Interview de M. Benoist Apparu, secrétaire d'Etat chargé du logement, à France Info le 2 décembre 2010, sur l'hébergement d'urgence des sans-abri, la loi réprimant les "marchands de sommeil" et la polémique concernant l'occupation de logements HLM par des personnes à hauts revenus.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- Bonjour B. Apparu.
 
Bonjour.
 
Vous êtes le secrétaire d'Etat, chargé du Logement. Un poste que vous avez d'ailleurs conservé lors du remaniement le mois dernier. Nous sommes aujourd'hui le 2 décembre, dans une période de froid intense, assez précoce, une période où, bien sûr, la problématique du logement prend toute sa dimension. Vous avez dit hier que tous les sans-abri qui appelleront le 115 se verront proposer des places d'hébergement d'urgence. Etes-vous certain de pouvoir tenir cette promesse ?
 
Il faut toujours être très prudent et très modeste dans ces situations-là. Mardi soir, par exemple, sur Paris, nous avons eu treize refus. J'ai rappelé le préfet hier pour lui dire : non, c'est zéro refus. Donc hier soir, ça s'est bien passé. Et je vais essayer bien évidemment de garantir ce principe : zéro demande non pourvue. On l'a mis en place l'année dernière, pour la première fois. Cette année, il est encore en place, on l'a réaffirmé à l'ensemble des préfectures, et je pense pouvoir tenir cet objectif. La vraie difficulté en fait, si vous voulez, elle n'est pas là, ça, je pense qu'on arrivera à le tenir. La vraie difficulté, c'est que vous avez un certain nombre de sans-abri qui ne feront pas la démarche d'appeler le 115, ceux qui sont le plus cassés par la vie, qui sont dans la rue depuis deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans, ceux-là, malheureusement, évidemment, n'appellent pas le 115. Et donc pour ça, on a d'autres dispositifs, on a notamment tous les bénévoles associatifs, à qui je veux rendre un vrai hommage, qui, toutes les nuits, font ce qu'on appelle des maraudes, c'est-à-dire avec des camionnettes ou à pied, vont circuler dans les rues de Paris ou des grandes villes françaises pour pouvoir aller à la rencontre des sans-abri et essayer de les amener dans les centres d'hébergement.
 
Alors justement, je vous propose d'écouter le témoignage de Jean-François Molas, il dirige la brigade d'assistance aux personnes sans abri à Paris.
 
Jean-François Molas : Il y a des personnes sans abri qui sont très, très bien couvertes et qui savent ce qu'elles font, et qui ne boivent pas trop, qui dorment par exemple dans des tentes. Là, à ce moment-là, on ne va pas insister parce que c'est pénible pour elles aussi, on ne doit pas les harceler aussi. Par contre, quand la personne est en véritable danger, là, c'est très délicat. Et c'est là où il faut savoir la convaincre, et c'est vraiment très difficile et parfois critique. Nous avons par exemple transporté hier soir quelqu'un aux urgences, et avant hier soir aussi ; ce sont des personnes qui veulent rester à tout prix dans la rue, et qui parfois ne sentent pas le froid à cause de l'alcool. L'alcool empêche de sentir le froid. Il faut savoir qu'il y a des gens qui ont des problèmes psychiatriques aussi, qui ne ressentent pas tout le mal qu'ils ont.
 
Il y a effectivement ces problèmes lourds de santé, mais il y a aussi de nombreux sans-abri qui ne veulent pas aller dans ces centres d'hébergement, parce qu'ils disent qu'il y a de la violence, qu'il y a des vols, qu'il y a effectivement des personnes alcoolisées. Donc est-ce qu'il n'y a pas un problème d'adaptation pour accueillir ces sans-abri ?
 
Avec le plan de relance pour l'économie française, on a mis en place un plan d'humanisation des centres d'hébergement, pour essayer d'avoir un maximum de chambres individuelles ou à deux, bref, pour permettre d'avoir une autre vision de ces centres d'hébergement ; c'est vrai que l'image qu'on a en tête, c'est des grands dortoirs, quarante personnes, du bruit, de la violence, de l'alcool, et que c'est évidemment un vrai frein pour ceux qui veulent aller dans les centres d'hébergement.
 
Le problème des animaux aussi...
 
Ce plan d'humanisation est aujourd'hui en place, on est en train de faire les travaux, je ne vous dis pas que tout est terminé, mais on est en train de faire les travaux, et on a fait des vrais progrès en la matière. Il n'en demeure pas moins qu'au-delà de l'explication qui est donnée, beaucoup de sans-abri sont attachés à leur rue, sont attachés à leur trottoir, c'est devenu leur vie, c'est devenu leur maison, même si le mot est évidemment mal choisi. Il y a une appropriation, entre guillemets, de la rue par les sans-abri. Et c'est vrai que ceux qui sont là depuis deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans - je me répète - ceux-là sont très difficiles à décrocher de la rue, et ça demande un travail de la part des bénévoles associatifs ou des professionnels associatifs absolument considérable, au quotidien, pour pouvoir les amener vers un centre d'hébergement. Parce que la vraie logique pour nous, ce n'est pas celle-là, la vraie logique c'est de se dire : comment on change complètement de politique en la matière pour les conduire vers le logement ; je veux dire, l'hébergement, ce n'est pas une fin en soi, l'hébergement, c'est un passage pour reconstruire des gens et pour ensuite pouvoir les amener vers l'autonomie et vers le logement, c'est ça le vrai but politique que l'on doit se donner.
 
Alors justement, le logement sur la longue durée, mardi soir, les députés ont voté une loi qui a pour objectif de lutter contre les marchands de sommeil, une loi que vous avez soutenue, et qui frappe au porte-monnaie les propriétaires de ces logements insalubres, vous allez nous en parler, mais la gauche aurait voulu aller encore plus loin, et imposer des sanctions pénales lourdes.
 
Eh bien, avec N. Kosciusko-Morizet, nous avons présenté ce texte de loi, enfin, défendu ce texte de loi, qui était écrit par un député du Nord, qui s'appelle S. Huyghe. Quelle est l'idée ? On a des procédures pour lutter contre les marchands de sommeil, mais ça prend deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans, c'est beaucoup trop long. Et puis, on leur dit : attention, ça va faire mal, mais sans mettre la sanction à côté. Donc là, on est décidé, en début de procédure, de dire : voilà, maintenant, c'est très simple, si vous ne faites pas les travaux dans vos logements...
 
Parce que les marchands de sommeil, il faut rappeler ce que c'est, ce sont des propriétaires qui...
 
Marchands de sommeil, ce sont des propriétaires qui achètent des logements totalement insalubres, qui les louent souvent au black...
 
A prix d'or...
 
A prix d'or, et donc qui vont rentabiliser en à peine un an leur achat et qui vont effectivement se conduire comme des Thénardier tout simplement. Et donc on a décidé de les taper au porte-monnaie, de le faire par voie administrative, c'est-à-dire que le préfet ou le maire pourra décider de l'astreinte, en disant : c'est de 50 à 500 euros par jour d'astreinte tant que vous n'avez pas fait les travaux pour réhabiliter le logement et le rendre tout simplement digne. Alors, c'est vrai qu'on peut toujours aller plus loin, mais les sanctions pénales, juste rappeler au Parti socialiste qui a, de façon surprenante n'a pas voté ce texte-là, les sanctions pénales, elles existent déjà. Mais quelle est la difficulté ? C'est que la sanction pénale, il faut bien évidemment un procès.
 
Il faut du temps...
 
Donc il faut du temps. Parce que ça veut dire que vous allez... il faut découvrir le logement insalubre, il faut prendre les arrêtés de péril ou d'insalubrité, ensuite, il faut demander les travaux, et ensuite, il faut aller au tribunal pour condamner la personne. Ça prend cinq ou six ans. Ce qu'on souhaitait, c'était aller beaucoup plus vite. Et c'est ce qu'on a fait avec cette amende maintenant que l'on peut mettre directement par voie administrative contre le marchand de sommeil.
 
Alors pour trouver aussi des logements sur une longue durée, il y a évidemment les HLM qui, en principe, eux, sont réservés aux personnes à faibles revenus. Est-ce que c'est toujours le cas ou il y a toujours ce soupçon de scandale de personnes avec des hauts revenus qui occupent des HLM notamment à Paris ?
 
Il y a un principe de base, qui est très simple et que j'ai réaffirmé au congrès HLM à Strasbourg il y a deux mois maintenant : le logement HLM, il est là pour loger les plus modestes. Ce qui m'embête, c'est d'avoir été sifflé quand j'ai dit ça, ce qui m'embête, c'est lorsqu'en 2009, on a fait une loi pour interdire justement ces sur-revenus, enfin, ces personnes qui gagnent beaucoup d'argent et qui sont dans le HLM, la gauche a voté contre. Très concrètement...
 
Parce qu'il y a les partisans d'une certaine mixité sociale à l'intérieur des HLM...
 
Non, mais la mixité, j'y suis, enfin, j'en suis un ardent partisan, la question que l'on doit se poser, c'est : est-ce que la mixité doit obligatoirement être à l'échelle de l'immeuble HLM ou du quartier pour mettre de l'accession à la propriété dans nos quartiers et des immeubles HLM, la vraie mixité, c'est celle-là. Mais si vous dites : on va faire de la mixité dans les logements HLM, c'est-à-dire qu'on va mettre des riches ou des familles moyennes dans les logements HLM, les modestes, on les met où ? Bon, donc, on a pris des décisions l'année dernière, 143.000 familles en HLM se voient maintenant appliquer ce qu'on appelle un surloyer, elles gagnent trop d'argent pour être en HLM, et donc on leur dit : ben, vous allez payer le prix du logement libre, celui que vous auriez trouvé dans le privé, 143.000 ; et puis, quand vous avez des revenus qui sont deux fois supérieurs à ceux nécessaires pour avoir un logement HLM, deux fois supérieurs, à ce moment-là, on vous demande de quitter les lieux, et on a le droit de vous faire quitter les lieux, de quitter le logement HLM en question, parce que là encore, je me répète, c'est même du bon sens, le logement HLM, il est là pour loger les plus modestes, et pas les autres.
 
Merci B. Apparu, secrétaire d'Etat chargé du Logement, d'être venu ce matin en direct sur France Info.
 
Merci à vous.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 décembre 2010