Texte intégral
Mesdames,
Messieurs,
A la veille de la session extraordinaire des Nations unies consacrée au SIDA, j'ai souhaité vous informer de la politique de coopération internationale de la France en la matière. C'est aussi pour moi l'occasion de vous présenter une brochure que nous venons d'éditer dans la collection repère de la DGCID.
L'initiative de Kofi Annan, il y a deux mois a pu donner l'impression que la guerre contre le SIDA venait d'être déclarée mais pour la France il s'agit d'un combat ancien.
Cette coopération ancienne a fait l'objet d'une évaluation externe, par le CREDES, portant sur la période 1987-1997.
Cette évaluation montre des carences : absence de mécanismes rigoureux de planification des interventions, absence de stratégie explicite et connue de tous les acteurs, manque de cohérence d'ensemble. Elle montre également, heureusement, une capacité d'ouverture et d'adaptation des programmes qui ont conduit à étendre progressivement la lutte contre le SIDA à l'ensemble du champ que je vous ai décrit tout à l'heure.
A la lumière de cette évaluation, et après la réforme de la coopération française, la DGCID a donc élaboré une stratégie reprise dans la brochure publiée aujourd'hui.
C'est au nom des valeurs de solidarité qui sont les nôtres que la France entend, à travers sa coopération dans le domaine de la santé, participer à la lutte contre la pauvreté et à la réduction des inégalités. Il s'agit d'une approche globale et intégrée des soins qui se décline en trois éléments :
- 1er élément : cette mobilisation contre le SIDA s'inscrit dans un programme plus large de lutte contre les maladies transmissibles. Le poids de ces pathologies représente, en terme de morbidité et de mortalité, les incidences économiques et sociales les plus lourdes. Le SIDA, la tuberculose et le paludisme tuent chaque année cinq millions de personnes.
- 2ème élément : le renforcement des systèmes de soins passe par l'appui aux politiques nationales de santé publique, à une organisation de l'offre de soins en réseau et proche du terrain, au développement des ressources humaines et à la politique du médicament,
- le troisième étage du dispositif est l'appui au financement des systèmes de soins. Nos programmes de coopération s'efforcent d'assurer la viabilité de ces systèmes dans la recherche d'un équilibre toujours difficile entre aide extérieure, budgets nationaux, participation des populations et mise en place de mécanismes de solidarité.
Les moyens ainsi mobilisés ont représenté 500 MF en 2000, à titre bilatéral auxquels s'ajoutent 300 MF de contribution aux agences spécialisées des Nations unies, soit plus de 1,3 milliard de francs quand on ajoute l'aide multilatérale (FED et AID).
Revenons maintenant au SIDA qui mobilise le quart de nos financements bilatéraux dans le domaine de la santé.
Comme vous le savez, l'approche française est celle d'une prise en charge globale articulant prévention et accès aux traitements, notamment aux anti-rétroviraux - dont je rappelle qu'ils ne sont disponibles en France que depuis 1995 -, car nous savons que sans traitements, sans espoir, il n'y a pas de prévention possible. Pendant longtemps l'approche française a été singulière, d'autres préférant privilégier la prévention. Nous avons amené nos partenaires européens puis américains sur cette approche globale, notamment à la suite de la résolution du Conseil des ministres de l'Union européenne chargé du développement en novembre dernier.
Sur cette base, nous avons développé cinq axes stratégiques :
1er axe - privilégier une approche régionale qui prenne en compte les diversités nationales et locales. C'est-à-dire que nous soutenons des projets régionaux d'intervention, des partenariats avec l'ensemble des intervenants bi- et multilatéraux et que nous cherchons à consolider les réseaux associatifs Nord/Sud et Sud/Sud.
2ème axe - rendre la lutte efficace en appréhendant le problème dans sa globalité :
- en intégrant, dans la prise en charge, l'ensemble des actions d'information, de prévention, de soins et d'accompagnement,
- en abordant la pandémie dans toutes ses implications sociales, culturelles, religieuses, économiques, politiques et juridiques. Il s'agit, par exemple, d'affirmer et de défendre le respect des droits des personnes atteintes et des personnes affectées, tant en ce qui concerne l'accès aux soins, au travail et à la formation que pour ce qui traite de la propriété et de la famille comme du devoir de solidarité à l'égard des personnes atteintes.
3ème axe - impliquer les partenaires non gouvernementaux et les personnes elles-mêmes atteintes à la définition et à la mise en uvre de projets.
4ème axe - développer la recherche appliquée dans le cadre de réels partenariats nord/sud et dans le strict respect des règles d'éthique.
5ème axe - stabiliser les appuis et les pérenniser, ce qui suppose d'intégrer les programmes de lutte dans l'ensemble du dispositif d'appui au secteur sanitaire et social.
L'évolution actuelle vise :
- à développer l'accès aux soins et en particulier la mise à disposition d'anti-rétroviraux,
- à renforcer l'attention particulière accordée à la structuration des systèmes et des services de soins dans une perspective d'approche globale, intégrée et décentralisée,
- à étendre progressivement notre action bilatérale à l'ensemble de la zone de solidarité prioritaire. C'est ainsi que pour la période 2000/2001, 45 projets financés sur FSP sont en cours d'exécution ou d'instruction dans 28 pays pour un montant total de plus de 200 MF.
Dans les prochains mois, nous augmenterons encore notre effort :
- en renforçant l'appui aux associations opératrices et aux associations de personnes vivant avec le VIH,
- en renforçant notre articulation avec les organisations multilatérales, en particulier dans le cadre de la préparation de la Conférence de Dakar et de la mise en place prochaine du Fonds global pour la santé et contre le SIDA.
Je vous remercie de votre attention.
Q - Est-ce que les 150 millions d'euros qui vont être accordés lors de cette session à l'ONU, vont être accordés dans le cadre du fond thérapeutique de solidarité ou est-ce qu'il s'agit d'une autre enveloppe ?
R - C'est autre chose. Ou, plus exactement, il faut intégrer déjà la question du devenir du Fonds de solidarité thérapeutique sur lequel la réflexion est ouverte et dont on peut penser qu'il pourrait être un opérateur du fond mondial pour la santé et contre le SIDA. Le FSTI s'est implanté déjà dans un certain nombre de pays. Je peux d'ailleurs, si vous le souhaitez, l'évoquer : la Côte d'Ivoire, le Bénin, le Maroc, le Sénégal et l'Afrique du Sud ; cinq pays où le FSTI a commencé à mettre en oeuvre les stratégies que j'évoquais à l'instant et en particulier l'accès aux anti-rétroviraux.
Q - L'enveloppe est de combien pour l'instant ?
R - Pour l'instant, le FSTI en est resté à une enveloppe qu'on peut considérer comme relativement modeste. Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité a apporté 25 millions de francs, le ministère des Affaires étrangères 20 millions. Tous ces moyens n'ont pas encore était décaissés. Ils le sont au fur et à mesure que se développent les implantations que j'évoquais à l'instant et qui sont dans des niveaux d'avancement différents. Pour la Côte d'Ivoire, le programme a été lancé en avril 1999, le Maroc en juillet 1999, l'Afrique du Sud et le Bénin commencent. Donc, nous sommes en phase de développement en quelque sorte. Mais, dès lors que le Fonds mondial va se mettre en place, et il en sera question la semaine prochaine à New York, Dakar sera l'occasion aussi d'y faire échos, la question va se poser de savoir comment le FSTI peut se positionner par rapport au Fonds mondial. L'hypothèse la plus vraisemblable est qu'il en devienne un opérateur.
Q - Vous avez surtout parlé de chiffres et je sais qu'il y a beaucoup d'autres problèmes, et ce n'est pas qu'un problème d'argent. Est-ce que la France a fait des efforts ou a fait des expériences pour atteindre les gens ? Par exemple, les trithérapies sont très difficiles à prendre et il faut parfois prendre une quinzaine de médicaments par jour, c'est très difficile dans un pays en développement. Est-ce que vous avez des expériences ou des projets ?
R - Si j'ai parlé chiffres, c'est parce qu'il fallait vous en donner et qu'on m'en a demandé en plus. C'était normal qu'on m'interroge. Si nous avons pris le soin de rappeler que la France avait fait le choix d'une approche globale, d'appui au système santé, et pas seulement aux systèmes centraux, mais également d'aller sur le terrain et d'avoir une relation étroite avec les populations et en particulier les associations qui vivent avec le VIH, c'est parce que nous sommes bien convaincus en effet que l'accès aux soins soulève des problèmes très importants qui nécessitent en particulier un environnement, non seulement matériel mais presque culturel, qui n'est pas toujours réuni. C'est seulement de manière progressive que nous avons organisé cet accès aux soins, en choisissant des populations spécifiques. Je pense par exemple à notre volonté de nous préoccuper de la relation mère-enfant : les Cortes qui ont été ainsi traités correspondaient souvent à cette population à risques particuliers que représentent justement les femmes enceintes. Mais, vous observerez aussi comme moi que l'usage des trithérapies est en train de se simplifier. La recherche continue d'avancer et on peut espérer que le mouvement va se poursuivre et que les difficultés que posaient, en effet, la complication dans la prise de ces médicaments, sont en train de s'atténuer.
Q - Vous voulez dire que les pays en voie de développement auraient immédiatement acheté le dernier médicament ?
R - C'est bien de cela dont nous voulons en effet discuter avec les industries pharmaceutiques et c'est à cela que le Fonds mondial doit normalement s'intéresser. Je crois que la réponse que nous avons faite était relativement claire. Nous sommes très conscients des difficultés soulevées par l'accès aux soins compte tenu de l'organisation actuelle des systèmes de santé et de l'isolement souvent dans lequel sont les malades, compte tenu des blocages psychologiques et culturels auxquels ils sont très souvent confrontés, et c'est bien l'ensemble de ces composantes du dossier auquel il faut prêter attention. Mais, je reviens un peu à mon point de départ, nous sommes heureux de voir que, malgré toutes ces difficultés, il y a eu aujourd'hui un consensus sur le fait qu'on ne peut pas imaginer, pour simplifier les choses, que les médicaments soient au Nord et les malades au Sud.
Q - Quel est l'apport de la France en matière de coopération sur la santé, en Amérique Latine, dans les Caraïbes ? J'ai plutôt l'impression que ces régions sont les enfants pauvres de la coopération française dans le domaine de la santé. Vous avez évoqué tout ce qui se passe, des baisses de coûts que la France apporte en Afrique et en Asie, mais je n'ai pas du tout entendu parler de la Caraïbe ni de l'Amérique latine où, on le sait, le SIDA, est l'un des fléaux dans ces régions assez pauvres.
R - Je vais laisser à Mme Guigaz le soin de répondre. Il m'arrive d'entendre un autre écho selon lequel on en ferait moins en Afrique pour en faire plus. Alors il est difficile de satisfaire tout le monde.
R - Mme Guigaz - Merci, Monsieur le Ministre. Nos modes d'intervention sont différents selon les lieux où nous intervenons. Il se trouve que dans la Caraïbe, il y tout d'abord un programme commun qui regroupe l'ensemble des pays participants de cette zone. Nous appuyons ce programme commun par deux méthodes de plates-formes. Tout d'abord, nous travaillons beaucoup avec Cuba qui a une expérience extrêmement important dans le domaine du SIDA, qui dispose de très nombreux médecins de santé publique et nous aidons Cuba à envoyer des médecins de santé publique pour travailler avec les pays de la Caraïbe sur ces questions. Il ne faut pas négliger les compétences qui sont dans cette zone. C'est une plate-forme de coopération Sud-Sud, ce que nous voulons beaucoup développer. Il y a une deuxième plate-forme de coopération, qui cette fois est une plate-forme française. Nous nous appuyons sur les équipements et les équipes dont nous disposons en Guadeloupe et en Martinique. Donc, on aborde le problème de la Caraïbe via ces deux types de plates-formes : une plate-forme française et une plate-forme communautaire de la zone Caraïbe. Et nous faisons aussi sur la Caraïbe beaucoup de cofinancement. Nous sommes absolument convaincus, je crois que le Ministre l'a dit, que le problème est d'une telle ampleur qu'on ne peut pas non plus raisonner systématiquement en bilatéral. Donc, nous appuyons des programmes existants. Il y a, par exemple, à Miami, une université qui est très branchée sur la zone Caraïbes, avec des chercheurs américains et nous travaillons aussi avec eux, y compris via des associations. Pour donner un exemple précis, nous soutenons une association française dont l'un des membres enseigne à l'université de Miami et qui travaille sur la question que vous évoquiez, Madame, tout à l'heure, c'est-à-dire, l'observance, la compliance, etc. Il faut s'adapter à ce que se passe dans les différentes zones.
Q - Quelle est cette association ?
R - Elle s'appelle "Comment dire".
Charles Josselin :
R - Je voudrais juste compléter en rappelant que nous avons avec le Brésil une coopération spécifique. Elle a été évoquée lors du voyage de Lionel Jospin là-bas et vous savez que le Brésil est un des pays en pointe sur la lutte contre le SIDA. Il a été un de ceux qui ont aussi exercé, je crois, une pression très forte sur l'industrie pharmaceutique, pour faire bouger, en quelques sortes, ce dossier. Il y a aussi une coopération triangulaire France-Cuba-Haïti qui a des effets bénéfiques que nous encourageons.
Q - (Sur Haïti)
R - On n'a pas bloqué notre coopération avec Haïti. Elle pourrait se développer mieux si les conditions politiques étaient plus favorables, sans entrer plus ou trop dans le détail. J'aurais peut-être l'occasion, dans quelques mois, d'aller par moi-même, me rendre compte de cette situation. C'est l'occasion de faire, évidemment, le bilan de notre coopération de tout ce qui touche aux populations civiles. C'est important.
Q - Je voudrais revenir sur le devenir du FSTI. Vous avez évoqué l'hypothèse que les projets qui avaient été lancés dans le cadre de ce Fonds, deviennent, en quelque sorte, opérateurs du futur fond mondial. Est-ce que vous pouvez être un petit peu plus précis sur la forme que cela pourrait prendre ? Cela veut dire que le Fonds des Nations unies auquel la France contribue, reverserait de l'argent à des projets publics français dans les pays du Sud ?
R - Etre opérateur signifie, en effet, pouvoir participer aux appels d'offre, les gagner et utiliser les moyens du fond mondial pour agir sur le terrain. On peut imaginer une identification plus privilégiée encore, le fonds mondial identifiant le FSTI comme un acteur normal. Mais, je le répète, la réflexion est actuellement engagée. L'idée de ce fonds mondial est encore relativement récente et nous sommes en train, avec les responsables du FSTI de réfléchir, à ce qui pourrait être leur devenir. Ce qui est sûr, c'est que le FSTI s'est trouvé en situation singulière dès lors qu'il était pratiquement le seul à conduire à l'international des actions de coopérations intégrant l'accès aux anti-rétroviraux, dès lors qu'il y a consensus au niveau mondial et que le fond mondial va intégrer cette approche globale, il y a moins besoins de cette singularisation. Donc, il nous paraîtrait normal que le FSTI s'intègre dans le dispositif mondial. Sous quelle forme ? Souffrez que nous attendions encore quelque temps avant de les préciser.
Q - Je voudrais savoir de quelle façon vous comptez associer les pays africains dans le combat que vous menez, en association bien sûr avec les gouvernements, contre la propagation du SIDA. Est-ce que vous avez songé à associer les médecins traditionnels qui ont quand même un poids moral dans la société et qui pourraient d'une certaine façon contribuer aussi à la lutte contre le SIDA, autant que les campagnes à la télévision ou les instituteurs dans les écoles ?
R - Je ne sais pas si les actions conduites par le FSTI qui, pour l'instant, se sont traduites surtout par des expérimentations, conduites souvent à partir de structures hospitalières, ont été jusqu'à intégrer les médecins traditionnels. Une réaction un peu instinctive que je vous livre, c'est qu'ils ont incontestablement un rôle à jouer, notamment dans l'évolution des mentalités. Je pense d'ailleurs que d'une manière générale, les autorités religieuses sont également impliquées. Nous avons eu l'occasion d'en parler déjà lors de rencontre sur ces différentes questions et je crois qu'il y a aussi une évolution et il faut s'en féliciter, de la part de certaines autorités religieuses qui jusqu'à présent étaient tout de même un peu bloquées sur ce dossier. On ne va pas entrer dans le détail des autorités en question, souhaitons qu'elles évoluent toutes dans un sens qui soit favorable au combat que nous engageons. La meilleure implication des acteurs africains, y compris des médecins traditionnels, c'est aux responsables africains eux-mêmes de s'en soucier et le fait que l'OUA ait voulu consacrer une session spéciale à cette question me paraît être, de ce point de vue, tout à fait encourageant. Et l'on peut penser que les dirigeants africains auront eux-mêmes, plus spontanément encore que nous, le réflexe d'associer les médecins traditionnels à ce combat.
Q - Est-ce que vous imaginez comment aider les pays qui en ont besoin à inciter leurs professionnels de santé à eux à aller dans les zones rurales ? Vous avez dit vous-même que le SIDA est aussi dans les zones rurales. Comment est-ce qu'on peut imaginer, mais de façon très concrète, parce que vous savez très bien que pour un médecin dans un village, le premier instrument qui lui serait utile c'est par exemple d'avoir un téléphone, pour pouvoir appeler des confrères ou même pour avoir une vie sociale. C'est une première question
Deuxième question, en matière de conditionnalité. Quand on voit les chiffres, excusez-moi, mais l'Afrique du Sud c'est un tabou, on ne peut pas y toucher. Il reste que quand on compare les chiffres, on voit que l'Afrique du Sud dépense 6 dollars par an pour ses patients positifs. Le Sénégal, qui est évidemment beaucoup plus pauvre, en dépense 32, moyennant quoi la prévalence du SIDA est quasiment à 20 % en Afrique du Sud ; elle est à moins de 2 % au Sénégal. On voit bien : le Sénégal a pu jusqu'à présent, ce n'est pas sûr que cela dure, endiguer un peu le fléau avec des moyens très modestes et dans le même continent africain.
Et enfin, je voulais évoquer le problème des femmes, parce que s'agissant du SIDA, on parle rarement des femmes, alors qu'au moins la moitié des cas, et en Afrique elles sont même plus que la moitié des personnes infectées, pour la bonne et simple raison que c'est lié au statut. Est-ce que très concrètement, la coopération française se préoccupe d'essayer de favoriser l'accès à des moyens qui sont très modestes. Alors, ce n'est pas de la haute technologie, ce n'est pas de l'agénomique, ça s'appelle bien sûr le préservatif mais notamment le préservatif féminin, parce que celui-là est à la disposition des femmes. Et dans le même ordre d'idée, il y a d'autres produits qui n'existent pas encore qui s'appellent les microbicilles qui sont des choses très intéressantes mais à ma connaissance, la France, mais détrompez-moi, est nulle en matières de recherche sur les microbicilles.
R - Je ne sais pas quel est l'état de la recherche française en ce qui concerne les microbicilles. Mme Dux confirme : nulle. On peut le regretter. Mais toutes les autres questions que vous avez évoquées pourraient donner à penser que vous avez été impliqué dans la préparation de l'agenda de la Conférence de Dakar, parce que pratiquement tous ces points vont faire l'objet des discussions avec l'ensemble de l'industrie pharmaceutique mais aussi avec les dirigeants africains, singulièrement des responsables des services de santé. Je voudrais rappeler, au risque de me répéter, que, information, éducation, communication, sont pour nous totalement indissociables. Quand j'ai parlé de la formation des personnels de santé, c'était justement avec le souci de faire en sorte qu'ils soient partout, ce qui veut dire les identifier, ce qui veut dire les former, ce qui veut dire les payer. Il faudra évidemment que le Fonds mondial pour la santé et la lutte contre le SIDA soit autre chose qu'un simple centrale d'achat à bon compte d'anti-rétroviraux, ce que certains ont commencé à croire et à s'en émouvoir. Le Fonds mondial de la santé doit prendre le dossier dans sa globalité et être susceptible de financer des actions qui sont très en amont de la prise de soins, parce que c'est à ce prix-là seulement qu'on arrivera, en effet, à répondre aux questions que vous soulevez. Il y a la campagne, les secteurs ruraux dont vous parliez tout à l'heure. Il y a aussi des cibles privilégiées : les entreprises, les écoles. Et puis bien entendu, cette immense question des femmes qui, en outre, sont victimes souvent d'autres discriminations qui font qu'elles ont moins que les hommes accès aux soins, pour des raisons qui tiennent là aussi souvent à des éléments culturels. Je voudrais dire, pour ce qui concerne la présence de l'assistance technique française, elle s'implique dans le dialogue avec les autorités des pays africains, notamment des responsables santé. Nous avons, moins qu'hier, un certain nombre de spécialistes qui sont en appui des ministères de la Santé dans un certain nombre de pays africains. Il faut sans doute établir un lien entre les dépenses santé des Etats et les constats qu'on peut faire en ce qui concerne les taux de prévalence tout en sachant qu'il peut y avoir aussi d'autres raisons aux différences constatées, qui tiennent au climat, par exemple, entre le Sénégal et l'Afrique centrale ou l'Afrique du Sud. Il y a quelques autres différences. Le paludisme ne s'y développe pas forcément non plus dans les mêmes proportions. Mais, il est vrai que la volonté des Etats doit être interpellée. Il est vrai aussi qu'il faut que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, je le redis parce que nous en avons parlé lors de l'assemblée du Fonds à Washington. On a trop vu dans le passé que pour répondre aux contraintes imposées par la banque ou le FMI en matière de finances publiques, les Etats commencent par réduire les budgets sociaux et en particulier les budgets santé. Il est clair que cette attitude là est totalement contre productive parce qu'il s'agit de lutter contre le SIDA, quand il s'agit de lutter contre toutes les maladies en général. Retenez bien notre volonté d'intégrer dans le processus l'accès aux soins, ce qui ne signifie évidemment pas qu'on voudrait tourner le dos à la prévention. Ce serait dommage de faire ce contresens.
Q - Monsieur le Ministre, récemment, un responsable du service des Ressources Humaines de Côte d'Ivoire Télécom, qui est une filiale de France Télécom, était à Paris et intervenait sur l'impact du SIDA dans les entreprises et montrait que chaque année, l'entreprise Côte d'Ivoire Télécom consacrait plusieurs milliards de francs CFA au suivi et à la prise en charge des malades. Et d'autre part, on sait par exemple qu'une personne sur dix qui décède du SIDA en Côte d'Ivoire précisément appartient au corps enseignant. Je voudrais savoir si dans cette politique d'aide à la lutte contre le SIDA, l'élément économique, pas simplement l'argent qui est débloqué, l'impact social et économique, ces éléments-là sont-ils pris en compte dans le travail qui est fait ? Et d'autre part, je voudrais poser une question directe : est-ce que la meilleure arme pour lutter contre le SIDA dans ces pays pauvres ne serait pas une annulation pure et simple de la dette dont on sait qu'elle constitue un poids énorme pour ces pays-là ? Parce que c'est bien beau de faire un Fonds mondial de lutte contre le SIDA mais en même temps, les budgets de la santé sont phagocytés par des dettes à n'en plus finir que ces pays doivent payer chaque mois.
R - Parler aujourd'hui de la dette, j'ai le sentiment qu'on en a heureusement parlé, pour se féliciter de l'effacement de la dette qui avait été décidé, pour dire aussi que le processus est bien engagé puisque sur les 41 pays éligibles tels qu'ils ont été identifiés, notamment par la banque mondiale et le fond monétaire, vingt et un ont déjà atteint ce qu'on appelle le point de décision. Je ne doute pas qu'avant la fin de l'année 2001, au moins une bonne dizaine d'autres les auront rejoints. Donc, le dossier d'effacement de la dette, je le répète, n'est pas derrière nous, mais il est totalement engagé. La France va y participer beaucoup. Vous savez que la France est de tous les pays celui qui va faire le plus gros effort puisqu'elle était celui qui était le plus engagé dans le crédit aux pays qui manquaient d'être bénéficiaires de cette initiative. Ce n'est pas par hasard que Lionel Jospin a annoncé que 10 % du coût, en quelque sorte, de l'effacement de la dette, serait consacré spécifiquement à la lutte contre le SIDA. Cela fait partie des annonces qu'il a faites, vous vous en souvenez, lorsqu'il est allé en Afrique du Sud. Donc, vous avez raison de lier les deux mais l'effacement de la dette est acquis. Il reste maintenant à mobiliser en plus les moyens qui sont à la mesure du combat considérable qu'il va falloir mener.
Q - Sur la question économique ?
R - Sur la question économique, il est bien sûr que cette préoccupation est au cur de tous les raisonnements que nous avons évoqués. Je pourrais vous citer des exemples que j'ai tirés du terrain. J'étais en Namibie, il y a maintenant une journée mondiale du SIDA, où le taux de prévalence est le plus élevé et le nombre d'école vide dans le Nord de la Namibie est considérable. Cela correspond à des enseignants malades, pas encore décédés. Lorsqu'ils sont décédés, il y a le poste budgétaire pour les remplacer. C'est terrifiant. C'est la réalité de la situation. En Côte d'Ivoire, il y a une ministre spécialement chargée de la lutte contre le SIDA et dans son programme, il y a l'implication de chaque administration dans un travail de prévention et de dépistage et je crois, en effet, que c'est bien, là aussi, une préoccupation transversale que les gouvernements africains doivent avoir, chaque administration étant directement concernée, interpellée et victime. L'éducation nationale ayant également, là aussi, une responsabilité particulière et nous encourageons bien sûr les gouvernements africains à responsabiliser particulièrement tous les fonctionnaires et tous les enseignants dans ce combat.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juin 2001)
Messieurs,
A la veille de la session extraordinaire des Nations unies consacrée au SIDA, j'ai souhaité vous informer de la politique de coopération internationale de la France en la matière. C'est aussi pour moi l'occasion de vous présenter une brochure que nous venons d'éditer dans la collection repère de la DGCID.
L'initiative de Kofi Annan, il y a deux mois a pu donner l'impression que la guerre contre le SIDA venait d'être déclarée mais pour la France il s'agit d'un combat ancien.
Cette coopération ancienne a fait l'objet d'une évaluation externe, par le CREDES, portant sur la période 1987-1997.
Cette évaluation montre des carences : absence de mécanismes rigoureux de planification des interventions, absence de stratégie explicite et connue de tous les acteurs, manque de cohérence d'ensemble. Elle montre également, heureusement, une capacité d'ouverture et d'adaptation des programmes qui ont conduit à étendre progressivement la lutte contre le SIDA à l'ensemble du champ que je vous ai décrit tout à l'heure.
A la lumière de cette évaluation, et après la réforme de la coopération française, la DGCID a donc élaboré une stratégie reprise dans la brochure publiée aujourd'hui.
C'est au nom des valeurs de solidarité qui sont les nôtres que la France entend, à travers sa coopération dans le domaine de la santé, participer à la lutte contre la pauvreté et à la réduction des inégalités. Il s'agit d'une approche globale et intégrée des soins qui se décline en trois éléments :
- 1er élément : cette mobilisation contre le SIDA s'inscrit dans un programme plus large de lutte contre les maladies transmissibles. Le poids de ces pathologies représente, en terme de morbidité et de mortalité, les incidences économiques et sociales les plus lourdes. Le SIDA, la tuberculose et le paludisme tuent chaque année cinq millions de personnes.
- 2ème élément : le renforcement des systèmes de soins passe par l'appui aux politiques nationales de santé publique, à une organisation de l'offre de soins en réseau et proche du terrain, au développement des ressources humaines et à la politique du médicament,
- le troisième étage du dispositif est l'appui au financement des systèmes de soins. Nos programmes de coopération s'efforcent d'assurer la viabilité de ces systèmes dans la recherche d'un équilibre toujours difficile entre aide extérieure, budgets nationaux, participation des populations et mise en place de mécanismes de solidarité.
Les moyens ainsi mobilisés ont représenté 500 MF en 2000, à titre bilatéral auxquels s'ajoutent 300 MF de contribution aux agences spécialisées des Nations unies, soit plus de 1,3 milliard de francs quand on ajoute l'aide multilatérale (FED et AID).
Revenons maintenant au SIDA qui mobilise le quart de nos financements bilatéraux dans le domaine de la santé.
Comme vous le savez, l'approche française est celle d'une prise en charge globale articulant prévention et accès aux traitements, notamment aux anti-rétroviraux - dont je rappelle qu'ils ne sont disponibles en France que depuis 1995 -, car nous savons que sans traitements, sans espoir, il n'y a pas de prévention possible. Pendant longtemps l'approche française a été singulière, d'autres préférant privilégier la prévention. Nous avons amené nos partenaires européens puis américains sur cette approche globale, notamment à la suite de la résolution du Conseil des ministres de l'Union européenne chargé du développement en novembre dernier.
Sur cette base, nous avons développé cinq axes stratégiques :
1er axe - privilégier une approche régionale qui prenne en compte les diversités nationales et locales. C'est-à-dire que nous soutenons des projets régionaux d'intervention, des partenariats avec l'ensemble des intervenants bi- et multilatéraux et que nous cherchons à consolider les réseaux associatifs Nord/Sud et Sud/Sud.
2ème axe - rendre la lutte efficace en appréhendant le problème dans sa globalité :
- en intégrant, dans la prise en charge, l'ensemble des actions d'information, de prévention, de soins et d'accompagnement,
- en abordant la pandémie dans toutes ses implications sociales, culturelles, religieuses, économiques, politiques et juridiques. Il s'agit, par exemple, d'affirmer et de défendre le respect des droits des personnes atteintes et des personnes affectées, tant en ce qui concerne l'accès aux soins, au travail et à la formation que pour ce qui traite de la propriété et de la famille comme du devoir de solidarité à l'égard des personnes atteintes.
3ème axe - impliquer les partenaires non gouvernementaux et les personnes elles-mêmes atteintes à la définition et à la mise en uvre de projets.
4ème axe - développer la recherche appliquée dans le cadre de réels partenariats nord/sud et dans le strict respect des règles d'éthique.
5ème axe - stabiliser les appuis et les pérenniser, ce qui suppose d'intégrer les programmes de lutte dans l'ensemble du dispositif d'appui au secteur sanitaire et social.
L'évolution actuelle vise :
- à développer l'accès aux soins et en particulier la mise à disposition d'anti-rétroviraux,
- à renforcer l'attention particulière accordée à la structuration des systèmes et des services de soins dans une perspective d'approche globale, intégrée et décentralisée,
- à étendre progressivement notre action bilatérale à l'ensemble de la zone de solidarité prioritaire. C'est ainsi que pour la période 2000/2001, 45 projets financés sur FSP sont en cours d'exécution ou d'instruction dans 28 pays pour un montant total de plus de 200 MF.
Dans les prochains mois, nous augmenterons encore notre effort :
- en renforçant l'appui aux associations opératrices et aux associations de personnes vivant avec le VIH,
- en renforçant notre articulation avec les organisations multilatérales, en particulier dans le cadre de la préparation de la Conférence de Dakar et de la mise en place prochaine du Fonds global pour la santé et contre le SIDA.
Je vous remercie de votre attention.
Q - Est-ce que les 150 millions d'euros qui vont être accordés lors de cette session à l'ONU, vont être accordés dans le cadre du fond thérapeutique de solidarité ou est-ce qu'il s'agit d'une autre enveloppe ?
R - C'est autre chose. Ou, plus exactement, il faut intégrer déjà la question du devenir du Fonds de solidarité thérapeutique sur lequel la réflexion est ouverte et dont on peut penser qu'il pourrait être un opérateur du fond mondial pour la santé et contre le SIDA. Le FSTI s'est implanté déjà dans un certain nombre de pays. Je peux d'ailleurs, si vous le souhaitez, l'évoquer : la Côte d'Ivoire, le Bénin, le Maroc, le Sénégal et l'Afrique du Sud ; cinq pays où le FSTI a commencé à mettre en oeuvre les stratégies que j'évoquais à l'instant et en particulier l'accès aux anti-rétroviraux.
Q - L'enveloppe est de combien pour l'instant ?
R - Pour l'instant, le FSTI en est resté à une enveloppe qu'on peut considérer comme relativement modeste. Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité a apporté 25 millions de francs, le ministère des Affaires étrangères 20 millions. Tous ces moyens n'ont pas encore était décaissés. Ils le sont au fur et à mesure que se développent les implantations que j'évoquais à l'instant et qui sont dans des niveaux d'avancement différents. Pour la Côte d'Ivoire, le programme a été lancé en avril 1999, le Maroc en juillet 1999, l'Afrique du Sud et le Bénin commencent. Donc, nous sommes en phase de développement en quelque sorte. Mais, dès lors que le Fonds mondial va se mettre en place, et il en sera question la semaine prochaine à New York, Dakar sera l'occasion aussi d'y faire échos, la question va se poser de savoir comment le FSTI peut se positionner par rapport au Fonds mondial. L'hypothèse la plus vraisemblable est qu'il en devienne un opérateur.
Q - Vous avez surtout parlé de chiffres et je sais qu'il y a beaucoup d'autres problèmes, et ce n'est pas qu'un problème d'argent. Est-ce que la France a fait des efforts ou a fait des expériences pour atteindre les gens ? Par exemple, les trithérapies sont très difficiles à prendre et il faut parfois prendre une quinzaine de médicaments par jour, c'est très difficile dans un pays en développement. Est-ce que vous avez des expériences ou des projets ?
R - Si j'ai parlé chiffres, c'est parce qu'il fallait vous en donner et qu'on m'en a demandé en plus. C'était normal qu'on m'interroge. Si nous avons pris le soin de rappeler que la France avait fait le choix d'une approche globale, d'appui au système santé, et pas seulement aux systèmes centraux, mais également d'aller sur le terrain et d'avoir une relation étroite avec les populations et en particulier les associations qui vivent avec le VIH, c'est parce que nous sommes bien convaincus en effet que l'accès aux soins soulève des problèmes très importants qui nécessitent en particulier un environnement, non seulement matériel mais presque culturel, qui n'est pas toujours réuni. C'est seulement de manière progressive que nous avons organisé cet accès aux soins, en choisissant des populations spécifiques. Je pense par exemple à notre volonté de nous préoccuper de la relation mère-enfant : les Cortes qui ont été ainsi traités correspondaient souvent à cette population à risques particuliers que représentent justement les femmes enceintes. Mais, vous observerez aussi comme moi que l'usage des trithérapies est en train de se simplifier. La recherche continue d'avancer et on peut espérer que le mouvement va se poursuivre et que les difficultés que posaient, en effet, la complication dans la prise de ces médicaments, sont en train de s'atténuer.
Q - Vous voulez dire que les pays en voie de développement auraient immédiatement acheté le dernier médicament ?
R - C'est bien de cela dont nous voulons en effet discuter avec les industries pharmaceutiques et c'est à cela que le Fonds mondial doit normalement s'intéresser. Je crois que la réponse que nous avons faite était relativement claire. Nous sommes très conscients des difficultés soulevées par l'accès aux soins compte tenu de l'organisation actuelle des systèmes de santé et de l'isolement souvent dans lequel sont les malades, compte tenu des blocages psychologiques et culturels auxquels ils sont très souvent confrontés, et c'est bien l'ensemble de ces composantes du dossier auquel il faut prêter attention. Mais, je reviens un peu à mon point de départ, nous sommes heureux de voir que, malgré toutes ces difficultés, il y a eu aujourd'hui un consensus sur le fait qu'on ne peut pas imaginer, pour simplifier les choses, que les médicaments soient au Nord et les malades au Sud.
Q - Quel est l'apport de la France en matière de coopération sur la santé, en Amérique Latine, dans les Caraïbes ? J'ai plutôt l'impression que ces régions sont les enfants pauvres de la coopération française dans le domaine de la santé. Vous avez évoqué tout ce qui se passe, des baisses de coûts que la France apporte en Afrique et en Asie, mais je n'ai pas du tout entendu parler de la Caraïbe ni de l'Amérique latine où, on le sait, le SIDA, est l'un des fléaux dans ces régions assez pauvres.
R - Je vais laisser à Mme Guigaz le soin de répondre. Il m'arrive d'entendre un autre écho selon lequel on en ferait moins en Afrique pour en faire plus. Alors il est difficile de satisfaire tout le monde.
R - Mme Guigaz - Merci, Monsieur le Ministre. Nos modes d'intervention sont différents selon les lieux où nous intervenons. Il se trouve que dans la Caraïbe, il y tout d'abord un programme commun qui regroupe l'ensemble des pays participants de cette zone. Nous appuyons ce programme commun par deux méthodes de plates-formes. Tout d'abord, nous travaillons beaucoup avec Cuba qui a une expérience extrêmement important dans le domaine du SIDA, qui dispose de très nombreux médecins de santé publique et nous aidons Cuba à envoyer des médecins de santé publique pour travailler avec les pays de la Caraïbe sur ces questions. Il ne faut pas négliger les compétences qui sont dans cette zone. C'est une plate-forme de coopération Sud-Sud, ce que nous voulons beaucoup développer. Il y a une deuxième plate-forme de coopération, qui cette fois est une plate-forme française. Nous nous appuyons sur les équipements et les équipes dont nous disposons en Guadeloupe et en Martinique. Donc, on aborde le problème de la Caraïbe via ces deux types de plates-formes : une plate-forme française et une plate-forme communautaire de la zone Caraïbe. Et nous faisons aussi sur la Caraïbe beaucoup de cofinancement. Nous sommes absolument convaincus, je crois que le Ministre l'a dit, que le problème est d'une telle ampleur qu'on ne peut pas non plus raisonner systématiquement en bilatéral. Donc, nous appuyons des programmes existants. Il y a, par exemple, à Miami, une université qui est très branchée sur la zone Caraïbes, avec des chercheurs américains et nous travaillons aussi avec eux, y compris via des associations. Pour donner un exemple précis, nous soutenons une association française dont l'un des membres enseigne à l'université de Miami et qui travaille sur la question que vous évoquiez, Madame, tout à l'heure, c'est-à-dire, l'observance, la compliance, etc. Il faut s'adapter à ce que se passe dans les différentes zones.
Q - Quelle est cette association ?
R - Elle s'appelle "Comment dire".
Charles Josselin :
R - Je voudrais juste compléter en rappelant que nous avons avec le Brésil une coopération spécifique. Elle a été évoquée lors du voyage de Lionel Jospin là-bas et vous savez que le Brésil est un des pays en pointe sur la lutte contre le SIDA. Il a été un de ceux qui ont aussi exercé, je crois, une pression très forte sur l'industrie pharmaceutique, pour faire bouger, en quelques sortes, ce dossier. Il y a aussi une coopération triangulaire France-Cuba-Haïti qui a des effets bénéfiques que nous encourageons.
Q - (Sur Haïti)
R - On n'a pas bloqué notre coopération avec Haïti. Elle pourrait se développer mieux si les conditions politiques étaient plus favorables, sans entrer plus ou trop dans le détail. J'aurais peut-être l'occasion, dans quelques mois, d'aller par moi-même, me rendre compte de cette situation. C'est l'occasion de faire, évidemment, le bilan de notre coopération de tout ce qui touche aux populations civiles. C'est important.
Q - Je voudrais revenir sur le devenir du FSTI. Vous avez évoqué l'hypothèse que les projets qui avaient été lancés dans le cadre de ce Fonds, deviennent, en quelque sorte, opérateurs du futur fond mondial. Est-ce que vous pouvez être un petit peu plus précis sur la forme que cela pourrait prendre ? Cela veut dire que le Fonds des Nations unies auquel la France contribue, reverserait de l'argent à des projets publics français dans les pays du Sud ?
R - Etre opérateur signifie, en effet, pouvoir participer aux appels d'offre, les gagner et utiliser les moyens du fond mondial pour agir sur le terrain. On peut imaginer une identification plus privilégiée encore, le fonds mondial identifiant le FSTI comme un acteur normal. Mais, je le répète, la réflexion est actuellement engagée. L'idée de ce fonds mondial est encore relativement récente et nous sommes en train, avec les responsables du FSTI de réfléchir, à ce qui pourrait être leur devenir. Ce qui est sûr, c'est que le FSTI s'est trouvé en situation singulière dès lors qu'il était pratiquement le seul à conduire à l'international des actions de coopérations intégrant l'accès aux anti-rétroviraux, dès lors qu'il y a consensus au niveau mondial et que le fond mondial va intégrer cette approche globale, il y a moins besoins de cette singularisation. Donc, il nous paraîtrait normal que le FSTI s'intègre dans le dispositif mondial. Sous quelle forme ? Souffrez que nous attendions encore quelque temps avant de les préciser.
Q - Je voudrais savoir de quelle façon vous comptez associer les pays africains dans le combat que vous menez, en association bien sûr avec les gouvernements, contre la propagation du SIDA. Est-ce que vous avez songé à associer les médecins traditionnels qui ont quand même un poids moral dans la société et qui pourraient d'une certaine façon contribuer aussi à la lutte contre le SIDA, autant que les campagnes à la télévision ou les instituteurs dans les écoles ?
R - Je ne sais pas si les actions conduites par le FSTI qui, pour l'instant, se sont traduites surtout par des expérimentations, conduites souvent à partir de structures hospitalières, ont été jusqu'à intégrer les médecins traditionnels. Une réaction un peu instinctive que je vous livre, c'est qu'ils ont incontestablement un rôle à jouer, notamment dans l'évolution des mentalités. Je pense d'ailleurs que d'une manière générale, les autorités religieuses sont également impliquées. Nous avons eu l'occasion d'en parler déjà lors de rencontre sur ces différentes questions et je crois qu'il y a aussi une évolution et il faut s'en féliciter, de la part de certaines autorités religieuses qui jusqu'à présent étaient tout de même un peu bloquées sur ce dossier. On ne va pas entrer dans le détail des autorités en question, souhaitons qu'elles évoluent toutes dans un sens qui soit favorable au combat que nous engageons. La meilleure implication des acteurs africains, y compris des médecins traditionnels, c'est aux responsables africains eux-mêmes de s'en soucier et le fait que l'OUA ait voulu consacrer une session spéciale à cette question me paraît être, de ce point de vue, tout à fait encourageant. Et l'on peut penser que les dirigeants africains auront eux-mêmes, plus spontanément encore que nous, le réflexe d'associer les médecins traditionnels à ce combat.
Q - Est-ce que vous imaginez comment aider les pays qui en ont besoin à inciter leurs professionnels de santé à eux à aller dans les zones rurales ? Vous avez dit vous-même que le SIDA est aussi dans les zones rurales. Comment est-ce qu'on peut imaginer, mais de façon très concrète, parce que vous savez très bien que pour un médecin dans un village, le premier instrument qui lui serait utile c'est par exemple d'avoir un téléphone, pour pouvoir appeler des confrères ou même pour avoir une vie sociale. C'est une première question
Deuxième question, en matière de conditionnalité. Quand on voit les chiffres, excusez-moi, mais l'Afrique du Sud c'est un tabou, on ne peut pas y toucher. Il reste que quand on compare les chiffres, on voit que l'Afrique du Sud dépense 6 dollars par an pour ses patients positifs. Le Sénégal, qui est évidemment beaucoup plus pauvre, en dépense 32, moyennant quoi la prévalence du SIDA est quasiment à 20 % en Afrique du Sud ; elle est à moins de 2 % au Sénégal. On voit bien : le Sénégal a pu jusqu'à présent, ce n'est pas sûr que cela dure, endiguer un peu le fléau avec des moyens très modestes et dans le même continent africain.
Et enfin, je voulais évoquer le problème des femmes, parce que s'agissant du SIDA, on parle rarement des femmes, alors qu'au moins la moitié des cas, et en Afrique elles sont même plus que la moitié des personnes infectées, pour la bonne et simple raison que c'est lié au statut. Est-ce que très concrètement, la coopération française se préoccupe d'essayer de favoriser l'accès à des moyens qui sont très modestes. Alors, ce n'est pas de la haute technologie, ce n'est pas de l'agénomique, ça s'appelle bien sûr le préservatif mais notamment le préservatif féminin, parce que celui-là est à la disposition des femmes. Et dans le même ordre d'idée, il y a d'autres produits qui n'existent pas encore qui s'appellent les microbicilles qui sont des choses très intéressantes mais à ma connaissance, la France, mais détrompez-moi, est nulle en matières de recherche sur les microbicilles.
R - Je ne sais pas quel est l'état de la recherche française en ce qui concerne les microbicilles. Mme Dux confirme : nulle. On peut le regretter. Mais toutes les autres questions que vous avez évoquées pourraient donner à penser que vous avez été impliqué dans la préparation de l'agenda de la Conférence de Dakar, parce que pratiquement tous ces points vont faire l'objet des discussions avec l'ensemble de l'industrie pharmaceutique mais aussi avec les dirigeants africains, singulièrement des responsables des services de santé. Je voudrais rappeler, au risque de me répéter, que, information, éducation, communication, sont pour nous totalement indissociables. Quand j'ai parlé de la formation des personnels de santé, c'était justement avec le souci de faire en sorte qu'ils soient partout, ce qui veut dire les identifier, ce qui veut dire les former, ce qui veut dire les payer. Il faudra évidemment que le Fonds mondial pour la santé et la lutte contre le SIDA soit autre chose qu'un simple centrale d'achat à bon compte d'anti-rétroviraux, ce que certains ont commencé à croire et à s'en émouvoir. Le Fonds mondial de la santé doit prendre le dossier dans sa globalité et être susceptible de financer des actions qui sont très en amont de la prise de soins, parce que c'est à ce prix-là seulement qu'on arrivera, en effet, à répondre aux questions que vous soulevez. Il y a la campagne, les secteurs ruraux dont vous parliez tout à l'heure. Il y a aussi des cibles privilégiées : les entreprises, les écoles. Et puis bien entendu, cette immense question des femmes qui, en outre, sont victimes souvent d'autres discriminations qui font qu'elles ont moins que les hommes accès aux soins, pour des raisons qui tiennent là aussi souvent à des éléments culturels. Je voudrais dire, pour ce qui concerne la présence de l'assistance technique française, elle s'implique dans le dialogue avec les autorités des pays africains, notamment des responsables santé. Nous avons, moins qu'hier, un certain nombre de spécialistes qui sont en appui des ministères de la Santé dans un certain nombre de pays africains. Il faut sans doute établir un lien entre les dépenses santé des Etats et les constats qu'on peut faire en ce qui concerne les taux de prévalence tout en sachant qu'il peut y avoir aussi d'autres raisons aux différences constatées, qui tiennent au climat, par exemple, entre le Sénégal et l'Afrique centrale ou l'Afrique du Sud. Il y a quelques autres différences. Le paludisme ne s'y développe pas forcément non plus dans les mêmes proportions. Mais, il est vrai que la volonté des Etats doit être interpellée. Il est vrai aussi qu'il faut que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, je le redis parce que nous en avons parlé lors de l'assemblée du Fonds à Washington. On a trop vu dans le passé que pour répondre aux contraintes imposées par la banque ou le FMI en matière de finances publiques, les Etats commencent par réduire les budgets sociaux et en particulier les budgets santé. Il est clair que cette attitude là est totalement contre productive parce qu'il s'agit de lutter contre le SIDA, quand il s'agit de lutter contre toutes les maladies en général. Retenez bien notre volonté d'intégrer dans le processus l'accès aux soins, ce qui ne signifie évidemment pas qu'on voudrait tourner le dos à la prévention. Ce serait dommage de faire ce contresens.
Q - Monsieur le Ministre, récemment, un responsable du service des Ressources Humaines de Côte d'Ivoire Télécom, qui est une filiale de France Télécom, était à Paris et intervenait sur l'impact du SIDA dans les entreprises et montrait que chaque année, l'entreprise Côte d'Ivoire Télécom consacrait plusieurs milliards de francs CFA au suivi et à la prise en charge des malades. Et d'autre part, on sait par exemple qu'une personne sur dix qui décède du SIDA en Côte d'Ivoire précisément appartient au corps enseignant. Je voudrais savoir si dans cette politique d'aide à la lutte contre le SIDA, l'élément économique, pas simplement l'argent qui est débloqué, l'impact social et économique, ces éléments-là sont-ils pris en compte dans le travail qui est fait ? Et d'autre part, je voudrais poser une question directe : est-ce que la meilleure arme pour lutter contre le SIDA dans ces pays pauvres ne serait pas une annulation pure et simple de la dette dont on sait qu'elle constitue un poids énorme pour ces pays-là ? Parce que c'est bien beau de faire un Fonds mondial de lutte contre le SIDA mais en même temps, les budgets de la santé sont phagocytés par des dettes à n'en plus finir que ces pays doivent payer chaque mois.
R - Parler aujourd'hui de la dette, j'ai le sentiment qu'on en a heureusement parlé, pour se féliciter de l'effacement de la dette qui avait été décidé, pour dire aussi que le processus est bien engagé puisque sur les 41 pays éligibles tels qu'ils ont été identifiés, notamment par la banque mondiale et le fond monétaire, vingt et un ont déjà atteint ce qu'on appelle le point de décision. Je ne doute pas qu'avant la fin de l'année 2001, au moins une bonne dizaine d'autres les auront rejoints. Donc, le dossier d'effacement de la dette, je le répète, n'est pas derrière nous, mais il est totalement engagé. La France va y participer beaucoup. Vous savez que la France est de tous les pays celui qui va faire le plus gros effort puisqu'elle était celui qui était le plus engagé dans le crédit aux pays qui manquaient d'être bénéficiaires de cette initiative. Ce n'est pas par hasard que Lionel Jospin a annoncé que 10 % du coût, en quelque sorte, de l'effacement de la dette, serait consacré spécifiquement à la lutte contre le SIDA. Cela fait partie des annonces qu'il a faites, vous vous en souvenez, lorsqu'il est allé en Afrique du Sud. Donc, vous avez raison de lier les deux mais l'effacement de la dette est acquis. Il reste maintenant à mobiliser en plus les moyens qui sont à la mesure du combat considérable qu'il va falloir mener.
Q - Sur la question économique ?
R - Sur la question économique, il est bien sûr que cette préoccupation est au cur de tous les raisonnements que nous avons évoqués. Je pourrais vous citer des exemples que j'ai tirés du terrain. J'étais en Namibie, il y a maintenant une journée mondiale du SIDA, où le taux de prévalence est le plus élevé et le nombre d'école vide dans le Nord de la Namibie est considérable. Cela correspond à des enseignants malades, pas encore décédés. Lorsqu'ils sont décédés, il y a le poste budgétaire pour les remplacer. C'est terrifiant. C'est la réalité de la situation. En Côte d'Ivoire, il y a une ministre spécialement chargée de la lutte contre le SIDA et dans son programme, il y a l'implication de chaque administration dans un travail de prévention et de dépistage et je crois, en effet, que c'est bien, là aussi, une préoccupation transversale que les gouvernements africains doivent avoir, chaque administration étant directement concernée, interpellée et victime. L'éducation nationale ayant également, là aussi, une responsabilité particulière et nous encourageons bien sûr les gouvernements africains à responsabiliser particulièrement tous les fonctionnaires et tous les enseignants dans ce combat.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juin 2001)