Texte intégral
Merci, Monsieur le Président, de m'avoir présenté en termes si chaleureux. Je suis très heureux de me trouver parmi vous, non seulement parce qu'il fait plus frais ici que dans le Mémorial de la Seconde guerre mondiale, où j'ai décerné la Légion d'Honneur à trois vétérans il y a quelques instants, mais aussi parce que c'est un honneur pour moi de m'exprimer ici aujourd'hui dans cette prestigieuse institution à une période qui constitue de toute évidence un tournant dans la vie internationale.
Je pense en particulier aux évolutions extraordinaires qui ont lieu actuellement sur la rive Sud de la Méditerranée. Durant des années, notre vision et nos politiques à l'égard du monde arabe ont été principalement inspirées par un souci de stabilité. D'un côté, nous instaurions une étroite coopération afin d'essayer de former des élites, de promouvoir l'emploi et la formation professionnelle, d'encourager la recherche universitaire et les projets en faveur des jeunes et, souvent, d'appuyer les réformes. Mais, en même temps, nous considérions souvent les régimes autoritaires comme des bastions contre l'extrémisme, des garde-fous contre le chaos. Nous avons accepté, au nom de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme, de faire preuve d'un certain degré de tolérance envers des gouvernements qui bafouaient les droits de l'Homme et freinaient le développement de leur pays. Nous avons fermé les yeux sur certains abus, comme si cette région du monde n'avait pas droit à la liberté ou la modernité.
Le Printemps arabe a tout changé. Le 17 décembre, indépendamment de tout mouvement religieux ou politique, nous avons vu un jeune Tunisien s'immoler par le feu. Peu à peu, nous avons vu la flamme de la liberté se propager dans toute la région. Nous avons vu le monde arabe s'engager dans le processus de changement, de mutation accélérée et de mondialisation qui est un signe de notre époque.
La France est convaincue qu'il ne faut pas avoir peur de ce Printemps arabe. Tout d'abord parce qu'il est le fruit d'un courage extraordinaire. Comment pourrions-nous oublier le prix de la démocratie, nous qui, tant de fois, avons combattu côte à côte pour la défendre ? Comment nos deux pays qui, ensemble, ont lutté pour la liberté aux heures les plus sombres de l'histoire de l'humanité pourraient-ils oublier ce qu'il en coûte, en sang versé, de s'élever contre la barbarie, lorsque l'on défie un tyran ? Nous ne devons pas avoir peur du Printemps arabe parce qu'il est le fruit d'un formidable élan populaire. Il n'appartient pas à un parti ou à une religion. Il n'est la prérogative d'aucun mouvement, d'aucun acteur de la société civile.
C'est le cri de révolte d'une jeunesse privée de perspectives d'avenir, mais ouverte sur le monde, d'une jeunesse rêvant d'une société plus juste et plus moderne, mais confrontée à la pauvreté, au chômage, à la hausse du prix des denrées alimentaires. C'est la volonté politique de citoyens responsables s'élevant contre la corruption, les violences policières, et les violations des droits de l'Homme. C'est un acte de foi en le progrès de l'homme et en sa capacité à se surpasser. Et surtout, nous ne devons pas avoir peur du Printemps arabe parce qu'il incarne des valeurs universelles : dignité, liberté, respect des droits de l'Homme, droit des peuple à choisir leurs propres dirigeants. Nos deux pays n'ont jamais cessé de promouvoir ces valeurs, des révolutions française et américaine à la Charte des Nations unies et à la Déclaration universelle des droits de l'Homme que rédigèrent ensemble Eleanor Roosevelt et le professeur René Cassin au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Ce Printemps arabe suscite un immense espoir pour nous tous.
Pour autant, nous savons que ce mouvement irrépressible de renouveau s'accompagne de risques réels : le risque qu'il ne soit détourné par des forces extrémistes ; le risque de radicalisation ; le risque qu'il ne soit porté atteinte à la liberté de religion et de conviction. Je pense notamment aux attaques continuelles contre les chrétiens du Moyen-Orient et d'autres minorités religieuses.
La France, comme vous le savez, est particulièrement sensible à cette question. Nous savons aussi que le processus de changement qui est engagé sera long et incertain, que des progrès peuvent alterner avec des reculs. C'est pourquoi nous devons soutenir le potentiel démocratique de toutes nos forces, sans relâcher nos efforts. Laisser s'éteindre la flamme d'espoir allumée par le Printemps arabe serait donner raison aux tenants du choc des civilisations. Ce serait donner libre cours aux incitations à la haine et aux appels au repli sur soi. Ce serait laisser détruire ces valeurs. Nous n'avons jamais fait de compromis sur ces valeurs, et les peuples des pays de la rive Sud de la Méditerranée, comme tous les autres, y ont droit. Soutenir les forces démocratiques dans le monde arabe, c'est assumer notre responsabilité morale et politique. C'est faire un choix qui est conforme à nos valeurs et à nos intérêts stratégiques.
Mais à l'évidence, nous sommes confrontés à de formidables défis. Avant tout, il y a le défi politique. Ensemble, chacun à sa place, chacun assumant son rôle, nous devons conjuguer nos efforts pour assurer le succès de la transition démocratique. Cela s'applique au monde arabe, à ses dirigeants, et à ses peuples. Désormais, dans tous les pays du sud de la Méditerranée, les gouvernements savent qu'un régime qui tire sur sa population n'a aucun avenir et ne peut plus compter sur l'indulgence de la communauté internationale.
De nouveaux contrats sociaux doivent certes être redéfinis, mais chacun sait qu'il faudra désormais laisser les citoyens exprimer leur opinion. Toutefois, chaque situation est unique et il appartient à chaque pays, avec son histoire, sa culture et ses spécificités d'écrire son propre avenir et de créer son propre modèle. C'est une conviction que nous partageons avec le président Obama. Dans certains pays, portés par les vents de liberté du Printemps arabe, les autorités ont pris les devants. Elles ont résolument et courageusement lancé un processus d'ouverture afin de répondre aux aspirations légitimes du peuple. C'est le cas du Maroc, où le Roi a ouvert la voie à des réformes institutionnelles majeures que nous saluons.
D'autres pays, comme la Tunisie et l'Égypte, sont maintenant plongés dans le processus épineux de gestion de la situation post-révolutionnaire. La voie menant à la liberté est ardue, elle exige de satisfaire les aspirations légitimes à la démocratie et de prendre les mesures patientes et nécessaires en ce sens, tout en conciliant le droit de chacun à exprimer son opinion, la liberté de chaque individu et le respect de la loi, car un pays régi par l'État de droit n'est pas seulement un État qui garantit les droits de ses citoyens. C'est aussi un État reposant sur une hiérarchie de normes que chacun doit respecter. De concert avec ses partenaires européens, la France a donc réaffirmé son soutien actif à la transition en Égypte et en Tunisie.
Et enfin, d'autres pays ont choisi de pratiquer une répression brutale qui ne mènera nulle part. Je pense surtout à la Libye, où compte tenu des crimes haineux du régime de Kadhafi contre son peuple, mon pays a mis tout en uvre pour que la communauté internationale intervienne dans le cadre de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies et dans le respect du principe de la responsabilité de protéger. Nous devons assumer ce principe, la responsabilité de protéger jusqu'au bout la population civile. C'est pourquoi nous continuons à exercer une forte pression militaire en Libye.
Tout d'abord, afin de ne pas laisser cette population continuer à subir les attaques perpétrées à son encontre par les soldats de Kadhafi. Ensuite pour générer en Libye une marge de manuvre politique alors que Kadhafi est sur la défensive et de plus en plus isolé sur la scène internationale. Au Sommet du G8, les 26 et 27 mai, à Deauville, nous avons obtenu un progrès majeur, la Russie ayant pris clairement position en affirmant la nécessité du départ de Kadhafi. Ce revirement vient s'ajouter à celui de plusieurs pays ou chefs d'État africains, comme le président Wade, du Sénégal, qui commencent à prendre leurs distances avec Kadhafi. Nous serons donc inflexibles à l'égard de Kadhafi, qui n'a plus aucune légitimité et doit quitter le pouvoir. De plus, il vient d'être inculpé par la Cour pénale internationale, comme vous le savez.
Nous attendons un véritable cessez-le-feu, la libération des zones occupées et la mise en place d'un système de contrôle international sous les auspices des Nations unies. En même temps, nous sommes pleinement mobilisés pour appuyer la réconciliation nationale et le lancement d'un processus politique ouvert à tous, basé sur le Conseil national de transition, dont la légitimité est de plus en plus reconnue. Ce processus donnera naissance à une nouvelle Libye. C'est ainsi que nous concevons l'usage de la force en Libye, en tant qu'instrument au service du droit et d'une solution politique qui est notre objectif commun.
Quant à la Syrie, le rejet des réformes et le cercle vicieux de la violence ne sont pas moins intolérables qu'en Libye. Nous n'avons pas deux politiques différentes dans ces deux pays. Je voudrais dénoncer ici la répression qui a encore une fois coûté la vie à des dizaines de personnes ces jours derniers, notamment à Hama ; Hama où les autorités syriennes avaient déjà massacré leur propre population en 1982 ; Hama où l'histoire se répète tragiquement. Notre message au président Bachar el-Assad est clair. C'est le même que celui qui est transmis par les États-Unis : il lance des réformes ou il quitte le pouvoir, il n'y a pas d'autre solution.
C'est dans cette optique qu'à l'initiative de la France, l'Union européenne a décidé que Bachar el-Assad devrait maintenant être également soumis à des sanctions européennes. C'est aussi dans cette optique que les États-Unis ont annoncé l'imposition de sanctions à l'encontre du président et de son entourage. Au-delà des sanctions européennes et américaines, le Conseil de sécurité doit prendre position à l'égard de chaque pays, en assumant ses responsabilités. La communauté internationale doit faire comprendre clairement aux responsables syriens que la répression est inacceptable et qu'ils doivent changer de cap. Tel est le but du projet de résolution que nous défendons devant le Conseil de sécurité.
Au Yémen enfin, nous espérons qu'une transition ordonnée et pacifique aura lieu. Les pays du Conseil de coopération du Golfe ont élaboré un plan de transition qui demeure le meilleur moyen de résoudre la crise. Nous espérons que sur cette base, les Yéménites emprunteront rapidement la voie de la réconciliation dans un esprit d'unité nationale et de dialogue et qu'ils pourront de nouveau s'engager dans un processus démocratique. De concert avec ses partenaires européens et américains, la France demeurera aux côtés du peuple yéménite afin de l'aider à réussir cette transition.
Par conséquent, que devons-nous faire ? Comme l'a dit très clairement le président Obama - et la France adopte la même approche -, il ne nous appartient pas de décider pour les peuples ou pour les pays, ni de provoquer des changements de régime dans des pays indépendants et ce n'est pas ce qu'ils attendent de nous. Nous devons en premier lieu condamner dans les termes les plus énergiques toutes les attaques contre les droits de l'Homme, en utilisant tout l'éventail d'instruments à notre disposition afin d'y mettre un terme, voire intervenir, si nécessaire, mais seulement sur la base du droit international - comme c'est le cas en Libye -, et notamment du principe de responsabilité de protéger.
Nous devons également soutenir la transition démocratique des pays du sud de la Méditerranée dans un esprit de confiance, d'amitié et d'écoute. Nous n'avons aucune recette, aucune leçon à leur proposer, mais nous avons une expérience à faire partager et une expertise à transmettre, en particulier en termes de droit constitutionnel, de systèmes politiques, de libertés publiques et de liberté de la presse. C'est dans ce but que la France a récemment accueilli une délégation d'universitaires libyens spécialistes de droit constitutionnel.
Ce qu'il nous faut à présent réinventer, c'est notre pratique de la diplomatie avec le monde arabe. Nous devons notamment accepter de dialoguer avec tous les acteurs engagés dans le changement, y compris les islamistes, et ce sans préjugés, pourvu qu'ils respectent les règles du jeu démocratique et, bien sûr, le principe fondamental du refus de toute violence. Nous devons élargir l'éventail de nos interlocuteurs pour y inclure tous les acteurs de la société civile, en particulier les jeunes et les nouvelles personnalités influentes. Telle est la mission que j'ai assignée à l'ensemble des ambassadeurs de France dans le monde arabe, en leur demandant de réorienter notre extraordinaire approche démocratique à cette fin. Je ne souhaite pas corriger mon texte : «extraordinaire» est peut-être un peu excessif pour qualifier notre appareil diplomatique, notre excellent appareil diplomatique.
Le deuxième défi, c'est une nouvelle copie. Le deuxième défi auquel nous sommes confrontés est économique et social. C'est probablement le plus difficile à relever. Au cours de mes déplacements en Égypte et en Tunisie en mars et avril derniers, j'ai rencontré des jeunes militants et j'ai pu mesurer l'ampleur de leurs espoirs et de leurs attentes. J'ai également constaté combien leur impatience était intense. Si nous ne leur donnons pas de réponse à court terme et si la situation économique de leur région continue à se détériorer inexorablement, rien n'empêchera l'émergence de mouvements radicaux. Rien n'étouffera la tentation de l'extrémisme. Il est de notre responsabilité et de notre intérêt d'unir nos forces afin de déjouer ce scénario et de promouvoir l'émergence d'une zone de stabilité et de prospérité dans cette partie du monde.
Tel était l'objet des mesures concrètes adoptées, selon la volonté de la France, au Sommet du G8 à Deauville, auquel étaient présents les premiers ministres tunisien et égyptien.
La première mesure établit un partenariat à long terme, à la fois politique et économique, qui sera étendu à terme à d'autres pays de la région engagés sur la voie de la réforme, et recevra le soutien financier des pays du Golfe souhaitant participer.
La seconde mesure est une aide financière de 40 milliards de dollars sur trois ans au bénéfice de l'Égypte et de la Tunisie. Sur cette somme, 20 milliards proviendront des banques de développement, 10 milliards seront sous la forme d'une aide bilatérale des membres du G8, et 10 autres milliards proviendront des États du Golfe. Ce chiffre initial pourrait être grossi de ce que le FMI consentirait à verser.
Le G8 a chargé les ministres des Finances et des Affaires étrangères de ses pays membres de faire appliquer cette mesure. Je travaillerai sans relâche à cette fin dans les prochains mois en coordination étroite avec Hillary Clinton. Nous avons décidé aujourd'hui, au cours de la conversation que j'ai eue avec Hillary, d'organiser une réunion des ministres des Finances et des Affaires étrangères début septembre à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies. Parce qu'ils se succèdent à la présidence du G8, nos deux pays, les États-Unis et la France, ont en effet un rôle particulier à jouer dans ce processus.
En qualité d'Européens, notre responsabilité est d'autant plus grande que notre relation spéciale avec le monde arabe, forgée par la géographie et par des siècles d'histoire commune, nous place au cur des défis auxquels la Méditerranée fait face. L'Union européenne a déjà réaffirmé cette communauté de destin en 1995 quand, dans le cadre du Processus de Barcelone, elle a lancé la politique d'ouverture commerciale envers ses voisins du Sud. Elle doit maintenant y souscrire pleinement. Le président Sarkozy a clairement exprimé la conviction de mon pays à cet égard.
C'est dans cet esprit que Catherine Ashton, Haute Représentante de l'Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, a proposé un partenariat pour la démocratie et la prospérité partagée avec le Sud méditerranéen ainsi qu'une refonte complète de la politique de voisinage européenne pour les 10 pays du bassin méditerranéen. Pour relever ces défis, l'Union européenne a l'intention d'allouer presque 7 milliards d'euros sous forme de dons entre 2011 et 2013, dans le cadre de sa politique de voisinage. Cette aide sera fondée sur des incitations. L'Union européenne augmentera son aide financière aux pays du sud de la Méditerranée qui vont plus loin dans leurs réformes démocratiques et démocratiques.
En revanche, l'Union européenne réexaminera, voire réduira son aide financière à ceux qui n'entreprennent pas de réformes. Nous entendons faire de cette politique de voisinage un instrument majeur de l'Union pour la Méditerranée. Cette idée ambitieuse, qui rassemble les 27 membres de l'Union européenne et l'ensemble des pays du bassin méditerranéen, a été lancée en 2008 à l'initiative du président Sarkozy. Elle avait pour objectif de créer un partenariat équilibré entre les rives Sud et Nord fondé sur des projets communs. Malheureusement, l'Union pour la Méditerranée s'est heurtée au blocage du processus de paix.
Les Printemps arabes montrent aujourd'hui combien cette initiative était prémonitoire. Ils révèlent la profondeur de notre communauté de destin avec nos voisins méditerranéens et montrent combien il est essentiel d'élaborer un projet qui encourage la solidarité et les réalisations intangibles entre nos deux rives. Si l'approche du partenariat politique à la base de l'Union pour la Méditerranée doit un jour prendre tout son sens, au moment où nous allons avoir pour interlocuteur de nouveaux gouvernements responsables et incarnant une volonté de changement démocratique.
C'est pourquoi la France veut que l'Union pour la Méditerranée soit refondée et se concentre sur des produits concrets de nature à promouvoir la solidarité entre les deux rives de notre mer commune. Le nouveau Secrétaire général, le Marocain Youssef Amrani, vient d'être désigné. Il aura pour mission de lancer des projets conjoints tels que la création d'un Office méditerranéen de la Jeunesse, ainsi que le développement de l'énergie solaire. Toutefois, aucune zone de prospérité et de stabilité ne peut être consolidée à long terme sans qu'une solution durable soit trouvée aux deux crises qui minent l'ensemble de la région. Comment pouvons-nous soutenir de manière crédible les transitions démocratiques si nous ne répondons pas à l'aspiration au changement exprimée depuis 2009 par le peuple iranien? Face à la répression en cours, nous devons maintenir ensemble la pression sur les autorités iraniennes comme nous l'avons fait à Deauville.
Nous devons garantir le respect des droits de l'Homme et faire toute la lumière sur chaque aspect du programme nucléaire iranien, et répondre aux attentes de la communauté internationale. Ce programme, dont la vocation militaire devient de plus en plus évidente, représente une menace qui ne cesse de croître pour le régime de non-prolifération, la stabilité initiale et l'avenir des transitions arabes. En effet, nous savons que l'objectif des autorités iraniennes n'est pas un Moyen-Orient prospère, démocratique et ouvert au monde. Je tiens à réaffirmer solennellement la détermination de la France à faire pression sur les autorités qui ont violé tous les accords internationaux qu'elles ont signés, en ce qui concerne tant la question nucléaire que celle des droits de l'Homme.
Comment conserver notre crédibilité ? Nous en venons à la seconde crise que je veux évoquer concernant les peuples du sud de la Méditerranée, si nous ne parvenons pas à résoudre le conflit israélo-palestinien. Les espoirs des Palestiniens ne sont pas moins légitimes que ceux exprimés lors des Printemps arabes et Israël, qui a le droit de vivre dans la sécurité et la paix, doit tendre davantage la main, de sorte que l'évolution du monde arabe se poursuive avec Israël et non pas contre lui.
La réussite du Processus de paix permettra qu'une nouvelle ère de sécurité et de stabilité s'instaure dans la région et contribuera à mettre fin à l'extrémisme et au fondamentalisme qui ont longtemps prospéré en l'absence de progrès dans la reconnaissance des droits des Palestiniens. La situation actuelle appelle deux observations :
La première, que nous partageons avec les États-Unis, est la suivante : le statu quo est plus intenable que jamais, en particulier dans le contexte des Printemps arabes. Le temps ne joue pas en faveur de la paix.
La seconde observation est que l'Initiative diplomatique palestinienne à l'ONU en septembre court un risque majeur de conduire à une polarisation et à une impasse. Nous n'avons quant à nous pris encore aucune décision à ce sujet.
J'en conclus qu'il nous faut déployer tous nos efforts pour tenter de faire renaître la perspective crédible d'une solution le plus rapidement possible. Il n'y a pas d'alternative à une solution négociée. Nous devons encourager une prompte reprise des négociations directes, en particulier en tenant compte des approches mentionnées dans le discours du président Obama, pour mettre en uvre la solution des deux États ; aucune autre option n'est possible. J'ai transmis ce message urgent aux dirigeants israélien et palestinien, que je viens de rencontrer à l'occasion de ma visite dans la région la semaine dernière, afin de relancer les négociations, seul moyen de mettre fin au conflit. À cet effet, la France a proposé des paramètres équivalents à ceux du président Obama. Nous avons recherché la base d'un compromis répondant aux attentes des deux parties. Tel est le cadre de notre proposition. Cette négociation traiterait d'abord des questions de sécurité et des frontières sur la base des lignes de 1967 avec des échanges de territoires agréés. Le fait que le président Obama ait parlé, dans son dernier discours, des frontières de 1967 est un progrès dont nous devons prendre bonne note.
Dans une deuxième phase, il nous faudra traiter de la question de Jérusalem et des réfugiés.
Ces pourparlers ne doivent pas durer plus d'un an. Si les parties étaient d'accord sur cette approche - nous n'avons pas encore la réponse, sauf peut-être la réponse palestinienne, qui est plutôt positive -, la France serait disposée à soutenir la relance des négociations en accord avec l'Administration américaine en organisant une conférence de paix à Paris cette année. Nous ne voulons pas organiser une telle conférence si nous ne somme pas certains auparavant que les deux parties sont d'accord sur la plateforme de négociation. C'est ce à quoi nous nous employons avec nos amis américains.
En ce qui concerne la réconciliation palestinienne, je conçois qu'elle suscite des réactions contradictoires. Mais peut-on imaginer qu'un accord de paix serait respecté et garantirait la sécurité mondiale si une partie seulement des Palestiniens devait y adhérer ? Nous pensons quant à nous que cette réconciliation pourrait représenter une chance pour la paix. Ce sera le cas si elle permet au Hamas d'évoluer en réponse à nos espoirs et à nos attentes. Un premier pas important pourrait être fait si le gouvernement d'Unité nationale acceptait de refuser la violence et d'ouvrir sans ambiguïté des négociations de paix avec Israël, sous l'autorité de Mahmoud Abbas, fondées sur les principes qui nous sont chers.
Mesdames, Messieurs, nous avons, je le crois, rendez-vous avec l'Histoire. Nous ne pouvons nous contenter d'assister en simples spectateurs aux changements extraordinaires qui sont en cours. Vous comprenez, j'en suis certain, que la France est résolue à relever ces défis au sein de l'ONU avec ses alliés et au sein de l'Union européenne parce que nos valeurs et notre destin sont en jeu dans ces Printemps arabes. C'est pourquoi nous voulons rester actifs, proposer de nouvelles idées, identifier des projets concrets sur lesquels nous pouvons coopérer, et prendre des mesures quand l'usage de la force militaire s'impose pour protéger les populations civiles et la démocratie.
Mon pays salue la position courageuse du président Barack Obama et sa volonté d'agir qui ont transparu dans son discours du 19 mai et qui ouvrent la voie à de nouvelles perspectives d'avenir et confortent la France dans ses décisions. De par sa valeur et sa place considérable, votre pays doit jouer un rôle important.
«La liberté est une plante qui croît vite, une fois qu'elle a pris racine.» Dans le contexte des Printemps arabes, ces paroles de Georges Washington sont particulièrement lourdes de sens. Unissons nos efforts pour aider la liberté à s'enraciner sur la rive Sud de la Méditerranée, fidèle à l'esprit des Pères fondateurs des États-Unis et à nos valeurs partagées de générosité, de démocratie et de respect des droits de l'Homme. Main dans la main avec le monde arabe, faisons de la Méditerranée un lieu de paix, de stabilité et d'échange.
Je vous remercie de votre attention.
Q- Vous avez clairement exposé l'importance de la cohérence dans la défense des droits de l'Homme. Vous-même avez été parfaitement clair sur le fait qu'il n'y a aucune différence entre la politique de la France vis-à-vis de la Libye et de la Syrie. Une chose me surprend cependant : vous n'avez cessé de répéter la formule employée par notre président, celle selon laquelle le président el-Assad devait entamer des réformes ou quitter le pouvoir. Cependant, ce n'est une position que ni la France ni les États-Unis n'ont prise au sujet de la Libye, de l'Égypte et d'autres. Alors pourquoi hésiter avant de lui demander de quitter le pouvoir ? Ce que je veux dire, c'est que la manière brutale dont il traite son peuple enfreint le principe que vous venez d'exposer avec tant de clarté. Je me demandais donc si vous pouviez nous expliquer sur quoi repose cette «hésitation», si je puis dire ainsi ?
R - C'est une très bonne question : voilà la formule employée lorsque nous ne savons pas exactement comment y répondre. Chaque semaine à l'Assemblée nationale française, on nous pose les mêmes questions : pourquoi adoptez-vous une politique du deux poids deux mesures ? Pourquoi n'adoptez-vous pas la même attitude à l'égard de la Libye et de la Syrie ? Ma réponse est la même : les circonstances sont différentes. Notre position est la même : nous avons condamné de la même manière la répression en Libye et en Syrie, mais l'évolution de la situation dans ces deux pays est différente. Dès le début, en Libye, Kadhafi, individu peu aimable envers tous, a annoncé que son armée comptait occuper Benghazi et massacrer tous ceux qui avaient manifesté contre le régime : une réelle menace de bain de sang planait sur Benghazi. Au moment du débat sur la résolution 1973, j'ai déclaré au Conseil de sécurité que l'exécution de cette menace n'était qu'une question de jours, voire d'heures. Par conséquent, notre intervention a permis de contrer l'attaque de Kadhafi.
En Syrie, la situation évolue différemment. Au début, nous avions espoir de dialoguer avec Bachar el-Assad car il est plus ouvert à la discussion. On annonce des réformes dans le pays et dans son premiers discours, le président syrien expose les réformes qu'il est prêt à mettre en uvre. Nous avons fait savoir que le programme proposé avait une portée trop limitée, mais nous avions espoir de voir M. el-Assad aller dans la bonne direction. C'est la raison pour laquelle nous avons attendu un certain temps avant de condamner son attitude. À présent, nous l'avons fait car la situation est claire.
En Syrie, le processus de réforme est au point mort et nous pensons que M. el-Assad a perdu toute légitimité pour gouverner le pays. Notre attitude à son égard est donc identique à celle que nous adoptons vis-à-vis de la Libye. En revanche, les conséquences de cette condamnation sont, bien entendu, différentes. En Europe, nous avons pris nos responsabilités et approuvé des sanctions contre le régime. Nous avons établi une liste de personnalités syriennes, auxquelles nous avons imposé des sanctions comme le gel de leurs avoirs personnels en Europe. La France a exigé et obtenu que le président syrien figure en tête de cette liste.
Au Conseil de sécurité, la situation est complètement différente.
Lorsque nous avons présenté notre projet de résolution sur la Libye, nous avons obtenu, non sans difficulté, une majorité de seulement neuf voix. Nous savions que la Russie et la Chine n'opposeraient pas leur veto à ce projet. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, et nous savons que la Russie opposera probablement son veto sur toute résolution concernant la Syrie, aussi modérée soit-elle, comme celle que nous avons proposée pour la Libye avec les Britanniques et les Américains.
Dans ce cas, que faire ? J'ai abordé cette question avec Mme Hillary Clinton. Nous pensons que nous devons désormais continuer sur cette voie et faire circuler ce projet de résolution au Conseil de sécurité. Nous pensons pouvoir obtenir onze voix en faveur de cette résolution et nous verrons ce que les Russes décideront de faire. S'ils mettent leur veto, ils en prendront la responsabilité. Ils changeront peut-être d'avis lorsqu'ils verront onze voix s'exprimer en faveur de la résolution. Ce n'est qu'une supposition, mais c'est un risque que nous sommes prêts à prendre.
Q- Monsieur le Ministre, j'ai assisté aujourd'hui à votre conférence de presse avec la Secrétaire d'État Hillary Clinton et il m'a semblé que votre appel à organiser une conférence de paix n'a pas suscité de grand enthousiasme. À l'issue de votre réunion d'aujourd'hui, pensez-vous que votre idée perd de son essence ?
Dans votre intervention, vous avez indiqué que la nécessité d'une réforme politique s'accompagnait d'importantes attentes en termes économiques. Le Financial Times rapporte aujourd'hui que le FMI a accepté d'accorder un prêt à l'Égypte, non seulement à cause de l'insuffisance de ses recettes, mais aussi à cause des perspectives économiques désastreuses du pays. Vous avez également parlé d'un vaste programme d'aide coordonné qui est censé apporter un soutien à l'ensemble de la région. Ma question est : pensez-vous que ces mesures seront suffisantes compte tenu des problèmes socio-économiques considérables que vous avez vous-même décrits, à savoir une jeunesse sans emploi, sans aucune perspective et sans espoir en vue ? Autrement dit, pensez-vous que l'aide que l'Occident et l'Union européenne en particulier seront en mesure d'offrir sera de taille à améliorer la situation avant qu'elle ne se détériore davantage ?
Ma question est la suivante : vous avez pris acte des changements actuels dans le pays, mais j'ignore si vous êtes conscient de la violence employée par les autorités marocaines pour réprimer les dernières manifestations. Jusqu'où la France s'engagera-t-elle à soutenir les demandes légitimes de démocratisation et de libéralisation du peuple marocain, en dépit des relations étroites qu'entretient votre pays avec la monarchie ?
R - D'abord, concernant le Proche-Orient : à mon arrivée hier à Washington, je ne m'attendais pas à ce que l'initiative française soit accueillie avec enthousiasme. Mais vous avez bien compris, lorsque vous avez interprété ce que Mme Hillary Clinton et moi avons dit, que notre point de départ est le même. Nous pensons que le statu quo au Proche-Orient est dangereux et contre-productif. Si rien ne change avant le mois de septembre, la situation à l'Assemblée générale au mois de septembre risque d'être difficile pour tous. Elle le sera pour les Européens, car nous devrons prendre une décision à ce moment-là.
La France a déclaré qu'elle prendrait ses responsabilités au mois de septembre. C'est une formule ouverte, mais d'autres pays européens feront des choix différents. Je ne pense pas que la situation sera meilleure pour les États-Unis car une telle issue ne représentera évidemment pas un succès dans sa diplomatie. Même si le gouvernement israélien estime que la résolution de l'Assemblée générale ne changera pas considérablement la situation, je pense qu'Israël sera plus isolé qu'il ne l'est déjà aujourd'hui. Pour les Palestiniens, si cette résolution est adoptée, ce succès pourrait être une victoire à la Pyrrhus, car que se passera-t-il après l'adoption de la résolution ? Je ne pense pas que la vie quotidienne de la population palestinienne changera. Nous sommes donc d'accord sur le fait que nous - les Américains, les Européens et bien entendu, la France - devons faire évoluer la situation d'ici septembre.
Que faire donc ? Nous n'avons d'autre choix que la reprise des négociations. C'est la raison pour laquelle nous encourageons actuellement les deux parties à s'asseoir à la table des négociations pour reprendre ce processus. C'est dans cet esprit que j'ai soumis ma proposition au président Mahmoud Abbas la semaine dernière à Rome et au Premier ministre Netanyahu à Jérusalem. Quelles ont été nos propositions ? Comme je l'ai déjà dit, nous proposons aux parties concernées une sorte de cadre de négociations, un programme, une série d'éléments autour de deux ou trois idées principales. Premièrement, pour les deux parties, renoncer à la violence. Deuxièmement, accepter les accords déjà conclus. Troisièmement, reconnaître la souveraineté de l'État d'Israël avec la garantie de la sécurité. Enfin, si les négociations aboutissent, toute autre réclamation sera abordée par la suite. Voilà pour le premier principe. Ensuite, les négociations se feront en deux étapes, conformément au discours du président Barack Obama. Tout d'abord, nous commencerons par aborder la question des frontières, celles de 1967, avec des termes agréés, et celle de la sécurité. Ensuite, au cours de la seconde étape, nous aborderons la question des réfugiés de Jérusalem. Toutes ces questions doivent être réglées dans un seul accord et aucun autre accord ne sera effectif tant que tous ces points n'ont pas été validés.
Nous pensons que ce programme, ce cadre de négociation, est intéressant. La première réaction de la partie palestinienne est positive. Le Premier ministre israélien m'a quant à lui annoncé : «Nous y réfléchissons ; nous sommes en train d'examiner votre proposition». Ce n'est pas là un rejet, un «non» formel, et j'ai été agréablement surpris par cette réponse. Par ailleurs, nous avons décidé, mon homologue américaine et moi-même, d'explorer cette idée, de la développer et de tenter de parvenir à une solution. Nous sommes prêts à amender notre proposition pour modifier le processus. Le mieux serait d'aboutir à une déclaration du Quartet et à une conférence par la suite. Mais nous sommes d'accord avec les Américains qui, dans une certaine mesure, sont réticents à l'idée d'organiser une grande conférence internationale si nous ne sommes pas certains que les deux parties approuvent la manière de négocier ce programme. Voilà où nous en sommes. Nous poursuivons donc notre initiative. Nous sommes certes assez optimistes, mais cette initiative représente une occasion que nous devons saisir.
Concernant la deuxième question sur la situation économique et sociale en Tunisie et en Égypte, vous avez parfaitement raison. Le processus politique de transition démocratique ne portera pas ses fruits si nous n'abordons pas la situation économique particulièrement difficile de ces pays. Je parle non seulement de la Tunisie et de l'Égypte, mais aussi du Maroc, dans une moindre mesure, et peut-être même la Jordanie. Par exemple, en Égypte, le tourisme s'est complètement effondré alors même qu'il représente une source de recettes majeure pour l'économie du pays. Plus d'un demi-million de réfugiés sont revenus de Libye et sont à la recherche d'un emploi. Le taux de chômage est très élevé et les investisseurs étrangers sont bien entendus réticents à s'engager. Pendant ce temps, les manifestants qui ont pris part à la révolution espèrent à voir leur vie s'améliorer et réclament une augmentation des salaires, etc.
La Tunisie et l'Égypte réunissent tous les éléments susceptibles de provoquer un effondrement de l'économie. De ce fait, nous devons absolument leur venir en aide pour éviter ce scénario. Vous me demandez si ces mesures sont suffisantes ? Quarante milliards de dollars représentent une somme considérable. La question qui se pose ne porte pas sur le montant accordé mais sur la rapidité du déblocage des fonds : sommes-nous en mesure d'accorder cet argent - pour des projets utiles, bien entendu - dans un délai court ? C'est la raison pour laquelle le G8 a chargé les ministres des Finances et des Affaires étrangères d'agir pour arrêter des plans d'action avec la Tunisie et l'Égypte, afin de mobiliser ces fonds le plus rapidement possible. Le processus est déjà en cours. Le gouvernement tunisien a déjà soumis des plans d'action aux pays du Nord.
En ce qui concerne la troisième question sur le Maroc : je suis assez optimiste. Le Roi a annoncé un vaste programme de réforme. Si ce projet concernant une nouvelle constitution est réellement mis en uvre, un changement important s'opèrera au sein du régime et une véritable monarchie constitutionnelle pourrait voir le jour. Nous devons donc l'aider à mettre en uvre ce programme. Vous avez raison : une certaine inquiétude règne à ce sujet. Dans la rue, les manifestations se poursuivent, mais elles ne sont pas réprimées.
Je ne suis pas d'accord avec vous sur ce point. A ma connaissance, ce qui se passe au Maroc ne peut être comparé aux évènements en Syrie bien entendu, ou au Yémen. Le régime marocain n'a pas recours à la violence pour faire cesser ces manifestations. Une fois encore, tout est une question de rapidité. Je pense que le roi devrait accélérer les réformes s'il veut convaincre la population de sa bonne volonté et de sa détermination. Quant à nous, nous devons soutenir cette initiative.
Q - Vous le savez, le président Barack Obama a été critiqué pour ne pas avoir mentionné l'Arabie saoudite lors de son courageux discours le 19 mai, et vous n'avez pas mentionné l'Arabie saoudite non plus, si je ne m'abuse. Quel est donc le message concernant l'Arabie saoudite ? À en croire vos propositions, on ne peut pas vraiment voir en eux des réformateurs. Quelle est donc l'attitude à adopter vis-à-vis de ce pays ?
R - Je dirais : un pas à la fois ? Cependant, notre message reste le même : s'ils ne lancent pas et ne mettent pas en uvre des programmes de réforme, les régimes arabes n'ont aucun avenir. Nous souhaitons donc voir l'Arabie saoudite adopter un programme de réforme également.
Q - Au sujet des événements en Libye, un observateur américain a déclaré : «Aucune preuve concrète n'indiquait qu'un massacre de grande envergure ou qu'un génocide étaient imminents.» Cette déclaration émane de Richard Haas, président de notre Conseil des relations extérieures. Si ce qu'il dit est vrai, et il me semble que M. Haas est bien informé, tout ce que l'OTAN a fait en Libye, c'est attaquer un pays qui ne menaçait personne. En d'autres termes, c'est une agression. N'êtes-vous pas inquiet à l'idée de voir la Cour pénale internationale décider que vous, ainsi que vos amis de l'OTAN devraient être poursuivis et non M. Kadhafi pour les crimes et la destruction dans le pays ?
Pourriez-vous commenter les relations du gouvernement français avec le gouvernement turc au sujet des révoltes au Proche-Orient ? L'impression qui domine est que, depuis les événements en Tunisie et en Libye, deux gouvernements se sont engagés dans un bras de fer dans les affaires de la région, de la Libye à la Syrie. En Libye par exemple, le gouvernement turc a reproché à la France de ne pas avoir attendu la fin de la médiation turque au sein de l'opposition libyenne et des cercles gouvernementaux libyens à Ankara. A présent, vous proposez un programme concernant le conflit israélo-palestinien alors que le gouvernement turc est impliqué dans le processus de réconciliation entre le Hamas et le Fatah. Pourriez-vous définir les relations qu'entretiennent ces deux gouvernements ? Y a-t-il effectivement un bras de fer dans la région ?
Dans le même temps, une importante rafle a eu lieu à Paris la semaine dernière contre le PKK, une organisation terroriste, qui suggère une coopération tacite entre les deux gouvernements. Comment définiriez-vous vos relations avec le gouvernement turc ?
R- Pour commencer, c'est l'Histoire qui répondra à votre première question. Citons néanmoins un chiffre. Tout le monde sait que le nombre de blessés et de personnes tuées par un régime qui emploie des avions, des tanks et des armes lourdes contre son peuple se situe entre 10 000 et 15 000. Je ne pense pas que l'Alliance ait fait la même chose. Bien entendu, c'est un euphémisme. Nous nous battons afin de protéger la population en Libye et je pense que nous respectons entièrement la résolution 1973. Je suis donc parfaitement serein et calme concernant les décisions de la CPI. Je vous rappelle néanmoins que cette dernière a déjà entamé des poursuites contre Kadhafi.
En ce qui concerne la Turquie, je n'ai pas le temps de décrire l'ensemble des relations que la France entretient avec ce pays, non seulement sur la question libyenne, mais sur toute la région. La Turquie est un grand pays. La Turquie est un pays ami. Nous entretenons de bonnes relations avec la Turquie dans de très nombreux domaines : économiques, culturels, etc. Je suis moi-même président du Haut-comité de parrainage de la fondation d'enseignement de Galatasaray. Nous entretenons donc de nombreuses relations avec la Turquie pour des raisons historiques, géographiques et économiques.
Nous avons un problème avec la Turquie. La France ne soutient pas sa candidature à l'Union européenne et il me faudrait une demi-heure pour vous en expliquer les raisons, le sujet étant complexe. C'est la raison pour laquelle les relations entre la Turquie et la France sont si difficiles à l'heure actuelle. J'ai cependant tenté de prévenir la Turquie que nous voulions coopérer avec elle même sur la question de la résolution de la crise libyenne. C'est pour cela que nous l'avons invitée au Groupe de contact à Rome, à Doha et à Abou Dabi cette semaine. Nous avons besoin de l'aide de la Turquie et je ne pense pas que la Turquie condamne toujours l'intervention non pas française, mais onusienne, en Libye.
Je vous rappelle que la Turquie est membre de l'OTAN. Par conséquent, si elle désapprouve l'intervention de l'OTAN en Libye, elle a en sa possession tous les moyens d'y mettre un terme. J'estime donc que la position de la Turquie est bien plus complexe que vous le ne le dites.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juin 2011