Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur la propriété intellectuelle, littéraire et artistique dans le cadre du développement de l'édition numérique, Paris le 16 juin 2011.

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Circonstance : Séance pleinière du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) à Paris le 16 juin 2011

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Je me réjouis de vous retrouver aujourd’hui pour la reprise, très attendue, des travaux de ce Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Je souhaite à mon tour la bienvenue aux nouveaux membres et personnalités qualifiées et vous remercie, chère Sylvie Hubac, d’avoir bien voulu accepter de présider aux travaux de Conseil supérieur, aux côtés d’Anne-Elisabeth Crédeville, qui en assurera la vice-présidence.
Ne nous méprenons pas, chers amis, sur l’interruption des travaux du CSPLA : cela ne vous aura pas échappé, celle-ci a coïncidé avec une profonde réorganisation de l’administration de ce ministère, et avec un cycle particulièrement intense d’action publique, qui a beaucoup absorbé les forces ce ministère, notamment pour défendre et faire vivre les principes du droit d’auteur à l’ère numérique.
Je pense bien sûr à l’adoption des lois « Création et Internet » qui m’a conduit, peu après mon arrivée dans ce ministère, à rappeler avec force devant le Parlement qu’Internet – chance formidable pour la diffusion de la culture – ne devait pas devenir « une peau de chagrin pour les droits des créateurs ».
Aujourd’hui, très loin de l’échec annoncé par certains et de la catastrophe technologique promise, la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet invente, jour après jour, une pédagogie essentielle de la responsabilité à l’ère numérique. Madame la présidente, chère Marie-Françoise Marais, vous m’avez présenté il y a quelques semaines les premiers résultats de la réponse graduée, 7 mois après son démarrage : ceux-ci sont particulièrement encourageants et laissent penser que la pédagogie produit ses effets sur le plus grand nombre des internautes. Je sais que l’action de la Haute Autorité se déploie désormais aussi en matière de promotion des usages responsables de l’Internet, à travers, notamment, l’attribution des premiers labels aux plateformes d’offre légale de contenus culturels.
Soyez une nouvelle fois assurée du plein et entier soutien du gouvernement à l’action déterminante que vous conduisez, action dont nous constatons qu’elle suscite un intérêt croissant, puisque des pays de plus en plus nombreux développent des approches voisines, à l’image, par exemple, du Digital Economy Act au Royaume Uni.
Les deux années qui se sont écoulées depuis mon arrivée dans ce ministère ont aussi été celles d’une mobilisation sans précédent pour favoriser le développement d’une offre légale abondante, diversifiée et rémunératrice pour les ayants droit, à travers, notamment, la mise en oeuvre des principales préconisations du rapport « Zelnik ».
Je citerai par exemple la récente loi sur le prix unique du livre numérique, adoptée au Parlement dans un remarquable consensus : cette loi crée désormais les conditions d’un développement du marché du livre numérique respectueux des équilibres de la chaîne du livre et de l’écosystème de la création.
Je m’attache à présent à défendre, auprès des institutions européennes, cette loi fondatrice pour la régulation des industries culturelles à l’ère numérique, en démontrant à quel point celle-ci répond à un enjeu crucial du point de vue de la diversité culturelle.
D’autres initiatives importantes pourraient être mentionnées, comme la réforme de la chronologie des médias, la réglementation adoptée en matière de services de médias audiovisuels à la demande, qui, comme vous le savez, a inclus ces nouveaux services dans le cercle vertueux du financement de la création, les « 13 engagements pour la musique en ligne », le rapport rendu par la présidente Sylvie Hubac sur le développement des service de médias à la demande, ou encore la mission confiée à Jacques Toubon pour défendre l’application d’un taux réduit de TVA pour l’ensemble des biens et services culturels.
Je n’oublie pas non plus les chantiers considérables engagés en matière de numérisation des oeuvres, notamment dans le cadre des investissements d’avenir, à l’image de l’accord-cadre concernant la numérisation de 500 000 livres du XXe siècle indisponibles, ou de l’accord sur la numérisation des oeuvres cinématographiques.
Cette action s’inscrit dans un environnement économique qui a lui aussi beaucoup évolué ces dernières années, en général dans le sens d’une accentuation des tendances préexistantes.
Nous avons assisté d’une part, à un déploiement massif de l’offre légale sur les réseaux, notamment en matière de musique et d’audiovisuel. Ainsi les offres légales de musique en ligne représentent-elles désormais près du tiers du marché de la musique dans les pays du Nord. À l’image des plateformes communautaires, les grands acteurs du web font reposer une part croissante de leur modèle économique sur des contenus protégés par le droit d’auteur. Ces évolutions, qui démontrent que le droit d’auteur n’est aucunement un obstacle à la diffusion numérique des oeuvres. Elles favorisent la conscience d’une appartenance commune à l’écosystème de la création. Elles sont de nature à permettre une réflexion plus apaisée sur les sujets intéressant le CSPLA.
Dans le même temps, alors que, grâce à l’innovation permanente des entrepreneurs de l’internet et leur formidable dynamisme, s’inventent, jour après jour, de nouveaux services en ligne, de nouveaux modes de diffusion des oeuvres et de nouveaux usages, la tendance au déplacement de la valeur au profit d’acteurs économiques qui bénéficient au premier chef de la présence sur la toile de contenus culturels, mais qui contribuent en général peu au financement de la création, est allée en s’accentuant.
À la réflexion sur le financement de la création par ces acteurs de l’internet - réflexion à laquelle ce ministère contribue fortement - s’ajoutent des multiples interrogations relatives, notamment, au rôle des éditeurs de services dans la production audiovisuelle et cinématographique à l’heure de la télévision connectée, à la « neutralité du net », à l’adaptation de nos dispositifs de régulation et de soutien à la création.
Je profite de cet instant pour vous dire mon extrême vigilance, et la réactivité qui sera la mienne, devant les risques de fragilisation, ou même de mise en cause, de dispositifs aussi essentiels pour le soutien à la création que sont le compte de soutien financier à la production audiovisuelle, d’une part, et la copie privée, d’autre part.
Ces débats - si bien mis en perspective dans l’étude Culture et Médias 2030 du DEPS - trouvent un prolongement à l’échelle européenne et internationale. Le développement d’internet comme plateforme de diffusion des oeuvres a pu nourrir une contestation de principe des droits de la propriété intellectuelle, contestation dont nous avons encore eu, à travers certains débats du récent eG8, une illustration concrète quoique légèrement caricaturale. Dans le même temps, fortes du constat que le secteur de la création représente près de 4 millions d’emplois en Europe et plus de 900 milliards d’euros d’activité, différentes initiatives s’attachent à rendre plus effective la mise en oeuvre du droit d’auteur à l’échelle européenne, tout en saisissant les nouvelles opportunités offertes par le numérique pour l’accès aux oeuvres. Je pense notamment à la stratégie pour un marché intérieur des droits de propriété intellectuelle développée par la Commission européenne, sous l’impulsion remarquable de Michel Barnier.
Madame la présidente, dans cet environnement complexe, passionnant, où les positions de la France sont particulièrement attendues, je souhaite m’appuyer pleinement dans les mois à venir sur le concours et l’expertise unique du CSPLA.
J’attends donc beaucoup de la confrontation des points de vues, disciplines et expertises représentés au sein de ce Conseil supérieur, parmi les éminentes personnalités qualifiées qu’il réunit, mais aussi parmi les 38 professionnels.
De part sa composition, ce Conseil supérieur constitue à mes yeux une enceinte privilégiée - unique en son genre - de dialogue entre les représentants des différents acteurs du monde de la propriété littéraire et artistique, auteurs, producteurs, artistes-interprètes, diffuseurs et opérateurs, consommateurs et utilisateurs.
C’est certainement la raison pour laquelle rares sont les réflexions et avis du CSPLA qui n’ont pas inspiré, directement ou indirectement, l’action des pouvoirs publics. Je pense par exemple aux travaux de la commission présidée il y a quelques années par le professeur Pierre Sirinelli sur la distribution des contenus numériques en ligne, ou plus récemment au rapport de Maître Jean Martin sur les oeuvres orphelines, dont j’ai constaté à quel point il avait retenu l’attention à Bruxelles, dans le cadre de la préparation de la proposition de directive sur les oeuvres orphelines de l’écrit proposée par la commission européenne.
Ce rôle de concertation, cette capacité éprouvée à rapprocher les points de vue, à imaginer des solutions réalistes et concrètes, va de pair avec une mission de proposition, de veille et de prospective sur tous les enjeux contemporains liés au droit d’auteur, dont j’attends également beaucoup.
La stratégie proposée par la commission européenne en matière de propriété intellectuelle doit évidemment retenir toute notre attention. Dans le prolongement des travaux conduits en 2008 par Maître Jean Martin, il serait notamment précieux de pouvoir disposer d’une analyse précise des enjeux soulevés par la proposition de directive sur les oeuvres orphelines.
Par la suite, d’autres sujets de réflexion pourront sans doute être envisagés, compte tenu des chantiers que la Commission européenne se propose d’ouvrir en ce qui concerne notamment la gestion collective et les conditions de licence de la musique en ligne.
L’expertise du CSPLA me semblerait également très utile pour réfléchir à l’application du contrat d’édition à l’exploitation numérique des oeuvres.
La proposition de loi sur le prix unique du livre numérique n’était certainement pas le cadre approprié pour aborder la question, mais les débats auxquels nous avons alors assisté démontré la nécessité d’une réflexion sereine sur le sujet, d’une concertation nourrie, qui n’aurait cependant pas vocation à s’immiscer dans les discussions entre les organismes professionnels compétents.
Sa mission de prospective et de veille doit rendre le CSPLA particulièrement attentif à l’impact juridique et économique des différentes évolutions technologiques, aux nouveaux usages qu’elles suscitent et aux modèles économiques qui leur sont associés. A ce titre, le CSPLA me semble l’instance appropriée pour conduire une réflexion sur les enjeux, encore mal identifiés, liés à « l’informatique en nuage » - le « cloud computing » -, au regard notamment du droit d’auteur.
À vrai dire, les thèmes qui mériteraient aujourd’hui une étude approfondie dans le cadre du CSPLA ne manquent pas et vous aurez l’occasion d’en débattre tout à l’heure. Il vous reviendra, Madame la présidente, de me transmettre les pistes et idées qui vous semblent prioritaires, afin de me permettre d’arrêter, d’ici quelques jours, le programme de travail de ce Conseil supérieur.
Les réflexions du Conseil supérieur devront permettre à notre pays de conserver un rôle d’impulsion, un rôle souvent pionnier, dans les tous débats et projets contemporains en matière de droit d’auteur.
Ces débats, souvent vifs, sont alimentés par des appels, parfois incantatoires, parfois plus argumentés, à la modernisation du droit d’auteur – je pense par exemple au rapport remis au gouvernement britannique par le professeur Hargreaves. Le CSPLA doit nous permettre d’aborder ces discussions avec sérénité, en réinterrogeant les fondements du droit d’auteur d’inspiration européenne, et du cadre juridique international dans lequel il s’incarne. Je suis pour ma part convaincu que leur pertinence et leur vitalité demeurent intactes, tandis que la capacité d’adaptation du droit d’auteur aux enjeux numériques est avérée.
Ainsi la stratégie déployée en France par le ministère et les professionnels français du livre pour la numérisation et diffusion de 500 000 oeuvres indisponibles du XXe siècle atteste-t-elle de notre capacité à expérimenter des mécanismes innovants propres à favoriser, dans le respect du droit d’auteur, l’accès légal aux oeuvres.
Tout en répondant à une même préoccupation - garantir la sécurité juridique de la numérisation à grande échelle - , cette approche, qui impliquera une modification du code de la propriété intellectuelle, se distingue en profondeur de celle mise en oeuvre par Google dans le cadre du settlement, ce projet d'accord entre Google et les auteurs et éditeurs de ce pays concernant l'exploitation de plusieurs millions d'oeuvres protégées, inspiré d’une conception particulièrement extensive du fair use, et que la justice américaine vient de rejeter.
Par delà les débats théoriques sur le droit d’auteur, le CSPLA a de mon point de vue vocation à se concentrer sur ce qui fait réellement débat, à savoir les mécanismes et procédures propres à protéger et faire vivre aujourd’hui le droit d’auteur, en favorisant ainsi la diffusion des oeuvres, pour le plus le plus grand bénéfice du public, et la juste rémunération de ceux qui composent, de ceux inventent, et ceux qui prennent le risque de la création.
C’est le sens des propos tenus lors de l’ouverture de l’eG8 par le président de la République, qui a rappelé, à travers la figure fondatrice de Beaumarchais, la puissance libératrice, révolutionnaire du droit d’auteur, et son attachement indéfectible au respect de la propriété intellectuelle.
C’est aussi le sens, lors du G8 de Deauville, de l’importante déclaration des chefs d’Etat, qui ont invité, s’agissant du droit d’auteur, à s’intéresser aux modalités de son plein exercice, et de sa protection effective, en appelant de leurs voeux « des mesures fermes contre les violations des droits de propriété intellectuelle dans l’univers numérique », et une « coopération internationale appropriée entre les acteurs concernés, associant le secteur privé ».
C’est dans cet esprit, enfin, que j’entends aborder le sommet culturel, centré sur le thème du droit d’auteur, que j’organiserai en Avignon les 17 et 18 novembre prochain dans le cadre de la présidence française du G8 / G20. Ce sera l’occasion de faire progresser le sens d’une responsabilité partagée des acteurs de la culture et de l’internet en matière de soutien à l’écosystème de la création ; ce sera l’occasion de partager une réflexion sur le devenir – et la promotion – de la diversité culturelle à l’ère numérique, un enjeu encore peu exploré et pourtant si crucial à l’heure du « capitalisme cognitif » et d’une nouvelle géopolitique de la culture dite « mainstream ».
Dans le contexte d’une compétition mondialisée, et face aux productions banalisées et indifférenciées, il est en effet essentiel, pour nous autres français et européens, et pour nos industries culturelles et créatives, de pouvoir s’appuyer sur des marques fortes, sur des oeuvres originales - l’objet du droit d’auteur, ce droit si vivant, étant précisément d’assurer la valorisation et la rémunération de telles créations.
Les contributions, travaux et débats de ce Conseil supérieur me seront infiniment précieux pour alimenter et construire les positions du gouvernement français dans ce débat, qui est aussi un combat, un très beau combat.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 20 juin 2011