Conférence de presse de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur les relations franco-tunisiennes, la coopération entre les deux pays, la question des visas accordés aux Tunisiens, le regroupement familial des immigrés tunisiens, le racisme, les droits de l'Homme et la Francophonie, Tunis, le 1er juin 2001.

Prononcé le 1er juin 2001

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Circonstance : Voyage de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, en Tunisie, du 31 mai au 1er juin 2001

Texte intégral

Merci d'avoir répondu à notre invitation. Je souhaitais, avant de rentrer sur Paris dans quelques heures pour faire un peu le bilan de cette visite, mais aussi vous en rappeler le sens.
La relation entre la France et la Tunisie est ancienne. Je ne vais pas là me livrer à l'uvre de l'historien. Sachez simplement que la Tunisie est un des tous premiers partenaires de la France en termes de coopération, une coopération qui se développe dans à peu près tous les domaines : de l'appui institutionnel à la recherche scientifique, en passant par l'aménagement du territoire, le développement durable ou la lutte pour l'emploi. La Tunisie est inscrite dans la Zone de solidarité prioritaire que la France a dessinée et qui comprend justement les pays avec lesquels la France entend avoir une relation privilégiée. Sachez que le niveau d'étiage de la coopération est autour de 750 millions de francs par an, ce qui fait de la Tunisie, si je me réfère à des données démographiques, le premier pays à bénéficier de la coopération française.
C'est dire assez l'intérêt que les autorités françaises mais aussi l'opinion française - et là les raisons historiques y sont pour beaucoup - attachent à la Tunisie, d'autant que les occasions sont nombreuses pour les Français de pouvoir rencontrer la réalité tunisienne même si c'est une réalité évidemment lue au travers du prisme des vacances, pour beaucoup d'entre eux. Mais c'est aussi une réalité.
Depuis quelques mois, il y a eu des nuages dans le ciel bleu de nos relations, des nuages auxquels certains ont même voulu prêter une nature orageuse. Il est vrai que ceci a perturbé la relation, y compris au plan politique.
Mais plutôt que d'en rester sur une sorte de quant à soi, chacun de son côté de la Méditerranée, j'ai pensé qu'en ma qualité de ministre en charge de la Coopération, il fallait aller dialoguer. Parler de coopération ; parler des relations internationales et je pense à la responsabilité singulière qu'a la France en Europe vis-à-vis de la Méditerranée et la responsabilité singulière qu'a la Tunisie vis-à-vis de l'Europe, pour ce qui est des pays du Maghreb ou de l'UMA. Nous pourrons éventuellement parler de cette autre organisation ; parler du Moyen-Orient ; parler de la situation dans les pays voisins qui retient évidemment l'attention ; mais aussi parler de ce qui avait été un peu à l'origine de ces nuages, c'est-à-dire la situation de certains acteurs de la société civile, par rapport à l'organisation politique, administrative, judiciaire de la Tunisie. Bref, parler aussi des Droits de l'Homme.
Cette question a été à l'ordre du jour de presque tous les entretiens que j'ai eus depuis hier. Celui que le président Ben Ali m'a accordé ce matin, qui a été long, dense, direct ; celui que le ministre Ben Yahia m'a accordé, par deux fois puisque nous avons eu une réunion de travail et que nous avons également dîné ensemble. Nous avons aussi parlé de ces questions et de bien d'autres avec le ministre Merdassi, qui est plus directement en charge de la coopération. Et je pense que c'est sans doute un point positif. En tous cas, je le porte à la colonne positive de ce voyage : la preuve est faite que l'on peut parler aussi de cela, en franchise, en amitié, sans qu'on invoque je ne sais quelle soit disant ingérence, simplement parce que quand on a une relation aussi étroite, aussi ancienne, on peut parler de ces questions-là parce qu'elles sont aussi importantes et que l'opinion française, par exemple, y attache de l'importance.
C'était la première observation que je voulais présenter. Je la crois importante. La seconde observation, c'est la volonté, réaffirmée à l'occasion de cette visite par la Tunisie à la France, de resserrer le dialogue politique. Parce que nous avons, je le disais à l'instant, des responsabilités particulières ; parce que nous avons notre part à apporter dans la recherche de paix et de solutions dans différents conflits qui nous intéressent l'un et l'autre ; parce que la Tunisie, par exemple, est actuellement membre du Conseil de sécurité, membre non-permanent mais elle est appelée à y jouer un rôle singulier et, de ce fait, elle est également un partenaire de la France sur d'autres conflits éventuels ou d'autres territoires. Plus généralement parce que la Tunisie a vocation à jouer un rôle important sur le plan international. Je crois qu'elle en a les moyens ; je pense qu'elle en a la volonté.
Ma troisième observation, c'est la confirmation de la modernité de ce pays ; une modernité dont j'aimerais voir d'autres pays de la région s'inspirer. Une modernité qui se manifeste dans l'importance reconnue aux questions de formation, une formation dans laquelle les femmes et les filles occupent une place importante, ce qui n'est hélas pas non plus le cas de tous les pays de la région. Modernité dans l'effort consenti en matière de recherche, autre terrain de coopération ; modernité comme en témoigne aussi la diversification industrielle, la part que les industries de pointe et les nouvelles techniques de communication prennent dans le paysage économique tunisien ; une modernité qui nous paraît devoir se développer sous tous les aspects de la vie non seulement économique mais également sociale et politique.
Voilà les observations que je voulais faire pour lancer en quelque sorte l'échange auquel je vous invite maintenant. Je n'ai pas indiqué la totalité des entretiens que j'ai eus. Je me dois de le faire par respect pour mes hôtes. C'est pour cela que je voudrais compléter. Je vous ai parlé du président Ben Ali ; je vous ai parlé du ministre Ben Yahia ; je vous ai parlé du ministre Merdassi ; je vous parle de M. Chaabane, ministre de l'Enseignement supérieur et de M. Baccari, secrétaire d'Etat à la Recherche scientifique et à la Technologie. J'ajoute que j'ai pu à l'instant visiter l'INSAT (Institut supérieur des sciences appliquées et de technologie), l'un des fleurons de l'université de Carthage qui est aussi une belle expression de la modernité dans laquelle la Tunisie a voulu s'inscrire et nous en sommes heureux.
Q - Monsieur le Ministre, partant du fait que la France accueille la plus forte colonie tunisienne à l'étranger, je voudrais vous poser deux petites questions. Quelles sont les mesures que prévoit le gouvernement français pour favoriser le regroupement familial nécessaire à l'équilibre psychologique de l'émigré et qui constitue un droit légitime, à l'instar de l'ensemble des Droits fondamentaux de l'Homme ?
Ensuite, quelles sont les mesures qu'envisage de prendre le gouvernement français pour alléger les files d'attentes de ceux qui font la queue devant les consulats de France pour obtenir un visa ?
R - Je vais commencer par répondre à la question concernant les visas parce que je sais qu'elle intéresse beaucoup d'entre vous, beaucoup de Tunisiens, et je ne suis pas surpris qu'elle me soit posée. Elle m'est posée dans d'autres pays aussi, d'ailleurs, mais la Tunisie, là encore, peut justifier qu'elle s'y intéresse davantage car le nombre de visas demandés et délivrés y est important. Je vous donne d'entrée quelques chiffres : en 1997, 64 000 visas ont été demandés ; 48 000 ont été délivrés. En 2000, 106 000 ont été demandés ; 76 000 ont été délivrés. C'est vous dire l'augmentation importante qui est un signe positif de l'intensité des relations entre la France et la Tunisie.
Sur les conditions matérielles, des efforts ont été faits, vous le savez, pour moderniser les locaux de la chancellerie et améliorer le confort des candidats au visa. Malheureusement, il n'est pas toujours facile de lutter contre ce que j'appellerai "l'effet de pointe". C'est souvent au même moment que les visas sont présentés et on a beau faire pour inviter à étaler cette demande, il y a des moments, je le répète, d'encombrement que nous regrettons. Nous essayons, chaque année, d'améliorer la situation mais vous conviendrez avec moi que ce n'est pas si facile. Il est difficile de calculer la largeur des routes en fonction de la pointe du 15 août, comme on dit en France ! On est un peu dans cette situation.
Sur le fond, je rappelle que désormais, la France est engagée par ce qu'on appelle les Accords de Schengen qui ont été conclus entre la plupart des pays européens, ce qui représente un avantage considérable du point de vue de la liberté à l'intérieur de l'Europe puisqu'il suffit d'être entré dans un pays de Schengen pour pouvoir librement se déplacer à l'intérieur de l'Europe mais qui exige en contrepartie des attentions particulières puisque la décision de l'un engage tous les autres.
Nous avons demandé dès 1997 en tous cas, et je crois que l'augmentation du nombre des visas témoigne du résultat de cette politique, qu'on puisse là aussi faciliter la délivrance du visa pour celles et ceux qui peuvent avoir des raisons particulières de vouloir venir en France. On pense aux acteurs économiques mais on pense aussi aux étudiants, aux professeurs, aux milieux culturels qui peuvent avoir besoin ou une envie plus forte peut-être de se déplacer. Je pense aussi à ceux qui n'ont pas toujours le préavis qui leur permettrait de savoir longtemps à l'avance qu'ils ont besoin d'aller en France. Pour ceux-là, il y a évidemment besoin de procédures un peu particulières. C'est ce que nous essayons de mettre en place. J'espère que là encore les progrès pourront se vérifier.
Je sais qu'il y a une demande forte de visas de long séjour. C'est évidemment cette référence-là qui est souvent demandée. Là encore, je vous signale que les visas de long séjour sont passés de 2 500 en 1997 à 4 700 en 2000. C'est dire que là aussi l'augmentation a été importante. Parmi eux se trouvent évidemment les étudiants dont la part, elle aussi, a été augmentée. Ils étaient 700 à bénéficier d'un visa de long séjour en 1997, ils étaient presque 2000 en l'an 2000 et je ne doute pas que déjà en 2001, contrairement d'ailleurs à toutes les statistiques que nous avons, l'augmentation va se vérifier.
En ce qui concerne la question du regroupement familial qui renvoie à la fameuse loi Joxe, je rappelle que M. le ministre Ben Yahia, dès la première réunion de travail que nous avons eue hier, a voulu nous en entretenir et j'ai été amené à évoquer cette situation. Bon, il y a la question des enfants qui justifie évidemment une attention particulière. Il y a d'autres aspects d'ailleurs du dossier consulaire si je puis dire au sens large : c'est la situation des handicapés ; c'est la situation des secours d'urgence ou des interventions d'urgence pour raison médicale. Tout cela, je voudrais vous en donner l'assurance, fait l'objet d'une attention toute particulière de la part de nos services.
Et puisqu'il s'agit d'un dossier qui, je le rappelle, concerne aussi nos partenaires européens pour les mêmes raisons, je signale que se tiendra à Montpellier, la semaine prochaine, les 5 et 6 juin, une réunion "Justice/Affaires intérieures" de l'Union européenne. Y participeront notamment les ministres de la Justice suédoise, puisque c'est la Suède qui préside actuellement l'Union européenne et française, Mme Lebranchu, l'une de mes compatriotes bretonnes qui est actuellement Garde des sceaux en France. Cette réunion va justement se consacrer à ces questions de la relation humaine en quelque sorte. Elle est évidemment très importante.
Q - Vous avez parlé de la colonne positive de ce voyage. Est-ce qu'il y en a une négative ?
Puis, est-ce que vous vous êtes mis d'accord, à la fin de ce voyage, sur un calendrier de rencontres prochaines, surtout que le malentendu - ou bien les nuages, comme vous dîtes - avait précédé les quelques problèmes des derniers mois puisque le communiqué du secrétariat national du parti socialiste parle de rupture depuis septembre 1999. On sait qu'il y a des visites de haut niveau qui ont été reportées plusieurs fois depuis plusieurs années. Est-ce qu'il y a un calendrier de rencontres prochaines ?
R - A la colonne négative du bilan, je mettrais la brièveté de mon voyage. J'ai failli venir un jour de plus. Je l'aurais fait mais le conseil des ministres chargés du Développement, prévu à Bruxelles mercredi, s'est réuni jeudi. Je n'ai donc pu venir qu'hier après-midi. Cela m'a privé de quelques heures de plus que j'aurais mises à contribution pour rentrer plus avant dans la réalité tunisienne, qui m'auraient peut-être même permis d'aller à Gabès, une région avec laquelle j'ai une relation peut-être un peu plus affective encore puisque j'ai, comme président du conseil général, jumelé mon département avec ce gouvernorat dès 1986. Mon département s'appelait encore les Côtes du Nord mais il a changé de nom lors du voyage que j'ai fait avec le président Mitterrand entre Tozeur et Tunis : c'est à cette occasion que je l'ai convaincu de transformer Côtes du Nord en Côtes d'Armor. Bref, j'aurais pu aller à Gabès. Cela, c'est la partie négative mais ce n'est pas trop grave parce que cela peut s'arranger. Il suffit de retrouver du temps et j'espère bien, la prochaine fois, pouvoir y retourner.
En ce qui concerne le dialogue politique puisque la question était évoquée, il est vrai que la dernière visite ministérielle remontait au mois de février 2000 et c'est vrai que ce n'est pas un bon rythme, compte tenu des relations normales que nous avons. Je peux vous annoncer d'ores et déjà que Bernard Kouchner arrive ce soir mais c'est vrai que c'est dans un cadre un peu particulier - il vient faire une conférence qui renvoie à ses responsabilités encore toutes fraîches au Kosovo. M. Bartolone, le ministre de la Ville va venir dans quelques mois et d'autres visites sont attendues. Bref, je crois que nous allons reprendre un rythme normal.
S'agissant du Parti socialiste français, qui avait, en toute liberté, adopté le communiqué que vous savez, qui a incontestablement donné un petit coup de froid à la relations, vous aurez compris qu'il ne faut pas considérer que la relation est automatique entre le point de vue du parti socialiste et le point de vue du gouvernement. Je suis socialiste, je me réclame de ce parti, mais le gouvernement, c'est une autre réalité. Au demeurant, c'est un gouvernement avec une majorité plurielle. Je crois que l'occasion m'est donnée, et j'en profite, pour vous inviter à faire la distinction entre les positions que prend le parti socialiste et les positions du gouvernement français. Cela étant dit, j'ai rencontré hier soir, comme vous le savez - j'ai failli l'oublier dans la liste de mes contacts et vous m'auriez reproché de l'avoir fait exprès - le secrétaire général du RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique) qui m'a dit la disponibilité de son parti à rencontrer, à s'expliquer en quelque sorte avec les dirigeants de l'Internationale socialiste, notamment. Je transmettrai bien évidemment ce message
Avec Ali Chaouch aussi, nous avons parlé des Droits de l'homme.
Q - J'ai deux petites questions, Monsieur le Ministre. La première est relative au fils de l'ancien syndicaliste tunisien Ferhat Hached, qui demande aux autorités françaises la possibilité de consulter les archives françaises pour connaître les vraies raisons de l'attentat contre son père.
La deuxième question concerne justement ces Droits de l'Homme. On a l'impression ici que pour la moindre petite chose la France tout entière se mobilise contre la Tunisie alors que dans d'autres pays on n'a pas l'impression que vous en faites autant, par exemple en Algérie ou bien au Maroc.
R - On me dit, pour répondre à la première question que vous avez posée, que la personne citée a été reçue par le conservateur et a pu consulter les archives. Je pense que c'était ce qu'elle souhaitait. Je ne sais pas si elle y trouvera ce qu'elle y cherchait mais elle a pu consulter les archives.
S'agissant de la question que vous posez, qui n'est pas nouvelle et qui dit : mais pourquoi est-ce que la Tunisie ferait en quelque sorte l'objet d'un traitement privilégié ? Pourquoi est-ce qu'on en parle ? Apparemment, on parle beaucoup plus de ce qui se passerait en Tunisie, du point de vue des Droits de l'Homme, que de ce qui se passe chez les voisins. Je pourrais répondre - et ce ne serait pas seulement une pirouette - que c'est parce que la Tunisie a une relation affective incontestablement plus forte avec beaucoup de Français. Et cet intérêt plus marqué devrait être vécu aussi positivement. C'est vrai, cette relation avec la Tunisie est importante. L'Algérie, c'est aussi une relation affective forte, difficile, parfois plus douloureuse, qui renvoie à d'autres souvenirs, à une autre histoire. Mais je crois surtout que l'exigence vis-à-vis de la Tunisie est sans doute à la mesure de son histoire, de cette modernité que j'évoquais à l'instant, qui est plus marquée que chez les autres, incontestablement.
Il y a le fait aussi que les Tunisiens ont des amis en France, qui savent se mobiliser pour eux, qui savent faire parler et qui mobilisent aussi peut-être plus volontiers les médias, au moins certains d'entre eux. C'est peut-être ça qui explique aussi qu'il y ait plus de retentissement donné à des événements qui ne sont pas forcément propres à la Tunisie.
Q - Monsieur le Ministre vous savez qu'il y a beaucoup d'émigrés tunisiens et maghrébins en France. Une certaine frange est constituée d'universitaires, de personnes qui sont spécialisées dans les technologies de l'information, des professeurs, etc. Mais il y a aussi la frange des personnes qui sont employées au jour le jour. Nous entendons périodiquement que ces personnes seraient quelque peu marginalisées. Il y a même, dans certains milieux, l'expression d'une sorte de racisme, même si le terme est un peu fort pour les Français qui ont été les premiers à défendre les Droits de l'Homme. Est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots sur ce phénomène ?
La seconde chose, c'est le Moyen-Orient et la Palestine. Même de l'avis des investigateurs américains, le Premier ministre israélien exagère et dépasse les bornes. Les Américains, qui le soutiennent, l'ont dit eux-mêmes. Alors que fait l'Europe dans ce sens ? je dis l'Europe parce que la France, bien sûr, fait partie de cet espace qui est porteur de beaucoup d'espoirs, notamment en matière d'équité dans cette région du monde qui intéresse tous les Arabes. Merci beaucoup.
R - A la première question, je peux dire en tous cas la volonté du gouvernement français - et Dieu merci de la grande majorité des Français - de lutter contre ce que vous appelez cette forme de racisme. Je crois, et je vous remercie de le reconnaître, que la France, Dieu merci, a su préserver cette image de terre d'accueil et je suis convaincu que les quelques 400 000 Tunisiens qui vivent en France, pour la très grande majorité d'entre eux, s'y sentent bien intégrés. C'est en tout cas notre préoccupation.
Il y a eu des cas d'exploitation qui ont été évoqués. Il n'y a d'ailleurs pas que des Maghrébins concernés. Je pense aussi à de jeunes africaines de l'Afrique subsaharienne dont on a découvert qu'elles étaient exploitées, avec la complicité, parfois de Français, parfois d'autres Africains qui les avaient en quelque sorte amené dans leurs bagages. Ce sont des réalités qui existent aussi. La réaction française, elle est simple : c'est la justice et la condamnation, lorsqu'il est avéré qu'il y a exploitation de ces personnes dans des conditions qui ne répondent pas aux normes sociales qui sont les nôtres. Je crois qu'il faut que les choses soient bien entendues.
Et vous nous rendez service, en quelque sorte, en participant à l'information dont nous avons besoin pour sanctionner ceux qui se livrent ainsi à des formes délictuelles d'exploitation.
La question du Proche-Orient que vous avez posée par ailleurs retient d'autant plus l'attention que la situation a pris au cours de ces dernières semaines une forme encore plus tragique, encore plus violente. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion la semaine dernière, en recevant le président libanais Emile Lahoud à Paris de nous entretenir bien sûr à nouveau de ce dossier.
Je voudrais - d'ailleurs je vais saisir l'occasion puisque vous me l'offrez - vous citer les déclarations faites aujourd'hui même par le Quai d'Orsay. C'est d'ailleurs la position officielle de la France, le Quai d'Orsay étant comme vous le savez en charge - ce n'est pas toujours le plus facile - d'exprimer le point de vue du gouvernement et de la présidence de la République.
C'est donc bien là le point de vue de la France qui dit : "La violence israélo-palestinienne ne s'apaisera pas durablement sans la restauration d'une perspective politique. Il faut bâtir un consensus sur les recommandations de la Commission Mitchell". C'est la commission, vous vous souvenez, mise en place au lendemain des violences, à la demande d'ailleurs du président Clinton, et qui préconise d'abord l'identification des responsabilités, ensuite une reprise en main de l'ensemble des dossiers, mais surtout qui invite à retourner à la table des négociations. La France appuie totalement cette démarche mais l'Union européenne aussi, dans son ensemble. Le communiqué poursuit : "La priorité aujourd'hui est à la recherche de l'apaisement et de la désescalade et nous demandons aux deux parties d'enrayer l'engrenage de la violence, d'enclencher un mouvement parallèle, simultané, sans prétexte et sans préalable, dans cette direction".
Voilà la position qui est la nôtre. C'est aussi la position de l'Europe. J'observe, sans porter de jugement de valeur, encore que je pourrais le faire, au moins à titre personnel, que les Etats-Unis pour leur part exercent, je crois, une pression plus forte qu'hier sur les responsables israéliens.
Q - Monsieur le Ministre, concrètement, est-ce que les deux parties se sont mises d'accord sur un calendrier de réunions des structures qui sont actuellement en veilleuse ? Est-ce que vous savez par exemple quand est-ce que la commission mixte se réunira ? Est-ce que ce sera avant la fin de cette année ? Sinon, quels sont les handicaps qui font que la commission mixte ne peut pas se réunir ?
Ma deuxième question est en rapport avec les entretiens que vous avez eus avec des figures de la société civile. Comment percevez-vous les réalités tunisiennes telles que présentées à travers le prisme de la société civile et de l'opposition ?
R - J'aurais pu, pour que votre information soit complète, vous dire qui j'ai rencontré de la société civile. Je ne l'ai pas fait mais je le fais bien volontiers et je crois d'ailleurs que c'est de notoriété publique maintenant. J'ai donc reçu le dirigeant de la Ligue tunisienne des Droits de l'Homme, M. Mokhtar Trifi, qui était accompagné de Mme Souhayr Belhassen. J'ai ensuite reçu M. Mohamed Charfi et ensuite M. Néjib Chebbi. Pardonnez ma prononciation mais je ne parle même pas le breton !
Q - En qualité de quoi vous avez reçu M. Charfi ?
R - En sa qualité d'ancien ministre de l'Enseignement supérieur et - on va dire - d'acteur de la vie tunisienne.
J'ai rencontré aussi l'avocate Belhadj Hamida qui représentait l'Association tunisienne des femmes démocrates. Voilà ! Je les ai reçus ce matin, pas aussi longuement que je l'aurais voulu parce que nous avions aussi des choses à nous dire mais le dialogue a été franc et direct. Eux aussi ont bien voulu reconnaître que le fait qu'un ministre français, dans le cadre d'une visite officielle, les reçoivent, était considéré comme quelque chose de positif.
Concernant la commission mixte, le principe de tenir une commission mixte prochainement - prochainement, c'est dans les mois qui viennent parce qu'il faut le temps de la préparer - peut-être considéré comme acquis. Il reste, je le répète à la préparer.
Il reste à la partie tunisienne - je l'ai dit à mes interlocuteurs - à réagir aux propositions qui ont été faites par le directeur général de la coopération internationale, M. Bruno Delaye, lorsqu'il est passé au mois de février, de façon à adapter notre coopération à la réforme de notre dispositif de coopération, que nous avons conduite, vous le savez, au moment de la fusion entre le ministère des Affaires étrangères et celui de la Coopération.
Q - Monsieur le Ministre, ne pensez-vous pas que la Francophonie dans le monde subit la concurrence anglo-saxonne, particulièrement dans le Maghreb où l'on parle depuis quelques années de l'initiative américaine "Eizenstat". Que dîtes-vous de cette concurrence que fait l'Amérique à la France, au niveau de ce que l'on appelle la coopération économique ?
Secundo, comment analysez-vous la question de la Ligue tunisienne des Droits de l'Homme et d'autres organisations similaires dans le contexte de la coopération française avec les pays arabes de manière générale et avec l'Egypte en particulier ?
R - C'est une nouvelle conférence de presse qui commence. Vous comprenez le français ?
Q - Oui, bien sûr !
R - C'est très bien. Je ne vous fais pas le reproche de vous exprimer en arabe, bien au contraire ! Je voulais dire que nous avons parlé en particulier du prochain Sommet de la Francophonie qui doit se tenir à Beyrouth avec le président Ben Ali. Et je rappelle que c'est la première fois qu'un Sommet de la Francophonie se tient en pays arabe, ce qui lui donne un sens particulier et je suis convaincu que ce sera un moment important. La Francophonie va affirmer sa volonté d'être un acteur du pluralisme culturel, de la diversité culturelle.
La Francophonie ne fait la guerre à personne, sauf à ce risque d'uniformisation culturelle que la mondialisation, à certains égards, fait planer. Nous sommes même disposés à faire alliance avec ceux qui, comme nous, veulent constituer ce coron anti-uniformisation. Et le monde arabe fait partie, de ce point de vue, des partenaires. Mais le monde lusophone aussi, le monde hispanophone aussi, avec lequel nous avons également des relations, et pourquoi pas le monde anglophone, s'il est, comme nous, convaincu que l'humanité a besoin de cette richesse.
S'agissant des Droits de l'Homme, je voudrais simplement rappeler ici que la Francophonie a aussi une dimension politique et la question des Droits de l'Homme a été inscrite à l'occasion d'un certain nombre de travaux et de rencontres de la Francophonie. Une déclaration a même été adoptée à Bamako, avec un souci non pas de sanctionner ou de condamner mais là encore d'appuyer, d'aider, de participer aux avancées nécessaires, aussi bien dans le domaine de la démocratie que des Droits de l'Homme.
La relation de la France avec les pays arabes ne se limite pas, évidemment, à la relation qu'elle a avec la Tunisie ou avec les pays du Maghreb. Nous avons des relations également, notamment sur le plan culturel, avec bon nombre d'autres pays. C'est le cas de la Jordanie, c'est le cas de la Syrie, c'est le cas du Liban, autre pays francophone important. Oui, c'est vrai que nous pouvons nous considérer comme étant un partenaire du monde arabe et aussi un défenseur de la culture de ces pays.
Vous avez évoqué la question des Etats-Unis. Là encore, nous en parlons librement avec les Américains. Là où nous les attendons un peu parfois, c'est sur le terrain de la solidarité. Il nous arrive de nous sentir un peu seuls dans certaines régions du monde lorsqu'il s'agit de participer au développement. On aimerait bien aussi qu'il y ait un meilleur équilibre mais je ne désespère pas. Une nouvelle administration se met en place. Nous l'avons déjà rencontrée et nous lui avons dit notre souhait de voir la première puissance du monde s'impliquer peut-être davantage sur le terrain de l'aide au développement et pas seulement sur celui du commerce, même si ce terrain-là est également important pour le développement.
Q - Monsieur le Ministre, bientôt il va y avoir des élections présidentielles en France. Il y a deux candidats, non déclarés encore, qui n'ont pas tout à fait les mêmes approches en ce qui concerne les relations de coopération avec les pays du Tiers-monde et singulièrement avec les pays du Maghreb. C'est à dire que M. Chirac et le courant gaulliste n'aiment pas lier Droits de l'Homme et coopération alors que du côté socialiste on est plutôt dans cette tendance. Est-ce que vous pensez que l'entrée en campagne, en France, peut bloquer ou débloquer les relations tendues qu'a la France actuellement avec les trois pays du Maghreb ?
R - Je ne crois pas que le clivage politique en France s'organise forcément, entre la droite et la gauche, sur cette question des droits de l'homme. Ce serait peut-être davantage sur la question des droits sociaux mais ça c'est un autre débat. Je ne ferai pas l'injure à nos adversaires gaullistes, puisque vous les citez, d'être indifférents à la question des droits de l'homme. Je ne le pense pas. Il y a, en France, un large consensus, entre les principales familles politiques, en faveur, justement, de cette question des Droits de l'Homme.
C'est la réponse que m'inspire spontanément votre question et je suis convaincu que, quel que soit le président que les Français se choisiront, la relation entre la France et le Maghreb en général demeurera très étroite.
C'est une bonne conclusion. Je vous remercie.
Q - Pour le message de Chirac à Ben Ali, un mot
R - J'ai en effet ce matin remis au président Ben Ali le message que Jacques Chirac lui a fait porter et qui insistait sur la volonté de la France d'avoir une relation étroite, forte, avec la Tunisie mais je laisse au président Ben Ali, s'il le souhaite, le soin de faire connaître ou non le contenu de ce message. Vous aurez compris qu'il plaidait en faveur de l'amitié entre la France et la Tunisie./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 juin 2001)