Texte intégral
JEAN-MARC SYLVESTRE : Alors que la conjoncture économique suscite de plus en plus d'inquiétudes, une vague de plans sociaux est venue assombrir encore davantage le climat des affaires françaises. Danone, Marks Spencer, Moulinex, AOM ont tous dévoilé successivement la décision de réduire leurs effectifs. Décisions qui ont immédiatement provoqué un surcroît de nervosité politique, notamment à la gauche de la gauche, obligeant le gouvernement à proposer un renforcement des conditions de licenciements. Aujourd'hui 1er mai, les syndicats qui manifestaient ont évidemment mobilisé sur tous ces dossiers, sur tous ces thèmes. Alors, on va essayer d'y voir clair avec Nicolas Beytout, bien sûr, et puis notre témoin cette semaine, Denis Kessler, président de la Fédération française des sociétés d'assurances, c'est votre métier, et surtout vice-président du MEDEF. Le MEDEF en tant que tel est plutôt resté discret sur toutes ces affaires, ce qui alimente un certain nombre de spéculations sur la stabilité du MEDEF. On attend de vous, Denis Kessler, une réaction, une analyse, un éclairage sur tous ces dossiers qui s'empilent même s'ils ne s'inscrivent pas tous dans la même équation. Il y a peu de rapport entre ce qui se passe chez Danone ou chez Moulinex, entre Marks Spencer et AOM. Une première question, Denis Kessler. Est-ce que vous comprenez en fait l'émotion suscitée par l'annonce de tous ces plans sociaux ? Chez les personnels concernés bien sûr mais aussi dans l'ensemble des salariés. Moi je vous pose ces questions parce qu'on a parfois le sentiment, à écouter les patrons qu'ils sont uniquement préoccupés par leurs cours de bourse, par la réaction des marchés financiers.
DENIS KESSLER : Ceci est faux, bien entendu. L'émotion
JEAN-MARC SYLVESTRE : Qu'est-ce qui est faux ?
DENIS KESSLER : De dire que les responsables d'entreprise considèrent ces plans sociaux avec distance, ceci est faux. L'émotion qui est partagée par tous l'est également par les responsables d'entreprise. Nous comprenons tout-à-fait pourquoi lorsque l'on annonce plusieurs centaines plusieurs centaines ou plusieurs milliers de licenciements, la région, l'entreprise, le personnel manifestent une émotion. Donc nous comprenons tout à fait
JEAN-MARC SYLVESTRE : C'est vécu comme un drame localement
DENIS KESSLER : C'est vécu comme un drame et je rappelle qu'aucun chef d'entreprise lorsqu'il est appelé à prendre ces décisions ne le fait de gaieté de cur. NICOLAS BEYTOUT : Que ce genre d'affaires soit vécu comme un drame sur le plan local n'est pas au fond très étonnant puisque c'est une affaire dramatique pour chacun. Ce qui est plus étonnant, et je voudrais savoir quelle est votre explication là-dessus, c'est comment est-ce que la société française, qui crée beaucoup d'emplois et qui dit en permanence que son moral est au plus haut, a pu à ce point là basculer dans l'émotion et la crainte à l'occasion de ces plans sociaux ?
DENIS KESSLER : Oui, c'est une des grandes surprises puisque l'année dernière nous avons créé 360 000 emplois. C'est absolument considérable
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous continuez à en créer d'ailleurs, vous avez vu les statistiques du chômage la semaine dernière
DENIS KESSLER : Ca continue puisque nous avons créé au mois de mars encore plus de 10 000 emplois. Tout ceci, ce sont des bonnes nouvelles. Alfred Sauvy avait une très belle phrase. Il disait qu'en France l'emploi qui naît est silencieux et que l'emploi qui disparaît hurle. Et c'est vrai qu'à chaque fois que l'on crée par centaines de milliers des emplois, 1,5 million dans les trois dernières années créés par les entreprises françaises, ceci est considéré comme maintenant naturel. Et que lorsque l'on est obligé de procéder à des plans sociaux, de l'ordre de 1 500 emplois, ceci génère une émotion extrêmement forte. Une émotion légitime. Les conclusions et les conséquences que l'on tire de cette émotion, l'exploitation de cette émotion par certains me semblent, en ce qui me concerne, tout à fait abusive.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Alors on va en parler. Avant d'aller plus loin, écoutez la réaction à chaud des ouvriers de Moulinex lorsqu'ils ont appris la décision officielle de fermeture du site historique à Alençon. C'était il y a quelques jours. Reportage de Denis Cadeau. DENIS CADEAU : La mauvaise nouvelle était attendue, prévisible. Elle est tombée en fin de matinée par le coup fil d'un délégué syndical convoqué au siège parisien. Le délégué syndical : Voilà, confirmation d'arrêt. D'arrêt de la fabrication sur Alençon, sur Cormelles et sur Lesquin, c'est officiel. DENIS CADEAU : Aussitôt, les ateliers vont être informés. Que c'en est donc fini de la vieille usine Moulinex d'Alençon, le berceau du moulin légumes et jusqu'à aujourd'hui des cafetières et fers à repasser de la marque. Spontanément les ouvrières sortent dans la cour, personne n'est vraiment surpris par l'annonce de la fermeture. Le délégué syndical : Ceci est un plan sur deux ans. C'est-à-dire que ce que l'on annonce là, ce sera sur deux ans. DENIS CADEAU : Chacun attend des détails, les visages sont graves, crispés, les regrets se mêlent à la rancur. Témoignages des ouvrières et ouvriers DENIS CADEAU : D'ici deux ans, la ville d'Alençon aura donc perdu les 1 100 derniers emplois de Moulinex après un long déclin de l'usine. Mais son maire au-delà du drame humain ne veut pas perdre espoir. Alain Lambert, maire d'Alençon : Aucun salarié sans solution. C'est ça notre demande, notre exigence. Cela étant, nous avons vocation à accueillir des entreprises du siècle d'aujourd'hui, qui vient de commencer. Moulinex, je suis désolé, c'est une entreprise du siècle dernier. DENIS CADEAU : Et paradoxe, c'est à l'endroit même où devait se bâtir la nouvelle usine Moulinex que la municipalité compte édifier très vite les locaux destinés à accueillir les entreprises du XXIème siècle.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Denis Kessler, l'émotion elle est alimentée par une certaine incompréhension. Qui est responsable, c'est la faute à qui ? Aux chefs d'entreprise qui sont incompétents, à la mondialisation comme on dit souvent, à la concurrence, au libéralisme ?
DENIS KESSLER : Tout cela, vous voyez, c'est des grands mots
JEAN-MARC SYLVESTRE : Non, mais ce sont les mots qui sont utilisés.
DENIS KESSLER : Il faut à chaque fois faire l'analyse de la situation. Dans le cas de ce que l'on appelle le secteur de l'électroménager, c'est un des secteurs les plus concurrentiels qui soit. La concurrence vient du monde entier, les prix ont baissé et il y a un véritable problème de produire ce type d'équipement dans notre pays NICOLAS BEYTOUT : Mais il y a en France un constructeur, Seb, par exemple, qui gagne de l'argent. C'est exactement le même problème, c'est exactement le même secteur, est-ce que ça veut dire qu'en l'occurrence Moulinex a eu un ou des mauvais patrons successifs ? Est-ce que le vice-président du patronat peut reconnaître qu'il y a des patrons qui ne font pas bien leur métier ?
DENIS KESSLER : Non, je ne le ferai pas. Parce que la réaction naturelle en France est d'abord de diaboliser le responsable de l'entreprise, on l'a vu au cours des semaines récentes, le bouc émissaire désigné de toutes les difficultés par l'ensemble de la classe politique, le personnel, dans un certain nombre de cas les syndicats. Et je trouve que c'est la solution de facilité. Faisons de l'analyse, du secteur et de l'entreprise. Dans le cas de l'électroménager, c'est un des secteurs les plus concurrentiels. C'est un secteur dans lequel la compétition vient notamment de l'Asie du sud-est dans laquelle les coûts de production sont nettement inférieurs à ceux qui existent en France. Il y a un problème structurel de produire en France ce type de produits, je dis bien dans l'environnement fiscal et social qui est le nôtre. Et il ne faut pas s'étonner qu'à force de charger la barque nous ayons une situation dans laquelle nous aurons de plus en plus de difficultés à produire ce type de produits sur notre territoire. Je dois avouer que par exemple les 35 heures n'ont pas arrangé la situation de beaucoup d'entreprises de main d'uvre qui sont par rapport aux prix mondiaux juste à la limite. Donc voilà le problème. Nous avons, en ce qui nous concerne, et nous mettons l'accent sur les soLUtions structurelles pour maintenir la compétitivité du site de production France. C'est un impératif catégorique. Mais si nous ne le faisons pas, nous allons aller de difficulté en difficulté, de plan social en plan social, de restructuration en restructuration. Aucune entreprise française échappera à cette situation de se mettre en compétitivité. Ca, c'est le rôle de l'entreprise et de ses dirigeants, de son personnel. Et bien entendu au niveau de la nation, il faut que les responsables économiques, les responsables politiques de la nation comprennent l'impératif de maintenir la compétitivité du site France et ça passe par les réformes structurelles fondamentales qui ont été différées, qui permettra de faire en sorte qu'il fasse bon produire dans notre pays. NICOLAS BEYTOUT : Est-ce que ça passe aussi par des aides publiques ? Parce que beaucoup d'entreprises, parmi celles qui font des plans sociaux, ont bénéficié d'aides publiques auparavant. Alors question : 1) est-ce que c'est nécessaire et 2) lorsque l'on ferme une usine qui a eu des aides publiques, est-ce qu'il faut les rembourser ?
DENIS KESSLER : Là encore une fois, il faut une réponse très claire. Nous sommes contre les subventions aux entreprises, quelles qu'elles soient. Nous considérons que le problème, il est structurel, il n'est pas de prendre de l'argent public pour le donner à telle ou telle entreprise, pour tel ou tel projet, ou qu'une collectivité locale fasse un prêt ou une subvention, ceci n'est pas la bonne voie. Nous devons faire en sorte que toutes les entreprises bénéficient d'un environnement fiscal et social favorable à leur développement. Avec beaucoup de force, nous sommes contre les subventions. NICOLAS BEYTOUT : Et lorsqu'il y en a eu, est-ce qu'il faut les rembourser ? Si ça va mal ?
DENIS KESSLER : Si l'entreprise continue à exister et maintient des emplois et de la production en France, je ne vois pas comment nous allons aujourd'hui demander le remboursement d'aides qui étaient éventuellement nécessaires NICOLAS BEYTOUT : Mais Denis Kessler, ma question est claire. C'est lorsqu'une entreprise supprime des emplois après avoir eu des subventions, est-ce quelle doit, ou pas, rembourser à la collectivité publique ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, la réponse à cette question ne me semble pas complètement pertinente mais comme je suis contre les subventions, l'idée même de dire éventuellement de rembourser, bon. Ceci dit, si cela affaiblit encore l'entreprise et supprime les derniers emplois qui restent, je ne vois pas très bien l'utilité de le faire, je le dis très honnêtement. Mais non, réfléchissons au fond, plus de subventions, plus de subventions, je crois que ça sera clair.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Oui, mais est-ce que le rôle d'un élu, je pense à Alain Lambert, le sénateur-maire d'Alençon, qui va jusqu'à dire je construis quand même une usine aux frais du contribuable pour accueillir de nouvelles entreprises
DENIS KESSLER : Alors ce que dit monsieur Lambert est très important. Il a dit : il faut accueillir des entreprises du XXIème siècle
JEAN-MARC SYLVESTRE : Oui, oui, d'accord mais alors ça veut dire créer un hôtel
DENIS KESSLER : Attendez c'est une formidable compréhension des phénomènes économique ce qu'a dit monsieur Lambert. Il sait que dans une économie il y a des secteurs en déclin, des entreprises qui doivent disparaître, y compris sur des secteurs qui continuent de se développer pour des raisons x, y ou z et que dans le même temps il y a de nouvelles entreprises, des nouvelles activités, des nouveaux services qui apparaissent et qu'il faut faire germer. Et je trouve que la remarque qu'il a faite de dire
JEAN-MARC SYLVESTRE : on tourne la page
DENIS KESSLER : On parle d'Alençon, il dit moi il faut que j'accueille des entreprises nouvelles qui représentent le XXIème siècle, il faut tourner la page et pas continuer éventuellement à soutenir des entreprises qui n'arrivent plus à se restructurer, à s'adapter, cela me semble être une remarque, vous parliez tout à l'heure de pédagogie, d'un très grand bon sens. Oui, il faut dire aux Français, expliquer aux Français, répéter aux Français que dans l'économie dans laquelle nous sommes entrés il y aura en permanence restructuration, modernisation, il y aura en permanence ce phénomène que Schumpeter appelait la concurrence un peu créatrice et destructrice, tout ceci se traduit à l'heure actuelle par davantage de création d'emplois que de suppression d'emplois, davantage de croissance économique, tout ce qui va ralentir ce processus d'adaptation et de modernisation, ça se sera payé in fine par une moindre croissance, davantage de chômage. Donc expliquons aux Français pourquoi c'est nécessaire plutôt que de surfer sur l'émotion et de faire en sorte qu'ils ne comprennent pas les phénomènes qui vont se déployer dans les années qui viennent.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ce que vous êtes en train d'essayer de faire L'affaire Danone , qui est un peu différente, elle a été cependant la première, et compte tenu de la notoriété des marques elle a servi de catalyseur. Franck Riboud, le patron de Danone s'est expliqué sur le rôle du chef d'entreprise justement dans l'industrie, c'était la semaine dernière au journal de 20 heures. Le PDG de Danone était interrogé par Patrick Poivre d'Arvor. FRANCK RIBOUD : Donc la vraie question pour moi, c'est de savoir si le rôle de l'entrepreneur, le rôle du chef d'entreprise, c'est simplement de fermer des usines ou simplement de dégager des bénéfices. Je crois que le rôle du chef d'entreprise c'est d'une part de préempter, d'assurer la pérennité, de comprendre ce qui va se passer. Ensuite de prendre des décisions, des décisions difficiles, celles que l'on vient de prendre, qui sont vraiment des décisions difficiles et surtout d'accompagner et de trouver des solutions pour garantir non pas l'emploi, on ne sait pas faire ça, mais garantir que personne ne se trouvera seul devant son problème d'emploi. PATRICK POIVRE D'ARVOR : Oui mais on a le sentiment qu'entre les salariés et les actionnaires, là vous avez clairement choisi les actionnaires, vous leur donnez satisfaction. FRANCK RIBOUD : Je ne crois pas qu'on puisse dire ça quand on regarde ce qu'est Danone réellement. Danone distribue, c'est vrai, sur ses résultats 2 milliards de francs à ses actionnaires mais un1 milliard de francs à travers l'intéressement auprès de ses salariés. Donc je ne crois pas que c'est le choix. Quand on fait une provision aussi importante que celle qu'on a faite, quand on s'engage à offrir 3 postes de remplacement à ses salariés, un en interne chez Danone, ça veut dire simplement que tous les postes du groupe Danone sont aujourd'hui attribués en priorité aux gens concernés par l'opération de biscuits plus les moyens nécessaires à l'accompagnement. Car on sait que se déplacer et quitter sa région est quelque chose de traumatisant. Et ceux qui pour des raisons, je ne sais pas, si le conjoint a un travail dans la région actuelle, nous nous engageons aussi à offrir deux postes CDI, durée indéterminée, dans le bassin d'emploi. Ce qui en France est dans un rayon de 30 à 50 kms.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Denis Kessler on comprend l'explication sur Moulinex, entreprise du siècle dernier comme dit Alain Lambert. Mais Danone est une entreprise du siècle actuel, du millénaire actuel. Est-ce qu'il n'y a pas une pression des marchés financiers aujourd'hui, un impérialisme des fameux fonds de pension qui obligent les chefs d'entreprise à respecter des impératifs de rentabilité qui sont difficilement compatibles avec les équilibres sociaux.
DENIS KESSLER : Je ne crois pas
JEAN-MARC SYLVESTRE : Oui mais la question se pose, c'est
DENIS KESSLER : Je ne crois pas, ça c'est une présentation qui a été souvent faite en France et qui me semble trompeuse. Lorsqu'un chef d'entreprise prend des décisions, bien entendu avec son équipe de direction, il doit satisfaire trois objectifs. D'abord le client, il faut s'en souvenir, une entreprise crée de la richesse, elle ne crée de la richesse que si elle a des clients, des débouchés en France ou à l'étranger. Deuxième chose, bien entendu, c'est ses actionnaires qui ont ramené de l'argent pour développer l'entreprise et enfin l'ensemble de son personnel. Et c'est bien les 3 objectifs d'une entreprise : créer de la richesse en satisfaisant le personnel, le client et l'actionnaire. NICOLAS BEYTOUT : Oui mais Denis Kessler ces 3 groupes là, ils existent depuis une éternité. Il se trouve quand même que leur poids relatif a été modifié. Et aujourd'hui on a le sentiment très clair que le poids des actionnaires est supérieur à celui, par exemple, des salariés. Est-ce que c'est vrai ou est-ce c'est faux ?
DENIS KESSLER : Non, ce qui est nouveau sans doute, c'est l'impératif de rentabilité des entreprises. Oui, à l'heure actuelle une entreprise française doit être aussi rentable que ses concurrentes dans les autres pays de la Communauté ou dans les autres régions du monde. On ne peut pas durablement avoir des entreprises françaises qui soient moins rentables que celles qui exercent sur le même marché. Et donc tout chef d'entreprise français doit avoir à l'esprit de maintenir la rentabilité. Mais pour quelles raisons ? C'est la condition de l'indépendance de l'entreprise. Si elle est moins rentable que les autres, elle perdra de la force, elle perdra de la substance, elle sera rachetée un jour, fusionnera, le centre de décision partira à l'étranger. Si elle n'est moins rentable, elle ne garantira pas l'emploi à terme et si elle n'est pas rentable elle ne maintiendra pas les investissements. Il faut dire aux français que la rentabilité est une condition sine qua non de développement des entreprises françaises et donc de l'emploi dans notre pays. On ne l'a pas suffisamment dit et on oppose rentabilité d'une part à emploi d'autre part, ceci est faux. Rentabilité emploi vont de pair, dans le même sens. Dans le même sens.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Denis Kessler, ceci étant, c'est un fait, la classe politique française aujourd'hui utilise cet argument pour mobiliser ses troupes et pour cristalliser la rogne et la grogne. On l'avait vu à Calais où la manifestation du parti communiste avait été un succès, on l'a vu aujourd'hui avec la mobilisation des syndicats. Argument brutal, certes, résumé par Robert Hue. ROBERT HUE à Calais : Vous voyez bien, au-delà des LU Danone, il y a une vraie convergence sociale, Calais est en quelque sorte la capitale de la résistance sociale, et nous sommes là pour dire " non ", un non intransigeant à cette politique qui vise à jeter les salariés après les avoir exploités alors que les profits sont faramineux.
JEAN-MARC SYLVESTRE : On jette les salariés alors que les profits sont faramineux, c'est ça l'image qui frappe.
DENIS KESSLER : Ceci est une erreur. Une entreprise, même si elle est bénéficiaire, peut être amenée à réduire ses effectifs pour une raison extrêmement importante qui est le maintien de son développement, le maintien de l'emploi à venir, le maintien de son indépendance, le maintien de son site de production en France.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Donc les hommes politiques aujourd'hui ne sont pas responsables ?
DENIS KESSLER : Je crois que non. Ce qu'il y a, vous le voyez bien, nous sommes dans une période très politisée à l'heure actuelle. Alors qu'est-ce que l'on fait ? On parle de l'émotion. Et puis avec cette émotion qui est légitime, on passe à l'indignation et puis à la pétition et puis à la manifestation, que l'on vient de voir, et à partir de cette manifestation, qu'est-ce que l'on fait ? On fait des grandes déclarations et ces grandes déclarations c'est pour obtenir une nouvelle législation, une nouvelle réglementation NICOLAS BEYTOUT : laquelle a été effectivement prise.
DENIS KESSLER : Dans le même temps ! Ca a marché ! Et dans le même temps, bien sûr, la diabolisation non seulement des chefs d'entreprise, la diabolisation des responsables de l'entreprise et la diabolisation de toutes les entreprises. C'est une ficelle un peu grosse.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Comment le boycott des marques
DENIS KESSLER : Alors écoutez, ça, ça que des hommes politiques aient eu, comment dire, la bêtise de demander le boycott d'un produit d'une entreprise, vous vous rendez compte où nous en sommes ! Quel est le meilleur moyen pour réduire encore une fois, accroître les difficultés de cette entreprise et réduire ses capacités de développement et éventuellement la mettre en difficulté, ce qui aura d'autres conséquences sociales, c'est justement le boycott. Comment peut-on avoir des idées pareilles ! C'est une idée stupide et ceux qui l'ont eue, je veux dire, se déshonorent. C'est un mélange des genres.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ca a marché parce que cette nervosité là a amené le gouvernement à proposer un renforcement des conditions de licenciements. Trois séries de mesures présentées par Elisabeth Guigou.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Un mot de commentaire sur ce plan, parce que l'on ne vous a pas entendu là-dessus.
DENIS KESSLER : Oh, c'est simple, c'est une législation un peu faite à la hâte, dans le cadre de l'émotion, ce n'est pas comme cela que l'on légifère dans un pays développé
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ca n'aura pas beaucoup d'effet ?
DENIS KESSLER : Au mieux, ça n'a pas d'effet, ça, c'est au mieux. Au pire, malheureusement, ça va sans doute dissuader les entreprises étrangères de s'implanter en France, ça va sans doute se traduire par moins d'embauches en contrats à durée indéterminée, et ça va sans doute porter principalement sur les PME en difficulté. Au mieux, pas d'effet et au pire des effets négatifs sur l'activité en France.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ce qui est étonnant quand même, c'est que ça va à l'encontre de tout ce que vous aviez essayé de faire depuis plus d'un an, c'est-à-dire renouer le dialogue social, ce que vous appelez la Refondation sociale, en fait là on a une intervention directe du gouvernement.
DENIS KESSLER : L'Etat, vous avez vu, essaie de récupérer les dossiers sociaux. On a bien vu les forces politiques se manifester pour dire : oh là, là nous allons immédiatement agir. Il faut expliquer aux Français, il faut le dire, il faut le dire que les solutions ne passent pas par une nouvelle réglementation, par une nouvelle loi. Elles passent par quoi ? Elles passent par des mesures structurelles affectant notre pays. Si nous voulons restaurer le plein emploi, ça passera par un effort incroyable de renouveau de la formation professionnelle. C'est ce à quoi nous sommes attachés NICOLAS BEYTOUT : On connaît votre argumentaire sur la Refondation sociale, ce qui est vrai c'est que vous étiez jusqu'à une période très récente l'acteur en face des syndicats, et le seul acteur. Aujourd'hui, le gouvernement a tiré de l'affaire Danone etc. la légitimité pour intervenir à nouveau. Est-ce que vous, MEDEF, vous avez encore le même rôle dans la Refondation sociale ?
DENIS KESSLER : Mais bien entendu, bien entendu. Non seulement ça mais nous avons, j'allais dire, un rôle renforcé. Croire que la multiplication des législations et de la réglementation, des circulaires, des arrêtés, d'interventions des inspecteurs du travail va résoudre le problème du chômage dans notre pays est une erreur fondamentale. Nous devons restaurer un dialogue social à tous les niveaux de cette nation, entre les employeurs et entre les syndicats, principalement dans l'entreprise, dans les branches, dans les régions et au niveau national. Ce à quoi nous nous sommes employés. Dégager par le dialogue des solutions structurelles de long terme. Et je considère, par exemple, qu'une des grandes réformes qui a été faite par les partenaires sociaux, longuement négociée, la réforme de l'assurance chômage, la mise en uvre du Pare au 1er juillet prochain, ça c'est du travail de fond, ça c'est quelque chose qui adapte effectivement l'assurance-chômage à la nouvelle donne sur le marché du travail. Vous voyez bien, ça n'a rien à voir avec quelques mesures, comme je l'ai dit tout à l'heure prises à la va-vite, dans lesquelles effectivement ça permet de dire qu'on a fait des choses. Mais non, le travail fondamental ça sera la formation professionnelle, c'est le coût du travail, c'est bien entendu la réforme de l'assurance-maladie
JEAN-MARC SYLVESTRE : (inaudible)
DENIS KESSLER : Non seulement mais nous continuons ! NICOLAS BEYTOUT : Avec des initiatives nouvelles ?
DENIS KESSLER : Une initiative nouvelle très importante, qui va être annoncée demain. C'est, nous avons décidé avec les partenaires sociaux d'ouvrir le chantier de la réforme de l'assurance-maladie. C'est indispensable.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Alors, il y a un autre dossier très lourd, c'est celui d'AOM. Il est d'une autre dimension, il pose clairement la responsabilité des actionnaires. En bref, AOM, deuxième pôle français de transport aérien, connaît des difficultés sérieuses et on a là, encore, l'impression que ses responsables se sont défilés. Parmi ses responsables, il y a évidemment Ernest-Antoine Seillière, le président du MEDEF. Affaire compliquée, où la politique interfère sur l'économique et tout cela sur fond de réglementation européenne difficile à interpréter. Le point à l'issue de la dernière assemblée générale des actionnaires au cours de laquelle les dirigeants se sont donnés deux mois avant de décider du sort d'AOM et surtout de trouver une solution. Reportage et explications
JEAN-MARC SYLVESTRE : Alors il y a des assemblées générales houleuses, celle-là l'était particulièrement. On ne va pas revenir en détail sur le dossier AOM, il est important parce qu'il pose évidemment l'avenir d'une entreprise avec ses nombreux salariés. Il pose aussi le problème de Ernest-Antoine Seillière dans la mesure où il est un peu au centre de cette affaire pour la classe politique française.
DENIS KESSLER : Il n'y a aucun problème avec Ernest-Antoine Seillière. Une entreprise, deux entreprises, trois entreprises françaises de transports aériens font des pertes très importantes, AOM, Air Liberté, Air Littoral. La maison mère opératrice de ces compagnies, Swissair fait également des pertes abyssales, 11 milliards de francs, c'est des chiffres astronomiques. Vous voyez bien que dans une situation pareille il faut faire un plan de restructuration qui a été préparé et il faut trouver un repreneur qui prenne la responsabilité des entreprises, AOM et Air Liberté. NICOLAS BEYTOUT : Oui, ça, c'est la version la plus simple. Il y a une autre façon d'expliquer les choses, c'est que Ernest-Antoine Seillière est actionnaire majoritaire et dit : nous avons perdu trop d'argent, je ne veux plus mettre un centime dans cette compagnie. Donc la question est : quelle est sa responsabilité là-dedans ?
DENIS KESSLER : C'est clair. Tout dépend du rapport qu'il y a entre l'opérateur, le gestionnaire et l'investisseur. Entre l'opérateur, qui était Swissair, d'une part, et d'autre part l'investisseur qui était, non pas Ernest-Antoine Seillière, mais les sociétés dont il a la responsabilité, c'était un contrat extrêmement clair dans lequel l'opérateur, le gestionnaire était Swissair. C'était le gestionnaire qui avait la responsabilité de développement du groupe, c'était le gestionnaire qui avait la responsabilité des choix stratégiques et c'est le gestionnaire qui avait in fine NICOLAS BEYTOUT : Donc l'actionnaire n'a pas de responsabilité dans cette affaire ?
DENIS KESSLER : Dès lors que, ceci s'appelle la théorie du mandat, dès lors que le mandat qui lie les différentes parties est extrêmement clair sur ce point-là, il faut en rester au mandat. Et d'ailleurs ce qui a été décidé par Swissair c'est bien de respecter le mandat qui existait d'une part entre l'actionnaire français et d'autre part l'actionnaire suisse. NICOLAS BEYTOUT : Au soir du 1er mai les syndicats ont manifesté en ordre dispersé. Est-ce que vous pensez que le rôle des syndicats dans une affaire comme celle d'AOM et dans toutes ces affaires dont on a parlé depuis le début de la soirée, est vraiment de s'opposer, fut-ce avec des moyens nouveaux, le boycott ou l'appel à l'ensemble de l'opinion.
DENIS KESSLER : J'ai regardé très attentivement la position des syndicats dans les affaires dont on a parlé, notamment ceux de Danone. Vous constaterez que les syndicats n'étaient pas favorables au boycott et j'ai trouvé que les positions de tous les syndicats étaient NICOLAS BEYTOUT : Certains l'étaient, certains l'étaient, ils sont peut-être en train de changer de moyens d'action. De défiler dans la rue sert moins que boycotter, faire appel à l'opinion.
DENIS KESSLER : J'ai trouvé une grande dignité, je dois vous l'avouer . Tout simplement parce qu'ils savent qu'à l'heure actuelle le problème est de faire quoi ? Le problème est de faire réussir les plans sociaux au sens de parvenir au taux de reclassement le plus élevé. Dans le cas de Danone, si dans 5-6 mois on sera parvenu à un taux de reclassement de 95 ou 100 % , il faut savoir que ce sera quelque chose qui permettra effectivement l'adaptation de Danone et le fait que le personnel ne subisse pas ces reclassements.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Merci pour toutes ces explications. On termine très vite par les livres de cette semaine, notamment ce gros bouquin que vous connaissez, ce dictionnaire des sciences économiques sous la direction de Claude Jessua, Christian Labrouste une préface de Gérard Debreu lui-même. Vous connaissez ?
DENIS KESSLER : Non seulement je connais, je le trouve formidable et je vais l'envoyer, figurez-vous avec ma carte à l'ensemble des décideurs politiques français. Et je suis sûr qu'en en prenant connaissance, ils découvriront
JEAN-MARC SYLVESTRE : Les membres du gouvernement, les parlementaires, c'est un beau cadeau !
DENIS KESSLER : Superbe démonstration NICOLAS BEYTOUT : On pourrait aussi l'envoyer à quelques patrons parce qu'il y a aussi quelques recettes de gestion qui ne sont pas inutiles à réviser.
DENIS KESSLER : Je le ferai également, si vous le souhaitez.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Cela prouve qu'il a lu à peu près tout ce qu'il y a là. () Et puis un numéro spécial d'Alternatives économiques sur les placements éthiques. L'épargne alternative et solidaire en 80 fiches. Un mot sur les placements éthiques. Vous qui êtes assureur, ça existe les placements éthiques ?
DENIS KESSLER : Ca commence, on voit à l'heure actuelle des demandes
JEAN-MARC SYLVESTRE : C'est intéressant comme démarche !
DENIS KESSLER : C'est intéressant, oui. L'important des placements, vous savez, c'est qu'ils soient rentables.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Oui mais qu'ils doivent aussi respecter l'éthique.
DENIS KESSLER : Qui doivent respecter l'éthique, oui bien entendu, mais qu'ils soient rentables.
(source http://www.medef.fr, le 9 mai 2001)
DENIS KESSLER : Ceci est faux, bien entendu. L'émotion
JEAN-MARC SYLVESTRE : Qu'est-ce qui est faux ?
DENIS KESSLER : De dire que les responsables d'entreprise considèrent ces plans sociaux avec distance, ceci est faux. L'émotion qui est partagée par tous l'est également par les responsables d'entreprise. Nous comprenons tout-à-fait pourquoi lorsque l'on annonce plusieurs centaines plusieurs centaines ou plusieurs milliers de licenciements, la région, l'entreprise, le personnel manifestent une émotion. Donc nous comprenons tout à fait
JEAN-MARC SYLVESTRE : C'est vécu comme un drame localement
DENIS KESSLER : C'est vécu comme un drame et je rappelle qu'aucun chef d'entreprise lorsqu'il est appelé à prendre ces décisions ne le fait de gaieté de cur. NICOLAS BEYTOUT : Que ce genre d'affaires soit vécu comme un drame sur le plan local n'est pas au fond très étonnant puisque c'est une affaire dramatique pour chacun. Ce qui est plus étonnant, et je voudrais savoir quelle est votre explication là-dessus, c'est comment est-ce que la société française, qui crée beaucoup d'emplois et qui dit en permanence que son moral est au plus haut, a pu à ce point là basculer dans l'émotion et la crainte à l'occasion de ces plans sociaux ?
DENIS KESSLER : Oui, c'est une des grandes surprises puisque l'année dernière nous avons créé 360 000 emplois. C'est absolument considérable
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous continuez à en créer d'ailleurs, vous avez vu les statistiques du chômage la semaine dernière
DENIS KESSLER : Ca continue puisque nous avons créé au mois de mars encore plus de 10 000 emplois. Tout ceci, ce sont des bonnes nouvelles. Alfred Sauvy avait une très belle phrase. Il disait qu'en France l'emploi qui naît est silencieux et que l'emploi qui disparaît hurle. Et c'est vrai qu'à chaque fois que l'on crée par centaines de milliers des emplois, 1,5 million dans les trois dernières années créés par les entreprises françaises, ceci est considéré comme maintenant naturel. Et que lorsque l'on est obligé de procéder à des plans sociaux, de l'ordre de 1 500 emplois, ceci génère une émotion extrêmement forte. Une émotion légitime. Les conclusions et les conséquences que l'on tire de cette émotion, l'exploitation de cette émotion par certains me semblent, en ce qui me concerne, tout à fait abusive.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Alors on va en parler. Avant d'aller plus loin, écoutez la réaction à chaud des ouvriers de Moulinex lorsqu'ils ont appris la décision officielle de fermeture du site historique à Alençon. C'était il y a quelques jours. Reportage de Denis Cadeau. DENIS CADEAU : La mauvaise nouvelle était attendue, prévisible. Elle est tombée en fin de matinée par le coup fil d'un délégué syndical convoqué au siège parisien. Le délégué syndical : Voilà, confirmation d'arrêt. D'arrêt de la fabrication sur Alençon, sur Cormelles et sur Lesquin, c'est officiel. DENIS CADEAU : Aussitôt, les ateliers vont être informés. Que c'en est donc fini de la vieille usine Moulinex d'Alençon, le berceau du moulin légumes et jusqu'à aujourd'hui des cafetières et fers à repasser de la marque. Spontanément les ouvrières sortent dans la cour, personne n'est vraiment surpris par l'annonce de la fermeture. Le délégué syndical : Ceci est un plan sur deux ans. C'est-à-dire que ce que l'on annonce là, ce sera sur deux ans. DENIS CADEAU : Chacun attend des détails, les visages sont graves, crispés, les regrets se mêlent à la rancur. Témoignages des ouvrières et ouvriers DENIS CADEAU : D'ici deux ans, la ville d'Alençon aura donc perdu les 1 100 derniers emplois de Moulinex après un long déclin de l'usine. Mais son maire au-delà du drame humain ne veut pas perdre espoir. Alain Lambert, maire d'Alençon : Aucun salarié sans solution. C'est ça notre demande, notre exigence. Cela étant, nous avons vocation à accueillir des entreprises du siècle d'aujourd'hui, qui vient de commencer. Moulinex, je suis désolé, c'est une entreprise du siècle dernier. DENIS CADEAU : Et paradoxe, c'est à l'endroit même où devait se bâtir la nouvelle usine Moulinex que la municipalité compte édifier très vite les locaux destinés à accueillir les entreprises du XXIème siècle.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Denis Kessler, l'émotion elle est alimentée par une certaine incompréhension. Qui est responsable, c'est la faute à qui ? Aux chefs d'entreprise qui sont incompétents, à la mondialisation comme on dit souvent, à la concurrence, au libéralisme ?
DENIS KESSLER : Tout cela, vous voyez, c'est des grands mots
JEAN-MARC SYLVESTRE : Non, mais ce sont les mots qui sont utilisés.
DENIS KESSLER : Il faut à chaque fois faire l'analyse de la situation. Dans le cas de ce que l'on appelle le secteur de l'électroménager, c'est un des secteurs les plus concurrentiels qui soit. La concurrence vient du monde entier, les prix ont baissé et il y a un véritable problème de produire ce type d'équipement dans notre pays NICOLAS BEYTOUT : Mais il y a en France un constructeur, Seb, par exemple, qui gagne de l'argent. C'est exactement le même problème, c'est exactement le même secteur, est-ce que ça veut dire qu'en l'occurrence Moulinex a eu un ou des mauvais patrons successifs ? Est-ce que le vice-président du patronat peut reconnaître qu'il y a des patrons qui ne font pas bien leur métier ?
DENIS KESSLER : Non, je ne le ferai pas. Parce que la réaction naturelle en France est d'abord de diaboliser le responsable de l'entreprise, on l'a vu au cours des semaines récentes, le bouc émissaire désigné de toutes les difficultés par l'ensemble de la classe politique, le personnel, dans un certain nombre de cas les syndicats. Et je trouve que c'est la solution de facilité. Faisons de l'analyse, du secteur et de l'entreprise. Dans le cas de l'électroménager, c'est un des secteurs les plus concurrentiels. C'est un secteur dans lequel la compétition vient notamment de l'Asie du sud-est dans laquelle les coûts de production sont nettement inférieurs à ceux qui existent en France. Il y a un problème structurel de produire en France ce type de produits, je dis bien dans l'environnement fiscal et social qui est le nôtre. Et il ne faut pas s'étonner qu'à force de charger la barque nous ayons une situation dans laquelle nous aurons de plus en plus de difficultés à produire ce type de produits sur notre territoire. Je dois avouer que par exemple les 35 heures n'ont pas arrangé la situation de beaucoup d'entreprises de main d'uvre qui sont par rapport aux prix mondiaux juste à la limite. Donc voilà le problème. Nous avons, en ce qui nous concerne, et nous mettons l'accent sur les soLUtions structurelles pour maintenir la compétitivité du site de production France. C'est un impératif catégorique. Mais si nous ne le faisons pas, nous allons aller de difficulté en difficulté, de plan social en plan social, de restructuration en restructuration. Aucune entreprise française échappera à cette situation de se mettre en compétitivité. Ca, c'est le rôle de l'entreprise et de ses dirigeants, de son personnel. Et bien entendu au niveau de la nation, il faut que les responsables économiques, les responsables politiques de la nation comprennent l'impératif de maintenir la compétitivité du site France et ça passe par les réformes structurelles fondamentales qui ont été différées, qui permettra de faire en sorte qu'il fasse bon produire dans notre pays. NICOLAS BEYTOUT : Est-ce que ça passe aussi par des aides publiques ? Parce que beaucoup d'entreprises, parmi celles qui font des plans sociaux, ont bénéficié d'aides publiques auparavant. Alors question : 1) est-ce que c'est nécessaire et 2) lorsque l'on ferme une usine qui a eu des aides publiques, est-ce qu'il faut les rembourser ?
DENIS KESSLER : Là encore une fois, il faut une réponse très claire. Nous sommes contre les subventions aux entreprises, quelles qu'elles soient. Nous considérons que le problème, il est structurel, il n'est pas de prendre de l'argent public pour le donner à telle ou telle entreprise, pour tel ou tel projet, ou qu'une collectivité locale fasse un prêt ou une subvention, ceci n'est pas la bonne voie. Nous devons faire en sorte que toutes les entreprises bénéficient d'un environnement fiscal et social favorable à leur développement. Avec beaucoup de force, nous sommes contre les subventions. NICOLAS BEYTOUT : Et lorsqu'il y en a eu, est-ce qu'il faut les rembourser ? Si ça va mal ?
DENIS KESSLER : Si l'entreprise continue à exister et maintient des emplois et de la production en France, je ne vois pas comment nous allons aujourd'hui demander le remboursement d'aides qui étaient éventuellement nécessaires NICOLAS BEYTOUT : Mais Denis Kessler, ma question est claire. C'est lorsqu'une entreprise supprime des emplois après avoir eu des subventions, est-ce quelle doit, ou pas, rembourser à la collectivité publique ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, la réponse à cette question ne me semble pas complètement pertinente mais comme je suis contre les subventions, l'idée même de dire éventuellement de rembourser, bon. Ceci dit, si cela affaiblit encore l'entreprise et supprime les derniers emplois qui restent, je ne vois pas très bien l'utilité de le faire, je le dis très honnêtement. Mais non, réfléchissons au fond, plus de subventions, plus de subventions, je crois que ça sera clair.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Oui, mais est-ce que le rôle d'un élu, je pense à Alain Lambert, le sénateur-maire d'Alençon, qui va jusqu'à dire je construis quand même une usine aux frais du contribuable pour accueillir de nouvelles entreprises
DENIS KESSLER : Alors ce que dit monsieur Lambert est très important. Il a dit : il faut accueillir des entreprises du XXIème siècle
JEAN-MARC SYLVESTRE : Oui, oui, d'accord mais alors ça veut dire créer un hôtel
DENIS KESSLER : Attendez c'est une formidable compréhension des phénomènes économique ce qu'a dit monsieur Lambert. Il sait que dans une économie il y a des secteurs en déclin, des entreprises qui doivent disparaître, y compris sur des secteurs qui continuent de se développer pour des raisons x, y ou z et que dans le même temps il y a de nouvelles entreprises, des nouvelles activités, des nouveaux services qui apparaissent et qu'il faut faire germer. Et je trouve que la remarque qu'il a faite de dire
JEAN-MARC SYLVESTRE : on tourne la page
DENIS KESSLER : On parle d'Alençon, il dit moi il faut que j'accueille des entreprises nouvelles qui représentent le XXIème siècle, il faut tourner la page et pas continuer éventuellement à soutenir des entreprises qui n'arrivent plus à se restructurer, à s'adapter, cela me semble être une remarque, vous parliez tout à l'heure de pédagogie, d'un très grand bon sens. Oui, il faut dire aux Français, expliquer aux Français, répéter aux Français que dans l'économie dans laquelle nous sommes entrés il y aura en permanence restructuration, modernisation, il y aura en permanence ce phénomène que Schumpeter appelait la concurrence un peu créatrice et destructrice, tout ceci se traduit à l'heure actuelle par davantage de création d'emplois que de suppression d'emplois, davantage de croissance économique, tout ce qui va ralentir ce processus d'adaptation et de modernisation, ça se sera payé in fine par une moindre croissance, davantage de chômage. Donc expliquons aux Français pourquoi c'est nécessaire plutôt que de surfer sur l'émotion et de faire en sorte qu'ils ne comprennent pas les phénomènes qui vont se déployer dans les années qui viennent.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ce que vous êtes en train d'essayer de faire L'affaire Danone , qui est un peu différente, elle a été cependant la première, et compte tenu de la notoriété des marques elle a servi de catalyseur. Franck Riboud, le patron de Danone s'est expliqué sur le rôle du chef d'entreprise justement dans l'industrie, c'était la semaine dernière au journal de 20 heures. Le PDG de Danone était interrogé par Patrick Poivre d'Arvor. FRANCK RIBOUD : Donc la vraie question pour moi, c'est de savoir si le rôle de l'entrepreneur, le rôle du chef d'entreprise, c'est simplement de fermer des usines ou simplement de dégager des bénéfices. Je crois que le rôle du chef d'entreprise c'est d'une part de préempter, d'assurer la pérennité, de comprendre ce qui va se passer. Ensuite de prendre des décisions, des décisions difficiles, celles que l'on vient de prendre, qui sont vraiment des décisions difficiles et surtout d'accompagner et de trouver des solutions pour garantir non pas l'emploi, on ne sait pas faire ça, mais garantir que personne ne se trouvera seul devant son problème d'emploi. PATRICK POIVRE D'ARVOR : Oui mais on a le sentiment qu'entre les salariés et les actionnaires, là vous avez clairement choisi les actionnaires, vous leur donnez satisfaction. FRANCK RIBOUD : Je ne crois pas qu'on puisse dire ça quand on regarde ce qu'est Danone réellement. Danone distribue, c'est vrai, sur ses résultats 2 milliards de francs à ses actionnaires mais un1 milliard de francs à travers l'intéressement auprès de ses salariés. Donc je ne crois pas que c'est le choix. Quand on fait une provision aussi importante que celle qu'on a faite, quand on s'engage à offrir 3 postes de remplacement à ses salariés, un en interne chez Danone, ça veut dire simplement que tous les postes du groupe Danone sont aujourd'hui attribués en priorité aux gens concernés par l'opération de biscuits plus les moyens nécessaires à l'accompagnement. Car on sait que se déplacer et quitter sa région est quelque chose de traumatisant. Et ceux qui pour des raisons, je ne sais pas, si le conjoint a un travail dans la région actuelle, nous nous engageons aussi à offrir deux postes CDI, durée indéterminée, dans le bassin d'emploi. Ce qui en France est dans un rayon de 30 à 50 kms.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Denis Kessler on comprend l'explication sur Moulinex, entreprise du siècle dernier comme dit Alain Lambert. Mais Danone est une entreprise du siècle actuel, du millénaire actuel. Est-ce qu'il n'y a pas une pression des marchés financiers aujourd'hui, un impérialisme des fameux fonds de pension qui obligent les chefs d'entreprise à respecter des impératifs de rentabilité qui sont difficilement compatibles avec les équilibres sociaux.
DENIS KESSLER : Je ne crois pas
JEAN-MARC SYLVESTRE : Oui mais la question se pose, c'est
DENIS KESSLER : Je ne crois pas, ça c'est une présentation qui a été souvent faite en France et qui me semble trompeuse. Lorsqu'un chef d'entreprise prend des décisions, bien entendu avec son équipe de direction, il doit satisfaire trois objectifs. D'abord le client, il faut s'en souvenir, une entreprise crée de la richesse, elle ne crée de la richesse que si elle a des clients, des débouchés en France ou à l'étranger. Deuxième chose, bien entendu, c'est ses actionnaires qui ont ramené de l'argent pour développer l'entreprise et enfin l'ensemble de son personnel. Et c'est bien les 3 objectifs d'une entreprise : créer de la richesse en satisfaisant le personnel, le client et l'actionnaire. NICOLAS BEYTOUT : Oui mais Denis Kessler ces 3 groupes là, ils existent depuis une éternité. Il se trouve quand même que leur poids relatif a été modifié. Et aujourd'hui on a le sentiment très clair que le poids des actionnaires est supérieur à celui, par exemple, des salariés. Est-ce que c'est vrai ou est-ce c'est faux ?
DENIS KESSLER : Non, ce qui est nouveau sans doute, c'est l'impératif de rentabilité des entreprises. Oui, à l'heure actuelle une entreprise française doit être aussi rentable que ses concurrentes dans les autres pays de la Communauté ou dans les autres régions du monde. On ne peut pas durablement avoir des entreprises françaises qui soient moins rentables que celles qui exercent sur le même marché. Et donc tout chef d'entreprise français doit avoir à l'esprit de maintenir la rentabilité. Mais pour quelles raisons ? C'est la condition de l'indépendance de l'entreprise. Si elle est moins rentable que les autres, elle perdra de la force, elle perdra de la substance, elle sera rachetée un jour, fusionnera, le centre de décision partira à l'étranger. Si elle n'est moins rentable, elle ne garantira pas l'emploi à terme et si elle n'est pas rentable elle ne maintiendra pas les investissements. Il faut dire aux français que la rentabilité est une condition sine qua non de développement des entreprises françaises et donc de l'emploi dans notre pays. On ne l'a pas suffisamment dit et on oppose rentabilité d'une part à emploi d'autre part, ceci est faux. Rentabilité emploi vont de pair, dans le même sens. Dans le même sens.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Denis Kessler, ceci étant, c'est un fait, la classe politique française aujourd'hui utilise cet argument pour mobiliser ses troupes et pour cristalliser la rogne et la grogne. On l'avait vu à Calais où la manifestation du parti communiste avait été un succès, on l'a vu aujourd'hui avec la mobilisation des syndicats. Argument brutal, certes, résumé par Robert Hue. ROBERT HUE à Calais : Vous voyez bien, au-delà des LU Danone, il y a une vraie convergence sociale, Calais est en quelque sorte la capitale de la résistance sociale, et nous sommes là pour dire " non ", un non intransigeant à cette politique qui vise à jeter les salariés après les avoir exploités alors que les profits sont faramineux.
JEAN-MARC SYLVESTRE : On jette les salariés alors que les profits sont faramineux, c'est ça l'image qui frappe.
DENIS KESSLER : Ceci est une erreur. Une entreprise, même si elle est bénéficiaire, peut être amenée à réduire ses effectifs pour une raison extrêmement importante qui est le maintien de son développement, le maintien de l'emploi à venir, le maintien de son indépendance, le maintien de son site de production en France.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Donc les hommes politiques aujourd'hui ne sont pas responsables ?
DENIS KESSLER : Je crois que non. Ce qu'il y a, vous le voyez bien, nous sommes dans une période très politisée à l'heure actuelle. Alors qu'est-ce que l'on fait ? On parle de l'émotion. Et puis avec cette émotion qui est légitime, on passe à l'indignation et puis à la pétition et puis à la manifestation, que l'on vient de voir, et à partir de cette manifestation, qu'est-ce que l'on fait ? On fait des grandes déclarations et ces grandes déclarations c'est pour obtenir une nouvelle législation, une nouvelle réglementation NICOLAS BEYTOUT : laquelle a été effectivement prise.
DENIS KESSLER : Dans le même temps ! Ca a marché ! Et dans le même temps, bien sûr, la diabolisation non seulement des chefs d'entreprise, la diabolisation des responsables de l'entreprise et la diabolisation de toutes les entreprises. C'est une ficelle un peu grosse.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Comment le boycott des marques
DENIS KESSLER : Alors écoutez, ça, ça que des hommes politiques aient eu, comment dire, la bêtise de demander le boycott d'un produit d'une entreprise, vous vous rendez compte où nous en sommes ! Quel est le meilleur moyen pour réduire encore une fois, accroître les difficultés de cette entreprise et réduire ses capacités de développement et éventuellement la mettre en difficulté, ce qui aura d'autres conséquences sociales, c'est justement le boycott. Comment peut-on avoir des idées pareilles ! C'est une idée stupide et ceux qui l'ont eue, je veux dire, se déshonorent. C'est un mélange des genres.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ca a marché parce que cette nervosité là a amené le gouvernement à proposer un renforcement des conditions de licenciements. Trois séries de mesures présentées par Elisabeth Guigou.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Un mot de commentaire sur ce plan, parce que l'on ne vous a pas entendu là-dessus.
DENIS KESSLER : Oh, c'est simple, c'est une législation un peu faite à la hâte, dans le cadre de l'émotion, ce n'est pas comme cela que l'on légifère dans un pays développé
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ca n'aura pas beaucoup d'effet ?
DENIS KESSLER : Au mieux, ça n'a pas d'effet, ça, c'est au mieux. Au pire, malheureusement, ça va sans doute dissuader les entreprises étrangères de s'implanter en France, ça va sans doute se traduire par moins d'embauches en contrats à durée indéterminée, et ça va sans doute porter principalement sur les PME en difficulté. Au mieux, pas d'effet et au pire des effets négatifs sur l'activité en France.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ce qui est étonnant quand même, c'est que ça va à l'encontre de tout ce que vous aviez essayé de faire depuis plus d'un an, c'est-à-dire renouer le dialogue social, ce que vous appelez la Refondation sociale, en fait là on a une intervention directe du gouvernement.
DENIS KESSLER : L'Etat, vous avez vu, essaie de récupérer les dossiers sociaux. On a bien vu les forces politiques se manifester pour dire : oh là, là nous allons immédiatement agir. Il faut expliquer aux Français, il faut le dire, il faut le dire que les solutions ne passent pas par une nouvelle réglementation, par une nouvelle loi. Elles passent par quoi ? Elles passent par des mesures structurelles affectant notre pays. Si nous voulons restaurer le plein emploi, ça passera par un effort incroyable de renouveau de la formation professionnelle. C'est ce à quoi nous sommes attachés NICOLAS BEYTOUT : On connaît votre argumentaire sur la Refondation sociale, ce qui est vrai c'est que vous étiez jusqu'à une période très récente l'acteur en face des syndicats, et le seul acteur. Aujourd'hui, le gouvernement a tiré de l'affaire Danone etc. la légitimité pour intervenir à nouveau. Est-ce que vous, MEDEF, vous avez encore le même rôle dans la Refondation sociale ?
DENIS KESSLER : Mais bien entendu, bien entendu. Non seulement ça mais nous avons, j'allais dire, un rôle renforcé. Croire que la multiplication des législations et de la réglementation, des circulaires, des arrêtés, d'interventions des inspecteurs du travail va résoudre le problème du chômage dans notre pays est une erreur fondamentale. Nous devons restaurer un dialogue social à tous les niveaux de cette nation, entre les employeurs et entre les syndicats, principalement dans l'entreprise, dans les branches, dans les régions et au niveau national. Ce à quoi nous nous sommes employés. Dégager par le dialogue des solutions structurelles de long terme. Et je considère, par exemple, qu'une des grandes réformes qui a été faite par les partenaires sociaux, longuement négociée, la réforme de l'assurance chômage, la mise en uvre du Pare au 1er juillet prochain, ça c'est du travail de fond, ça c'est quelque chose qui adapte effectivement l'assurance-chômage à la nouvelle donne sur le marché du travail. Vous voyez bien, ça n'a rien à voir avec quelques mesures, comme je l'ai dit tout à l'heure prises à la va-vite, dans lesquelles effectivement ça permet de dire qu'on a fait des choses. Mais non, le travail fondamental ça sera la formation professionnelle, c'est le coût du travail, c'est bien entendu la réforme de l'assurance-maladie
JEAN-MARC SYLVESTRE : (inaudible)
DENIS KESSLER : Non seulement mais nous continuons ! NICOLAS BEYTOUT : Avec des initiatives nouvelles ?
DENIS KESSLER : Une initiative nouvelle très importante, qui va être annoncée demain. C'est, nous avons décidé avec les partenaires sociaux d'ouvrir le chantier de la réforme de l'assurance-maladie. C'est indispensable.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Alors, il y a un autre dossier très lourd, c'est celui d'AOM. Il est d'une autre dimension, il pose clairement la responsabilité des actionnaires. En bref, AOM, deuxième pôle français de transport aérien, connaît des difficultés sérieuses et on a là, encore, l'impression que ses responsables se sont défilés. Parmi ses responsables, il y a évidemment Ernest-Antoine Seillière, le président du MEDEF. Affaire compliquée, où la politique interfère sur l'économique et tout cela sur fond de réglementation européenne difficile à interpréter. Le point à l'issue de la dernière assemblée générale des actionnaires au cours de laquelle les dirigeants se sont donnés deux mois avant de décider du sort d'AOM et surtout de trouver une solution. Reportage et explications
JEAN-MARC SYLVESTRE : Alors il y a des assemblées générales houleuses, celle-là l'était particulièrement. On ne va pas revenir en détail sur le dossier AOM, il est important parce qu'il pose évidemment l'avenir d'une entreprise avec ses nombreux salariés. Il pose aussi le problème de Ernest-Antoine Seillière dans la mesure où il est un peu au centre de cette affaire pour la classe politique française.
DENIS KESSLER : Il n'y a aucun problème avec Ernest-Antoine Seillière. Une entreprise, deux entreprises, trois entreprises françaises de transports aériens font des pertes très importantes, AOM, Air Liberté, Air Littoral. La maison mère opératrice de ces compagnies, Swissair fait également des pertes abyssales, 11 milliards de francs, c'est des chiffres astronomiques. Vous voyez bien que dans une situation pareille il faut faire un plan de restructuration qui a été préparé et il faut trouver un repreneur qui prenne la responsabilité des entreprises, AOM et Air Liberté. NICOLAS BEYTOUT : Oui, ça, c'est la version la plus simple. Il y a une autre façon d'expliquer les choses, c'est que Ernest-Antoine Seillière est actionnaire majoritaire et dit : nous avons perdu trop d'argent, je ne veux plus mettre un centime dans cette compagnie. Donc la question est : quelle est sa responsabilité là-dedans ?
DENIS KESSLER : C'est clair. Tout dépend du rapport qu'il y a entre l'opérateur, le gestionnaire et l'investisseur. Entre l'opérateur, qui était Swissair, d'une part, et d'autre part l'investisseur qui était, non pas Ernest-Antoine Seillière, mais les sociétés dont il a la responsabilité, c'était un contrat extrêmement clair dans lequel l'opérateur, le gestionnaire était Swissair. C'était le gestionnaire qui avait la responsabilité de développement du groupe, c'était le gestionnaire qui avait la responsabilité des choix stratégiques et c'est le gestionnaire qui avait in fine NICOLAS BEYTOUT : Donc l'actionnaire n'a pas de responsabilité dans cette affaire ?
DENIS KESSLER : Dès lors que, ceci s'appelle la théorie du mandat, dès lors que le mandat qui lie les différentes parties est extrêmement clair sur ce point-là, il faut en rester au mandat. Et d'ailleurs ce qui a été décidé par Swissair c'est bien de respecter le mandat qui existait d'une part entre l'actionnaire français et d'autre part l'actionnaire suisse. NICOLAS BEYTOUT : Au soir du 1er mai les syndicats ont manifesté en ordre dispersé. Est-ce que vous pensez que le rôle des syndicats dans une affaire comme celle d'AOM et dans toutes ces affaires dont on a parlé depuis le début de la soirée, est vraiment de s'opposer, fut-ce avec des moyens nouveaux, le boycott ou l'appel à l'ensemble de l'opinion.
DENIS KESSLER : J'ai regardé très attentivement la position des syndicats dans les affaires dont on a parlé, notamment ceux de Danone. Vous constaterez que les syndicats n'étaient pas favorables au boycott et j'ai trouvé que les positions de tous les syndicats étaient NICOLAS BEYTOUT : Certains l'étaient, certains l'étaient, ils sont peut-être en train de changer de moyens d'action. De défiler dans la rue sert moins que boycotter, faire appel à l'opinion.
DENIS KESSLER : J'ai trouvé une grande dignité, je dois vous l'avouer . Tout simplement parce qu'ils savent qu'à l'heure actuelle le problème est de faire quoi ? Le problème est de faire réussir les plans sociaux au sens de parvenir au taux de reclassement le plus élevé. Dans le cas de Danone, si dans 5-6 mois on sera parvenu à un taux de reclassement de 95 ou 100 % , il faut savoir que ce sera quelque chose qui permettra effectivement l'adaptation de Danone et le fait que le personnel ne subisse pas ces reclassements.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Merci pour toutes ces explications. On termine très vite par les livres de cette semaine, notamment ce gros bouquin que vous connaissez, ce dictionnaire des sciences économiques sous la direction de Claude Jessua, Christian Labrouste une préface de Gérard Debreu lui-même. Vous connaissez ?
DENIS KESSLER : Non seulement je connais, je le trouve formidable et je vais l'envoyer, figurez-vous avec ma carte à l'ensemble des décideurs politiques français. Et je suis sûr qu'en en prenant connaissance, ils découvriront
JEAN-MARC SYLVESTRE : Les membres du gouvernement, les parlementaires, c'est un beau cadeau !
DENIS KESSLER : Superbe démonstration NICOLAS BEYTOUT : On pourrait aussi l'envoyer à quelques patrons parce qu'il y a aussi quelques recettes de gestion qui ne sont pas inutiles à réviser.
DENIS KESSLER : Je le ferai également, si vous le souhaitez.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Cela prouve qu'il a lu à peu près tout ce qu'il y a là. () Et puis un numéro spécial d'Alternatives économiques sur les placements éthiques. L'épargne alternative et solidaire en 80 fiches. Un mot sur les placements éthiques. Vous qui êtes assureur, ça existe les placements éthiques ?
DENIS KESSLER : Ca commence, on voit à l'heure actuelle des demandes
JEAN-MARC SYLVESTRE : C'est intéressant comme démarche !
DENIS KESSLER : C'est intéressant, oui. L'important des placements, vous savez, c'est qu'ils soient rentables.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Oui mais qu'ils doivent aussi respecter l'éthique.
DENIS KESSLER : Qui doivent respecter l'éthique, oui bien entendu, mais qu'ils soient rentables.
(source http://www.medef.fr, le 9 mai 2001)