Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, sur la situation de l'agriculture en général, des grandes cultures en particulier, du soutien en matières premières agricoles des pays du Maghreb, Marseille le 24 janvier 2011.

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Circonstance : Clôture du Sommet du Végétal, à Marseille le 24 janvier 2011

Texte intégral

Monsieur le président d'ORAMA, cher Philippe,
Monsieur le Président de la FNSEA, cher Xavier,
Mesdames et Messieurs les Présidents, chers amis,
Je suis très heureux de vous retrouver aujourd'hui à Marseille pour parler de la situation des grandes cultures, des perspectives qu'on peut leur offrir et plus généralement de la situation de l'agriculture. Je vous transmets au passage les amitiés de Jean-Claude GAUDIN que j'ai vu ce matin - pour une fois c'est moi qui suis à Marseille et lui qui est à Paris et non l'inverse - et je sais qu'il était très heureux de vous accueillir ici dans sa ville.
Il y a un an lorsque j'étais venu clôturer le congrès d'ORAMA, nous étions dans une situation conjoncturelle très différente. Nous étions au coeur de la crise agricole la plus grave de ces trente dernières années avec une baisse moyenne du revenu agricole de 34% et de 50% dans certaines filières dont les céréales. Nous avions un cours du blé qui était aux alentours de 115 - 120 euros la tonne.
Aujourd'hui nous avons, reconnaissons-le, une situation qui va mieux ; nous avons un cours du blé qui est passé de 115 euros la tonne début juillet à 260 euros la tonne environ ; il y a un certain nombre de mesures qui ont été prises... Si vous ne me laissez pas expliquer ce que j'ai à vous dire, nous allons avoir du mal à nous entendre. Mais vous allez voir que ce que j'ai à vous dire, à mon sens, va davantage dans votre direction que vous ne pouvez le penser. Nous avons pris aussi un certain nombre de décisions. Nous avons pris des décisions qui vont dans votre sens et vous l'avez rappelé, aussi bien Xavier BELIN que Philippe PINTA ; vous avez été parmi les premiers bénéficiaires du plan de soutien à l'agriculture qui a été décidé par le Président de la République à Poligny. 35% des sommes engagées ont été pour les grandes cultures, ce qui est bien la preuve d'ailleurs que les grandes cultures avaient besoin de ce soutien. Nous avons pris des mesures structurelles comme la déduction pour aléas qui ne touchait que les aléas climatiques - vous aviez demandé que cela touche les aléas économiques, Bercy était totalement opposé, je me souviens des discussions que nous avons eues avec Christine LAGARDE, à l'époque ce n'était pas encore François BAROIN qui était en poste, c'était des discussions difficiles - mais les arbitrages ont été en votre faveur parce que vous aviez le soutien du ministre de l'Agriculture.
De tout ça évidemment et de la direction que prennent les grandes cultures, on ne va pas se plaindre. Simplement je voudrais ajouter un certain nombre de bémols. Premier bémol - et c'est l'élu de l'Eure qui vous le dit - cette situation dans les grandes cultures recouvre des réalités extraordinairement différentes d'un point à l'autre du territoire. Dans le département de l'Eure, pour prendre un département que je connais bien, entre le plateau du Neubourg où on arrive à avoir des grandes surfaces et des rendements à l'hectare élevés et le sud du département où vous avez des terres affleurantes, des exploitations qui sont plus petites et des rendements à l'hectare qui sont faibles, vous avez encore beaucoup d'exploitants qui ne s'y retrouvent pas malgré l'augmentation du cours des céréales. Vous avez en même temps - et cela a été évoqué par Philippe PINTA - en même temps que l'augmentation du cours des céréales, vous avez une augmentation du cours des intrants, du cours des engrais qui est une véritable préoccupation pour la filière. A quoi ça sert d'avoir des prix qui augmentent lorsque vous vendez vos produits si de l'autre côté, vous avez des coûts de production qui ne cessent d'augmenter également parce que les intrants augmentent, parce que le prix des engrais augmente ? Je suis d'accord pour que nous étudiions ensemble cette question et que nous regardions aussi la part de spéculation qui se cache derrière cette réalité : augmentation mécanique des intrants à mesure que le prix de vente des céréales augmente, c'est quelque chose qui pose une réelle difficulté.
Et puis par ailleurs, personne ne peut garantir que ce cycle de hausse va continuer. Et je trouve qu'il est tout à fait formidable pour le coup chez la plupart des responsables politiques que lorsque les prix sont très bas, on vous dise avec beaucoup de certitudes : « ne vous inquiétez pas, les prix sont très bas mais ils vont remonter. » En revanche, lorsque les prix sont très hauts, on ne vous dit pas : « ne vous inquiétez pas, les prix sont très hauts mais ils vont baisser ! » On vous dit « les prix sont très hauts et ils vont rester très hauts ». La réalité, c'est que personne n'en sait rien et la réalité, c'est que bien mal avisé celui qui prendrait devant vous l'engagement que les prix vont rester hauts. Alors je sais bien qu'il y a des études, je sais bien qu'il y a des spécialistes ; simplement comme j'ai l'habitude de faire mon travail correctement, j'ai lu les études des spécialistes, j'ai lu les études des personnes qui soi-disant techniquement connaissent le sujet mieux que tout le monde ; j'ai vu des gens qui avaient écrit - et je n'aurai pas la méchanceté de citer leur nom ici - en 2008, que le prix du lait à 360 euros la tonne, était un prix du lait stable, qui pouvait s'orienter jusqu'à 400 euros et qu'étant donnée la demande mondiale, il n'y avait aucune inquiétude à avoir. Six mois plus tard, le prix du lait était à 260 euros la tonne ! Donc nous ne pouvons pas parier sur une augmentation continue des prix. Nous devons être plus ambitieux que ça pour l'agriculture française et européenne ; nous devons nous préparer à toutes les éventualités et donc vous permettre de développer votre production dans les meilleures conditions possibles. C'est pour ça que je suis d'accord avec Philippe PINTA : nous continuerons à réunir le comité de suivi des grandes cultures pour nous assurer que le cycle suit son cours dans la bonne direction et que nous avons les moyens de répondre si jamais le cycle devait s'inverser.
De manière plus générale, cette volatilité des prix, personne ne peut s'en réjouir. Très bien que vous ayez une bonne année en 2010, formidable, mais en revanche je suis beaucoup plus circonspect et beaucoup plus négatif sur la volatilité des prix que nous connaissons actuellement, d'abord parce que cette volatilité est un problème pour des filières entières dans l'agriculture française et je sais que vous êtes, comme chaque paysan français, attachés à un principe de solidarité et que vous êtes les premiers à déplorer que cette augmentation du prix des céréales ait un effet aussi dévastateur sur les éleveurs français, producteurs de porcs ou producteurs de bovins, qui se retrouvent pour certains dans une situation absolument calamiteuse notamment dans le centre de la France. Vous êtes aussi conscients que cette volatilité des prix est un problème pour les consommateurs parce que bien entendu la volatilité des prix va avoir une incidence sur les prix à la consommation, sur les prix de la viande, sur les prix de la farine, sur le prix des pâtes, sur les prix de produits de première nécessité. Bien entendu, personne ne peut se réjouir que les prix de l'alimentation augmentent en France en raison de la volatilité du cours des matières premières.
Enfin, et je le dis ici à Marseille, c'est évidemment un problème financier pour les pays importateurs dont nous ne savons pas s'ils auront la capacité financière de faire face à l'augmentation du prix des matières premières, je le dis ici à Marseille, dans une ville qui est ouverte vers les pays du Maghreb, nous sommes un pays ouvert vers les Etats du Maghreb, nous partageons leurs préoccupations et notamment cette préoccupation de financement de leur alimentation en matières premières agricoles. Et puis cette volatilité, et je le dis avec un tout petit peu de distance, est d'autant plus insupportable que nous avons connu la même situation en 2008. Très franchement, qu'est-ce qui a été fait de concret depuis 2008 pour remédier à cette situation ? Pas grand-chose. Pas grand-chose d'efficace. Eh bien moi je souhaite avec le Président de la République que cette fois-ci en 2011, nous prenions vraiment avec les autres pays du G20 le sujet à bras le corps et que nous apportions des réponses concrètes car sinon nous nous exposerons à des difficultés pour notre propre pays, nous nous exposerons à des difficultés économiques et nous nous exposerons à des difficultés de stabilité politique dans un certain nombre de pays. Ne revivons pas les épisodes d'émeutes de la faim que nous avons connues en Egypte et d'autres pays du Maghreb, soyons responsables, soyons prévoyants et en 2011, prenons les mesures concrètes décisives qui permettront de remédier à la volatilité des prix agricoles.
Je rappelle également que cette volatilité, si on analyse un tout petit peu la situation, n'est pas que le produit de réalités physiques. Alors bien sûr à l'origine il y a une réalité physique. Bien sûr que la sécheresse en Russie, ça explique en partie l'augmentation des prix du blé. Lorsque vous avez un grand exportateur qui décide brutalement d'arrêter ses exportations, évidemment ça a une incidence. Bien sûr que les inondations en Australie n'ont pas arrangé les choses. Simplement personne ne peut comprendre que ces situations de faiblesse, ces situations de volatilité des prix deviennent la proie de spéculateurs qui aggravent ces tendances et font passer le prix de 110 - 115 euros la tonne à 220-230-240 euros la tonne. Personne ne peut accepter que sur les marchés agricoles, le volume des encours financiers soit quinze fois supérieur au volume des encours physiques. Quinze fois supérieur, ça veut dire quinze fois de la spéculation, ça veut dire quinze fois de l'aggravation de la volatilité des prix. Personne ne peut accepter que les sommes investies dans les fonds indiciels sur les matières premières soient passées de 13 milliards d'euros fin 2003 à 260 milliards d'euros en 2008. Qu'est-ce que cela signifie ? Ca signifie tout simplement que la spéculation s'est déplacée du champ financier vers le champ agricole. Prenons-en conscience pour apporter les bonnes solutions.
Quelles sont les solutions que nous pouvons apporter ? Ces solutions, elles doivent s'inscrire dans le cadre du marché. Soyons clairs : la variation des prix, on peut l'accepter, c'est l'ordinaire du marché, c'est la spéculation que nous refusons. Pour remettre un peu d'ordre, quelles sont les solutions concrètes que nous pouvons apporter ? Première des solutions, je le redis avec beaucoup de simplicité, c'est tout simplement produire des matières premières agricoles. Tous ceux qui veulent lutter contre la spéculation et qui dans le même temps vous expliquent qu'il faut produire moins, sont des irresponsables. Si nous voulons lutter contre la spéculation, il faut des stocks ; si nous voulons lutter contre la spéculation, il faut de la production, si nous voulons lutter contre la spéculation, il faut d'abord de la marchandise. Et chacun doit prendre conscience que nous avons une équation incroyablement difficile à résoudre, c'est une équation à trois inconnues. La première, c'est l'augmentation de la population mondiale : nous savons qu'elle va augmenter et que le chiffre de l'augmentation ne se compte pas en dizaine de millions ou en centaines de millions mais en milliards de bouches à nourrir d'ici quinze à vingt ans. Première donnée de l'équation. Deuxième donnée de l'équation : les terres agricoles sont en diminution partout dans le monde parce que ces populations qui croissent, se déplacent, quittent les campagnes, vont vers l'urbanisation. Nous avons moins de terres pour produire pour plus de personnes. Et troisième donnée de l'équation : nous devons produire - nous en avons tous conscience ici - en étant plus respectueux de l'environnement, c'est-à-dire avec des cultures qui sont forcément moins intensives. A tous ceux qui pensent qu'il faut produire moins, je réponds qu'il faut produire plus. A tous ceux qui pensent qu'il faut lutter contre la spéculation en réduisant la production, je dis au contraire que c'est l'augmentation de la production dans le respect des contraintes environnementales qui permettra d'apporter la première réponse à cette question de la spéculation. Vous pouvez compter sur moi pour défendre l'augmentation de la production en France.
Je voudrais donc devant vous prendre aujourd'hui trois engagements très clairs : le premier engagement pour produire plus, c'est d'améliorer votre compétitivité. Améliorer votre compétitivité, c'est ce qui doit vous permettre de produire davantage dans de meilleures conditions. Pour ça, il faut évidemment réduire les coûts de revient. Pour réduire les coûts, il n'y a pas de solution miracle. Il y a une suite de solutions que nous avons devant nous et qu'il faut avoir le courage de décider. Aujourd'hui, on est à l'heure des choix. Ce qui est important, ce n'est pas de spéculer, c'est de choisir. Il faut choisir la réduction du coût du travail ; on l'a faite pour le travail saisonnier - ça ne vous concerne pas directement mais je le redis au passage, c'est quand même un demi-milliard d'euros de dépenses publiques pour le seul secteur agricole chaque année qui permet d'exonérer le travail saisonnier de toute charge patronale et c'est le seul secteur qui en bénéficie. Maintenant il reste le problème du coût du travail permanent. J'attends le rapport du député Bernard REYNES sur ce sujet et j'en tiendrai le plus grand compte car je crois que c'est un sujet majeur pour l'amélioration de la compétitivité de l'agriculture.
Deuxième choix, c'est le choix d'un certain nombre de décisions qui tardaient et qu'il fallait sortir et que le Président de la République a annoncées hier. C'est le décret du 44 tonnes sur lequel Xavier BEULIN sait que nous nous battons depuis maintenant plusieurs mois, ces décisions, il faut les assumer. Bien sûr que c'est difficile à expliquer à l'opinion publique. Bien sûr qu'il y a des résistances. Mais je ne peux pas comme ministre de l'Agriculture, demander à tous les paysans français qu'ils soient plus compétitifs et puis leur dire dans le même temps : vous allez systématiquement perdre 10% de compétitivité sur le transport parce que vos voisins allemands, italiens, espagnols vont transporter leurs céréales dans des camions de 44 tonnes pendant que vous, vous allez continuer à les transporter dans des camions de 40 tonnes ! Il faut de la cohérence en politique et la cohérence, c'est de dire que la compétitivité doit reposer sur des règles identiques dans tous les pays européens.
Le troisième moyen d'augmenter la compétitivité et je rejoins parfaitement ce qui a été dit aussi bien par Xavier BEULIN que par Philippe PINTA mais je tiens à le dire, c'est des choix qui sont politiquement difficiles, que j'assume comme ministre de l'Agriculture mais qui sont politiquement difficiles parce que l'arrière-plan sociologique, l'arrière-plan intellectuel ne nous est pas favorable et que c'est cet arrière-plan qu'il faut arriver à modifier dans les années à venir. Ce troisième choix, c'est celui de la recherche et de l'innovation notamment dans le domaine des biotechnologies et je n'hésite pas à le dire : l'avenir de l'agriculture française passe par la défense de la recherche en matière de biotechnologies. Si nous nous interdisons cette recherche, si nous laissons se délocaliser ces efforts de recherche, si nous laissons nos chercheurs partir à l'étranger, ce n'est pas compliqué, nous perdons l'un de nos atouts concurrentiels majeurs par rapport à nos grands voisins. Vous parlez de LIMAGRAIN. Oui, nous avons décidé de mettre 150 millions d'euros sur des programmes de recherche de LIMAGRAIN et je l'assume totalement. Mais je regrette que lorsque je visite LIMAGRAIN - nous avons fait une très belle visite chez LIMAGRAIN il y a quelques semaines - on m'explique que certains programmes de recherche doivent être conduits aux Etats-Unis parce qu'ils ne sont plus possibles à conduire en France. Moi je souhaite que nous rapatriions notre recherche en biotechnologies en France, c'est des emplois, c'est de l'innovation et c'est de la compétitivité.
Je pense aussi, je n'hésite pas une fois encore à le dire, à la recherche sur les OGM. Nous sommes dans un Etat de droit et dans un Etat de droit, chacun est tenu de respecter les règles. Lorsque le Haut Conseil aux Biotechnologies donne son accord dans ses deux collèges, scientifique et le collège des personnalités qualifiées, pour conduire un essai en plein champ en Alsace, lorsque des chercheurs, depuis des années, travaillent sur cet essaie en plein champ, sur de la vigne transgénique pour répondre à une maladie du court-noué sur laquelle personne n'a encore trouvé d'autre solution et qu'une poignée de personnes vont saccager ce champ, je dis que ce n'est pas simplement la recherche qui en prend un coup, c'est tout l'Etat de droit français qui en prend un coup. Les règles doivent être respectées par tous et nous ne lâcherons pas notre engagement sur la recherche sur les OGM lorsqu'elles se font dans des conditions de sécurité sanitaire et environnementale totales et lorsqu'elles ont été approuvées par le Haut Conseil aux Biotechnologies, sinon fermons tout de suite le Haut Conseil aux Biotechnologies et disons qu'on n'écoute pas leur avis. Lorsque l'avis est positif, lorsque les règles sont respectées, les recherches y compris en plein champ doivent pouvoir se faire.
Le deuxième engagement que je prends après celui de l'amélioration de votre compétitivité, c'est de continuer à veiller à ce que les règles environnementales que vous avez à respecter, soient des règles intelligentes, des règles pragmatiques et des règles harmonisées à l'échelle européenne. Là-dessus, ça a été dit l'année dernière pour la personne qui m'interpelle mais dire que rien n'a changé est permettez-moi de le dire, au mieux une erreur, au pire une inexactitude sur la réalité des choses. Je donne juste quelques exemples - je ne cite pas le 44 tonnes, ça a déjà été cité, ce n'est pas une décision facile à sortir - je pourrais donner l'exemple de l'irrigation dans le sud-ouest. Nous avons obtenu un an de délai supplémentaire pour la mise en place des organismes uniques, vous l'aviez demandé, vous l'avez obtenu. C'est du changement, c'est du concret, c'est des décisions. Des particularités topographiques, même chose, j'ai donné mon accord à une clause de rendez-vous annuel pour évaluer les dispositifs de mise en oeuvre et pour revoir éventuellement la progressivité. Ce n'est pas du discours, c'est du concret. Sur les couverts hivernaux, nous avons pris de nombreuses dérogations départementales qui ont permis de tenir compte des réalités agronomiques et je souhaite que nous continuions à avoir cette approche pragmatique qui permet de tenir compte de la réalité des situations. Mais je vais vous dire les choses avec beaucoup de franchise, on est là pour se parler directement et qu'on m'interpelle dans la salle : votre intérêt n'est pas de tenir un discours contre l'environnement, ce n'est pas votre intérêt. Votre intérêt est de poursuivre ce que vous avez déjà engagé, c'est-à-dire la voie d'une agriculture durable. C'est la voie qui vous assurera le soutien des 65 millions de citoyens français. Moi je veille à ce que les décisions que l'on prend... soient les plus pragmatiques possibles. Je vous défends tous les jours pour faire en sorte qu'aucune décision nouvelle ne soit prise qui ne soit pas appliquée également en Europe pour que votre compétitivité ne soit pas remise en cause. Je me bats tous les jours ou j'échange tous les jours avec les préfets, surtout lorsqu'ils sont de la qualité de celui qui se trouve dans cette région, pour faire en sorte à ce qu'on soit attentif à ce que les décisions soient pragmatiques, qu'on tienne compte de la situation d'une exploitation ou d'une autre. Moi ce que je vous demande en échange, c'est que vous ayez un discours positif sur l'agriculture durable que vous êtes les premiers à l'appliquer et à la défendre. C'est comme ça qu'on gagnera la bataille. Si on continue à avoir une opposition entre agriculture et environnement alors que les deux vont de paire, alors que les deux répondent à une attente sociale forte, nous ne gagnerons pas la bataille. Si on trouve la voie d'un équilibre et la voie d'un dialogue entre les deux comme on l'a fait depuis plusieurs mois, là nous gagnerons la bataille, on est en train de le faire, ne remettons pas en cause le travail considérable qui a déjà été fait.
Le troisième engagement que je prends devant vous avec la compétitivité et les règles environnementales, c'est de me battre pour une PAC forte. Là-dessus je ne vais pas revenir sur les progrès qui ont été faits et je remercie Philippe PINTA comme Xavier BEULIN de les avoir signalés. Je dis juste qu'il y a un an, la proposition officielle sur la table de la Commission européenne était de réduire le budget de la PAC de 30 à 40%. Aujourd'hui, la base de négociation, c'est une base de stabilité du budget de la PAC, on a donc considérablement progressé en un an et il faut continuer à se battre. Et pour que cette PAC soit préservée et pour que le budget de la PAC soit préservé, il faut que nous donnions l'assurance que la PAC est juste. Si la PAC paraît injuste, au bénéfice de quelques-uns seulement ou au bénéfice de quelques Etats seulement au détriment d'autres, là nous serons laminés. Et nous serons battus par nos partenaires. Si nous défendons en revanche des positions justes, des positions innovantes, c'est là que nous gagnerons la partie. Pourquoi est-ce que nous avons gagné la partie sur le lait par exemple ? Parce que j'ai assumé dès le départ même si certains m'ont critiqué, que les quotas laitiers, c'était fini, que les quotas laitiers, on ne pouvait pas les défendre parce que les quotas laitiers, c'est injuste, ça consiste à dire : vous êtes un grand pays, vous pouvez produire beaucoup. Vous êtes un petit pays, vous produirez peu. Imaginez qu'on fasse la même chose dans l'industrie automobile ! Vous vous appelez la Suède, vous êtes un petit pays, eh bien vous ne produisez pas beaucoup de SAAB parce que vous êtes un petit pays ; vous êtes l'Allemagne, vous êtes un grand pays, vous produisez beaucoup de BMW parce que vous êtes un grand pays ! La réalité c'est que si vos SAAB sont bonnes, vous en produisez autant que vous voulez et vous les vendez autant que vous voulez. Eh bien pour le lait, c'est la même chose. Et défendre les quotas aurait été une erreur stratégique pour la défense de la position de la France en Europe.
Même chose de façon plus générale sur la PAC. Si nous voulons l'emporter, il faut bouger et il faut montrer que nous défendons des positions justes. C'est pour cela que j'assume totalement d'avoir été le premier des grands Etats à annoncer que nous étions prêts à renoncer aux références historiques. Les références historiques sont difficilement défendables aujourd'hui auprès de beaucoup d'Etats européens. Il vaut mieux s'être mis en pointe et avoir annoncé les premiers que nous étions prêts à renoncer aux références historiques pour mieux défendre ensuite nos intérêts dans la répartition des aides et je souscrits parfaitement à ce qui a été dit par Philippe sur cette question de la répartition des aides et des objectifs de convergence. Il faut du temps. Il faut respecter le temps. Un euro en Pologne, en Hongrie ou en République Tchèque, ça ne veut pas dire la même chose qu'un euro en France. Il n'est donc pas question d'avoir des DPU uniques à l'hectare en Europe. Cette possibilité-là, nous l'écartons totalement. Et quant à la convergence, nous prendrons le temps nécessaire qu'il faudra pour y parvenir.
Deuxième élément de légitimité de la PAC aux yeux de nos concitoyens, c'est le verdissement. Oui là aussi j'assume l'avoir dit et je le redis : être favorable au verdissement de la PAC parce que c'est une condition de la légitimité aux yeux de nos concitoyens et que la PAC n'est pas la politique commune des 20 millions de paysans européens, la PAC est la politique commune des 500 millions de citoyens européens. On ne peut pas avoir le plus important budget de tous les budgets européens sur une politique et dire que c'est une politique pour simplement 20 millions de citoyens européens. C'est une politique pour chaque citoyen européen. Et ce verdissement, soyons très clairs, il peut être intelligent comme il peut être stupide. Et comme malheureusement le meilleur n'est jamais sûr, mieux vaut veiller à ce que ce verdissement soit un verdissement intelligent. Le verdissement stupide, c'est celui qui consisterait à rajouter à nouveau des règles environnementales extraordinairement compliquées aux agriculteurs, celui qui consisterait à stigmatiser encore plus les agriculteurs, celui qui consisterait à rajouter des procédures, de l'administration, du contrôle sur des exploitations à qui on demande en retour d'être toujours plus compétitives. Ca c'est un verdissement stupide. Le verdissement intelligent, c'est celui qui valorise vos efforts, celui qui va vers une simplification des règles, celui qui va vers un grand pragmatisme, qui permet donc à chaque exploitation agricole européenne d'aller davantage vers le respect de l'environnement mais dans des conditions économiques qui soient soutenables. Le verdissement intelligent en résumé, ce n'est pas celui qui vous brime mais celui qui vous aide, celui qui vous encourage, celui qui vous permet d'exercer correctement votre métier.
Troisième direction sur la PAC qui me paraît essentielle, les négociations commerciales. Je ne vais pas m'attarder longtemps là-dessus, vous connaissez ma position, je vais juste la rappeler très simplement : on ne peut pas défendre une agriculture européenne spécifique qui est fondée sur des règles sanitaires, sur des règles environnementales, sur des règles de bien-être animal que nous sommes - je le dis au passage - les seuls à défendre au monde. Je ne suis pas sûr qu'on s'occupe autant de l'espace qui est réservé aux truies allaitantes sur d'autres continents ; je ne suis pas sûr que toutes les truies allaitantes aux Etats-Unis, en Amérique du sud ou ailleurs aient droit à 2,5 mètres-carrés parce qu'une norme nationale l'aurait décidé. Je suis même certain du contraire. Mais c'est à notre honneur d'avoir ces règles parce que c'est ce qui fait notre force, d'avoir une agriculture spécifique. Simplement si on impose ces règles aux producteurs européens, il faut d'abord les rémunérer - c'est pour ça que je me bats pour la défense du budget de la PAC - et il faut ensuite s'assurer de la réciprocité des règles. Je ne peux pas demander à des exploitants agricoles, des éleveurs, des céréaliers, de respecter un certain nombre de règles très contraignantes et puis leur dire en même temps les yeux dans les yeux : vous respectez ces règles mais ne vous inquiétez pas, j'ouvre tout grand les frontières à d'autres produits qui ne respectent pas les mêmes règles ! C'est impossible, c'est intenable et c'est fondamentalement injuste. Et si je m'oppose à la conclusion de cet accord UE-MERCOSUR, si je m'oppose à ce que l'agriculture fasse systématiquement les frais des accords commerciaux au profit d'autres produits dont on n'est même pas certains qu'ils soient vraiment bénéfiques à la France ou à l'Europe, c'est parce que fondamentalement c'est injuste et au-delà de l'injustice de ce choix, c'est aussi un mauvais choix économique car nous savons ce que nous perdons - l'agriculture - mais nous ne savons certainement pas ce que nous pouvons y gagner au passage.
Dernier point que je voulais évoquer avec vous, la question de la volatilité des prix et la réponse que nous pouvons y apporter. La meilleure réponse à la volatilité des prix, je l'ai dit, c'est la poursuite de la production mais une production qui se fait dans le cadre de la régulation des marchés. Cette régulation des marchés, vous savez que c'est ma grande bataille. J'ai commencé à la livrer à l'échelle européenne en demandant à l'Europe de renoncer à son dogme tout libéral pour aller vers des marchés régulés et nous sommes en passe de gagner cette partie. La régulation ne peut fonctionner que si elle est en oeuvre à l'échelle nationale comme à l'échelle européenne et à l'échelle mondiale. A l'échelle nationale, je crois qu'un des vecteurs forts de la régulation, ce sera les contrats entre les filières. Les éleveurs sont dans une situation difficile, on l'a dit, je sais que vous en avez conscience et beaucoup d'entre vous, en plus de faire des grandes cultures, ont aussi de l'élevage ; je sais que vous avez déjà beaucoup contribué à les soutenir dans le cadre du bilan de santé de la PAC ; maintenant ce que je souhaite, c'est qu'on avance rapidement vers les contrats inter-filières. On a commencé à y travailler, on a réunir les filières, j'ai demandé à ce que pour le 15 février, nous ayons un premier projet de contrat inter-filières et je souhaite que ces contrats soient mis en oeuvre au 1er juillet 2011. On ne peut pas attendre les prochaines récoltes pour avoir à disposition des producteurs qui le souhaiteraient, une fois encore, ce sera une faculté, à ceux qui le souhaiteraient, des contrats qui se permettent de se couvrir contre les risques d'augmentation du prix des céréales.
A l'échelle européenne, nous avons besoin là aussi de poursuivre sa régulation. Depuis dix ans, je rappelle juste que l'Europe s'était engagée dans le démantèlement systématique des instruments d'intervention. Ce démantèlement, nous y avons mis un coup d'arrêt. Nous avons aujourd'hui une régulation qui est au coeur de la position commune franco-allemande et je suis extrêmement attaché aux outils existant dans le cadre de l'organisation commune de marchés des grandes cultures, en particulier aux instruments d'intervention. Est-ce qu'il faut des outils plus efficaces ? Moi j'en suis convaincu. Je ne vois pas pourquoi nous nous interdirions de réfléchir à une évaluation de ces outils d'intervention dont nous disposons à l'échelle européenne, pour les rendre encore plus efficaces et pour que vous ayez à votre disposition si jamais les cours s'effondrent à nouveau, si jamais la situation se renverse totalement, des instruments d'intervention aussi efficaces que ceux que nous sommes en train de mettre en place dans d'autres secteurs comme le secteur laitier ; le secteur céréalier, lui aussi, a besoin de protection nécessaire si jamais le marché se retourne.
Enfin toujours à l'échelle européenne, ne nous interdisons pas de réfléchir à des contrats pluriannuels avec les pays du Maghreb. Je sais que vous avez reçu une fin de non-recevoir pour le moment mais je pense que l'idée fera son chemin parce que c'est aussi dans l'intérêt des pays du Maghreb d'avoir des contrats pluriannuels avec des fournisseurs comme vous. Qu'est-ce que vous garantissez ? Vous garantissez la qualité et vous garantissez la sécurité d'approvisionnement. Il n'y a pas beaucoup d'autres continents au monde qui peuvent remplir ces deux conditions, la qualité de la fourniture et la sécurité de la fourniture. Et je pense que si la volatilité devait s'accentuer dans les mois à venir, si nous devions faire face à des crises plus importantes, je pense que certains Etats réviseraient rapidement leur jugement car pour nourrir leur population, il peut être bon de s'assurer contre le risque en ayant avec un pays comme la France des contrats pluriannuels.
La régulation, elle passe aussi par la régulation au niveau du G20. Nous avons placé avec le Président de la République ce d??bat au coeur des discussions du G20 dont nous assurons la présidence depuis maintenant quelques semaines. C'est la première fois que l'agriculture est traitée par les chefs d'Etat des vingt pays les plus importants de la planète. Vingt Etats qui ont toute légitimité à traiter de ces questions parce qu'ils représentent 80% de la production de céréales mondiale, et agricole mondiale et 70% des échanges commerciaux. Nous allons proposer des mesures très concrètes : première mesure, la transparence sur les marchés qui suppose une transparence sur les stocks, nous avons besoin de savoir quelle est la réalité des stocks dans le monde. Il est tout à fait anormal qu'aujourd'hui nous ne soyons pas capables de dire quelle est la réalité des stocks dans le monde. C'est la méconnaissance des stocks qui nourrit elle aussi la spéculation. Quand on ne sait pas quelle est la réalité de la production ou la réalité de ce qui reste, vous nourrissez la spéculation des marchés financiers. On a besoin de transparence sur les marchés. Vous avez d'ailleurs fait une proposition pour renforcer les capacités de stockage de la filière. Moi je suis tout à fait prêt à examiner cette proposition mais je voudrais encore l'élargir en disant qu'on doit réfléchir à la question des capacités de stockage dans les pays qui sont les plus menacés par ces problèmes d'approvisionnement. Pourquoi est-ce qu'on ne réfléchirait pas ensemble au développement de capacités de stockage dans les pays du Maghreb importateurs de produits céréaliers ? Pourquoi est-ce qu'on ne réfléchirait pas aux capacités de stockage sur les pays les plus menacés par la famine, notamment les pays d'Afrique sub-saharienne ? Elargissons le débat. Cette question du stockage, je vous rejoins parfaitement, elle est vitale : stockage plus transparence sur le niveau des stocks c'est une des premières réponses essentielles à la spéculation et l'un des premiers instruments de régulation.
Deuxième proposition que nous proposons : la coordination entre les États membres. Est-ce que vous trouvez normal que la Russie puisse décider seule de fermer ses frontières à l'exportation sans que aucun autre État membre du G20 ne soit prévenu ? Est-ce que vous trouvez normal que personne ne soit capable aujourd'hui de vous dire quelles seront les décisions des États-Unis, de la Chine, de l'Inde en matière agricole, dans les semaines à venir, parce qu'il n'y a pas de coordination entre ces États membres. Il est temps de bâtir le lieu politique de cette coordination entre ces États membres sur les questions agricoles.
Enfin, troisième élément, il nous faut moraliser le fonctionnement des marchés financiers, je ne m'entendrai pas trop là-dessus mais je ne peux pas accepter l'écart croissant entre la réalité physique des productions agricoles et la spéculation sur les marchés financiers. Nous devons y remédier et pour une fois il est intéressant de voir que les États-Unis ont pris un temps d'avance sur nous sur ce sujet-là, ils ont adopté la loi Dodd-Frank en juillet dernier qui leur donne de premiers instruments de régulation. C'est regrettable que l'Europe soit à la traîne de ces propositions. A nous aussi de mieux encadrer les marchés financiers qui traitent de matières premières agricoles pour éviter la spéculation.
Je voudrais terminer ces quelques éléments par des remarques un peu plus personnelles. Première remarque, c'est parce que le secteur des grandes cultures va bien qu'il faut continuer à le soutenir. Moi je trouve toujours formidable en France, comme lorsqu'un secteur commence à se rétablir, après, je le dis au passage, une crise majeure, terrible, l'année dernière, immédiatement on lui tombe dessus et on lui dit : « ça va mieux, tout va bien, on ne s'occupe plus de vous, et puis, au passage, si vous pouviez nous rendre un peu la monnaie, ce serait mieux. » Moi je dis au contraire que quand un secteur va bien, c'est le moment de l'encourager, c'est le moment de le soutenir, c'est le moment de lui dire que l'on va le doter des instruments économiques nécessaires pour continuer à être une force économique pour le pays.
La deuxième remarque plus personnelle également, elle rejoint ce que je disais au départ : nous avons besoin de produire. C'est notre responsabilité morale de produire. Produire mieux, bien entendu, en faisant attention à ne pas céder aux travers du passé mais lorsque vous avez une planète qui a besoin de nourrir sa population et qui n'y arrive pas, les producteurs qui produisent dans le respect de l'environnement comme vous, les producteurs qui sont capables d'apporter des réponses à la crise alimentaire mondiale, doivent répondre présents et doivent continuer à produire.
Enfin, troisième remarque, le secteur agricole est un des secteurs stratégiques de la France. Dans un pays qui est marqué par son pessimisme, par ses inquiétudes sur l'avenir, je pense qu'il est très important de faire des choix clairs et de dire : « voilà les quelques secteurs, il n'y en a pas cinquante, il n'y en a pas trente, sur lesquels la France peut s'appuyer pour assurer son avenir, pour assurer ses emplois, pour assurer sa richesse, pour assurer son développement, pour assurer son innovation et la poursuite de sa recherche sur les nouvelles technologies ». Eh bien, l'agriculture en fait partie. Faisons le choix de l'agriculture, faisons résolument en France, comme en Europe, le choix de l'agriculture car ce sera un bon choix, non seulement pour vous, mais pour les 500 millions de citoyens européens.
Je vous remercie.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 25 janvier 2011