Extraits de l'entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec France Info le 12 octobre 2011, sur la libération de Gilad Shalit et la nécessité de la reprise du dialogue entre Palestiniens et Israéliens, la politique nucléaire de l'Iran, le refus de la Slovaquie de voter le deuxième plan d'aide à la Grèce et l'opposition au régime en Syrie.

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Média : France Info

Texte intégral

Q - Israël et le Hamas ont trouvé un accord hier soir ; Gilad Shalit devrait être libéré dans les prochains jours après cinq ans de détention. Nicolas Sarkozy avait reçu la famille de ce soldat franco-israélien. Il s’est réjoui hier soir de cette libération prochaine. Est-ce que la France a joué un rôle dans cette affaire ?
R - Bien sûr ! Nous nous sommes, comme vous l’avez rappelé, fortement engagés pour convaincre les deux parties de parvenir à cet accord. C’est une formidable bonne nouvelle. J’espère qu’elle va se confirmer très prochainement.
Je pense aux parents de Gilad Shalit que j’avais moi-même rencontrés, au mois de juin dernier, quand j’étais à Jérusalem. Ils attendaient cette libération depuis plus de cinq ans.
Q - Alors, justement, pourquoi cette libération arrive maintenant ? Depuis le début, les Palestiniens réclamaient la libération de prisonniers ; pourquoi Israël a-t-il cédé aujourd’hui ?
R - Ne parlons pas de «céder» ou «de ne pas céder». Il s’agit, selon le Premier ministre israélien, d’un accord satisfaisant et nous ne pouvons que saluer le courage des autorités israéliennes, dont il fallait faire preuve pour libérer un millier de prisonniers. Nous le souhaitions ; il y a eu des médiations. Cela a pris du temps, beaucoup trop de temps naturellement, mais aujourd’hui réjouissons-nous de cette bonne nouvelle !
Q - Est-ce que cela peut aider, selon vous, à relancer le dialogue israélo-palestinien ?
R - Je l’espère ! Je connais la position du gouvernement israélien face au Hamas, mais j’ai l’habitude de dire que l’on fait toujours la paix avec ses adversaires, pas avec ses amis. Il faut donc reprendre le dialogue : c’est le message que la France ne cesse d’adresser aux deux parties, Palestiniens et Israéliens.
Il n’y a pas d’autre solution, pour la paix dans la région et la sécurité d’Israël, que de se remettre autour de la table des négociations et de parvenir à un accord.
Q - Cette nouvelle va plutôt dans le sens de l’apaisement mais, en même temps, on a appris tôt ce matin une nouvelle inquiétante : l’Iran aurait voulu assassiner l’ambassadeur saoudien en poste aux États-Unis - en tout cas les États-Unis le pensent. Que savez-vous de cette affaire qui nous arrive ce matin ?
R - Je n’ai pas d’information particulière. Je sais que les Américains affirment détenir des informations prouvant que les services iraniens sont impliqués. Nous avons beaucoup de problèmes avec l’Iran, qui refuse le dialogue que nous lui proposons, en particulier sur la question nucléaire. Nous avons de bonnes raisons de penser que le régime continue à avancer dans l’élaboration d’une arme nucléaire ; ce qui est bien sûr totalement inacceptable.
Nous avons aussi de graves préoccupations sur la situation des droits de l’Homme dans ce pays. Je crois donc qu’il faut que nous fassions preuve d’une très grande fermeté vis-à-vis de ce régime pour qu’il cesse de violer toutes les règles internationales.
Q - De quels moyens dispose la communauté internationale ?
R - Nous avons une stratégie vis-à-vis de l’Iran que l’on appelle la «double trace» : d’une part, des sanctions sévères que nous avons mises en place et qui commencent à produire des effets…
Q - Cela ne suffit pas, visiblement…
R - Cela n’est pas efficace à très court terme mais, avec le temps, les sanctions donnent des résultats. Et puis, en même temps, nous sommes toujours prêts au dialogue. Nous avons dit aux Iraniens : «si vous acceptez de vous mettre autour de la table et de discuter le dossier nucléaire, nous sommes prêts à dialoguer». Pour l’instant, nous n’avons obtenu que des manœuvres dilatoires ou des refus de la part de Téhéran.
Q - Autre sujet dans l’actualité : la Slovaquie qui a rejeté hier soir le renforcement du Fonds de secours européen. Est-ce que cela veut dire que le deuxième plan d’aide à la Grèce est en danger de mort ?
R - Non ! Ce n’est pas une bonne nouvelle. Il n’y a pas que des bonnes nouvelles ce matin, mais je fais confiance aux autorités de Slovaquie pour adopter ce plan d’aide. Vous savez qu’un second vote sera organisé et, bien entendu, nous souhaitons ardemment qu’il soit positif. Il faut en effet mettre en place l’ensemble des mesures qui ont été décidées au mois de juillet dernier. Ces mesures de soutien sont absolument fondamentales pour le sauvetage financier de la Grèce et pour le renforcement de la zone euro.
Q - Les seize autre pays de la zone euro ont voté ce renforcement. La Slovaquie est l’un des plus petits pays européens et on voit qu’il peut tout bloquer. Est-ce qu’il faut revoir les traités européens ?
R - C’est la règle du jeu. Aujourd’hui, nous sommes dans un système intergouvernemental et tous les pays sont autour de la table pour prendre les décisions. Sans doute faudra-t-il améliorer la gouvernance économique de la zone euro ; vous savez que cela fait partie des décisions annoncées, il y a quelques jours, par la chancelière Merkel et le président Sarkozy.
Q - Il faut donc revenir sur le principe d’unanimité...
R - Nous n’en sommes pas là, mais il y a un gros travail à faire pour améliorer et, surtout, accélérer la prise de décision. C’est bien là notre problème aujourd’hui : la prise de décision dans la zone euro est trop lente, alors que les marchés financiers décident minute par minute.
Q - Alain Juppé, vous avez rencontré lundi soir, à Paris, des représentants de l’opposition syrienne. Vous leur avez apporté votre soutien, mais il n’y a pas encore de reconnaissance officielle par la France du CNS, l’organe représentatif de l’opposition syrienne. Pourquoi la France le fait pour la Libye et pas pour la Syrie ?
R - Parce que l’opposition syrienne n’a pas atteint le stade d’organisation auquel était parvenu le Conseil national de transition. D’ailleurs, le Conseil national syrien ne nous demande pas cette reconnaissance. Nous pensons d’ores et déjà que c’est un interlocuteur avec lequel il faut dialoguer.
Cette soirée était très émouvante. Il y avait beaucoup d’intellectuels, d’artistes et de comédiens qui nous ont parlé de la Syrie, de son histoire, de sa culture, et aussi des témoignages bouleversants sur la répression, les tortures qui sont absolument inacceptables. Vous savez que depuis le début - je l’ai dit d’ailleurs au cours de cette réunion - la France a eu un langage parfaitement clair en dénonçant cette répression inacceptable.
Il est regrettable que nous ne soyons pas parvenus à réunir une majorité au Conseil de sécurité ; la Russie et la Chine ont opposé leur veto à une résolution, pourtant modérée, qui se bornait à demander au régime syrien de cesser la répression. L’Union européenne, en revanche, a pris des sanctions et ne cessent de les renforcer. Nous avons décidé un embargo pétrolier, ainsi que toute une série de mesures visant les principales personnalités syriennes qui sont impliquées dans la répression. Je pense, là aussi, que ces sanctions, petit à petit, produiront des effets.
(…)
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 octobre 2011