Interview de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, à France 2 le 27 février 2001, sur la crise de la vache folle et sur l'aide aux éleveurs en difficulté.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. David Toute la journée d'hier et une bonne partie de la nuit, les ministres de l'Agriculture de l'Europe ont débattu de la crise de l'ESB. Il n'y a pas eu d'accord global. J. Glavany rentre ce matin avec simplement la possibilité de verser des aides nationales aux éleveurs en difficulté. Ce que rapporte monsieur Glavany de Bruxelles vous convient-il ?
- "La première chose, c'est que c'est un échec de l'Europe, parce qu'on s'en va vers une renationalisation et que c'est dangereux pour la construction européenne. Deuxième chose, la responsabilité de monsieur le ministre de l'Agriculture est maintenant pleinement engagée au niveau national, avec la couverture du Premier ministre, monsieur Jospin, qui ont dit que s'il n'y avait pas de mesures au niveau européen, elles seraient prises au niveau français. La chose positive qu'ils ont obtenue malgré tout, c'est d'obtenir l'autorisation de le faire, à condition bien sûr que ce soit à la hauteur de la désespérance des agriculteurs."
J. Glavany a dit qu'il consulterait L. Jospin pour savoir quel serait le montant de l'enveloppe. On saura cela probablement jeudi. A quel niveau, vous, à la FNSEA, mettez-vous le plafond pour satisfaire les agriculteurs ?
- "S'il consulte L. Jospin, j'espère que nous aussi nous serons consultés."
Vous demandez à être reçus ?
- "Nous demandons à être reçus pour en discuter avant les décisions définitives. Nous ne connaissons pas les niveaux exacts qu'il nous faut, puisque la crise n'est toujours pas terminée. Je rappelle que nous sommes en pleine crise, en complet écrasement des prix. 220 000 animaux sont encore en stock dans les exploitations. Mais ce que nous souhaitons, c'est qu'on n'exclut pas par avance des agriculteurs qui sont touchés. Nous avons demandé que le calcul de la compensation soit fait sur la perte réelle des agriculteurs et non pas sur un chiffre forfaitaire. Si le ministre de l'Agriculture veut en discuter, nous sommes prêts à le faire et nous demandons surtout que ce soit rapide."
Quand on évoque des chiffres comme 500 millions ou 1 milliard, vous ne voulez pas rentrer dans ce débat ?
- "Je ne veux pas rentrer dans ce débat. mais 500 millions ou 1 milliard, j'ai grand peur que cela ne soit pas suffisant, compte tenu de la détresse et du profond désarroi et du revenu des agriculteurs, en particulier ceux qui font de l'engraissement des jeunes bovins et des broutards."
Combien d'éleveurs sont aujourd'hui en grave difficulté à cause de la crise de la vache folle ?
- "Tous les agriculteurs sont touchés, mais certains peuvent supporter plus facilement que d'autres, puisqu'ils ont vendu quelques animaux ou dans les animaux qui ont perdu moins. Mais il y a un nombre important - plusieurs dizaines de milliers - d'agriculteurs qui ont vraiment leurs revenus complètement à zéro, voire négatifs. L'avenir de leur propre famille, de leur exploitation est remis en cause et cela est très dangereux. Nous observons un mouvement qui est grave : des agriculteurs qui étaient en bonne santé au mois d'octobre dernier sont prêts à mettre la clé sous la porte avant d'être en faillite, pour trouver du travail rapidement. Cela est dangereux pour l'agriculture mais aussi pour l'aménagement du territoire. Je vous rappelle que l'aménagement du territoire - c'est-à-dire l'existence d'une population répartie sur le territoire - est très lié avec l'élevage français. Il ne faudrait pas demain regretter de ne pas avoir agi immédiatement, maintenant, pour sauver l'agriculture, mais aussi sauver l'aménagement du territoire français."
Les agriculteurs se sont beaucoup mobilisés ces derniers jours. Hier, à l'occasion de ce conseil de Bruxelles et dans les jours précédents L. Jospin a eu quelques difficultés à se déplacer sur le territoire à l'occasion des municipales. Est-ce qu'aujourd'hui vous pouvez dire que L. Jospin pourra continuer à se déplacer en toute sérénité ?
- "Je ne peux pas dire qu'il n'y aura pas du tout d'action syndicale dans les jours qui viennent, puisque nous avions pensé que les négociations européennes auraient duré au moins jusqu'à aujourd'hui. Donc, il y aura quelques actions. Mais si le Gouvernement nous fait les propositions qui sont à la hauteur de la désespérance des agriculteurs, je pense que le calme reviendra dans la campagne et que le Premier ministre, ou d'autres ministres, pourront faire campagne comme ils le veulent, parce que nous ne souhaitons pas empêcher le déroulement démocratique."
Est-ce une bonne méthode, d'empêcher le Premier ministre - enfin L. Jospin quand il est en campagne - de se déplacer librement ?
- "Il faut d'abord relativiser. Il y a eu des départements dans lesquels il n'est pas allé sans doute pour des situations un peu plus locales, mais il y a d'autres déplacements qu'il peut faire. Mais les agriculteurs ont en face d'eux le Premier ministre de la France, celui qui est responsable de la politique française, budgétaire, mais aussi agricole en lien avec le ministre de l'Agriculture. Il est tout à fait normal que les agriculteurs s'adressent à lui. Alors, nous souhaitons que cela se passe dans de bonnes conditions. Mais comme le Premier ministre avait beaucoup de déplacements actuellement, c'était tout à fait normal. Mais nous avons aussi agi auprès des préfectures, auprès des parlementaires. Je tiens à le dire, parce qu'il est dommage qu'il n'y ait pas eu de décision à Bruxelles au moment où les agriculteurs européens sont solidaires. Hier, nous étions en manifestation avec les Belges, les Luxembourgeois, les Allemands, les Espagnols. Cet après-midi même, je rencontre les Allemands. Un front uni européen se met en place, et c'est quand même dommage qu'on n'ait pas pu trouver l'argent nécessaire pour répondre à la détresse des agriculteurs. D'autant plus - parce qu'on l'oublie complètement - qu'on dit que l'agriculture coûte. Il n'y a pas de budget."
Elle est très aidée quand même.
- "Mais depuis cinq ans, il y a eu des retours sur les budgets annuels dans chaque Etat qui auraient bien servi aujourd'hui à survenir à cette crise. Mais on l'a redonné aux Etats et puis maintenant, on ne peut pas le faire de l'autre côté. Je crois que l'Europe doit revoir son financement budgétaire. C'est indispensable."
Il y a l'aspect financier de cette crise de la vache folle. Il y a aussi l'aspect "qu'est-ce qu'on fait maintenant de toutes ces bêtes ?" Il y a des positions différentes au sein de l'Europe, on va aller vite : l'Allemagne rejette des destructions supplémentaires de bovins, la France les réclame. Vous, à la FNSEA, vous préconisez quoi ?
- "Nous demandons que les marchés soient dégagés. J'ai dit qu'il y a 220 000 animaux en trop. J'ai cru quand même comprendre que dans la discussion, hier, il y avait quelques petites avancées qui doivent se matérialiser rapidement pour que l'Allemagne puisse, non pas peut-être détruire, mais au moins stocker. Ce n'est pas décidé. Nous souhaitons que cela soit fait, autrement cette crise va durer des mois, voire des années. Et aujourd'hui, ces animaux dans les élevages qui n'ont pas trouvé preneurs hier ne trouveront pas preneurs demain. Donc, il faut dégager le marché et c'est la meilleure façon de relever les prix, redonner confiance aux agriculteurs et restabiliser tout le marché."
Vous pouvez soutenir monsieur Glavany, alors ?
- "Nous soutenons monsieur Glavany. D'ailleurs, contrairement à ce que l'on peut dire, on a plutôt soutenu la position française dans les mesures qui ont été prises. Nous avons simplement regretté qu'elles ont été souvent prises à contre-temps, trop tardivement, et qu'on n'ait pas obtenu de Bruxelles les mesures nécessaires. On a aussi fait des annonces au mois de novembre qui ont quand même excité les agriculteurs. Lorsqu'on a dit qu'on avait donné plus de 300 milliards de francs aux agriculteurs, alors qu'ils n'ont vu qu'à peine plus de 250 millions, de façon diverse et variée, ça n'était pas sérieux. Je crois que cela pèse beaucoup dans les actions syndicales aujourd'hui."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 27 février 2001)