Déclaration de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur les sources de financements possibles du changement climatique pour les pays en voie de développement et notamment la taxation sur les transactions financières, à l'Assemblée nationale le 9 juin 2011.

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Circonstance : Discussion d'une proposition de résolution européenne sur l'introduction d'une taxe sur les transactions financières en Europe, à l'Assemblée nationale le 9 juin 2011

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires européennes,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le président de la République et le gouvernement sont pleinement engagés en faveur des financements innovants, en particulier pour la mise en œuvre la plus rapide possible d’une taxe internationale sur les transactions financières.
Comme vous le savez, la France est à l’origine de la création du Groupe pilote sur les financements innovants, pour lequel un groupe d’experts a formulé, dans un rapport remis l’année dernière, des propositions tout à fait concrètes pour «mondialiser la solidarité» et instaurer une taxe internationale sur les transactions financières.
De même, la France a également participé aux travaux du groupe chargé d’examiner de nouvelles ressources pour financer la lutte contre le changement climatique - ce qui a donné le rapport dit AGF -, dont une taxe sur les transactions financières et une taxation, sous forme de taxe ou de permis d’émission, des secteurs maritime et aérien, appelé communément «bunkers». Ce rapport a d’abord été discuté lors de la réunion du G20 de février, puis il a été décidé, lors du G20 Finances d’avril, de demander à la Banque mondiale et au FMI d’approfondir ce travail sur plusieurs sources de financement pour le climat, dont les bunkers. J’y reviendrai un peu plus loin.
Le président de la République a fait part à plusieurs reprises de son engagement personnel en vue de la mise en place d’une taxation internationale des transactions financières afin de mobiliser des ressources dans deux domaines de portée globale : le climat et le développement. Avec la chancelière allemande, il avait, dès juin 2010, adressé une lettre au Premier ministre canadien en vue de la réunion du G20 de Toronto pour exprimer son soutien à la création de cette taxe. Dans le cadre des Nations unies, il a défendu l’idée de financements innovants pour la lutte contre la pauvreté, pour l’éducation et pour la résolution des grands problèmes sanitaires de l’Afrique. De même, comme l’a rappelé à l’instant Pierre Lequiller, lors du Sommet de New York sur les Objectifs du millénaire les 20, 21 et 22 septembre 2010, il a notamment défendu l’idée de financements innovants sous la forme d’une taxe sur les transactions financières tendant aux mêmes fins.
Lors du discours de lancement du G20, le 24 janvier dernier, il a indiqué qu’il rappellerait «d’une manière inlassable» que les pays du G20 ont «prévu et promis 100 milliards de dollars par an aux pays en développement à partir de 2020» pour lutter contre le changement climatique. Cette question est pour la France, selon ses termes, une question cruciale. Il a renouvelé son engagement à l’occasion du sommet de l’Union africaine le 31 janvier dernier : «il y a le discours et il y a l’exemple que l’on montre». À cette fin, le président de la République a mandaté M. Bill Gates en vue de remettre un rapport sur le financement du développement et les financements innovants d’ici le sommet des chefs d’État et de gouvernement de Cannes les 3 et 4 novembre prochains. Ce rapport devrait contenir un ensemble de propositions concrètes, dont l’une sur la taxation des transactions financières.
Le président de la République a également affirmé que, outre une taxe sur les transactions financières, d’autres sources de financements innovants sont possibles. Il s’agit en particulier des fameux «bunkers», qui constituent une priorité pour le G20 Finances en matière de financement innovant en faveur du climat. Le rapport AGF avait souligné l’an dernier la pertinence d’un tel mécanisme. Celui-ci aurait en effet le double avantage de créer une incitation financière à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs maritime et aérien et, en même temps, de générer des revenus utilisés en partie pour financer des actions d’atténuation et d’adaptation au changement climatique dans les pays en voie de développement.
Le G20 Finances a donc décidé de poursuivre l’analyse de cette source de financement innovant. Il a chargé en avril dernier le FMI, en collaboration avec l’Organisation maritime internationale et l’Organisation de l’aviation civile internationale de formuler des recommandations en faveur d’un tel instrument. Ce rapport devra analyser son impact, notamment sur les pays en développement. Il devrait être prêt au mois d’octobre pour le G20 Finances. Bien que cette source fasse encore l’objet de nombreuses oppositions, notamment de la part des pays en développement, nous espérons ainsi, sous Présidence française du G20, faire avancer de manière significative et concrète les discussions sur cette source de financement innovant.
Vous le voyez donc, Mesdames et Messieurs les Députés, l’engagement de la France, du président de la République et du gouvernement ont été une constante de notre politique étrangère tout au long des dernières années. Nous poursuivons cet objectif dans toute une série d’instances avec lesquelles nous avons travaillé jour après jour : le FMI, la Commission européenne, le Parlement européen, mais aussi les différents groupes d’experts sur les financements innovants et le développement, ainsi que de nombreuses organisations, gouvernementales ou non gouvernementales.
Au niveau européen - cela a été souligné, y compris par le rapporteur -, la France et l’Allemagne ont travaillé ensemble. Le Conseil européen des 24 et 25 mars derniers a notamment acté qu’«il conviendrait de réfléchir à l’introduction d’une taxe mondiale sur les transactions financières et de faire avancer les travaux dans ce domaine.» La Commission européenne doit «présenter un rapport sur la taxation du secteur financier d’ici à l’automne au plus tard.» À l’initiative de la France et de l’Allemagne, le Conseil ECOFIN a débattu du sujet à plusieurs reprises en 2010 et 2011 dans le cadre plus général de la taxation du secteur financier.
Cela étant, il est cependant trop tôt pour préempter le résultat des travaux qui ont été lancés. Les propositions demandées dans le cadre européen à la Commission, au FMI et à la Banque mondiale, ou encore à Bill Gates, en ce qui concerne la contribution du secteur du transport international doivent encore faire l’objet de discussions dans ces enceintes. Plusieurs options sont en effet envisageables et discutées avec certains de nos partenaires, l’Allemagne en particulier : définition de la taxe - assiette et taux -, modalités d’affectation des recettes, champ géographique, modalités de recouvrement. Parmi les pistes envisagées de taxe sur les transactions financières, une taxe mondiale sur les opérations de change apparaît à ce stade comme l’option la plus réaliste techniquement. Le même type de questions se pose d’ailleurs concernant le financement du changement climatique et les options disponibles : taxe sur les bunkers, privilégiée par la France, ou encore taxe sur le tabac.
En tout état de cause, une taxation des transactions financières doit être conçue prioritairement au niveau international, au moins au sein des principaux centres financiers. Il y a en effet une vraie logique à taxer une assiette globale pour financer des biens publics mondiaux. À défaut d’une assiette mondiale, une mise en œuvre unilatérale au niveau national ou européen se traduirait probablement par une grave perte de compétitivité de notre place financière au profit des autres grands centres mondiaux. Or la France n’ignore pas qu’il sera difficile de faire accepter une taxation des transactions financières au niveau international. Il faudra en particulier convaincre les pays émergents d’y participer.
Cela implique un effort de pédagogie et de conviction. Je garde en mémoire le sommet de Copenhague, qui a rappelé à quel point il était difficile, même quand l’Union européenne est complètement d’accord, ce qui était le cas, d’obtenir des grandes puissances émergentes un engagement à la hauteur du rôle qui est désormais le leur dans l’économie mondiale, c’est-à-dire un cinquième du PIB mondial aujourd’hui pour les seuls BRIC et plus de 50 % d’ici à quinze ans.
Face à ce défi, nous aurons besoin de nous appuyer sur l’Europe et en particulier de maintenir une étroite coopération avec l’Allemagne, comme nous l’avons fait depuis 2010.
Sur ce sujet de la taxation des transactions financières comme sur beaucoup d’autres, le climat ou le commerce international, l’issue dépendra donc notamment de notre capacité à obtenir des nouvelles puissances émergentes qu’elles soient pleinement parties prenantes de l’effort collectif pour la stabilité globale du monde.
Je rappelle que nous aurons cette année, en décembre, immédiatement après le Sommet du G20 à Cannes, deux échéances majeures, avec le sommet de Durban et la conférence ministérielle de l’OMC. Face à ces enjeux sur lesquels elle travaille déjà, la France doit jouer un rôle pionnier qu’elle assume parfaitement grâce à l’implication personnelle du président de la République au sein du G20 depuis trois ans. Je considère que la France est grande quand, comme aujourd’hui, elle promeut les idées pour un monde plus juste et plus sûr.
Ce rappel des initiatives qui ont été prises par ce gouvernement toutes ces dernières années me permet de dire combien nous nous sommes réjouis de voir l’opposition, à travers le président Ayrault et M. Muet, déposer, le 13 mai dernier, une résolution allant exactement dans ce sens.
Plus ces sujets feront l’objet d’un consensus bipartisan, plus ils renforceront la voix de la France dans le monde, dans les instances internationales et européennes, ce qui est une bonne chose.
Je sais que de son côté, mon ami Pierre Lequiller, président de la Commission des Affaires européennes, qui inlassablement promeut les idées de la France auprès des instances parlementaires des pays de l’Union, a été, lui aussi, très heureux de cette initiative venue des rangs de l’opposition.
Je ne vous cacherai donc pas ma surprise lorsqu’il m’a été rapporté qu’après avoir déposé ce texte, le groupe SRC n’a pas souhaité voter sa propre résolution, aussi bien en commission des affaires européennes qu’en commission des finances.
Je ne doute pas que le Parlement, dans son ensemble, soutiendra le nécessaire travail de conviction qu’il est indispensable de mener auprès de nos partenaires européens pour atteindre ces objectifs qui nous sont communs, Mesdames et Messieurs les Députés.
La présente proposition de résolution renforce sans aucun doute le soutien que notre pays apporte aux financements innovants et en particulier à la taxe sur les transactions financières. Je me permettrai toutefois quelques remarques en conclusion, qui font écho à vos discussions et à celles qui ont lieu dans les différentes instances internationales.
En premier lieu, les modalités de la taxe sur les transactions financières restent à définir, comme l’assiette et le taux de cette taxe - ce n’est pas un sujet simple.
En deuxième lieu, la Commission européenne doit présenter une étude d’impact avant la fin de l’été 2011. Une décision, au plan européen, sur les options d’une taxe sur les transactions financières ne pourra que s’appuyer sur ses résultats.
En troisième lieu, il convient de bien évaluer l’ensemble des risques pour la compétitivité des places européennes qu’une telle taxe impliquerait. Une étude approfondie des risques de contournement et de délocalisation devrait en toute hypothèse être préalablement mise en œuvre.
Enfin, la question de l’affectation des recettes de la taxe reste à définir, au minimum entre nous Européens. Il me semble prématuré de la trancher dès à présent si nous ne voulons pas préempter le débat que nous devons avoir entre nous, avec les Allemands et le reste de l’Union européenne.
Pour toutes ces raisons, le gouvernement soutiendra naturellement la démarche politique qui est la vôtre ce matin, sous réserve des remarques juridiques et de fond que je viens de lister.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 juin 2011