Texte intégral
C'est un très grand plaisir et un très grand honneur pour moi d'inaugurer cette 45e édition du Midem.
Je connais la diversité des rencontres, la richesse des échanges à laquelle se prête ce formidable creuset, cette référence internationale qu'est le Marché de l'industrie du disque et de l'édition musicale ; j'en ai eu dès ce matin un aperçu en visitant quelque uns des nombreux stands.
Je me réjouis qu'avec l'opération « French vibes », la créativité française soit cette année à l'honneur et j'écouterai avec grand plaisir dans quelques instants les interventions des artistes ici présents. Je sais que telles une onde de choc, ces « vibrations à la Française » - peut-être faut-il dire ces vibrants français ? - ont fait plusieurs fois le tour du monde. Ce magnifique succès est très réconfortant dans le contexte actuel, comme le sont les autres réussites internationales suivies et soutenues par le bureau export de la Musique Française.
Je tiens d'ailleurs à saluer le travail remarquable du Bureau Export, qui ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui sans l'énergie, la ténacité, l'intelligence de son fondateur Jean-François Michel.
De nombreux autres signes encourageants pourraient être cités, tels que la croissance sans précédent des revenus de la musique numérique, ou l'envol des abonnements payants, une pratique de « consommation » de la musique évidemment pleine de promesses pour toute la filière.
Je sais pourtant que la filière n'est pas encore tirée d'affaire, que le déclin continu du marché physique n'est pas à ce jour compensé par l'essor de la musique numérique et que par conséquent le marché de la musique a encore reculé l'an dernier.
Conscient de vos inquiétudes, de vos impatiences, attentif à vos interpellations légitimes, je veux vous dire la détermination qui est la mienne pour contribuer, à vos côtés, à créer les conditions d'un prochain renouveau des industries musicales.
En ce qui concerne l'action des pouvoirs publics, à travers le démarrage effectif d'une série de chantiers porteurs d'avenir, 2010 a été, me semble-t-il, l'année des fondements, et 2011 sera l'année des réalisations.
La mise en place de l'Hadopi, acte fondateur, s'est accompagnée de la mise en oeuvre des préconisations de la mission « Création et Internet », au premier rang desquelles la carte musique, et de la médiation sur la gestion des droits de la musique en ligne. Nous nous sommes ainsi dotés des outils qui, très bientôt je l'espère, permettront à toute la filière de « sortir la tête de l'eau », en bénéficiant pleinement de ce formidable relais de croissance qu'est la musique numérique sous toutes ses formes.
« Il n'y arriveront jamais », entendait-on murmurer, avec instance, lorsqu'il y a un an, j'ai entrepris, aux côtés de la jeune Hadopi, le travail de mise en oeuvre de la loi. Et de fait, les questions juridiques, les difficultés techniques n'ont pas manqué, ce qui est d'ailleurs assez normal s'agissant d'un dispositif aussi innovant pour la protection des créateurs à l'ère numérique, aussi équilibré et respectueux des libertés individuelles.
Aujourd'hui pourtant, loin de l'échec annoncé, et de la catastrophe technologique promise, l'Hadopi est une institution en ordre de marche, qui adresse d'ores et déjà plus de recommandations que son homologue plus âgée de Corée du Sud. Une institution qui monte en puissance rapidement, et nous a déjà annoncé le démarrage de la seconde étape de la réponse graduée, soit l'envoi de la deuxième recommandation. Une institution, enfin, qui invente jour après jour cette si essentielle pédagogie de la responsabilité à l'ère numérique voulue par le législateur et le Président de la République.
Cette pédagogie produit déjà des effets, et nous pourrons bientôt le mesurer finement. La prise de conscience des ravages du piratage, l'idée que la culture a une valeur, et même un prix, la perception du rôle crucial joué par le droit d'auteur dans l'éco-système de la création : ces idées font leur chemin grâce à l'Hadopi. Je suis donc convaincu que la Haute Autorité contribuera à modifier le comportement du plus grand nombre des internautes, et c'est là l'essentiel. Les études les plus récentes confirment d'ailleurs que les trois quarts des internautes arrêteront de télécharger s'ils reçoivent une recommandation.
Je me réjouis également, [chère Marie-Françoise Marais], de la future contribution de la Haute Autorité à l'observation et au développement de l'offre légale, à travers le label « Hadopi » mais aussi le rôle qui lui incombe dans le suivi des engagements pris dans le cadre de la médiation Hoog.
La carte musique a été elle aussi l'un des chantiers majeurs de l'année écoulée. Il s'agit à mes yeux d'une mesure essentielle de soutien et d'accompagnement de la filière musicale vers le numérique, qui contribuera, j'en ai la conviction, à réhabituer les jeunes amateurs de musique à se tourner vers une offre légale désormais abondante et attractive. Voilà pourquoi je me suis tant battu, à Paris comme à Bruxelles, pour que la carte musique puisse voir le jour en moins d'un an. Voilà pourquoi je ne ménagerai pas mes efforts, ni mes équipes, pour faire en sorte que cette mesure exprime rapidement tout son potentiel.
Avec 50 000 cartes vendues, nous avons la confirmation que la carte musique est un bon produit. Ce résultat est cependant en dessous de nos espérances. Pour réussir la montée en puissance de la carte musique, il nous faut à présent la faire davantage connaître et l'ajuster avec pragmatisme en fonction des premières évaluations. L'illusion du tout gratuit via le téléchargement illégal est solidement ancrée. Elle exige en réponse un grand volontarisme ; elle requiert une capacité non moins grande à nous adapter à ce que recherche le jeune public visé.
Nous allons donc redoubler d'efforts.
J'ai demandé à mes services de travailler très rapidement à l'amélioration du site internet, afin de le rendre plus simple et plus ergonomique. Je vais engager une vaste campagne de communication, dotée d'importants moyens, ainsi que des actions de sensibilisation dans les établissements scolaires. Je souhaite par ailleurs que nous envisagions rapidement le lancement de nouvelles fonctionnalités, notamment l'accès par les téléphones portables. Enfin l'édition de cartes physiques est une piste sur laquelle nous travaillons très sérieusement.
Depuis le début, la solidarité des éditeurs et des ayants droit, ainsi que le dialogue constant établi avec les équipes du ministère, constituent l'une des clés de la réussite de l'opération. Je souhaite que cette mobilisation collective se poursuive. Je sais que je peux compter sur vous pour continuer à promouvoir le dispositif. Je sais également que les 14 plateformes participantes seront bientôt rejointes par de nouveaux acteurs, et je m'en réjouis.
L'investissement en faveur de la création, en faveur du renouvellement des talents, me semble, en cette période de transition, requérir un soutien tout particulier des pouvoirs publics. C'est pourquoi j'ai défendu et continuerai de défendre avec acharnement la revalorisation du crédit d'impôt en faveur de la production phonographique. Malgré la faiblesse des sommes en cause, il s'agit, vous le savez, d'un combat difficile dans le contexte que nous connaissons. Il nous faut donc mettre tous les atouts de notre côté en calibrant la mesure au plus juste. Il s'agit également de mieux tirer profit du dispositif en matière de soutien aux jeunes talents et en termes d'emplois créés, dont les effets sont d'ores et déjà extrêmement positifs. Je compte sur votre aide : celle-ci me sera très précieuse pour convaincre du bien fondé, et même de l'urgence, de la mesure.
Je pense également à un autre axe du soutien que j'entends apporter à l'investissement en faveur de la création : le renforcement, à hauteur de 10 millions d'euros, du fonds d'avances aux industries musicales de l'IFCIC. Cela est désormais acquis, les derniers obstacles administratifs étant levés. Ce dispositif a montré toute sa pertinence et son efficacité : son renforcement est donc une excellente nouvelle pour les PME de la filière musicale.
Sachez enfin que la conclusion, lundi dernier, par les principaux professionnels de filière, des « 13 engagements pour la musique en ligne » proposés par Emmanuel Hoog, au terme de sa mission sur la gestion des droits de la musique en ligne, me réjouit tout particulièrement.
Cet accord comporte en effet des avancées majeures, sous la forme de mesures concrètes immédiatement applicables. Il permettra notamment de favoriser l'accès aux droits des éditeurs de services de musique en ligne, dans des conditions plus stables, plus équilibrées, et plus transparentes.
Ces avancées bénéficieront également aux ayants droit, notamment à travers les engagements pris pour la rémunération des artistes interprètes, les délais de versement des droits et la transparence dans le compte rendu des exploitations de musique en ligne.
J'ai eu l'occasion de le souligner devant vous : ces engagements revêtent à mes yeux une très grande portée. Ils reflètent la mobilisation collective de la filière afin de disposer de services musicaux en ligne innovants, fondés sur une diversité de modèles, moteurs de la croissance du marché de la musique. Il s'agit d'en faire des garants du financement durable de la création comme de la valeur de la musique sur internet.
Malgré les incertitudes propres à cette phase de transformation des modèles économiques, malgré certaines divergences d'analyses, il était important que l'intérêt général de la filière finisse par prévaloir. Il était important que chacun s'inscrive résolument au sein de ce front uni pour le développement de la musique en ligne que vous avez su constituer.
Le succès de cette démarche collective, inédite - je tiens à le souligner - dans la filière musicale, conforte en effet les pouvoirs publics dans leur approche globale pour consolider et renouveler les outils de soutien au secteur.
Elle nous permet d'ouvrir en 2011 un nouveau cycle de réflexion et d'action, dont je souhaite vous entretenir à présent.
Avec les lois Hadopi, nous avons eu le courage politique de rompre avec le leurre de la gratuité sans droits pour les auteurs, avec l'insoutenable légèreté des partisans du laisser-faire. À travers le cycle « Création et Internet » nous avons engagé une deuxième étape : celle d'une mobilisation sans précédent pour le développement d'une offre légale attractive et diversifiée.
Aux côtés des auteurs, des compositeurs, des artistes interprètes, et de tous ceux - au premier chef les producteurs - qui prennent le risque de la création, je souhaite à présent ouvrir un nouveau chantier d'envergure, celui du financement de la diversité musicale à l'ère numérique.
Nous connaissons les conséquences si douloureuses de la crise sur la diversité de la production des contenus musicaux, et sur le renouvellement des talents. Nous connaissons aussi la volatilité des carrières qui en découle, et ce « massacre de la classe moyenne », dont parle Pascal Nègre dans son dernier ouvrage, à propos de ces artistes dont le talent et la singularité sont reconnus mais qui ne sont pas assez profitables pour être durablement soutenus.
Force est de constater que, malgré les efforts, les dispositifs existants demeurent en deçà des besoins. Après avoir chiffré très précisément ces besoins, il nous faudra donc imaginer de nouveaux outils de soutiens, rechercher des financements complémentaires, innovants, pérennes. Tous les scénarios seront étudiés, dans la plus grande transparence, sans a priori, sans exclusive, afin de rechercher l'outil le plus adapté.
Dans ce cadre, je souhaite que soit à nouveau envisagée la mise à contribution des grands acteurs de l'Internet, dont la capacité d'innover n'est plus à démontrer, mais dont chacun sait qu'ils bénéficient de recettes liées à la présence de contenus culturels sur la toile sans en assurer le financement. À ces entrepreneurs dynamiques, à ces géants de l'Internet, je veux rappeler qu'ils sont les débiteurs de ceux qui créent, de ceux qui composent, de ceux qui interprètent et transmettent les oeuvres culturelles.
Je ne me résous pas à l'idée que ces créances, que vos créances, restent lettres mortes. Je n'accepte pas l'idée de notre impuissance à mettre à contribution les revenus vertigineux de la publicité en ligne qui sont réalisés en France par des acteurs opérant souvent à partir de territoires fiscalement « attractifs ». Aux côtés de Christine Lagarde, et en concertation étroite avec les parlementaires qui partagent la même ambition, je compte donc remettre l'ouvrage sur le métier, sans me tromper de cible, mais sans me laisser intimider outre mesure par les obstacles techniques ou communautaires qui nous sont volontiers opposés.
Dans mon esprit, cette réflexion nouvelle sur le financement de la diversité musicale va de pair avec la recherche d'une consolidation de l'écosystème du secteur, selon une approche globale qui inclut les éditeurs de service et les producteurs de spectacle. Rassurez-vous, il ne s'agit pas de créer de nouvelles contraintes administratives, de vous enfermer dans je ne sais quels carcans. Je crois simplement que, dans le prolongement du riche dialogue entamé lors de la médiation « Hoog », il nous faut réfléchir aux outils susceptibles de faciliter l'identification de l'intérêt général de la filière, et aux instances pouvant servir de points d'ancrage pour le dialogue entre les professionnels et les pouvoirs publics.
Je veux vous faire part deux autres priorités d'action qui me tiennent à coeur.
La première concerne la compétitivité des acteurs de la musique numérique. 2011 constituera, je le souhaite, une année décisive dans la recherche d'une révision du cadre communautaire applicable en matière de TVA sur les biens et services culturels. Peu à peu les esprits s'éveillent. Peu à peu, le travail de conviction déjà entamé sur le sujet porte ses fruits et nos soutiens se font de plus en plus nombreux au sein de la Commission européenne : ainsi Mme KROES, Vice-Présidente de la Commission en charge de la stratégie numérique, s'est exprimée en faveur d'une TVA à taux réduit pour les biens et services culturels lors du Forum d'Avignon début novembre. De la même manière, Mme VASSILIOU, Commissaire européenne à l'éducation et à la culture, a soutenu un tel taux de TVA réduit lors du Conseil culture-audiovisuel du 18 novembre 2010 à Bruxelles.
La mission récemment confiée par le Président de la République à Jacques Toubon arrive donc à point nommé. Nous connaissons l'expérience européenne de Jacques Toubon et sa puissance de conviction : elles nous seront infiniment précieuses pour promouvoir auprès de nos partenaires l'idée d'un taux de TVA réduit, notamment pour les services en ligne de musique. L'autre priorité que je souhaite vous exposer a trait à la diversité de l'offre de musique. C'est un sujet qui n'est pas nouveau, nous le savons. C'est un sujet qui vous préoccupe vivement, j'en ai conscience.
Sachez que je n'entends pas laisser sans réponse les messages que vous m'avez ainsi adressés.
70 % des Français découvrent les nouveaux morceaux et les nouveaux talents grâce à la radio et 58 % par la télévision. Les médias traditionnels demeurent donc très largement prescripteurs pour le grand public dans le domaine de la musique. C'est donc une grande responsabilité qui leur incombe : dans le respect de leur liberté éditoriale, et des choix de programmation qui sont les leurs, il leur appartient d'offrir à l'auditeur et au téléspectateur une fenêtre d'accès à la diversité des genres et des expressions artistiques.
Or la concentration des groupes de communication, ainsi que le formatage accentué des programmes de radio et de télévision consacrés à la musique, ont modifié sensiblement l'offre accessible au public.
Ainsi, pour la radio, si le système des quotas a eu un réel effet sur la production nationale, en créant un cercle vertueux, la question de l'exposition des répertoires dans toute leur diversité, et à des horaires d'écoutes significatifs, requiert aujourd'hui une grande vigilance.
En ce qui concerne la télévision, force est de constater qu'une offre musicale diversifiée peine à trouver sa place à des heures où le public est présent. C'est à très juste titre que vous m'avez alerté sur le sujet.
Je sais que ces enjeux ont fait l'objet, par le passé, d'études et de rapports très nombreux, et même de médiations. Il m'apparaît important à présent de capitaliser sur les réflexions et les démarches d'ores et déjà existantes. Vous pouvez compter sur mon plein soutien pour donner une impulsion décisive sur ce sujet majeur.
Je prendrai rapidement l'attache du président du Conseil Supérieur de l'audiovisuel (CSA) afin d'examiner les conditions dans lesquelles pourra être réactivée cette excellente initiative du CSA qu'était le groupe « musique et médias ». Ce groupe « de liaison » rapprochant les professionnels de l'industrie musicale, ceux des médias, et les pouvoirs publics avait précisément pour vocation d'aborder ces sujets et d'apporter les solutions qui conviennent. Il me semble important qu'il puisse à nouveau remplir cet office, avec un champ qui aurait vocation à inclure non seulement la radio, mais aussi, et sans doute d'avantage que par le passé, la télévision.
Concernant le service public de la télévision, qui a un rôle de moteur et d'exemple, la négociation d'un nouveau Contrat d'objectif et de Moyens (COM) entre l'Etat et France Télévisions sera l'occasion, dès les prochaines semaines, d'avancer significativement sur la question de la présence de la diversité musicale et des nouveaux talents sur les antennes du groupe. Il s'agit de mener une concertation étroite entre France Télévisions, les pouvoirs publics et les professionnels, en particulier ceux qui sont regroupés dans l'association « Tous pour la musique ». J'y veillerai tout spécialement auprès de Rémy Pflimlin, dont je connais la sensibilité au sujet.
L'accès du public aux oeuvres dans toute leur diversité passe aussi nécessairement par le soutien à la distribution physique du disque, le chiffre d'affaires de la musique enregistrée y demeurant majoritairement adossé.
Le Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (FISAC) constitue depuis 2003 un outil en faveur des commerces culturels de proximité, et notamment les disquaires. C'est un outil qu'il nous faut davantage utiliser. Aux côtés de mon collègue Frédéric Lefebvre, Secrétaire d'État chargé notamment du Commerce, de l'Artisanat, et des Petites et Moyennes Entreprises, j'entends engager sans délai le renforcement de ce mécanisme qui a su montrer toute sa pertinence.
Avant de céder la parole aux artistes, je voudrais avoir une pensée pour Francis Dreyfus, dont nous regrettons la disparition en juin dernier. Président emblématique de la Société des producteurs de phonogrammes en France, Francis Dreyfus était un formidable découvreur de talents, une figure emblématique en particulier dans le domaine du jazz, animée d'un constant souci de l'intérêt général.
Chers amis, voici donc les perspectives de mon action de soutien aux industries musicales en 2011, une année qui promet d'être dense et passionnante. Soyez assurés de la sincérité de cet engagement, et de l'énergie que je suis prêt à déployer pour parvenir à mes fins, dans l'intérêt du renforcement du secteur et de la diversité des oeuvres et des créateurs.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 24 janvier 2011