Interview de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, à France Info le 4 août 2011, sur la condamnation par le Conseil de sécurité de l'ONU de l'utilisation de la violence par le régime syrien contre les civils.

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Média : France Info

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C'est un moment important. Nous y avons beaucoup travaillé, depuis des semaines, avec nos partenaires, notamment avec nos partenaires européens, les Britanniques en tout premier lieu, et c'est la première fois que le Conseil de sécurité s'exprime sans aucune équivoque : il condamne les violences contre les civils ; il met en garde explicitement les autorités syriennes ; il leur demande de cesser ces violences. Je crois donc, sur le plan du droit international, du message de la communauté internationale, que c'est une étape très importante.

Q - C'est une étape importante mais il n'y a pas d'enquêtes, pas de sanctions, pas d'accès, surtout, pour les organisations humanitaires en Syrie...

R - Je vous rappelle que l'Union européenne a déjà pris des sanctions ; la France y a beaucoup contribué. Plusieurs séries de sanctions ont été prises, soit contre des personnes, soit contre des organisations qui concourent à la répression. Nous continuons à travailler dans cette perspective.
Par ailleurs, dans la déclaration présidentielle du Conseil de sécurité, il est prévu de refaire un point de la situation dans les sept jours. Nous ne renonçons pas, à ce moment-là, à revenir à la charge pour avoir un texte plus contraignant vis-à-vis des autorités syriennes.

Q - Comment réagissez-vous quand vous voyez qu'il y a eu, par exemple, 45 morts hier à Hama, et qu'il y a des villes qui sont sous blocus ?

R - C'est intolérable. C'est une situation totalement scandaleuse. La violence qui est faite aux populations civiles ne peut pas être tolérée ; c'est la raison pour laquelle le silence du Conseil de sécurité devenait insupportable. Ceux qui bloquaient toute espèce de déclaration de la communauté internationale ont fini par en prendre conscience, car les images que nous avons vues au cours des derniers jours, même si elles sont rares, sont vraiment absolument inacceptables. Tous les moyens, les plus violents, sont utilisés contre des protestataires qui demandent tout simplement la possibilité de s'exprimer et d'accéder à la démocratie, comme l'ensemble des peuples arabes le demande tout autour de la Méditerranée.

Q - Vous savez, Monsieur le Ministre, qu'il y a beaucoup de gens qui nous disent : «alors on intervient en Libye parce que les populations civiles sont menacées, mais on n'intervient pas en Syrie». Que peut-on leur répondre dans ces cas-là ?

R - On nous reproche d'intervenir en Libye : «vous vous enlisez en Libye». Ce sont parfois les mêmes qui nous reprochent de ne pas aller en Syrie. Les situations sont tout à fait différentes. Il n'a jamais été question d'une opération militaire en Syrie ; le contexte régional ne le permet pas. La situation de la société syrienne, composée de différentes communautés, sunnites, alaouites, chrétiennes, est très différente de celle de la Libye. Je pense donc que le cas libyen doit être pris dans sa spécificité. Je vous rappelle qu'en Libye, nous savions que des colonnes de chars étaient lancés sur la ville de Benghazi, ville de plusieurs centaines de milliers d'habitants, avec l'annonce par Kadhafi lui-même, d'un bain de sang contre tous ceux qui s'étaient révoltés ; c'était donc des milliers de victimes. Je ne veux pas me lancer dans une comptabilité qui serait absolument immorale et inacceptable, mais ne comparons pas les deux situations.
Q - Lorsque vous dites que l'on va examiner la situation dans sept jours et on va faire le point, c'est une sorte de rendez-vous, d'ultimatum ?

R - J'espère que ce sera un rendez-vous important. Si rien ne change du côté syrien, le Conseil de sécurité pourra aller plus loin dans ses décisions. Je vous rappelle que dans la déclaration d'hier, on demande la cessation de ces violences et l'engagement d'un programme de réformes, même si c'est peu crédible, je dois le dire. Le régime syrien annonçait récemment l'utilisation du multipartisme, c'est presqu'une provocation. Ce que nous attendons aujourd'hui, c'est la fin des violences contre des populations civiles qui ne font que défendre leurs droits. Nous allons donc continuer à observer la situation. Je sais bien que l'on peut se dire que ce n'est pas assez, mais c'est une étape importante ; nous avons eu beaucoup de mal à la franchir. Je voudrais donc prendre acte - j'allais dire me réjouir, ce n'est pas le mot -, en tout cas accueillir favorablement cette décision qui marque un pas en avant.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 août 2011