Interview de M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, à France Info le 1er septembre 2011, sur la lutte contre le terrorisme, les "repérages" de communications téléphoniques de journalistes dans le cadre de l'affaire Bettencourt et la participation de la RATP à l'évacuation d'un camp de Roms.

Prononcé le 1er septembre 2011

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

MATHILDE MUNOZ Le ministre de l’Intérieur est ce matin l’invité de FRANCE INFO. Bonjour Claude GUEANT.
 
CLAUDE GUEANT Bonjour Madame.
 
MATHILDE MUNOZ LE MONDE raconte ce matin que les services secrets auraient espionné l’un de ses journalistes qui travaillait sur l’affaire BETTENCOURT en procédant à des écoutes illégales. Est-ce que les services secrets ont espionné ce journaliste du MONDE ?
 
CLAUDE GUEANT La première chose que je voudrais dire, c’est que le mot « écoutes » est tout à fait inadapté. Il y a eu effectivement des repérages de communications téléphoniques, ce qui est tout à fait différent d’une écoute. Le repérage des communications ne permet pas de connaître la teneur de conversations. Dans quel cadre cette recherche s’inscrivait-elle, il s’agissait de rechercher l’auteur de la divulgation, présent à l’intérieur de l’administration, de procédures judiciaires, ce qui est tout à fait scandaleux. Il s’agissait donc de rechercher l’auteur d’un dysfonctionnement administratif grave. Pour le reste, une plainte a été déposée par LE MONDE. La justice nous dira ce qu’il en est.
 
MATHILDE MUNOZ Et c’est donc normal de procéder donc pas à des écoutes, mais à des repérages pour les journalistes ?
 
CLAUDE GUEANT Je ne dis pas si c’est normal, la justice nous dira si ce qui a été fait était normal ou non, mais en tout cas, ce qui est certain, c’est que ce qui était recherché, c’était la source du dysfonctionnement grave, parce que, de l’intérieur de l’administration, il ne doit pas sortir de divulgations de procédures judiciaires en cours.
 
MATHILDE MUNOZ Autre question d’actualité, on apprend ce matin que les rames de la RATP ont servi hier à évacuer des Roms, est-ce que c’est une méthode que vous cautionnez ?
 
CLAUDE GUEANT Je ne suis pas au courant de cet événement.
 
MATHILDE MUNOZ Vous n’êtes pas au courant. Alors, je vais vous le raconter…
 
CLAUDE GUEANT Je ne suis pas au courant, mais en tout cas…
 
MATHILDE MUNOZ Hier, il y a eu une évacuation d’un camp de Roms à Saint-Denis, et la RATP a mis à la disposition de la police un tramway pour faire évacuer les Roms.
 
CLAUDE GUEANT Mais écoutez, une chose se pose d’abord, la question principale, c’est de savoir si ce qui est légal doit être préservé, et ce qui est illégal doit être combattu. Des stationnements irréguliers, des séjours irréguliers, ça doit faire l’objet de l’attention de l’administration.
 
MATHILDE MUNOZ Mais est-ce que c’est à la RATP d’aider la police à faire cela, en dernière minute, puisque visiblement, il y avait des problèmes, et il fallait organiser quelque chose rapidement ?
 
CLAUDE GUEANT Ecoutez, c’est…
 
MATHILDE MUNOZ Un démantèlement de camp, ça ne se prépare pas ?
 
CLAUDE GUEANT La RATP offre des moyens de transport, et je pose… je redis que ce qui compte, c’est de savoir ce qu’on fait à l’égard de ce qui est illégal. Il y a tout un mouvement de pensées qui consiste à dire que les personnes en situation irrégulière en France doivent être régularisées, eh bien, le gouvernement n’est pas de cet avis.
 
MATHILDE MUNOZ Merci Claude GUEANT. A partir d’aujourd’hui, FRANCE INFO consacre une large partie de son antenne au dixième anniversaire des attentats du 11 septembre, et en particulier, à leurs conséquences. Il y aura chaque jour, pendant dix jours, un thème différent. Aujourd’hui, c’est l’état de la menace terroriste dans le monde, et donc en France, quel est-il dans notre pays ?
 
CLAUDE GUEANT Eh bien, la menace terroriste reste à un niveau élevé, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de le dire, certains ont pensé que la disparition de BEN LADEN pouvait réduire la menace, non, elle était forte avant, elle reste élevée aujourd’hui. Les intérêts français sont menacés en France, mais aussi dans le monde. Et je pense en particulier à nos otages qui sont détenus au Sahel aujourd’hui, nos ressortissants, nos compatriotes qui sont présents en Afrique sont particulièrement menacés.
 
MATHILDE MUNOZ Et comment on peut la quantifier cette menace ?
 
CLAUDE GUEANT Eh bien, c’est difficile à quantifier, mais ceci dit, nous avons une activité très importante dans la lutte contre le terrorisme ; il y a eu encore cette année plusieurs dizaines d’interpellations, plusieurs personnes ont été mises sous écrou, l’année dernière, c’était une centaine de personnes interpellées. Et nos services essaient de repérer les filières d’acheminement, les actions de formation ; je crois que c’est une menace qui est plus particulièrement forte, celle qui est représentée par un certain nombre de Français qui vont se former au Pakistan, qui se forment au terrorisme, qui se forment aussi sur le plan religieux, et ils subissent des endoctrinements considérables, qui les conduisent à la détermination dans l’action terroriste. Et nous sommes extrêmement attentifs, bien entendu.
 
MATHILDE MUNOZ La France est au niveau rouge du plan Vigipirate depuis maintenant 2005, depuis les attentats de Londres, est-ce que cela veut dire que la menace terroriste est restée au même niveau pendant six ans ?
 
CLAUDE GUEANT Les mesures qui sont mises en application au titre de ce plan Vigipirate sont modulées dans le temps, mais le fait que l’alerte soit maintenue au niveau rouge – c’est-à-dire à l’avant-dernier niveau avant le niveau écarlate – signifie que, effectivement, nous estimons qu’il faut être extrêmement vigilants, parce que la menace pèse, elle est bien là.
 
MATHILDE MUNOZ Donc c’est plus un message pour l’opinion publique, ce niveau ?
 
CLAUDE GUEANT Non, ce n’est pas un message pour l’opinion, ça a une signification, mais ça a une signification sur notre volonté opérationnelle, c’est-à-dire que nous sommes extrêmement vigilants, et nous préparons des mesures pour éviter les attentats, et en cas d’attentats, être en mesure de répondre.
 
MATHILDE MUNOZ Qu’est-ce que le 11 septembre, qu’est-ce que les attentats du 11 septembre ont changé en matière de renseignements anti-terroristes ?
 
CLAUDE GUEANT Les attentats ont bien sûr justifié un renforcement encore plus important de la coordination qui existe entre les services des principaux pays démocratique, cette coordination était déjà très bonne, elle est devenue opérationnelle en temps réel, entre tous les pays.
 
MATHILDE MUNOZ Et il faut améliorer encore cette coopération entre les polices…
 
CLAUDE GUEANT On peut toujours améliorer, mais je peux vous assurer que les échanges entre les services des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de la France sont constants et se font extrêmement vite et dans une grande confiance.
 
MATHILDE MUNOZ Vous dites, vous disiez tout à l’heure qu’il y avait une centaine de personnes interpellées l’an dernier sur le sol français. Est-ce que c’est vraiment le sol français qui est visé, puisqu’il n’y a pas eu d’attentat sur le sol français depuis une quinzaine d’années ou plutôt, les intérêts français à l’étranger, et on pense notamment aux enlèvements de français dans le Sahel par AQMI.
 
CLAUDE GUEANT Je dirais que c’est plutôt la France en général, et cela ressort d’ailleurs très clairement des déclarations d’Al Qaïda, puisqu’il y a eu plusieurs déclarations d’Al Qaïda menaçant la France, et c’est vrai que, il est plus facile pour Al Qaïda d’intervenir dans des pays étrangers qu’en France. Cela étant, nous ne sommes pas pour autant préservés sur le territoire national. La menace existe partout.
 
MATHILDE MUNOZ Et quelles sont les cibles particulières sur le territoire national ?
 
CLAUDE GUEANT Les cibles…
 
MATHILDE MUNOZ Les lieux publics, des cibles touristiques ?
 
CLAUDE GUEANT Je ne peux pas me mettre à la place d’Al Qaïda.
 
MATHILDE MUNOZ Mais j’imagine que, il y a quand même certains endroits qui doivent être davantage protégés…
 
CLAUDE GUEANT Mais c’est vrai que les rassemblements de public, les lieux fréquentés sur le plan touristique sont, bien entendu, des cibles que l’on peut estimer comme privilégiée par Al Qaïda.
 
MATHILDE MUNOZ Les sites nucléaires aussi.
 
CLAUDE GUEANT Les sites nucléaires sont protégés d’une façon extrêmement forte.
 
MATHILDE MUNOZ Et Al Qaïda est le seul groupe terroriste que vous craignez ?
 
CLAUDE GUEANT C’est la mouvance principale, effectivement.
 
MATHILDE MUNOZ Il n’y en a pas d’autres ?
 
CLAUDE GUEANT Non.
 
MATHILDE MUNOZ Pas de ETA ou des attentats…
 
CLAUDE GUEANT Mais ceci dit – non, je ne crois pas – cela étant, vous avez Al Qaïda, et puis, vous avez, on l’a bien vu dans l’attentat de Marrakech par exemple récemment, des actions individuelles, et elles sont extrêmement redoutables, ces actions individuelles.
 
MATHILDE MUNOZ On ne peut pas les prévoir.
 
CLAUDE GUEANT On peut, si, on peut suivre effectivement des individus qui paraissent dangereux, et c’est bien le cas, mais c’est une des modalités terroristes qu’il faut avoir à l’esprit et qu’il faut redouter.
 
MATHILDE MUNOZ Et en dehors de ces attentats suicides, puisque c’était le cas de Marrakech, qu’en est-il des attaques…
 
CLAUDE GUEANT Non, ce n’était pas un attentat suicide à Marrakech…
 
MATHILDE MUNOZ C’était une bombe, c’était une bombe, oui…
 
CLAUDE GUEANT Puisque l’auteur a été interpellé, il est actuellement en cours de jugement.
 
MATHILDE MUNOZ Qu’en est-il des attaques biologiques, chimiques, ça aussi, c’est un risque…
 
CLAUDE GUEANT C’est aussi un risque…
 
MATHILDE MUNOZ Que vous prenez en compte…
 
CLAUDE GUEANT Oui, bien sûr, tous les risques sont pris en compte. Mais ce ne sont pas les risques privilégiés, même si, dans le passé – et je pense à un attentat dans le métro de Tokyo, il y a quelques années – il y a eu des attentats de ce genre.
 
MATHILDE MUNOZ Combien de personnes travaillent dans l’anti-terrorisme en France ?
 
CLAUDE GUEANT Tous les services sont vigilants et susceptibles de travailler, il y a un service qui est particulièrement dédié à la lutte contre le terrorisme, c’est la DCRI, qui comporte à peu près 3.000 personnes. La DGSE – parce qu’il faut aussi se renseigner sur ce qui se passe à l’extérieur – comporte également plusieurs milliers d’agents, mais ses missions sont multiples.
 
MATHILDE MUNOZ Et il n’y a pas besoin de renforcer les effectifs ?
 
CLAUDE GUEANT Mais les effectifs ont été considérablement renforcés, puisque, je rappelle que, une réforme importante est intervenue, il y avait, il y a quelque temps, la DST – la Direction de la surveillance du territoire – qui était chargée de lutter contre les grandes menaces, qui avait à peu près 1.200 fonctionnaires, et la Direction des renseignements généraux. On a supprimé les renseignements généraux, et l’essentiel des effectifs ont été mis à la disposition de la DCRI, qui, de ce fait, a quelque 3.000 fonctionnaires.
 
MATHILDE MUNOZ Merci beaucoup Claude GUEANT, ministre de l’Intérieur, d’être venu ce matin à FRANCE INFO.
 
Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 1er septembre 2011