Déclaration de M. Eric Besson, ministre de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, sur le succès de la régulation du secteur des télécommunications et les liens entre croissance, innovation et régulation, Paris le 4 mai 2011.

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Circonstance : Colloque de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), à Paris le 4 mai 2011.

Texte intégral

Monsieur le Président de l’ARCEP Jean-Ludovic SILICANI,
Madame la sénatrice Catherine MORIN-DESAILLY,
Mesdames les députées Laure de la RAUDIERE et Corinne ERHEL,
Monsieur le député Jean PRORIOL,
Mesdames et Messieurs les présidents et directeurs,
Mesdames et Messieurs,
Le colloque que vous m’offrez ce matin l’honneur d’inaugurer retient un thème ambitieux et prometteur : les liens entre croissance, innovation et régulation.
Ce thème touche à deux préoccupations récurrentes de nos concitoyens :
* en premier lieu, la place et les bienfaits de la concurrence dans notre économie ;
* en second lieu, l’interrogation constante sur le rôle de l’Etat dans le fonctionnement des marchés.
La crise économique mondiale sans précédent à laquelle nous avons fait face n’a fait que renforcer la demande d’Etat, et la vigilance collective dans le fonctionnement de notre économie.
J’entends souvent dire que face aux forces des marchés, l’Etat se serait dépouillé de ses pouvoirs. Heureusement, non. Nous l’avons parfaitement montré dans la gestion de la crise. Par la régulation, nous nous donnons les moyens de concilier concurrence et équilibre économique et social. Par la régulation, nous garantissons la vitalité de pans entiers de notre activité économique. Par la régulation, nous construisons un modèle de concurrence porteur de croissance et d’innovation.
Ce n’est pas à vous que je rappellerai combien cet équilibre est tout particulièrement précieux pour le développement de notre économie numérique.
Avant l’ouverture à la concurrence, au début des années 2000, la France était lanterne rouge européenne pour l’accès à Internet haut-débit. 10 ans après l’ouverture à la concurrence, la France dispose du plus grand nombre d’abonnés à Internet haut-débit de l’ensemble des pays européens, des débits moyens les plus élevés, et des tarifs les plus faibles !
Le secteur des télécommunications, fixes comme mobiles, démontre chaque jour que la fin du monopole, lorsqu’elle est accompagnée d’une régulation adaptée, peut être synonyme d’accroissement de la couverture du territoire, d’amélioration de la qualité de service, de diffusion des nouveaux usages, de baisse des prix, et de croissance.
Le marché européen des communications électronique est passé de 140 milliards d’euros en 1998, à plus de 350 milliards d’euros aujourd’hui, soit une croissance moyenne de 10 % par an pendant plus de 10 ans. Le nombre d’abonnements de téléphonie mobile en France est passé de 40 000 en 1996 à plus de 63 millions aujourd’hui. Les foyers connectés à Internet sont passés de 4 % en 1998 à 71 % aujourd’hui. Le prix des communications a constamment baissé. Une minute de conversation d’un téléphone fixe vers un mobile est passé ainsi de 0,5 € en 1997 à moins de 10 centimes aujourd’hui. L’essor extraordinaire du dégroupage a permis à la France de devenir un leader mondial de la télévision sur Internet.
Le succès de cette régulation est largement dû à l’action conjointe de l’autorité de régulation et du Gouvernement.
Ceux qui prétendent que le Gouvernement ne doit pas s’occuper de régulation, parce que l’Etat est actionnaire de telle ou telle entreprise, font fausse route. L’Etat a des intérêts dans l’ensemble des secteurs de notre activité économique et sociale. L’accuser de conflit d’intérêt lorsqu’il agit, c’est le condamner à l’inaction, c’est vouloir le Gouvernement des experts, c’est remettre en cause l’un des fondements de notre démocratie, qui veut que le Gouvernement détermine et conduise l’ensemble de la politique de la Nation, et en réponde devant le Parlement.
Dans le secteur économique et financier, comme dans le secteur de l’économie numérique, le Gouvernement exerce un rôle essentiel de régulation, en lien avec des autorités administratives indépendantes, dont les pouvoirs sont définis par la loi.
C’est le Gouvernement qui négocie l’ensemble des directives européennes encadrant les régulations nationales.
C’est le Gouvernement qui prépare les projets de loi et les décrets déclinant ces directives au niveau national.
C’est le Gouvernement qui fixe les règles du service universel.
C’est le Gouvernement qui met en place le tarif social pour les personnes défavorisées. Je lancerai d’ailleurs cet après-midi avec Roselyne BACHELOT-NARQUIN la première offre sociale de téléphonie mobile, permettant 40 minutes de communication et 40 SMS pour moins de 10 euros par mois, avec l’opérateur Zéro Forfait.
C’est le Gouvernement qui négocie aussi avec la Commission européenne la mise en place d’ici cet été d’un tarif social pour l’accès à Internet haut-débit.
C’est le Gouvernement qui va s’engager dans la mise en place d’un règlement sur les tarifs du roaming en Europe. Je vous annonce que dès le Conseil Telecom du 27 mai, la France fera des propositions ambitieuses pour obtenir d’importantes baisses tarifaires pour les communications vocales et les SMS en Europe.
C’est le Gouvernement qui co-investit avec les opérateurs et les collectivités territoriales pour parachever la couverture de notre territoire. Je pense au programme « zones blanches » pour la téléphonie mobile, et aux 2 milliards d’euros du programme national « très haut débit ».
C’est le Gouvernement qui décide aussi d’affecter les fréquences aux différents usages possibles dans les domaines de l’audiovisuel ou des télécommunications, après avoir négocié les harmonisations nécessaires au niveau européen et international.
C’est le Gouvernement qui a par exemple décidé d’affecter une partie importante des fréquences libérées par l’extinction de la télévision analogique à l’Internet mobile très haut-débit, et qui va permettre à la France d’être l’un des premiers pays européens à lancer les services de quatrième génération.
Et c’est le Gouvernement qui arrêtera, sur proposition de l’ARCEP, les conditions des appels à candidatures pour l’utilisation de ces fréquences. J’ai clairement indiqué dès ma nomination que je souhaitais que ces fréquences permettent de couvrir plus de 99 % de la population en 15 ans. C’est l’objectif qui était inscrit dans le plan France Numérique 2012, adopté par le Gouvernement en 2008. Pour la première fois sera imposée une obligation de couverture départementale, de 90 % de la population de chaque département en moins de 12 ans. J’ai aussi souhaité d’une part que les 30 MHz de fréquences du dividende numérique soient divisées en 4 lots, et d’autre part que la somme des fréquences pouvant être remportées par un même opérateur soit plafonnée à 15MHz, afin de préserver une concurrence effective et durable au bénéfice du consommateur.
L’ARCEP a transmis au gouvernement son projet de décision relative à l’attribution des fréquences vendredi dernier. Contrairement à ce que j’ai pu lire ici et là, notre convergence de vue sur ce dossier est très large. Je vous annonce que j’ai immédiatement saisi la commission du dividende numérique et la commission des participations et des transferts, et que l’appel à candidature pourra effectivement être lancé à la fin de ce mois.
Je voudrais vous redire ma conviction en matière de régulation : les responsabilités constitutionnelles du Gouvernement et les responsabilités légales de l’ARCEP ne s’opposent pas, elles se complètent, et nous devons rechercher une harmonie permanente.
Cette harmonie sera indispensable pour faire face aux deux principaux défis de l’économie numérique.
Le premier de ces défis, c’est celui du mur d’investissement à franchir pour assurer la transition vers le très haut débit. Le très haut-débit mobile, avec les nouveaux réseaux de quatrième génération. Mais aussi le très haut-débit fixe, avec le déploiement de la fibre optique. La sommes des investissements nécessaire pour atteindre une couverture nationale en très haut-débit fixe et mobile dépasse 30 milliards d’euros dans les 20 prochaines années. Ce défi est d’autant plus élevé que le trafic téléphonique, facturé par minute consommée, laisse progressivement sa place au trafic Internet, facturé à l’accès sans lien avec la consommation effective.
Ma conviction est que nous devons collectivement renforcer nos efforts en faveur d’une plus grande mutualisation des investissements. J’observe que l’an passé, trois opérateurs déployant la fibre optique ont investi chacun entre 200 et 300 millions d’euros. Mais j’observe aussi qu’ils ont réalisé ces investissements dans la même zone géographique. Cette situation ne me semble pas optimale. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre du programme national très haut-débit, le Gouvernement va apporter 900 millions d’euros aux collectivités locales qui déploieront un réseau public unique, neutre et ouvert à l’ensemble des opérateurs.
Le deuxième défi, qui est lié au premier, c’est la neutralité des réseaux. Cette question soulève des enjeux majeurs en termes de liberté de communication, d’innovation, de partage de la valeur ajoutée et de financement des réseaux. La transposition du paquet télécom apporte un encadrement adapté à cette problématique :
* un objectif de non discrimination, c’est-à-dire un objectif de neutralité, dans l’acheminement du trafic et l’accès aux services ;
* un pouvoir de règlement des différends et un pouvoir de fixation de la qualité de service minimum pour l’ARCEP ;
* enfin, une obligation d’information des consommateurs sur les pratiques de gestion de trafic.
Je vous annonce que le projet d’ordonnance transposant le paquet telecom fait l’objet depuis ce matin d’une consultation publique sur Internet, afin de recueillir les contributions de l’ensemble des acteurs de l’Internet. J’ai aussi saisi pour la première fois le Conseil National du Numérique sur ce texte d’une importance majeure pour la régulation et la croissance du secteur.
Ce Conseil National Numérique répond à un besoin évident de nouvelles formes de régulation, reposant moins sur l’administration, la norme, la sanction, que sur la responsabilité des acteurs de notre économie. Je suis convaincu que cette nouvelle forme de régulation, faisant appel à la responsabilité des acteurs eux-mêmes, constituent une réponse bien adaptée aux enjeux d’une économie numérique instantanée et mondialisée. A la veille du sommet du G8 de Deauville, qui consacrera à Internet une part importante de ses travaux, la France réaffirme ainsi son rôle de pionnier dans la construction des nouveaux modes de régulations, contreparties indissociables de la mondialisation.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.minefe.gouv.fr, le 6 mai 2011