Texte intégral
Interview de M. Hubert Védrine à la Radio suisse romande :
Q - Monsieur le ministre des Affaires étrangères bonjour, pour quelle raison un tel voyage ? Y a-t-il aujourd'hui un problème dans les relations franco-suisses ?
R - Il n'y a pas de problèmes. Il y a simplement le fait que j'accorde de l'importance aux relations franco-suisses, que mon homologue M. Deiss m'a invité et que j'ai accepté avec plaisir, d'autant que je n'avais pas eu l'occasion d'aller en Suisse pour des entretiens bilatéraux de ce type depuis 1998. Je pensais que c'était une occasion d'y aller. Je devais m'y rendre il y a quelques semaines déjà, et j'ai dû remettre ce voyage car j'ai eu une grippe et pendant deux jours, le médecin m'avait enjoint de ne pas prendre l'avion. C'est aussi simple que cela.
Q - La Suisse ne fait pas partie de l'Union européenne. Dans notre pays, la ratification de ce que nous appelons les bilatérales cas par cas et pays par pays pose problèmes. La Belgique par exemple a exprimé publiquement ses réserves à propos du dossier Swissair-Sabena et la France n'a pas encore ratifié ces accords bilatéraux. Qu'en est-il des bilatérales franco-suisses ?
R - Nous concernant, on peut dire que les choses sont bien engagées. Les textes sont à l'examen au Conseil d'Etat, ils passeront ensuite au Conseil des ministres, cela devrait nous permettre une transmission à l'Assemblée nationale dès le début de l'automne 2001.
Q - Quand peut-on imaginer une ratification ?
R - Après c'est le calendrier de l'Assemblée, je ne peux donc pas m'engager, mais ce que je vous indique montre que les étapes qui sont à franchir immédiatement vont l'être vite. Nous devons être optimiste sur ces textes.
Q - Monsieur le Ministre, la Suisse n'a pas très bonne presse en France, depuis quelques temps en tout cas. Il y a eu ce que l'on appelle le rapport Montebourg qui épingle très sévèrement le secret bancaire et la place financière suisse. La Suisse serait incapable de lutter contre le blanchiment d'argent et l'évasion des capitaux. Alors vous, en tant que chef de la diplomatie française, partagez-vous les préoccupations d'une certaine gauche française et d'une partie de la classe politique à Paris à propos du secret bancaire helvétique ?
R - Il y a d'une part, des rapports parlementaires avec des analyses, des propositions qui sont faites pour être discutées à tous points de vues et d'autre part, il y a les relations entre la France et la Suisse qui sont des relations satisfaisantes. Sur ces questions financières, je note que la Suisse est membre du groupe d'action financière sur le blanchiment et qu'elle s'attache, à ce titre, à perfectionner son dispositif. Il n'y a pas de dispositif parfait. La démarche souhaitée par tous les grands pays dans l'économie mondiale moderne, c'est que ces techniques, ces législations, ces méthodes de lutte contre le blanchiment soient constamment perfectionnées parce que c'est notre intérêt global, tout simplement pour que personne ne puisse bénéficier de disparités.
Q - Mais, la Suisse peut-elle rester une sorte d'îlot fiscal dans une Europe qui se construit à tous les niveaux, politique ou économique et également au niveau financier ?
R - C'est aux Suisses de décider ce qu'ils veulent faire par rapport à l'Europe, et ce n'est pas à nous, de l'extérieur, de leur dire de faire ceci ou cela. Si la Suisse s'engage vers une démarche de rapprochement plus marquée vers l'Europe, c'est une chose et, à ce moment-là, il faut tenir compte, par avance, même très longtemps à l'avance du dispositif existant au sein de l'Union européenne. Mais si la Suisse décide de rester dans la situation dans laquelle elle est aujourd'hui, ce qui est son droit le plus strict, elle peut avoir intérêt, non pas à copier les législations, ou à se sentir obligée de faire ceci ou cela, mais à avoir des systèmes compatibles. C'est son choix, il ne faut pas que les Suisses se sentent sous pression. C'est à eux, calmement, démocratiquement, de décider de ce qu'ils veulent ou non. Par avance, je respecte tout à fait leur position.
Q - Vous le savez, les partisans de l'intégration européenne ont perdu du terrain en Suisse depuis le dernier vote sur l'Europe. Certains Suisses ont jugé même assez sévèrement l'attitude de la France lors du dernier sommet européen, la France serait peu à l'écoute des petits pays membres de l'Union et les Suisses craignent d'être, en quelque sorte phagocytés par les deux géants de l'Union que sont l'Allemagne et la France, en cas d'adhésion. Pouvez-vous rassurer les Suisses à ce sujet, dans l'hypothèse où la Suisse devrait, un jour, rejoindre la grande famille européenne ?
R - Ce qui est fait par la France, ce qui a été fait durant sa présidence, a été tout à fait respectueux des petits pays. Et à cet égard, il est tout à fait faux de prétendre que la France avait une position hostile aux petits pays. Il y avait un problème de repondération qui était posé, parce qu'à l'origine de l'Union européenne, les droits de votes donnés aux uns et aux autres ne tenaient quasiment aucun compte du poids réel des pays. Il ne s'agissait pas d'adopter une représentation proportionnelle, nous sommes très loin du compte. Il s'agit simplement de rendre les droits de vote dont bénéficient les différents pays membres de l'Union européenne, donc du Conseil européen, un peu moins disproportionnés par rapport à la réalité.
Cette discussion a eu lieu, pas spécialement à l'initiative de la France. Il se trouve que la France a eu la présidence lorsqu'a eu lieu la discussion, mais c'est un problème posé en Europe depuis très longtemps par d'autres pays que la France. En revanche, lorsqu'il a été question de la Commission et lorsque nous avons estimé, avant Nice, que pour être efficaces, il fallait une Commission plafonnée, non seulement, ce n'était pas une manuvre des grands pays contre les petits, mais nous avons même été très loin dans les sacrifices que nous étions prêts à faire, puisque nous avions indiqué que nous étions prêts à perdre un commissaire ou deux. Nous ne pouvions pas aller plus loin dans la prise en compte de l'intérêt général européen. Ce n'était pas du tout une démarche égoïste d'un grand pays contre les petits. Donc, cela repose sur un malentendu total.
C'est dire que dans la construction de l'Union européenne, la France a toujours accordé beaucoup d'importance à ce que l'on appelle improprement les "petits" et elle continuera. Et c'est une formule impropre parce que, un pays membre de l'Union européenne, compte tenu de l'ensemble auquel il participe, compte tenu des décisions qu'il peut influencer, voire bloquer lorsque l'on a besoin de l'unanimité n'est de toutes façons plus un petit pays. C'est une autre catégorie.
Q - Mais, quel rôle pourrait jouer la Suisse en Europe ? Des soldats suisses dans les Balkans, est-ce une bonne chose à votre avis ?
R - Si les Suisses décidaient d'entrer dans l'Europe, la Suisse serait formellement candidate, et puis il y aurait des négociations et un jour, elle serait membre. Elle serait donc membre avec une égalité totale de droits et de devoirs par rapport aux autres pays membres de l'Union européenne. Après, ce qu'elle ferait, cela dépend de la Suisse à ce moment-là et de ce qu'est l'Europe à ce moment-là. On ne va pas dire que la Suisse pourrait entrer parce qu'elle pourrait rendre service sur ce point. Ce n'est pas ainsi que cela se décide. Un pays décide d'être candidat, une fois que les négociations ont été menées et qu'il est membre, il participe à toute la vie de l'Union, pas à une politique parmi d'autres. Les domaines particuliers où la Suisse voudrait être plus active, dans cette hypothèse-là, ce jour-là, c'est à la Suisse de le dire.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 2001)
Intervention liminaire de M. Deiss - Monsieur le Ministre, Mesdames, Messieurs, bonjour. Je commencerai par un événement qui nous a tous préoccupés ces vingt-quatre ou trente-six dernières heures, c'est-à-dire ces huit ressortissants suisses qui étaient, qui sont toujours bloqués dans une caverne dans la France très proche et voisine, pour lesquels nous avons remercié le ministre Védrine de l'importance des moyens mis en uvre par nos amis français pour tenter le sauvetage de ces personnes. Les dernières nouvelles qui nous viennent de France sont optimistes puisqu'on nous informe qu'on a pu localiser les huit personnes qui sont vivantes mais qui n'ont pas encore pu être sorties de cette caverne. Nous espérons donc que cet incident puisse avoir une fin heureuse et nous remercions bien sûr vivement l'engagement qui était très important du côté français. Peut-être que Monsieur le Ministre veut immédiatement s'exprimer sur ce point-là
M. Védrine - Je n'ai pas d'autres informations que celle que l'on vient de recevoir selon laquelle un contact a été établi avec les 8 jeunes spéléologues qui seraient, d'après ce que nous disent les services spécialisés, vivants ; donc nous sommes très très heureux et très soulagés. Il faut maintenant les aider à sortir de la grotte.
(...)
M. Deiss a très bien résumé nos entretiens, j'ai eu à Morat hier soir et à Berne ce matin des entretiens très intéressants. Je remercie les autorités de la Confédération pour leur accueil, j'ai eu ce matin aussi un entretien fort intéressant avec le président de la Confédération. Nous avons d'autre part travaillé hier soir tous les deux sur les questions internationales et quelques grandes crises du moment, ce matin sur des questions bilatérales et européennes, donc nous avons passé en revue tous les sujets d'intérêt commun. J'accorde la plus grande importance à ces consultations avec la Suisse qui peuvent se faire par des voyages ici ou en France, mais nous avons eu d'autres occasions dans d'autres rencontres internationales de faire le point, et nous continuerons à un rythme que je souhaite soutenu.
Q - Je voudrais savoir où en est le dossier particulier des frontaliers qui est en principe sur le bureau en principe de Mme Guigou, dans le dossier des "bilatérales", comme on les appelle en Suisse. Je comprends que ça pourrait être une question qui pourrait retarder la ratification des bilatérales ?
R - En ce qui concerne la ratification, je peux vous dire que notre objectif actuel, c'est que le projet de loi de ratification soit adopté par notre Conseil des ministres au plus tard à la mi-juin, immédiatement déposé sur le bureau du Parlement de façon à ce qu'il puisse être ratifié à l'automne, voilà l'objectif ; c'est donc peut-être un tout petit peu plus lent que ce qui avait été espéré au début, mais je crois que ça se présente bien.
Q - Et le cas des frontaliers ?
R - C'est une question interne en fait, cela ne relève pas de négociations franco-suisses. C'est à nous en France de nous organiser pour répondre aux demandes qui ont été présentées par un certain nombre d'élus des régions frontalières du côté français, donc cela ne devrait pas ralentir le calendrier que je viens d'indiquer.
Q - Comment percevez-vous la volonté de la Suisse d'adhérer à l'Union européenne ?
R - La première chose, c'est que c'est aux Suisses de décider. Ce n'est pas à la France, même si nous avons la plus grande sympathie pour l'orientation souhaitée, annoncée, fixée par les autorités de la Confédération. Nous comprenons, et nous approuvons cet objectif qui est celui de l'intégration à l'Union européenne. Mais, par définition, et démocratiquement, comme les autorités de la Confédération elles-mêmes, nous devons respecter la façon dont les Suisses tranchent cette question ; alors nous souhaiterions que la Suisse soit membre un jour de l'Union européenne, elle y a, évidemment et totalement, sa place, cela nous parait évident. Dans la situation où nous sommes aujourd'hui et en attendant que cet objectif soit atteint, nous sommes favorables à tout ce qui renforce la coopération entre l'Union Européenne et la Suisse, donc après les négociations qui ont été menées et qu'il faut ratifier le plus vite possible, d'autres négociations s'engagent, c'est une bonne chose. Nous sommes favorables à l'intensification des liens bilatéraux entre la Suisse et chaque Etat membre, c'est ce que nous faisons, ensemble à notre niveau. Nous approuvons tout à fait ce souci qui est très présent, ici, d'avoir des mécanismes, des législations, des réglementations, qui soient par avance compatibles avec l'Union européenne et on peut dire qu'en dehors des Etats-membres, il y a peu de pays qui soient déjà aussi adaptés et aussi compatibles avec l'appartenance à l'Union européenne le jour où les Suisses le décideront.
Q - Comment le gouvernement français a-t-il compris l'attitude du Conseil fédéral qui n'a pas soutenu la votation du 4 mars qui demandait l'ouverture immédiate de négociations en vue de l'adhésion ; alors que le peuple ne sera pas d'accord est une chose, que le gouvernement conteste, ça a été difficile à expliquer au peuple. Je voudrais savoir comment cela a été compris en France ?
R - Ce que nous avons compris, c'est que le Conseil fédéral pensait que, le mieux étant l'ennemi du bien, peut-être que la précipitation et l'impatience risquaient de se retourner contre cette sympathique intention. On voyait bien que l'idée, c'était d'accélérer le rapprochement entre la Suisse et l'Union européenne, mais que, venant à ce moment là, dans ces conditions là, cela risquait de produire l'effet inverse, donc nous avons compris que le Conseil fédéral était soucieux de cela, et c'est un peu ce qui s'est passé en quelque sorte. Cet événement, sur lequel je n'ai pas à me prononcer, qui est un événement interne à la Suisse, ayant eu lieu, ce qui nous intéresse c'est de poursuivre ce dont je parlais il y a un instant, c'est-à-dire ce travail de coopération, de rapprochement, d'harmonisation préalable...
Q - Quels sont les souhaits de la France par rapport à la Suisse en ce qui concerne le secret bancaire ?
R - Il y a un souhait général que, d'abord au sein de l'Union européenne en priorité, mais par rapport à un certain nombre de pays qui sont très proches de l'Union européenne et dont les économies sont très imbriquées avec l'UE, on puisse aller vers des approches équivalentes d'un certain nombre de dispositifs permettant que les grandes causes comme la lutte contre le blanchiment par exemple puissent être menées sur des bases identiques et que tout le monde y participe pleinement. Le blanchiment, la lutte contre le blanchiment, c'est un travail de longue haleine, c'est très compliqué, on n'arrive jamais à des dispositifs parfaits, compte tenu de l'ingéniosité de ceux qui cherchent à blanchir. Et l'intérêt de la Suisse, comme l'intérêt des membres de l'Union européenne, comme des autres théoriquement, c'est de faire le maximum dans cette lutte contre le blanchiment qui est vraiment quelque chose d'abord de profondément choquant, et de profondément perturbateur pour des mécanismes normaux de l'économie mondiale de marché. Nous souhaitons qu'il y ait un objectif commun, mais je crois que c'est le cas ; qu'il y ait une volonté partagée par les uns et les autres, je crois que c'est le cas, et que chacun fasse le mieux possible dans le respect de ses spécificités y compris la spécificité suisse qui est celle de l'attachement au secret bancaire. Il faut être très fin dans l'analyse des mécanismes, le secret bancaire doit être préservé, c'est une question de confiance, de crédibilité, et puis en même temps, il ne faut pas qu'il soit détourné de son objet. C'est une négociation à mener, mais je suis convaincu que nous partageons en tout cas le même objectif.
Q - Là vous parlez du chapitre du blanchiment, mais en ce qui concerne l'évasion fiscale qui concerne probablement un volume de fonds encore plus important.
R - Là aussi, je crois qu'il faut rechercher, disons des approches, qui soient harmonisées dans les objectifs, dans l'esprit, arriver à des mécanismes qui soient équivalents, même si ce n'est pas tout à fait les mêmes, qu'il y ait le même effet, que la Suisse s'inscrive à sa façon, et selon les procédures qu'elle décidera, librement, dans cet effort collectif que nous tentons pour toutes les économies européennes ; donc équilibrer les deux, sans que la Suisse soit membre de l'Union européenne, qu'elle participe à l'effort général de modernisation, de transparence plus grande de nos économies, mais il faut le faire dans le respect de ce qui est décidé par la Suisse : je n'ai pas à dire, moi, de l'extérieur, en tant que ministre français "voilà comment il faut faire ou pas faire", c'est un objectif suisse autant qu'européen ...
(...)
Q - Y a-t-il des visites importantes prévues au calendrier dans le cadre des relations bilatérales ?
(...)
R - Oui, il y a pas un calendrier précis. Mais il peut y avoir toutes sortes de visites qui s'organisent aisément, rapidement, en fonction des discussions, c'est une relation naturelle, très dense ; le président de la Confédération me disait ce matin qu'il souhaitait revoir M. Gayssot assez vite, par exemple ; enfin, c'est la vie normale des relations bilatérales.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 2001)
Q - Monsieur le ministre des Affaires étrangères bonjour, pour quelle raison un tel voyage ? Y a-t-il aujourd'hui un problème dans les relations franco-suisses ?
R - Il n'y a pas de problèmes. Il y a simplement le fait que j'accorde de l'importance aux relations franco-suisses, que mon homologue M. Deiss m'a invité et que j'ai accepté avec plaisir, d'autant que je n'avais pas eu l'occasion d'aller en Suisse pour des entretiens bilatéraux de ce type depuis 1998. Je pensais que c'était une occasion d'y aller. Je devais m'y rendre il y a quelques semaines déjà, et j'ai dû remettre ce voyage car j'ai eu une grippe et pendant deux jours, le médecin m'avait enjoint de ne pas prendre l'avion. C'est aussi simple que cela.
Q - La Suisse ne fait pas partie de l'Union européenne. Dans notre pays, la ratification de ce que nous appelons les bilatérales cas par cas et pays par pays pose problèmes. La Belgique par exemple a exprimé publiquement ses réserves à propos du dossier Swissair-Sabena et la France n'a pas encore ratifié ces accords bilatéraux. Qu'en est-il des bilatérales franco-suisses ?
R - Nous concernant, on peut dire que les choses sont bien engagées. Les textes sont à l'examen au Conseil d'Etat, ils passeront ensuite au Conseil des ministres, cela devrait nous permettre une transmission à l'Assemblée nationale dès le début de l'automne 2001.
Q - Quand peut-on imaginer une ratification ?
R - Après c'est le calendrier de l'Assemblée, je ne peux donc pas m'engager, mais ce que je vous indique montre que les étapes qui sont à franchir immédiatement vont l'être vite. Nous devons être optimiste sur ces textes.
Q - Monsieur le Ministre, la Suisse n'a pas très bonne presse en France, depuis quelques temps en tout cas. Il y a eu ce que l'on appelle le rapport Montebourg qui épingle très sévèrement le secret bancaire et la place financière suisse. La Suisse serait incapable de lutter contre le blanchiment d'argent et l'évasion des capitaux. Alors vous, en tant que chef de la diplomatie française, partagez-vous les préoccupations d'une certaine gauche française et d'une partie de la classe politique à Paris à propos du secret bancaire helvétique ?
R - Il y a d'une part, des rapports parlementaires avec des analyses, des propositions qui sont faites pour être discutées à tous points de vues et d'autre part, il y a les relations entre la France et la Suisse qui sont des relations satisfaisantes. Sur ces questions financières, je note que la Suisse est membre du groupe d'action financière sur le blanchiment et qu'elle s'attache, à ce titre, à perfectionner son dispositif. Il n'y a pas de dispositif parfait. La démarche souhaitée par tous les grands pays dans l'économie mondiale moderne, c'est que ces techniques, ces législations, ces méthodes de lutte contre le blanchiment soient constamment perfectionnées parce que c'est notre intérêt global, tout simplement pour que personne ne puisse bénéficier de disparités.
Q - Mais, la Suisse peut-elle rester une sorte d'îlot fiscal dans une Europe qui se construit à tous les niveaux, politique ou économique et également au niveau financier ?
R - C'est aux Suisses de décider ce qu'ils veulent faire par rapport à l'Europe, et ce n'est pas à nous, de l'extérieur, de leur dire de faire ceci ou cela. Si la Suisse s'engage vers une démarche de rapprochement plus marquée vers l'Europe, c'est une chose et, à ce moment-là, il faut tenir compte, par avance, même très longtemps à l'avance du dispositif existant au sein de l'Union européenne. Mais si la Suisse décide de rester dans la situation dans laquelle elle est aujourd'hui, ce qui est son droit le plus strict, elle peut avoir intérêt, non pas à copier les législations, ou à se sentir obligée de faire ceci ou cela, mais à avoir des systèmes compatibles. C'est son choix, il ne faut pas que les Suisses se sentent sous pression. C'est à eux, calmement, démocratiquement, de décider de ce qu'ils veulent ou non. Par avance, je respecte tout à fait leur position.
Q - Vous le savez, les partisans de l'intégration européenne ont perdu du terrain en Suisse depuis le dernier vote sur l'Europe. Certains Suisses ont jugé même assez sévèrement l'attitude de la France lors du dernier sommet européen, la France serait peu à l'écoute des petits pays membres de l'Union et les Suisses craignent d'être, en quelque sorte phagocytés par les deux géants de l'Union que sont l'Allemagne et la France, en cas d'adhésion. Pouvez-vous rassurer les Suisses à ce sujet, dans l'hypothèse où la Suisse devrait, un jour, rejoindre la grande famille européenne ?
R - Ce qui est fait par la France, ce qui a été fait durant sa présidence, a été tout à fait respectueux des petits pays. Et à cet égard, il est tout à fait faux de prétendre que la France avait une position hostile aux petits pays. Il y avait un problème de repondération qui était posé, parce qu'à l'origine de l'Union européenne, les droits de votes donnés aux uns et aux autres ne tenaient quasiment aucun compte du poids réel des pays. Il ne s'agissait pas d'adopter une représentation proportionnelle, nous sommes très loin du compte. Il s'agit simplement de rendre les droits de vote dont bénéficient les différents pays membres de l'Union européenne, donc du Conseil européen, un peu moins disproportionnés par rapport à la réalité.
Cette discussion a eu lieu, pas spécialement à l'initiative de la France. Il se trouve que la France a eu la présidence lorsqu'a eu lieu la discussion, mais c'est un problème posé en Europe depuis très longtemps par d'autres pays que la France. En revanche, lorsqu'il a été question de la Commission et lorsque nous avons estimé, avant Nice, que pour être efficaces, il fallait une Commission plafonnée, non seulement, ce n'était pas une manuvre des grands pays contre les petits, mais nous avons même été très loin dans les sacrifices que nous étions prêts à faire, puisque nous avions indiqué que nous étions prêts à perdre un commissaire ou deux. Nous ne pouvions pas aller plus loin dans la prise en compte de l'intérêt général européen. Ce n'était pas du tout une démarche égoïste d'un grand pays contre les petits. Donc, cela repose sur un malentendu total.
C'est dire que dans la construction de l'Union européenne, la France a toujours accordé beaucoup d'importance à ce que l'on appelle improprement les "petits" et elle continuera. Et c'est une formule impropre parce que, un pays membre de l'Union européenne, compte tenu de l'ensemble auquel il participe, compte tenu des décisions qu'il peut influencer, voire bloquer lorsque l'on a besoin de l'unanimité n'est de toutes façons plus un petit pays. C'est une autre catégorie.
Q - Mais, quel rôle pourrait jouer la Suisse en Europe ? Des soldats suisses dans les Balkans, est-ce une bonne chose à votre avis ?
R - Si les Suisses décidaient d'entrer dans l'Europe, la Suisse serait formellement candidate, et puis il y aurait des négociations et un jour, elle serait membre. Elle serait donc membre avec une égalité totale de droits et de devoirs par rapport aux autres pays membres de l'Union européenne. Après, ce qu'elle ferait, cela dépend de la Suisse à ce moment-là et de ce qu'est l'Europe à ce moment-là. On ne va pas dire que la Suisse pourrait entrer parce qu'elle pourrait rendre service sur ce point. Ce n'est pas ainsi que cela se décide. Un pays décide d'être candidat, une fois que les négociations ont été menées et qu'il est membre, il participe à toute la vie de l'Union, pas à une politique parmi d'autres. Les domaines particuliers où la Suisse voudrait être plus active, dans cette hypothèse-là, ce jour-là, c'est à la Suisse de le dire.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 2001)
Intervention liminaire de M. Deiss - Monsieur le Ministre, Mesdames, Messieurs, bonjour. Je commencerai par un événement qui nous a tous préoccupés ces vingt-quatre ou trente-six dernières heures, c'est-à-dire ces huit ressortissants suisses qui étaient, qui sont toujours bloqués dans une caverne dans la France très proche et voisine, pour lesquels nous avons remercié le ministre Védrine de l'importance des moyens mis en uvre par nos amis français pour tenter le sauvetage de ces personnes. Les dernières nouvelles qui nous viennent de France sont optimistes puisqu'on nous informe qu'on a pu localiser les huit personnes qui sont vivantes mais qui n'ont pas encore pu être sorties de cette caverne. Nous espérons donc que cet incident puisse avoir une fin heureuse et nous remercions bien sûr vivement l'engagement qui était très important du côté français. Peut-être que Monsieur le Ministre veut immédiatement s'exprimer sur ce point-là
M. Védrine - Je n'ai pas d'autres informations que celle que l'on vient de recevoir selon laquelle un contact a été établi avec les 8 jeunes spéléologues qui seraient, d'après ce que nous disent les services spécialisés, vivants ; donc nous sommes très très heureux et très soulagés. Il faut maintenant les aider à sortir de la grotte.
(...)
M. Deiss a très bien résumé nos entretiens, j'ai eu à Morat hier soir et à Berne ce matin des entretiens très intéressants. Je remercie les autorités de la Confédération pour leur accueil, j'ai eu ce matin aussi un entretien fort intéressant avec le président de la Confédération. Nous avons d'autre part travaillé hier soir tous les deux sur les questions internationales et quelques grandes crises du moment, ce matin sur des questions bilatérales et européennes, donc nous avons passé en revue tous les sujets d'intérêt commun. J'accorde la plus grande importance à ces consultations avec la Suisse qui peuvent se faire par des voyages ici ou en France, mais nous avons eu d'autres occasions dans d'autres rencontres internationales de faire le point, et nous continuerons à un rythme que je souhaite soutenu.
Q - Je voudrais savoir où en est le dossier particulier des frontaliers qui est en principe sur le bureau en principe de Mme Guigou, dans le dossier des "bilatérales", comme on les appelle en Suisse. Je comprends que ça pourrait être une question qui pourrait retarder la ratification des bilatérales ?
R - En ce qui concerne la ratification, je peux vous dire que notre objectif actuel, c'est que le projet de loi de ratification soit adopté par notre Conseil des ministres au plus tard à la mi-juin, immédiatement déposé sur le bureau du Parlement de façon à ce qu'il puisse être ratifié à l'automne, voilà l'objectif ; c'est donc peut-être un tout petit peu plus lent que ce qui avait été espéré au début, mais je crois que ça se présente bien.
Q - Et le cas des frontaliers ?
R - C'est une question interne en fait, cela ne relève pas de négociations franco-suisses. C'est à nous en France de nous organiser pour répondre aux demandes qui ont été présentées par un certain nombre d'élus des régions frontalières du côté français, donc cela ne devrait pas ralentir le calendrier que je viens d'indiquer.
Q - Comment percevez-vous la volonté de la Suisse d'adhérer à l'Union européenne ?
R - La première chose, c'est que c'est aux Suisses de décider. Ce n'est pas à la France, même si nous avons la plus grande sympathie pour l'orientation souhaitée, annoncée, fixée par les autorités de la Confédération. Nous comprenons, et nous approuvons cet objectif qui est celui de l'intégration à l'Union européenne. Mais, par définition, et démocratiquement, comme les autorités de la Confédération elles-mêmes, nous devons respecter la façon dont les Suisses tranchent cette question ; alors nous souhaiterions que la Suisse soit membre un jour de l'Union européenne, elle y a, évidemment et totalement, sa place, cela nous parait évident. Dans la situation où nous sommes aujourd'hui et en attendant que cet objectif soit atteint, nous sommes favorables à tout ce qui renforce la coopération entre l'Union Européenne et la Suisse, donc après les négociations qui ont été menées et qu'il faut ratifier le plus vite possible, d'autres négociations s'engagent, c'est une bonne chose. Nous sommes favorables à l'intensification des liens bilatéraux entre la Suisse et chaque Etat membre, c'est ce que nous faisons, ensemble à notre niveau. Nous approuvons tout à fait ce souci qui est très présent, ici, d'avoir des mécanismes, des législations, des réglementations, qui soient par avance compatibles avec l'Union européenne et on peut dire qu'en dehors des Etats-membres, il y a peu de pays qui soient déjà aussi adaptés et aussi compatibles avec l'appartenance à l'Union européenne le jour où les Suisses le décideront.
Q - Comment le gouvernement français a-t-il compris l'attitude du Conseil fédéral qui n'a pas soutenu la votation du 4 mars qui demandait l'ouverture immédiate de négociations en vue de l'adhésion ; alors que le peuple ne sera pas d'accord est une chose, que le gouvernement conteste, ça a été difficile à expliquer au peuple. Je voudrais savoir comment cela a été compris en France ?
R - Ce que nous avons compris, c'est que le Conseil fédéral pensait que, le mieux étant l'ennemi du bien, peut-être que la précipitation et l'impatience risquaient de se retourner contre cette sympathique intention. On voyait bien que l'idée, c'était d'accélérer le rapprochement entre la Suisse et l'Union européenne, mais que, venant à ce moment là, dans ces conditions là, cela risquait de produire l'effet inverse, donc nous avons compris que le Conseil fédéral était soucieux de cela, et c'est un peu ce qui s'est passé en quelque sorte. Cet événement, sur lequel je n'ai pas à me prononcer, qui est un événement interne à la Suisse, ayant eu lieu, ce qui nous intéresse c'est de poursuivre ce dont je parlais il y a un instant, c'est-à-dire ce travail de coopération, de rapprochement, d'harmonisation préalable...
Q - Quels sont les souhaits de la France par rapport à la Suisse en ce qui concerne le secret bancaire ?
R - Il y a un souhait général que, d'abord au sein de l'Union européenne en priorité, mais par rapport à un certain nombre de pays qui sont très proches de l'Union européenne et dont les économies sont très imbriquées avec l'UE, on puisse aller vers des approches équivalentes d'un certain nombre de dispositifs permettant que les grandes causes comme la lutte contre le blanchiment par exemple puissent être menées sur des bases identiques et que tout le monde y participe pleinement. Le blanchiment, la lutte contre le blanchiment, c'est un travail de longue haleine, c'est très compliqué, on n'arrive jamais à des dispositifs parfaits, compte tenu de l'ingéniosité de ceux qui cherchent à blanchir. Et l'intérêt de la Suisse, comme l'intérêt des membres de l'Union européenne, comme des autres théoriquement, c'est de faire le maximum dans cette lutte contre le blanchiment qui est vraiment quelque chose d'abord de profondément choquant, et de profondément perturbateur pour des mécanismes normaux de l'économie mondiale de marché. Nous souhaitons qu'il y ait un objectif commun, mais je crois que c'est le cas ; qu'il y ait une volonté partagée par les uns et les autres, je crois que c'est le cas, et que chacun fasse le mieux possible dans le respect de ses spécificités y compris la spécificité suisse qui est celle de l'attachement au secret bancaire. Il faut être très fin dans l'analyse des mécanismes, le secret bancaire doit être préservé, c'est une question de confiance, de crédibilité, et puis en même temps, il ne faut pas qu'il soit détourné de son objet. C'est une négociation à mener, mais je suis convaincu que nous partageons en tout cas le même objectif.
Q - Là vous parlez du chapitre du blanchiment, mais en ce qui concerne l'évasion fiscale qui concerne probablement un volume de fonds encore plus important.
R - Là aussi, je crois qu'il faut rechercher, disons des approches, qui soient harmonisées dans les objectifs, dans l'esprit, arriver à des mécanismes qui soient équivalents, même si ce n'est pas tout à fait les mêmes, qu'il y ait le même effet, que la Suisse s'inscrive à sa façon, et selon les procédures qu'elle décidera, librement, dans cet effort collectif que nous tentons pour toutes les économies européennes ; donc équilibrer les deux, sans que la Suisse soit membre de l'Union européenne, qu'elle participe à l'effort général de modernisation, de transparence plus grande de nos économies, mais il faut le faire dans le respect de ce qui est décidé par la Suisse : je n'ai pas à dire, moi, de l'extérieur, en tant que ministre français "voilà comment il faut faire ou pas faire", c'est un objectif suisse autant qu'européen ...
(...)
Q - Y a-t-il des visites importantes prévues au calendrier dans le cadre des relations bilatérales ?
(...)
R - Oui, il y a pas un calendrier précis. Mais il peut y avoir toutes sortes de visites qui s'organisent aisément, rapidement, en fonction des discussions, c'est une relation naturelle, très dense ; le président de la Confédération me disait ce matin qu'il souhaitait revoir M. Gayssot assez vite, par exemple ; enfin, c'est la vie normale des relations bilatérales.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 2001)