-à-dire le fait que l'impôt soit accepté par tous, et que ce soit un outil de relance économique. Juste un mot. Savez-vous par exemple que sur l'impôt sur le revenu vous avez 36 millions de foyers fiscaux, vous n'en n'avez que 15, 15 millions ! Qui paient l'impôt, et sur les 15 millions vous avez 500 000 personnes qui produisent 43% de l'impôt sur le revenu. Donc vous avez 500 000 personnes qui portent beaucoup d'efforts.

Tout le budget 2011 doit être voté en première lecture le 17 novembre. On sait que le Gouvernement sera changé à partir de cette date, il aura une tête sociale. Est-ce que c'est une tête sociale à la Borloo, bien coiffée, à la Fillon, recoiffée, à la Baroin, un peu décoiffée ce matin ?

Je vous remercie. Je crois que le futur Gouvernement, il sera le choix du Président, doit avoir une tête sociale, un corps social et des pieds sociaux, nous rentrons dans une nouvelle phase.

En marche sociale. C. Lagarde, est-ce qu'elle ferait un bon ministre au Quai d'Orsay ?

C. Lagarde a beaucoup de qualités, elle ferait un bon ministre partout.

Donc peut-être là aussi.

Je ne suis favorisé d'aucune confidence.

Entre elle et vous, évidemment, les relations sont excellentes, on l'a entendu il y a deux jours, mais pour l'efficacité, est-ce qu'il faut abattre le mur de Bercy, et faire un ministère plein ou lieu de deux ?

Honnêtement, dans le contexte d'après crise que nous traversons, ce n'est pas inutile d'avoir un Bercy qui marche sur deux pieds, l'un qui s'occupe de la réduction des déficits, sans augmenter les impôts, et l'autre qui a pour objectif de relancer l'économie. Donc c'est plutôt un travail équilibré. Maintenant, s'il y a d'autres choix, nous nous adapterons.

S'il y avait un ministère, vous y seriez peut-être plus à l'aise, non ?

Nous nous adapterons au choix du Président, je crois qu'il a une conscience très claire de ce qu'il veut faire.

Oui, parce qu'il faut aller vite. Le Gouvernement et l'UMP, la majorité, ont les nerfs en pelote, vous pensez que ça ne va plus traîner ?

Oui, mais enfin, ces rivalités entre le parti et le groupe, ça a toujours existé. Je me souviens d'un Juppé/Pons dans les années 93, on était tous chiraquiens, on s'en mettait plein la figure. Ce n'est pas très grave.

Merci d'être venu.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement le 15 novembre 2010