Déclaration de M. Jean Léonetti, ministre des affaires européennes, sur les services publics dans le cadre européen, le programme d'aide aux personnes défavorisées, la taxe sur les transactions financières, la PAC et sur la politique de cohésion, à Paris le 23 novembre 2011.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Participation à un atelier sur "Le maire, les services publics et l'Europe" à l'occasion du 94e Congrès des maires et des présidents de communauté de France, à Paris le 23 novembre 2011

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les maires
Effectivement nos échanges étaient francs et sympathiques et il ne pouvait pas en être autrement puisque je suis maire depuis 16 ans et que je connais par conséquent le caractère passionnant du travail d’un maire.
Mais je sais aussi tout ce qu’il comporte d’exigences et éventuellement de contraintes. Et chaque fois que l’on voit une réglementation apparaître, on a l’impression qu’elle vient complexifier une tâche qui est désormais difficile, avec une exigence de nos concitoyens qui n’a cessé d’augmenter.
Les services publics, pour nous les maires, ce sont plutôt des services de proximité. On les voit comme des éléments qui créent le lien, l’échange ; c’est même un des éléments moteurs de notre démocratie locale et de la capacité qu’a un élu local d’avoir un contact direct sur les préoccupations de ses concitoyens.
Enfin, vous le savez aussi, les services publics « à la française », ne recouvrent pas tout à fait la même notion que dans d’autres lieux. Cette spécificité du service public a été mise en place dans le droit français, mais au niveau européen les services publics n’ont pas exactement la même définition, pas exactement les mêmes périmètres. Et la complexité et la difficulté de la construction européenne, c’est d’harmoniser des systèmes qui ne sont pas identiques mais qui doivent obéir à des principes, par contre, identiques.
La France, vous le savez, a une vision – comment la qualifierai-je ? – exigeante de la notion de service public ; c’est inscrit dans notre tradition – je dirais presque dans notre tradition républicaine – et c’est bien qu’on ait pu constater que dans le Traité de Lisbonne, il y avait des éléments positifs qui étaient des marqueurs importants.
Par exemple dans la Charte des droits fondamentaux, il y a le droit d’avoir accès aux services publics. C’est un élément important pour cette Europe qui ne doit pas être qu’économique, qui doit aussi être sociale, que l’on pointe ainsi un élément fondamental : tout citoyen européen doit avoir accès au service public, c’est dans le Traité de Lisbonne, on l’oublie quelquefois, et on peut légiférer à partir de l’article 14 du Traité sur les services publics. Cela n’a jamais été fait, mais c’est l’objet de directives qui sont en cours de préparation.
Préoccupations ? Oui, disons les choses très clairement, le gouvernement était préoccupé, comme les collectivités territoriales, de ce que la Commission prépare ; vous venez d’entendre Michel Barnier, est-ce utile de dire que l’amitié et l’estime profonde que j’ai pour lui ont fait que j’ai confiance ? Mais la confiance n’exclut jamais la vigilance, surtout quand le commissaire ensuite est obligé de trouver un consensus avec un certain nombre d’autres pays qui n’ont, comme je l’ai dit, pas tout à fait la même définition, la même conception, le même périmètre que nous sur le service public.
Donc inutile de dire que le gouvernement soutient Michel Barnier dans l’avancée sur le marché unique, parce que ce marché unique, c’est celui qui doit apporter la prospérité et la croissance pour notre pays et donc créer des emplois, mais en même temps, nous n’acceptons pas, pardon de le dire comme ça, parce nous sommes Français, que l’Europe soit simplement un régulateur financier ou un « harmoniseur » technique.
J’assume le « réenchantement » européen parce que je pense que l’Europe, c’est aussi des valeurs, des hommes, des services publics, c’est une forme très particulière de démocratie et d’équilibre, comme le disait Michel tout à l’heure, entre une économie de marché et en même temps, une économie sociale de marché avec une concurrence libre et une transparence totale. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’on aborde les textes qui vont arriver, on ne peut qu’accueillir positivement l’idée d’une simplification des directives, simplification qui concerneraient les marchés publics, sur des problèmes sectoriels.
Je crois que ce que nous avons évoqué auparavant et le fait que cela s’adresse aux secteurs verts, écologiques, au développement durable et aux secteurs innovants, c’est un élément très important pour la structuration.
On le voit bien dans nos communes, combien ces éléments sont des préoccupations importantes de nos concitoyens, mais dans le même temps, des facteurs de croissance.
Ensuite, il y a la directive sur les concessions de service public. Je ne vais pas être alarmiste, j’ai entendu Michel Barnier, j’ai confiance dans son engagement. Dès janvier 2011, il disait : « en tout état de cause, cette initiative sur les concessions ne remettra pas en question les cadres législatifs nationaux là où ils fonctionnent bien et c’est le cas dans notre pays ».
Donc, nous venons de l’entendre, j’accueille très positivement le seuil de 5 millions d’euros et surtout le maintien de la négociation. Il ne peut pas y avoir de négociation sans concurrence, mais il ne peut pas y avoir de concurrence sans négociation.
La délégation de service public c’est quelque chose que vous pratiquez au quotidien, c’est une démarche de concurrence et de transparence, au coeur de ce que nous concevons comme une démocratie vivante applicable et respectée ; c’est vrai que la loi Sapin est arrivée dans un contexte de financement des partis politiques, rappelons-nous qu’elle est l’élément qui protège les élus du contentieux qui peut survenir.
Il y a des règles, qui sont suivies étape par étape, et à la fin, il y a cette pression importante que le maire peut mettre pour obtenir, en négociation, ce qu’il n’obtient quelquefois pas dans une situation d’appel d’offre dans laquelle il n’y a pas de transaction possible.
On va donc attendre avec vigilance, confiance, un peu appréhension quand même, les concessions de service public, et sachez que le gouvernement pèsera de tout son poids, dans une identité totale de vue sur le sujet avec les collectivités territoriales et avec les parlementaires européens, qui sont présents ici.
Le deuxième problème est celui de l’encadrement européen des financements des services publics, ou plus exactement, comme les appelle l’Europe, les services d’intérêt économique général ; les deux concepts ne recouvrent pas exactement la même chose.
Quand on dit en France service public local, on ne dit pas la même chose que lorsqu’on parle de service d’intérêt économique général. Même s’il est certain que les services publics ont un intérêt économique, nous savons, de toute évidence, qu’il y a une petite différence de conception.
Nous sommes les acteurs de ces services publics et nous savons que cela regroupe des aspects qui sont directement en relation avec la citoyenneté : le transport, les déchets, l’assainissement, le logement social, la santé, nos CCAS ; ce sont tous des services publics et des services au public.
Notre conception, c’est un service par le public et pour le public, et ce n’est pas exactement la conception européenne, il faut bien le reconnaître, en tous cas, pas la conception de tous les pays européens.
Dans cette harmonisation, vous en avez déjà largement débattu, essayons de réfléchir comment doit réagir le citoyen, comment doit réagir le maire et le gouvernement ; le citoyen qui est un usager des services publics même s’il n’est pas que cela, attend l’efficacité et la qualité ; mais j’attire votre attention sur le fait que si on instaure un critère d’efficacité dans les services publics, sans le définir, ça fragilise évidemment la notion de services publics, parce que ça ouvre le contentieux.
Le deuxième élément est positif : c’est exempter de contrôle préalable le financement des services sociaux de proximité. Cela nous met à l’abri de toute une série de complexité et de contentieux, mais pourquoi décider de diviser par deux – sans explications, si ce n’est de dire qu’on fait deux fois moins – le seuil d’exemption des contrôles préalables pour les petits services publics ? Cela ne crée que du travail supplémentaire – or les mairies en ont suffisamment – et donc la complexité, de la fragilité et du contentieux.
Sur ce point, en tant que maires, que voulons-nous ? Nous voulons organiser un service efficace, avec des règles simples, qui apporte ce que nos concitoyens attendent d’un service équitable.
Mais il me semble que si nous voulons aussi que ce service soit au moindre coût pour les finances locales, il ne faut pas augmenter la complexité administrative. La Commission propose d’exempter de contrôle les aides de l’État pour un règlement de minimis spécifique de 450 000 euros sur trois ans, donc 150 000 euros par an.
C’est un élément positif parce que la plupart des services sociaux, en particulier ceux dédiés aux associations, sont très inférieurs à ce seuil, et cela nous libère quand même de tout un champ de complexité.
Par contre, pourquoi mettre un seuil maximum de 10 000 habitants ? Le gouvernement exprime très clairement son désaccord, ce n’est pas un seuil pertinent : le seuil pertinent c’est le seuil du marché, ce n’est pas le seuil de la commune. Comme la plupart des communes sont en intercommunalité, cela aboutit à ce que 80 % de la population se trouve dans cette difficulté supplémentaire.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que les règles soient claires, simples et directement efficaces, mais que l’on ne se retrouve pas avec des critères flous comme l’efficacité qui puissent augmenter la complexité.
Dans ce constat préoccupant, il y a un élément rassurant, c’est que 25 États membres sur 27 consultés ont émis des réticences, et j’ai cosigné avec six autres États, dont l’Allemagne, une lettre qui faisait part des préoccupations qui sont les vôtres et qui sont les nôtres.
J’ai rencontré, bien sûr, Michel Barnier, souvent, mais surtout le Commissaire Almunia, de la DG Concurrence, à qui j’ai expliqué qu’il y avait des problèmes que nous ne pouvions accepter sur les seuils. Je n’ai pas eu l’occasion d’écouter Françoise Castex, mais je sais qu’elle défend des positions qui sont quasiment identiques à celles du gouvernement français et je la remercie de son combat pour cette simplification et cette transparence.
Voilà ce que je voulais vous dire sur ce sujet.
J’ai en même temps été interpellé sur d’autres sujets : concernant le PAD (programme d’aide aux personnes défavorisées), Bruno Le Maire et moi-même étions chargés par le Président de la République, qui s’était clairement exprimé sur le sujet de l’aide aux plus démunis.
Je n’entre pas dans les détails, mais, en clair, il y avait une politique agricole commune, il y avait des surplus, qui ont été donnés dans un cadre assez clair aux plus démunis. Ces surplus, qui étaient de l’ordre de 500 millions, sont tombés à 113 millions, et ne couvraient plus les besoins tels qu’ils étaient antérieurement.
Nous avons acheté de quoi compenser la baisse des surplus et l’Allemagne a porté le sujet devant les tribunaux, qui ont logiquement dit que seuls les surplus pouvaient être redistribués et qu’en aucun cas on ne pouvait acheter de faux surplus pour les redistribuer.
Dans ce contexte, nous avons essayé de trouver une solution avec le Parlement, qui a très largement soutenu cette démarche française, en mettant à contribution deux budgets différents ; cette solution est applicable pendant trois ans. Comme toujours, c’est un compromis entre la France et l’Allemagne, qui permet quand même d’avoir une visibilité jusqu’aux premières échéances du projet de financement pluriannuel 2014-2020.
D’ici là, la France vous le savez, se battra pour qu’on trouve sur un autre budget, peut-être le fonds de solidarité européen, la capacité de continuer à aider les plus démunis ; je vous livre cela de manière un peu brutale, mais ce serait très anormal qu’on voie une Europe qui se débat avec des milliards et des banques à longueur de coupures de presse et qui ne serait pas capable de débourser une centaine de millions – pour la France 60 à 70 millions d’euros – pour les plus pauvres et les plus démunis du continent européen.
En termes d’image, je continuerai à me battre pour que cette aide soit renationalisée.
Concernant les taxes sur les transactions financières, l’idéal c’est qu’elles soient imposées au niveau mondial ; vous avez bien compris que cette taxation ne touche pas l’économie réelle, donc ne touche pas la croissance ni l’emploi, seulement les transactions financières.
Il est donc logique, voire moral, comme l’a dit le Président de la République, que les éléments constitutifs de la crise soient aussi des éléments qui puissent en partie la réparer.
Pour autant, cette conception n’est pas partagée par le monde entier ; on sait que les États-Unis sont réticents, même si le Président Obama a émis des signes d’ouverture ; on sait que la Grande-Bretagne n’y est pas très favorable ; néanmoins, comme l’a dit le Président de la République, il faut avancer.
La France et l’Allemagne y sont favorables : qu’est-ce qu’un bon impôt ? Tous les maires le savent, c’est un impôt qui a une assiette très large et un taux très bas ; la taxe sur les transactions financières, si on la met à un taux très bas, de l’ordre non pas de ce qui a été fait en Suède, à 1 %, mais de 0, …%, on a peu de chances de voir les marchés financiers se déplacer d’une place européenne à une autre et on a un levier, qui peut selon le nombre d’États qui s’y engageraient, atteindre de 40 à 50 milliards d’euros ; c’est un élément qui me paraît, à titre personnel, intéressant.
Si l’Europe pouvait avoir des recettes propres sans créer d’impôt européen, ça lui donnerait aussi une capacité d’agir sur la croissance et sur l’emploi et sur la compétitivité alors que la plupart de nos États ont fait, ou sont en train de faire des plans de rigueur et de discipline budgétaire qui empêchent cette relance. L’Europe de la relance, elle se fait aussi par des recettes propres.
Vous m’avez posé la question sur la réciprocité : oui, bien évidemment ; pourquoi 11 % des pneus qui entrent dans l’Union européenne ne respectent pas les critères de l’Union européenne ? On établit des règles d’écologie, des règles sociales, des contraintes, des éléments de surveillance, et on accepte 10 à 11 % de produits qui viennent de l’extérieur sans avoir les mêmes règles !
Imposer la réciprocité ce n’est pas imposer un protectionnisme, c’est simplement de la concurrence loyale ; c’est : ne fermez vos marchés à l’Europe, sinon l’Europe vous fermera ses marchés.
C’est aussi ne pas accepter à l’intérieur du territoire des produits qui ne correspondant pas aux critères que l’on impose aux entreprises au sein de l’Union européenne : cette position est soutenue là encore par la France.
Il est inutile de dire que des pays comme la Grande-Bretagne ne sont pas très favorables à la réciprocité mais nous devons l’imposer car il en va de la validité de nos critères européens en matière de développement durable et en matière sociale. Je pense aussi, en ce domaine, qu’un jour on pourrait créer la taxe carbone si elle n’était pas limitée à la France ; si l’Europe acceptait de l’imposer à ses frontières, je trouve que ce serait une avancée très positive parce qu’on pénaliserait ceux qui ne respectent pas les critères européens, tout en créant une recette.
Enfin, vous m’avez parlé des fonds structurels : la PAC c’est la ligne rouge, « touche pas à ma PAC » disent les Français. Donc nous n’accepterons aucune perspective financière qui ne stabiliserait pas la politique agricole commune ; parce que nous sommes Français et parce que nous sommes Européens : on a désindustrialisé l’Europe et il ne faudrait pas que maintenant l’agriculture suive le même chemin et que l’on soit dépendant dans un climat dans lequel, vous l’avez vu, la sécurité sanitaire des produits alimentaires est importante mais leur volatilité l’est aussi.
Si l’on veut défendre l’Europe et nos peuples européens, il faut qu’il y ait une politique agricole commune et cette PAC, c’est une politique communautaire. Ce n’est pas une politique partagée, c’est une politique que fait l’Union européenne en tant qu’Union européenne.
Je pense que tout le monde a bien compris que la France n’acceptera pas une diminution significative de la PAC, elle n’acceptera que la stabilisation de la PAC.
Expliquons nous : la France dit « il faut dépenser mieux plutôt que dépenser plus ». Tous les États membres font des efforts budgétaires. Comment pourrait-on accepter que dans ce contexte, on accepte un chiffre qui serait 9 ou 10 % d’augmentation d’un budget dans l’Europe ? Comment expliquer à nos concitoyens que l’Europe peut augmenter son budget de 10 % et que la France ou l’Allemagne ne pourront pas augmenter les leurs de 1 à 2 % – taux de l’inflation – voire devront les diminuer ?
Est-ce que cette politique de cohésion ne doit pas être repensée en termes d’agenda 2020 ? C’est se dire qu’on a dépensé de l’argent et qu’il n’y a pas à le regretter : la politique des fonds structurels a permis à un certain nombre de régions, les plus pauvres, de sortir des difficultés dans lesquelles elles se trouvaient et d’apporter aux populations un bien-être indubitable.
Mais posons-nous quand même la question : avons-nous tout fait pour que ces fonds servent exclusivement, ou principalement, à la croissance de demain, à l’emploi et à la capacité de construire une Europe compétitive ? Lorsque je vois l’Europe financer une bergerie qui crée des emplois et une activité et que cette activité permet à la fois au territoire de se refonder sur son authenticité et en même temps d’avoir une productivité positive et de la création d’emploi, je dis qu’elle a bien fait.
Je ne suis pas tout à fait sûr, et je ne citerai aucun exemple, que l’on ait toujours employés les fonds structurels vers l’emploi, la compétitive et la croissance.
L’objectif de la France, c’est de dire oui à une politique de cohésion, mais à une politique de cohésion orientée vers la croissance et l’emploi pour qu’on ne se retrouve pas, dans cinq ou dix ans, à dire que l’on n’est pas compétitif vis-à-vis de l’Inde et de la Chine, que nous n’avons n’a pas été capables, même en nous regroupant, de créer la croissance de demain.
Je crois qu’en matière de recherche, de développement durable et de création d’emplois de proximité, d’avancée sur les territoires, l’Europe doit continuer à faire ce qu’elle fait et bien, mais elle doit avoir cette obsession particulière.
Un mot sur les jumelages, puisque vous êtes maires, vous aurez droit à la séquence publicitaire du ministère des Affaires européennes, qui lance un concours qui ressemble un peu aux « Mariannes d’Or » pour le jumelage des jeunes.
Si vous avez un jumelage avec une ville européenne qui permet des échanges fructueux entre des jeunes sur le plan culturel, linguistique, sur la compréhension de la diversité, vous pouvez participer aux villes « eurocitoyennes » et vous aurez le plaisir d’être labellisé par le ministère et d’avoir une récompense en grande partie symbolique mais qui montrera que les villes s’engagent dans cette proximité et dans cet avenir : la jeunesse des peuples européens, c’est l’avenir de l’Europe et plus on développera la conscience que l’Europe est notre deuxième espace de citoyenneté, plus on aura confiance dans l’avenir des peuples européens.
J’ai été un peu long, je vous prie de m’en excuser.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions, si vous le souhaitez.
Source http://www.amf.asso.fr, le 25 novembre 2011