Interview de M. Philippe Douste-Blazy, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale et maire de Toulouse, à France-Inter le 24 juillet 2001, sur la prochaine grève des gynécologues, la déclaration de patrimoine de Jacques Chirac, les fonds secrets et la gestion de la ville de Toulouse, notamment en matière d'éducation et de sociabilisation des enfants et des jeunes.

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Média : France Inter

Texte intégral


P. Reltien
Les gynécologues annoncent qu'ils vont faire grève le 1er août. Soutenez-vous les grèves de médecins ?
- "Quand vous savez que, dans le secteur privé, une infirmière gagne 25 % de moins que dans le secteur public ; quand vous savez qu'un Français malade sur deux, aujourd'hui, est hospitalisé dans le secteur privé, et pourtant, le secteur privé est en train de crever. A un moment donné, trop c'est trop, et il y a des réactions comme celles-là. J'ajoute enfin qu'il n'y a plus d'obstétriciens formés. Aujourd'hui, entre les gardes et les semaines de travail, c'est plutôt 75 heures de travail par semaine plutôt que 35, que les obstétriciens font. A un moment donné, ils devaient parler."
Le bureau de l'Assemblée nationale se réunit demain pour donner aux juges la déclaration du patrimoine du député J. Chirac entre 1988 et 1995. On ne devrait pas y trouver ses indemnités d'ex-Premier ministre. C'est normal, d'après vous ? Une omission, la tradition, la tolérance ? Ne sommes-nous pas égaux devant le code fiscal ?
- "C'est très simple : une loi stipule que tous les députés doivent présenter, le premier jour de leur mandat, leur patrimoine - je l'ai fait -, mais également le dernier jour, pour être sûr qu'ils ne se sont pas enrichis de manière anormale. Donc, les déclarations de patrimoine de J. Chirac ont toujours été scrupuleusement faites, cela a été dit et redit. Mais il y a une deuxième loi qui est intéressante : c'est que le président de la République, non seulement est obligé de montrer son patrimoine, mais en plus il est obligé de le présenter au Conseil constitutionnel. C'est ce dernier qui le rend transparent auprès de tous les Français. Donc ce patrimoine est consultable, non seulement par tous les Français, par chacun et chacune d'entre nous puisqu'il est publié au Journal officiel. Aujourd'hui, je crois qu'on peut dire que les choses sont très claires."
La question, ce sont les primes. Est-ce qu'elles sont déclarées ou pas ? Vous, vous avez déclaré vos primes de ministre ?
- "Soyons clairs : si on fait reproche au président de la République de ne pas avoir déclaré des fonds secrets qui, par nature, ne peuvent pas l'être, alors il faut faire ce reproche à tous les anciens ministres, à tous les anciens Premiers ministres, y compris à ceux qui donnent des leçons. Alors, là, oui, très bien : parlons de tous les ministres, tous les anciens ministres, tous les anciens Premiers ministres. Alors on arrivera aussi, en effet, à l'ancien Premier ministre Chirac. Mais puisqu'on dit que les fonds secrets sont secrets, pourquoi voulez-vous qu'il les ait déclarés ? C'est ça qui est terrible ! J'ai proposé, avec mes collègues de l'Assemblée nationale, présidents de groupe, que l'on change le système, que l'on puisse enfin, demain, payer les collaborateurs des ministres, mais de manière imposable. Augmentons éventuellement leurs rémunérations, mais imposables ; faisons les chèques, arrêtons de faire des choses qui sont à la fois occultes et légales."
Vous avez déclaré vos primes de ministre ?
- "Il m'est arrivé de déclarer. J'ai été ministre de la Santé et de la Culture, et donc, en termes de fonds secrets, on avait très très peu, puisque c'est essentiellement, comme vous le savez, Matignon qui a des fonds secrets, et ensuite c'est Matignon qui distribue : il distribue à la fois aux différents ministères, mais également à l'Elysée. Le président de la République a eu l'occasion de le dire l'autre jour, le 14 Juillet : moins de 5 % vont à l'Elysée. Il faut arrêter avec ces pratiques. J'ai proposé au Premier ministre de geler, aujourd'hui, les fonds secrets ; pas les fonds secrets qui servent aux services secrets et de sécurité internes et externes à la France, non, ceux qui servent à payer en liquide des collaborateurs ou des ministres."
Et les patrimoines des députés, cela pourrait aussi être transparent ?
- "Il faut que cela soit transparent et c'est transparent ! Nous sommes obligés de le faire de par la loi et c'est très bien. Il faut que tout soit transparent. Que dirait-on d'un député qui aurait pu acheter une maison que sa simple rémunération de député n'expliquerait pas ? La loi est pour tous, pas uniquement pour chercher des problèmes à monsieur Chirac, qui peut être candidat, alors que les autres n'auraient aucun problème. C'est trop facile."
Parlons des affaires de Toulouse. On ne peut pas évoquer publiquement le jugement que l'on attend le 13 septembre dans l'affaire du fichier des parents d'élèves vous concernant, mais on peut parler de vos projets pour la rentrée. Vous avez dit : "je veux faire de Toulouse un laboratoire de la démocratie de proximité." Les parents d'élèves ont intérêt à vous écouter, parce que c'est par là que ça va commencer.
- "Oui, je voudrais que Toulouse soit un grand laboratoire de démocratie de proximité, parce que - on le voit bien -, à la fois, on veut des hommes d'Etat qui prennent des décisions, mais on veut aussi des femmes et des hommes qui s'occupent de nous, de nos problèmes quotidiens, des problèmes de sécurité, de propreté, de violences à l'école. J'ai divisé, en effet, Toulouse en dix-huit mairies de quartier, avec dix-huit maires délégués de quartier qui vont constituer, avec les habitants, des projets de quartier qui seront discutés, qui seront critiqués, qui seront réécrits par les habitants eux-mêmes."
Vous dites : les enfants, surtout dans le primaire, passent trop de temps livrés à eux-mêmes, pratiquement trois fois plus de temps hors classe que dans la classe ?

- "Aujourd'hui, on parle beaucoup d'insécurité. En réalité, il faut faire deux choses : devant la délinquance et la petite délinquance, devant les mineurs, il faut sanctionner. Chaque fois qu'il y a un délit, une infraction, il doit y avoir une sanction, même si elle est petite, même si c'est une réparation. Evidemment, ce n'est pas la prison qu'il faut donner, mais la réparation : tu fais une erreur, tu payes. A côté de cela, il faut comprendre que dès l'âge de 7, 8, 9 ans, en CM1, CM2, tout se joue. Et vous avez aujourd'hui des enfants qui arrivent à 7h00-7h15 le matin à l'école, qui sont en attente du cours à 8h30. Et puis, entre midi et deux, rebelote : ils attendent pendant deux heures, et entre 16h30 et 19h00, au moment où la mère ou le père vient les rechercher, ils attendent aussi. Si vous ajoutez le mercredi après-midi, vous avez 800 heures de cours par an pour un CM1 et 2 200 heures de ce que l'on appelle "le périscolaire", c'est-à-dire des lieux où, avant, on était dans la famille, on était éveillé, sociabilisé. On expliquait qu'il y avait une société, des règles. Aujourd'hui, on n'explique plus cela. J'estime qu'un grand projet municipal à Toulouse, c'est de faire en sorte, avec le milieu associatif, que ces enfants soient éveillés, sociabilisés pendant toutes ces heures où ils attendent simplement."
Mais qui va faire cela ?
- "C'est un grand projet politique. Le politique doit dire qu'il faut bien évidemment de la sécurité dans la ville ; le politique doit dire qu'il faut des sanctions ; le politique doit mener cette politique-là. J'espère que le maire sera de plus en plus dans le système de sécurité des villes. Mais à côté, il faut aussi essayer d'expliquer pourquoi. Pourquoi ? Je crois que c'est parce que l'enfant est trop seul, il n'est pas entouré, il est livré à lui-même, il n'a plus de références familiales, idéologiques, il n'a plus de références religieuses, plus de références philosophiques. Je crois que nous, les adultes, nous les politiques, nous qui voulons avoir cet engagement politique dans la vie, nous devons aussi être là."
A propos de sociabilité, il paraît qu'on a dû démonter les plongeoirs des piscines à Toulouse à cause des bousculades ?
- "Oui, comme dans beaucoup d'autres endroits. On voit que la petite délinquance existe. Cela devenait impossible. On a été obligé de demander à la police nationale d'avoir un peu plus d'effectifs, à la police municipale aussi. L'insécurité est terrible, elle touche tous les jours, c'est le premier des droits. Je crois qu'à tout délit, il doit y avoir une sanction, c'est la première des choses ; et deuxièmement, il faut aussi dire que dans une cité, quand on dit : "ces jeunes de la cité", on jette un discrédit sur des milliers de jeunes qui sont, en fait, des jeunes formidables. Mais il y en a cent, cent dix maximum qui posent problème. Ce sont ces cent ou cent dix maximum, qu'il faut peut-être déplacer et mettre en dehors de la ville, pendant un an, deux ans ; leur faire faire autre chose : du sport ou simplement leur apprendre un formation manuelle. Il ne faut pas avoir peur de régler (sic) sur le plan de la sécurité, mais il faut aussi essayer d'expliquer pourquoi. C'est peut-être cela l'humanisme moderne que l'opposition veut présenter l'année prochaine."
Les Motivés vous ont répondu sur votre plan de répartition des nouveaux pouvoirs dans la ville. Ils veulent des référendums locaux, d'initiative populaire, un peu à l'américaine. Ils veulent des élus d'arrondissement, comme à Paris, à Lyon et à Marseille. Cela paraît-il justifié ?
- "C'est très simple : à Paris, Lyon et Marseille, il y a des arrondissements, ce qui fait que le citoyen est encore plus loin du maire. Comme vous le savez, à Toulouse par exemple, ce sont les électeurs qui votent pour le maire. Mais à Marseille, à Paris ou à Lyon, ce sont les conseillers municipaux qui votent pour le maire. C'est déjà un autre degré. Pour des gens qui aiment la démocratie de proximité, directe, j'avoue que c'est encore plus loin que le citoyen. Vous savez, on s'entend très bien, les conseils municipaux se passent bien, c'est même le PS qui n'existe plus entre nous : il y a Motivés d'un côté, et la majorité de l'autre. La différence qu'il y a, c'est que, tous les six ans, des femmes et des hommes qui sont des électrices et des électeurs votent pour des personnes qui sont des élus. Cela s'appelle la démocratie représentative ; nous représentons les électeurs. Et puis, eux, ils souhaitent que tous les quartiers décident. Mais pour décider, il faut être déjà élu : c'est la démocratie. A Toulouse, on fera tout pour la démocratie de proximité mais on restera fidèle à la démocratie."
Il vous manque une chose à Toulouse : le TGV. Si vous aviez le TGV, vous seriez tout près de Matignon. C'est pour quand ?
- "Je suis pour un jeu collectif. Ce dont l'opposition a le plus besoin, c'est d'une équipe et d'un projet pour proposer aux Français une politique alternative face à un socialisme, aujourd'hui, un peu archaïque, à l'inverse de ce que l'on voit dans les pays européens voisins. Donc, moi j'ai envie de travailler comme les autres. Ce n'est pas un problème d'hommes, il faut des hommes d'expérience, mais la place que des hommes occuperont, ce n'est pas le plus important, c'est le jeu collectif qui est important."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 26 juillet 2001)