Texte intégral
Q - Il y a quelques jours, un plan de rigueur a été voté, 12 milliards déconomie si je me souviens bien, et le même jour au Parlement, un plan daide à la Grèce a également été voté à hauteur de 15 milliards deuros. La concordance est assez intéressante. Jai envie de vous demander tout simplement et crûment au nom de quoi moi contribuable français, je paierai des impôts pour aider des gens qui ne paient pas dimpôts ?
R - Je ne connais pas ce chiffre de 15 milliards. Il y a un plan daide à la Grèce qui est beaucoup plus important que cela.
Q - Je ne vous le fais pas dire. Et ce jour-là on votait 15 milliards.
R - Il y a divers versements, mais cet argent ne vient pas de la poche des contribuables français.
Q - Il vient doù ?
R - Cest de largent qui est emprunté et qui sera remboursé, nous lespérons en tout cas, avec, il est vrai, la garantie des principaux pays européens, en particulier de la France.
Q - Et il alourdit notre dette.
R - Quel est notre intérêt ?
Q - Et ça ne sera jamais remboursé.
R - Quen savez-vous ?
Q - Les Grecs ne rembourseront jamais, tout le monde le sait.
R - Je ne serai pas aussi affirmatif que vous.
Il faut bien voir quel est notre intérêt. Avons-nous intérêt à ce que lUnion européenne, et plus précisément la zone euro, seffondre ? Je suis parfaitement affirmatif : «non». Ce serait une catastrophe pour la France ; il faut donc renforcer la zone euro.
Q - On peut en parler.
R - Laissez-moi poursuivre, car vous me posez une question quil ne faut pas sortir de son contexte.
Pourquoi fait-on cela ? On ne le fait pas pour la beauté du geste, on fait cela aussi dans notre intérêt. Notre intérêt, cest que la zone euro reste ce quelle est aujourdhui, quelle se renforce même, parce que cest pour nous un élément de stabilité et de sécurité dans le monde. Nous allons donc faire tout ce qui est nécessaire pour que la zone euro soit confortée et je suis tout à fait confiant. Il y a une forte volonté de lAllemagne : le Bundestag a voté à une très large majorité le plan que nous avons mis en uvre précisément pour conforter la zone euro et pour aider la Grèce.
Q - Mais pensez-vous vraiment que la Grèce va rembourser intégralement, malgré tous les sacrifices ? Il ny a pas de système fiscal véritable en fait ; vous savez quand-même que les armateurs et lÉglise ne paient pas dimpôts.
R - Il y a également des gens qui ne paient pas dimpôts en France.
Q - LÉglise, elle paie des impôts...
R - Nous avons demandé à la Grèce de faire des efforts de remise en ordre de ses finances et nous examinons cela de façon très précise. Il y a même ce que lon appelle une troïka qui regroupe le Fonds monétaire international, lUnion européenne et la Banque centrale européenne, et qui va périodiquement sassurer que les Grecs tiennent leurs engagements. Il faut aider la Grèce et il faut en contrepartie lui demander de faire les réformes nécessaires ; cest ce que nous sommes en train de faire.
Q - Ne faut-il pas prendre une partie de sa perte comme dit Dominique Strauss-Kahn ? Se résoudre à ce que la Grèce ne puisse pas rembourser la totalité ?
R - Nous avons décidé daider la Grèce à faire face à ses engagements. Des mesures ont été prises, notamment pour créer un fonds de solidarité qui va être mis en uvre après le vote du Bundestag et après la ratification par lensemble des pays européens ; je crois quil faut maintenir cette ligne. Ceci ne signifie pas quil nest pas nécessaire dexiger de la Grèce des efforts considérables : une remise en ordre des finances publiques et, en particulier, le paiement dimpôts par les Grecs. Laisser se défaire la zone euro aujourdhui serait une responsabilité lourde devant lHistoire.
( )
Q - Je sais davance que vous êtes pour défendre la zone euro à tout prix.
R - Je pense en effet que lavenir de la France, cest lEurope. Je pense que dans le monde où nous vivons, revenir dans les limites de lHexagone - parce que derrière ce que dit M. Zemmour, cest très exactement ce qui nous attend -, sortir de la zone euro, cela na pas de sens pour la France aujourdhui. Nous nous retrouverions avec des dettes considérables que nous avons accumulées en euro et que nous serions obligés de rembourser dans cette devise ; et je pense surtout que ce serait une catastrophe sur le plan politique. Au contraire, il faut aller plus loin dans le renforcement de la solidarité en Europe. Je suis favorable à une véritable fédération européenne parce que, dans le monde où nous vivons, nous ne pouvons pas, avec nos 65 millions dhabitants, faire face aux défis qui sont les nôtres et à la recomposition du paysage mondial. Il faut donc tout faire pour sauver et pour conforter leuro ; cest notre intérêt.
Q - Juste avant de parler de la fédération, Alain Juppé, vous pensez que le bilan de leuro est cent pour cent positif pour la France ?
R - Je pense quil est largement positif et quaujourdhui la zone euro nest pas la seule à connaitre des difficultés de financement. Ce qui sest passé en 2008 est un véritable séisme mondial qui est parti des États-Unis, pas de la zone euro. Aujourdhui, les États-Unis ont une croissance qui nest pas bien supérieure à celle de la zone euro et des difficultés qui sont égales aux nôtres. En réalité nous assistons à une vraie recomposition
Q - Pas depuis dix ans, vous êtes daccord.
R - Mais la zone euro nest pas en difficulté depuis dix ans.
Q - Depuis dix ans, elle a une croissance plus faible que les autres, excusez-moi.
R - La zone euro est en difficulté depuis 2008.
Q - Oui, mais elle a une croissance plus faible depuis dix ans.
R - Cest à partir du séisme financier qui a débuté aux États-Unis que les choses se sont produites. La croissance américaine nest pas très supérieure, sur la longue période, à la nôtre.
Je pense donc quil ny a pas dautre avenir pour la France aujourdhui que dessayer de conforter la zone euro et de conforter sa solidarité avec lAllemagne ; cest dans cette direction quil faut aller.
Si on nest pas dans leuro, on est hors de leuro. La Grande-Bretagne aujourdhui qui est hors de leuro, est-elle dans une situation économique et financière bien meilleure que celle des pays de la zone euro ? La Grande-Bretagne na-t-elle pas les mêmes problèmes de croissance et de déficit budgétaire ? Dendettement ? Alors, tout ramener à la zone euro, cest, je crois, une facilité et une caricature. Je crois, au contraire, que la zone euro est une force pour nous et je crois quil faut aller un coup plus loin dans la solidarité.
Q - Alors, un coup plus loin, est-ce quon parle de fédéralisme.
R - Létape suivante, cest en effet un régime fédéral.
Q - Il faut expliquer ce que cest parce que les gens qui nous écoutent ne savent pas forcément.
R - Un régime fédéral, cela veut dire justement que nous payons pour les Grecs et que les Allemands paient pour tout le monde. Il y a donc une solidarité et on compense le problème de compétitivité ; les Grecs ont un vrai problème de compétitivité, et nous aussi dailleurs par rapport aux Allemands. Cest le même mécanisme qui est appliqué aux États-Unis entre les États de lUnion, ou en Allemagne par rapport aux Landers.
Or, cet État fédéral européen, les Français, les autres européens et les Allemands nen veulent pas; la Cour constitutionnelle de Karlsruhe linterdit.
Q - Donc, en fait, vous avez le choix entre faire vos avancées fédéralistes et ne pas respecter la démocratie.
R - Nous avons fait beaucoup davancées avec le soutien des peuples. La zone euro a été ratifiée par référendum. On ne peut donc pas dire quelle sest faite contre la volonté des peuples. Aujourdhui, quand on regarde les sondages dopinion
( )
Q - Et le fédéralisme par exemple, cela veut dire un gouvernement économique européen qui décide de nos politiques budgétaires
R - Mais il existe. Nous avons décidé de le constituer. On a fait des progrès considérables dans cette direction. Aujourdhui, les budgets des pays membres de la zone euro, nous les concertons entre nous. Ils sont examinés à Bruxelles, nous en discutons pour essayer daller dans la même direction.
Je crois quil ny a pas davenir dans la marche arrière quenvisage M. Zemmour. Il ny a davenir que dans la marche avant et nous proposons, par exemple, de construire le même impôt sur les sociétés en France et en Allemagne. Cest ce que nous avons décidé de faire. Et nous allons franchir ce pas supplémentaire pour harmoniser nos économies.
Q - Cela veut dire moins (inaudible)
R - Non, cela veut dire un pouvoir partagé. Ou alors ça veut dire quoi ? Casser tout ce que lon a fait depuis 1958 et revenir en arrière sur la construction européenne ? Il faut aller jusquau bout de la logique. Cela veut dire que lon va avoir la France dun côté, lAllemagne de lautre, la Grande-Bretagne de lautre. On sait ce que cela a donné sur le continent européen dans le passé récent. Je pense que cest un danger mortel
Remettre en cause la zone euro, ce sera remettre en cause la construction européenne. Remettre en cause la construction européenne, cest aujourdhui irresponsable quand on voit la montée des extrémismes et des tensions politiques en Europe ; où cela va-t-il nous conduire ?
Je suis profondément européen. Je crois que cest la solidarité entre les pays européens, la solidarité entre la France et lAllemagne qui va nous permettre dexister dans un monde où vous avez 1 milliard 300 millions dhabitants en Chine et un milliard 200 millions dhabitants en Inde ; et on va rentrer sous la tente française ? Franchement ? Cela na aucun de sens.
Il faut aller plus loin dans la solidarité européenne. Jy crois profondément et cest pourquoi jy mets un peu de passion. Je crois que cest un enjeu fondamental.
( )
Q - Je ne comprends pas que vingt ans plus tard, vous ayez ainsi changé davis et que vous adoptiez les thèses de gens qui vous ont toujours combattus et que vous avez toujours combattu, au nom dailleurs - que vous le vouliez ou non - du gaullisme qui défendait la souveraineté des nations et là, vous vous retrouvez avec les gens qui lont toujours attaqué. Javoue que je ne comprends pas.
R - Je me sens parfaitement à mon aise avec la politique que mène la France. Il y a une tradition dans la politique française, vous le savez aussi bien que moi, qui remonte au général de Gaulle : la tradition de la politique arabe de la France. Je pense que nous sommes exactement dans cette politique avec, simplement, un petit changement que je vais tenter de vous expliquer. Le petit changement, cest que lon sest rendu compte quun soutien sans réserve des régimes autoritaires, en croyant quils sont les meilleurs moyens de stabilisation du monde arabe, était une erreur. Aujourdhui, les peuples en ont assez et la grandeur de la France nest pas de rester là où elle était il y a vingt ans. Je vous sens un peu conservateur sur ce point.
Q - Je suis même réactionnaire ! Il faut intervenir militairement ?
R - Oui, militairement parce que lon se donne évidemment les moyens de sa politique. Nous ne nous sommes pas arrêtés il y a vingt ans, le monde est différent aujourdhui et notre devoir, maintenant, cest de prendre en compte les aspirations du monde arabe, des peuples arabes à la liberté et à la démocratie. Cest ce que nous avons essayé de faire en Libye avec des succès.
Je suis très fier davoir participé à cette opération, je me sens parfaitement à laise. Nous lavons fait dans le respect du droit international.
Q - Ce nest pas ce que lon ma dit. On ma dit que vous étiez agacé par la présence intempestive de Bernard Henri Levy qui avait annoncé les choses avant.
R - Je ne comprends pas bien. Ce nest pas Bernard Henri Levy qui a convaincu M. Sarkozy dintervenir en Libye, cest une décision que nous avons prise collectivement et que jai totalement appuyée.
Nessayons pas de mettre la zizanie là où il ny en a pas. Jai appuyé cette intervention et dabord, ce nest pas M. Bernard Henri Levy pour qui jai dailleurs, en tant quintellectuel, beaucoup de respect qui est allé aux Nations unies plaider la thèse de la France et qui a obtenu le vote du Conseil de sécurité. Vous devriez recadrer un peu votre analyse du problème.
Cest une présentation extrêmement polémique. Je réagis peut-être un peu vivement à ce genre de propos. Je me sens totalement en continuité avec ce que jai toujours pensé et ce que nous allons continuer à faire, dabord en Tunisie, ensuite en Libye, également en Syrie.
Q - Mais vous ninterviendrez pas militairement en Syrie !
R - Non, mais nous allons continuer à dire quen Syrie la démocratie doit être aussi respectée et nous agissons.
Q - Bombarder en Libye et dire que la démocratie nest pas respectée en Syrie, on pouvait le faire pour 100 États.
R - Nous prenons des sanctions et la ligne de conduite est exactement la même. Aujourdhui, nous pensons que les peuples doivent être pris en considération et que lorsquils veulent changer de régime politique et sexprimer dans un cadre démocratique, il faut les y aider.
Cest ce qui a été fait en Tunisie, il ny a pas eu non plus dintervention militaire.
( )
Cest ce qui a été fait en Libye parce quun dictateur un peu fou sapprêtait à bombarder les populations civiles
( )
Q - Vous vouliez aussi parler du lendemain des révolutions arabes Je voulais simplement dire quil y avait une contradiction entre dire quon écoutait les peuples et par exemple ne pas bouger quand lArabie Saoudite réprimait à Bahreïn. Et ce sont des monarchies pétrolières qui nous ont soutenues pour nous débarrasser de Kadhafi et qui elles-mêmes font de la répression
R - Nous avons condamné lutilisation de la force à Bahreïn contre les populations et avons appelé les autorités bahreinis à respecter ces mouvements. Nous navons pas du tout de double langage, simplement les conditions dune intervention militaire ne sont pas réunies à chaque fois. En Libye, cétait absolument indispensable parce que je vous rappelle que les colonnes de Kadhafi fonçaient sur la ville de Benghazi et quil avait annoncé quil y aurait un bain de sang, «quil allait éliminer les rats...» Et on naurait rien fait ? Je suis fier de ce que lon a fait.
Q - Et laprès ?
R Maintenant, on va aider les Libyens à construire un nouveau régime, une nouvelle démocratie. Je ne suis pas aussi pessimiste que vous sur la situation.
Q - Mais ce nest pas le monde des «Bisounours» M. Juppé. On voit bien aujourdhui que les islamistes prennent position
R - Quel pessimisme M. Zemmour ! Vous êtes dramatique sur tout. Je suis confiant en lavenir. Je suis dans laction, je ne suis pas dans la critique permanente.
Q - Je voulais simplement vous dire que je demandais maintenant quelles puissances allez-vous libérer quand on voit quaprès les Printemps arabes, les Islamistes prennent des positions importantes. Vous avez eu des déclarations assez étonnantes, vous avez expliqué quil fallait considérer désormais que lislamisme et la démocratie étaient tout à fait compatibles. Jaimerais comprendre cela. Voilà la citation : «Il y a des gens attachés à lIslam et en même temps prêts à accepter les règles de bases de la démocratie».
R - Voila la vraie citation ! Il ne faut pas déformer mes propos, le mot islamisme en français à une connotation négative de fanatisme quil na pas forcément dans dautres langues. Je préfère parler du rôle de lIslam bien entendu. Ce que jai dit, je le maintiens, nous devons avoir avec lIslam un vrai dialogue, à chaque fois que lIslam accepte un certain nombre de règles de base de la démocratie. Nous lavons fait, et ceci nous permet daller dans la bonne direction. Il ne faut pas stigmatiser et diaboliser lIslam en tant que tel.
( )
Q - Je nai aucune phobie
R - Jai lu vos papiers. Pour vous lIslam est un danger qui menace la civilisation occidentale. Considérer lislam comme un danger en soi nous conduira aux pires catastrophes. Ce quil ne faut pas accepter, cest le fanatisme islamiste, cest le refus par lIslam dun certain nombre de règles de base qui, pour nous, ne sont pas négociables. Le respect de la liberté individuelle ou bien la possibilité de lalternance, par exemple - quand on prend le pouvoir on doit pouvoir le perdre -, cest cela la ligne de partage.
Q - Y a-t-il un risque de fantasme de la part de ces pays-là ?
R - Bien sûr ! Si on faisait des politiques sans risque, on vivrait dans un monde idéal. Nous avons pris des décisions qui comportent évidemment des risques, mais nous pensons que les chances sont supérieures aux risques. Nous pensons, également, que dans ces sociétés qui se développent, le ferment démocratique lemportera et je souhaite de tout mon cur que la Tunisie puisse devenir un vrai pays démocratique comme demain la Libye ou lÉgypte. Cest un pari sur lavenir, je le reconnais bien volontiers, mais un pari doptimisme. Je ne veux pas concevoir le monde avec des lunettes noires, et en considérant que lIslam nous menace. Ce qui nous menace, ce sont les excès de lislamisme, ce nest pas lIslam. LIslam mérite dêtre respecté en tant que religion dès lors quil respecte des règles de base de la démocratie.
Q - Est-ce quon sait où est le colonel Kadhafi ou a-t-on une vague indication ?
R - Je ne le sais pas. Je vois ici et là des déclarations
Q - Ce nest pas étonnant ?
R - Non ce nest pas étonnant, combien de temps a-t-on mis à récupérer Saddam Hussein ? On la retrouvé dans une grotte après plus dun an de recherche. Les Américains qui avaient des dizaines de milliers de soldats en Irak ont mis plus dun an à le retrouver. La Libye, cest grand et désertique vous savez !
( )
Q - Cest définitivement fini la Françafrique ? Cest fini depuis que vous êtes arrivé au Quai dOrsay ?
R - Les temps et les murs ont changé, aujourdhui la politique de la France en Afrique est très claire. Nous soutenons les régimes qui respectent les règles du jeu démocratique. Nous lavons fait en Côte dIvoire pour que prévale la décision des électeurs. Les électeurs avaient choisi un candidat, nous avons tout fait pour que celui-ci accède au pouvoir.
Nous le faisons aujourdhui dans les différentes élections qui se succèdent en Afrique et nous allons continuer sur cette ligne-là.
( )
Q - Quand le dernier soldat français quittera-t-il le sol dAfghanistan ?
R - Nous avons programmé ce retrait de façon très claire. Nous commençons dès cette année par les régions qui sont sécurisées. Notre objectif est de retirer lensemble du dispositif comme la décidé la coalition avant 2014.
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2011
R - Je ne connais pas ce chiffre de 15 milliards. Il y a un plan daide à la Grèce qui est beaucoup plus important que cela.
Q - Je ne vous le fais pas dire. Et ce jour-là on votait 15 milliards.
R - Il y a divers versements, mais cet argent ne vient pas de la poche des contribuables français.
Q - Il vient doù ?
R - Cest de largent qui est emprunté et qui sera remboursé, nous lespérons en tout cas, avec, il est vrai, la garantie des principaux pays européens, en particulier de la France.
Q - Et il alourdit notre dette.
R - Quel est notre intérêt ?
Q - Et ça ne sera jamais remboursé.
R - Quen savez-vous ?
Q - Les Grecs ne rembourseront jamais, tout le monde le sait.
R - Je ne serai pas aussi affirmatif que vous.
Il faut bien voir quel est notre intérêt. Avons-nous intérêt à ce que lUnion européenne, et plus précisément la zone euro, seffondre ? Je suis parfaitement affirmatif : «non». Ce serait une catastrophe pour la France ; il faut donc renforcer la zone euro.
Q - On peut en parler.
R - Laissez-moi poursuivre, car vous me posez une question quil ne faut pas sortir de son contexte.
Pourquoi fait-on cela ? On ne le fait pas pour la beauté du geste, on fait cela aussi dans notre intérêt. Notre intérêt, cest que la zone euro reste ce quelle est aujourdhui, quelle se renforce même, parce que cest pour nous un élément de stabilité et de sécurité dans le monde. Nous allons donc faire tout ce qui est nécessaire pour que la zone euro soit confortée et je suis tout à fait confiant. Il y a une forte volonté de lAllemagne : le Bundestag a voté à une très large majorité le plan que nous avons mis en uvre précisément pour conforter la zone euro et pour aider la Grèce.
Q - Mais pensez-vous vraiment que la Grèce va rembourser intégralement, malgré tous les sacrifices ? Il ny a pas de système fiscal véritable en fait ; vous savez quand-même que les armateurs et lÉglise ne paient pas dimpôts.
R - Il y a également des gens qui ne paient pas dimpôts en France.
Q - LÉglise, elle paie des impôts...
R - Nous avons demandé à la Grèce de faire des efforts de remise en ordre de ses finances et nous examinons cela de façon très précise. Il y a même ce que lon appelle une troïka qui regroupe le Fonds monétaire international, lUnion européenne et la Banque centrale européenne, et qui va périodiquement sassurer que les Grecs tiennent leurs engagements. Il faut aider la Grèce et il faut en contrepartie lui demander de faire les réformes nécessaires ; cest ce que nous sommes en train de faire.
Q - Ne faut-il pas prendre une partie de sa perte comme dit Dominique Strauss-Kahn ? Se résoudre à ce que la Grèce ne puisse pas rembourser la totalité ?
R - Nous avons décidé daider la Grèce à faire face à ses engagements. Des mesures ont été prises, notamment pour créer un fonds de solidarité qui va être mis en uvre après le vote du Bundestag et après la ratification par lensemble des pays européens ; je crois quil faut maintenir cette ligne. Ceci ne signifie pas quil nest pas nécessaire dexiger de la Grèce des efforts considérables : une remise en ordre des finances publiques et, en particulier, le paiement dimpôts par les Grecs. Laisser se défaire la zone euro aujourdhui serait une responsabilité lourde devant lHistoire.
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Q - Je sais davance que vous êtes pour défendre la zone euro à tout prix.
R - Je pense en effet que lavenir de la France, cest lEurope. Je pense que dans le monde où nous vivons, revenir dans les limites de lHexagone - parce que derrière ce que dit M. Zemmour, cest très exactement ce qui nous attend -, sortir de la zone euro, cela na pas de sens pour la France aujourdhui. Nous nous retrouverions avec des dettes considérables que nous avons accumulées en euro et que nous serions obligés de rembourser dans cette devise ; et je pense surtout que ce serait une catastrophe sur le plan politique. Au contraire, il faut aller plus loin dans le renforcement de la solidarité en Europe. Je suis favorable à une véritable fédération européenne parce que, dans le monde où nous vivons, nous ne pouvons pas, avec nos 65 millions dhabitants, faire face aux défis qui sont les nôtres et à la recomposition du paysage mondial. Il faut donc tout faire pour sauver et pour conforter leuro ; cest notre intérêt.
Q - Juste avant de parler de la fédération, Alain Juppé, vous pensez que le bilan de leuro est cent pour cent positif pour la France ?
R - Je pense quil est largement positif et quaujourdhui la zone euro nest pas la seule à connaitre des difficultés de financement. Ce qui sest passé en 2008 est un véritable séisme mondial qui est parti des États-Unis, pas de la zone euro. Aujourdhui, les États-Unis ont une croissance qui nest pas bien supérieure à celle de la zone euro et des difficultés qui sont égales aux nôtres. En réalité nous assistons à une vraie recomposition
Q - Pas depuis dix ans, vous êtes daccord.
R - Mais la zone euro nest pas en difficulté depuis dix ans.
Q - Depuis dix ans, elle a une croissance plus faible que les autres, excusez-moi.
R - La zone euro est en difficulté depuis 2008.
Q - Oui, mais elle a une croissance plus faible depuis dix ans.
R - Cest à partir du séisme financier qui a débuté aux États-Unis que les choses se sont produites. La croissance américaine nest pas très supérieure, sur la longue période, à la nôtre.
Je pense donc quil ny a pas dautre avenir pour la France aujourdhui que dessayer de conforter la zone euro et de conforter sa solidarité avec lAllemagne ; cest dans cette direction quil faut aller.
Si on nest pas dans leuro, on est hors de leuro. La Grande-Bretagne aujourdhui qui est hors de leuro, est-elle dans une situation économique et financière bien meilleure que celle des pays de la zone euro ? La Grande-Bretagne na-t-elle pas les mêmes problèmes de croissance et de déficit budgétaire ? Dendettement ? Alors, tout ramener à la zone euro, cest, je crois, une facilité et une caricature. Je crois, au contraire, que la zone euro est une force pour nous et je crois quil faut aller un coup plus loin dans la solidarité.
Q - Alors, un coup plus loin, est-ce quon parle de fédéralisme.
R - Létape suivante, cest en effet un régime fédéral.
Q - Il faut expliquer ce que cest parce que les gens qui nous écoutent ne savent pas forcément.
R - Un régime fédéral, cela veut dire justement que nous payons pour les Grecs et que les Allemands paient pour tout le monde. Il y a donc une solidarité et on compense le problème de compétitivité ; les Grecs ont un vrai problème de compétitivité, et nous aussi dailleurs par rapport aux Allemands. Cest le même mécanisme qui est appliqué aux États-Unis entre les États de lUnion, ou en Allemagne par rapport aux Landers.
Or, cet État fédéral européen, les Français, les autres européens et les Allemands nen veulent pas; la Cour constitutionnelle de Karlsruhe linterdit.
Q - Donc, en fait, vous avez le choix entre faire vos avancées fédéralistes et ne pas respecter la démocratie.
R - Nous avons fait beaucoup davancées avec le soutien des peuples. La zone euro a été ratifiée par référendum. On ne peut donc pas dire quelle sest faite contre la volonté des peuples. Aujourdhui, quand on regarde les sondages dopinion
( )
Q - Et le fédéralisme par exemple, cela veut dire un gouvernement économique européen qui décide de nos politiques budgétaires
R - Mais il existe. Nous avons décidé de le constituer. On a fait des progrès considérables dans cette direction. Aujourdhui, les budgets des pays membres de la zone euro, nous les concertons entre nous. Ils sont examinés à Bruxelles, nous en discutons pour essayer daller dans la même direction.
Je crois quil ny a pas davenir dans la marche arrière quenvisage M. Zemmour. Il ny a davenir que dans la marche avant et nous proposons, par exemple, de construire le même impôt sur les sociétés en France et en Allemagne. Cest ce que nous avons décidé de faire. Et nous allons franchir ce pas supplémentaire pour harmoniser nos économies.
Q - Cela veut dire moins (inaudible)
R - Non, cela veut dire un pouvoir partagé. Ou alors ça veut dire quoi ? Casser tout ce que lon a fait depuis 1958 et revenir en arrière sur la construction européenne ? Il faut aller jusquau bout de la logique. Cela veut dire que lon va avoir la France dun côté, lAllemagne de lautre, la Grande-Bretagne de lautre. On sait ce que cela a donné sur le continent européen dans le passé récent. Je pense que cest un danger mortel
Remettre en cause la zone euro, ce sera remettre en cause la construction européenne. Remettre en cause la construction européenne, cest aujourdhui irresponsable quand on voit la montée des extrémismes et des tensions politiques en Europe ; où cela va-t-il nous conduire ?
Je suis profondément européen. Je crois que cest la solidarité entre les pays européens, la solidarité entre la France et lAllemagne qui va nous permettre dexister dans un monde où vous avez 1 milliard 300 millions dhabitants en Chine et un milliard 200 millions dhabitants en Inde ; et on va rentrer sous la tente française ? Franchement ? Cela na aucun de sens.
Il faut aller plus loin dans la solidarité européenne. Jy crois profondément et cest pourquoi jy mets un peu de passion. Je crois que cest un enjeu fondamental.
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Q - Je ne comprends pas que vingt ans plus tard, vous ayez ainsi changé davis et que vous adoptiez les thèses de gens qui vous ont toujours combattus et que vous avez toujours combattu, au nom dailleurs - que vous le vouliez ou non - du gaullisme qui défendait la souveraineté des nations et là, vous vous retrouvez avec les gens qui lont toujours attaqué. Javoue que je ne comprends pas.
R - Je me sens parfaitement à mon aise avec la politique que mène la France. Il y a une tradition dans la politique française, vous le savez aussi bien que moi, qui remonte au général de Gaulle : la tradition de la politique arabe de la France. Je pense que nous sommes exactement dans cette politique avec, simplement, un petit changement que je vais tenter de vous expliquer. Le petit changement, cest que lon sest rendu compte quun soutien sans réserve des régimes autoritaires, en croyant quils sont les meilleurs moyens de stabilisation du monde arabe, était une erreur. Aujourdhui, les peuples en ont assez et la grandeur de la France nest pas de rester là où elle était il y a vingt ans. Je vous sens un peu conservateur sur ce point.
Q - Je suis même réactionnaire ! Il faut intervenir militairement ?
R - Oui, militairement parce que lon se donne évidemment les moyens de sa politique. Nous ne nous sommes pas arrêtés il y a vingt ans, le monde est différent aujourdhui et notre devoir, maintenant, cest de prendre en compte les aspirations du monde arabe, des peuples arabes à la liberté et à la démocratie. Cest ce que nous avons essayé de faire en Libye avec des succès.
Je suis très fier davoir participé à cette opération, je me sens parfaitement à laise. Nous lavons fait dans le respect du droit international.
Q - Ce nest pas ce que lon ma dit. On ma dit que vous étiez agacé par la présence intempestive de Bernard Henri Levy qui avait annoncé les choses avant.
R - Je ne comprends pas bien. Ce nest pas Bernard Henri Levy qui a convaincu M. Sarkozy dintervenir en Libye, cest une décision que nous avons prise collectivement et que jai totalement appuyée.
Nessayons pas de mettre la zizanie là où il ny en a pas. Jai appuyé cette intervention et dabord, ce nest pas M. Bernard Henri Levy pour qui jai dailleurs, en tant quintellectuel, beaucoup de respect qui est allé aux Nations unies plaider la thèse de la France et qui a obtenu le vote du Conseil de sécurité. Vous devriez recadrer un peu votre analyse du problème.
Cest une présentation extrêmement polémique. Je réagis peut-être un peu vivement à ce genre de propos. Je me sens totalement en continuité avec ce que jai toujours pensé et ce que nous allons continuer à faire, dabord en Tunisie, ensuite en Libye, également en Syrie.
Q - Mais vous ninterviendrez pas militairement en Syrie !
R - Non, mais nous allons continuer à dire quen Syrie la démocratie doit être aussi respectée et nous agissons.
Q - Bombarder en Libye et dire que la démocratie nest pas respectée en Syrie, on pouvait le faire pour 100 États.
R - Nous prenons des sanctions et la ligne de conduite est exactement la même. Aujourdhui, nous pensons que les peuples doivent être pris en considération et que lorsquils veulent changer de régime politique et sexprimer dans un cadre démocratique, il faut les y aider.
Cest ce qui a été fait en Tunisie, il ny a pas eu non plus dintervention militaire.
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Cest ce qui a été fait en Libye parce quun dictateur un peu fou sapprêtait à bombarder les populations civiles
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Q - Vous vouliez aussi parler du lendemain des révolutions arabes Je voulais simplement dire quil y avait une contradiction entre dire quon écoutait les peuples et par exemple ne pas bouger quand lArabie Saoudite réprimait à Bahreïn. Et ce sont des monarchies pétrolières qui nous ont soutenues pour nous débarrasser de Kadhafi et qui elles-mêmes font de la répression
R - Nous avons condamné lutilisation de la force à Bahreïn contre les populations et avons appelé les autorités bahreinis à respecter ces mouvements. Nous navons pas du tout de double langage, simplement les conditions dune intervention militaire ne sont pas réunies à chaque fois. En Libye, cétait absolument indispensable parce que je vous rappelle que les colonnes de Kadhafi fonçaient sur la ville de Benghazi et quil avait annoncé quil y aurait un bain de sang, «quil allait éliminer les rats...» Et on naurait rien fait ? Je suis fier de ce que lon a fait.
Q - Et laprès ?
R Maintenant, on va aider les Libyens à construire un nouveau régime, une nouvelle démocratie. Je ne suis pas aussi pessimiste que vous sur la situation.
Q - Mais ce nest pas le monde des «Bisounours» M. Juppé. On voit bien aujourdhui que les islamistes prennent position
R - Quel pessimisme M. Zemmour ! Vous êtes dramatique sur tout. Je suis confiant en lavenir. Je suis dans laction, je ne suis pas dans la critique permanente.
Q - Je voulais simplement vous dire que je demandais maintenant quelles puissances allez-vous libérer quand on voit quaprès les Printemps arabes, les Islamistes prennent des positions importantes. Vous avez eu des déclarations assez étonnantes, vous avez expliqué quil fallait considérer désormais que lislamisme et la démocratie étaient tout à fait compatibles. Jaimerais comprendre cela. Voilà la citation : «Il y a des gens attachés à lIslam et en même temps prêts à accepter les règles de bases de la démocratie».
R - Voila la vraie citation ! Il ne faut pas déformer mes propos, le mot islamisme en français à une connotation négative de fanatisme quil na pas forcément dans dautres langues. Je préfère parler du rôle de lIslam bien entendu. Ce que jai dit, je le maintiens, nous devons avoir avec lIslam un vrai dialogue, à chaque fois que lIslam accepte un certain nombre de règles de base de la démocratie. Nous lavons fait, et ceci nous permet daller dans la bonne direction. Il ne faut pas stigmatiser et diaboliser lIslam en tant que tel.
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Q - Je nai aucune phobie
R - Jai lu vos papiers. Pour vous lIslam est un danger qui menace la civilisation occidentale. Considérer lislam comme un danger en soi nous conduira aux pires catastrophes. Ce quil ne faut pas accepter, cest le fanatisme islamiste, cest le refus par lIslam dun certain nombre de règles de base qui, pour nous, ne sont pas négociables. Le respect de la liberté individuelle ou bien la possibilité de lalternance, par exemple - quand on prend le pouvoir on doit pouvoir le perdre -, cest cela la ligne de partage.
Q - Y a-t-il un risque de fantasme de la part de ces pays-là ?
R - Bien sûr ! Si on faisait des politiques sans risque, on vivrait dans un monde idéal. Nous avons pris des décisions qui comportent évidemment des risques, mais nous pensons que les chances sont supérieures aux risques. Nous pensons, également, que dans ces sociétés qui se développent, le ferment démocratique lemportera et je souhaite de tout mon cur que la Tunisie puisse devenir un vrai pays démocratique comme demain la Libye ou lÉgypte. Cest un pari sur lavenir, je le reconnais bien volontiers, mais un pari doptimisme. Je ne veux pas concevoir le monde avec des lunettes noires, et en considérant que lIslam nous menace. Ce qui nous menace, ce sont les excès de lislamisme, ce nest pas lIslam. LIslam mérite dêtre respecté en tant que religion dès lors quil respecte des règles de base de la démocratie.
Q - Est-ce quon sait où est le colonel Kadhafi ou a-t-on une vague indication ?
R - Je ne le sais pas. Je vois ici et là des déclarations
Q - Ce nest pas étonnant ?
R - Non ce nest pas étonnant, combien de temps a-t-on mis à récupérer Saddam Hussein ? On la retrouvé dans une grotte après plus dun an de recherche. Les Américains qui avaient des dizaines de milliers de soldats en Irak ont mis plus dun an à le retrouver. La Libye, cest grand et désertique vous savez !
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Q - Cest définitivement fini la Françafrique ? Cest fini depuis que vous êtes arrivé au Quai dOrsay ?
R - Les temps et les murs ont changé, aujourdhui la politique de la France en Afrique est très claire. Nous soutenons les régimes qui respectent les règles du jeu démocratique. Nous lavons fait en Côte dIvoire pour que prévale la décision des électeurs. Les électeurs avaient choisi un candidat, nous avons tout fait pour que celui-ci accède au pouvoir.
Nous le faisons aujourdhui dans les différentes élections qui se succèdent en Afrique et nous allons continuer sur cette ligne-là.
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Q - Quand le dernier soldat français quittera-t-il le sol dAfghanistan ?
R - Nous avons programmé ce retrait de façon très claire. Nous commençons dès cette année par les régions qui sont sécurisées. Notre objectif est de retirer lensemble du dispositif comme la décidé la coalition avant 2014.
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2011