Interview de M. Laurent Wauquiez, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à Europe 1 le 21 novembre 2011, sur le meurtre dune collégienne à l'internat de Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire)et la récidive des mineurs délinquants.

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Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH Le Chambon sur Lignon c'est chez vous, ce sont vos racines.
 
LAURENT WAUQUIEZ Ah oui !
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Le Chambon sur Lignon ne comprend pas le drame qui la frappe. Ce matin, elle s'interroge, évidemment. Mais elle est apparemment sous le choc encore.
 
LAURENT WAUQUIEZ Vous savez, ce qui s'est passé a été terrible. Ca été terrible évidemment d'abord pour les parents, mais je crois que tous les habitants du Chambon l'ont reçu comme une blessure au plus profond d'eux-mêmes. Ce qu'il faut bien comprendre c'est que d'abord c'est une commune qui est sereine, c'est une commune qui était loin des violences de la société moderne. Et tout d'un coup, il y a cette espèce de tragédie qui a ébranlé absolument tout le monde. Hier, la marche blanche, parce qu'il devait y avoir tous les habitants qui étaient là, des grands-mères qui avaient 95 ans jusque aux élèves du collège Cévenol qui étaient là, tout le monde était là dans un silence et une dignité qui était impressionnante. Et on a marché ensemble dans cet espèce de drame que tout le monde est en train de vivre depuis maintenant trois jours, en pensant à Agnès, en pensant à ses parents, et puis en pensant à ce qu'est l'histoire du Chambon.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Oui, c'est une commune qui est célèbre pour avoir protégé des jeunes juifs pendant la guerre avec tellement d'humanité et de dignité. On comprend que les populations aient été saisies par l'horreur de la violence et le crime d'un adolescent. Ca c'est vrai.
 
LAURENT WAUQUIEZ Oui, parce que ce qu'il faut bien voir c'est que c'est pas une commune banale, c'est pas une commune comme les autres. Bien sûr, c'est une commune modeste, mais elle a une très forte histoire. Vous l'avez rappelé, pendant la guerre, dans cet endroit-là, des enfants, des étudiants comme Agnès, qui étaient des étudiants juifs, ont été accueillis, ils ont été cachés, ils ont été protégés par les habitants du Chambon sur Lignon contre la haine et la destruction des nazis. Et ce lieu est foncièrement un lieu de paix. C'est un lieu de tolérance. Et ce drame est tellement loin de ce qu'est l'âme du Chambon sur Lignon que ça a laissé tout le monde traumatisé.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et pourtant, il s'est produit. Cet internat, d'après ce que vous savez jusqu'ici, est réputé sévère et sans histoire. Est-ce qu'il cache d'autres secrets ? Est-ce qu'il y a peut-être encore d'autres jeunes qui sont arrivés dans ces circonstances-là ?
 
LAURENT WAUQUIEZ Vous savez, je crois qu'une des leçons de ce qui s'est passé c'est que le mal n'épargne rien, et même pas les refuges les plus sacrés. Après, ce collège Cévenol c'est une institution qui est institution où on essaie de faire confiance aux étudiants, ou le but c'est de permettre d'avoir des étudiants qui viennent de tous les horizons, qui se rencontrent ensemble, d'essayer de les faire repartir sur un bon chemin, sur une bonne direction. C'est en endroit qui a une très forte tradition de pédagogie.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais, Laurent WAUQUIEZ, les responsables du lycée savaient, et ils l'ont dit, que le jeune homme avait déjà effectué quatre mois de détention provisoire pour viol d'une mineure. Ils n'ont pas cherché à en savoir davantage ? Est-ce qu'ils n'ont pas manqua de curiosité ?
 
LAURENT WAUQUIEZ Vous savez, ce que je pense c'est que là on va avoir besoin bien sûr de faire toute la lumière. Il va falloir comprendre qui savait quoi, comment est-ce qu'il y a pu avoir un enseignement macabre qui a abouti à cette tragédie. Mais je ne voudrais surtout pas qu'on commence à faire des spéculations dans tous les sens.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Est-ce que je peux dire aussi que c'est la maire de Chambon qui a dû informer la famille d'Agnès qui était venue spécialement de Paris, où elle habite, et apparemment en espérant à ce moment-là qu'on retrouverait vivante Agnès. Et c'est la maire de Chambon qui a donc informé des conditions atroces de la mort d'Agnès. Et la maire, c'est votre maman, qui est encore bouleversée.
 
LAURENT WAUQUIEZ Oui, ça été…enfin, pour elle ça été une épreuve qui est terrible. Je pense que tout le monde peut imaginer ce que représente pour des parents qui ont leur fille qui en internat, auxquels on annonce qu'elle a disparu, et ils attendent. Et ils attendent une bonne nouvelle. Et ils espèrent que on va finir par leur dire que leur fille, qui avait fait des fugues, est revenue, et qu'elle est là, et qu'ils vont pouvoir l'embrasser. Et ce qu'a dû faire maman, eh ben c'est tout simplement leur annoncer que non, qu'elle n'allait jamais revenir. Et que en plus ils ne la reverraient jamais parce qu'elle avait été brûlée. Et je crois que ça, enfin c'est…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH …oui, ça marque.
 
LAURENT WAUQUIEZ Ce drame-là, une maman en porte les stigmates, mais ceux à qui évidemment auxquels on pense c'est les parents pour lequel ça été terrible.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Que savait-elle, Laurent WAUQUIEZ, votre maman, que pensait-elle du fonctionnement du Cévenol maintenant accusé de laxisme ?
 
LAURENT WAUQUIEZ Il ne faut surtout pas…enfin, ce qui s'est passé peut arriver sans doute, et c'est aussi une des réflexions qu'on doit avoir, dans bien des établissements. Et le sujet n'est pas le sujet du laxisme du collège Cévenol, ou du laxisme d'untel, pour l'instant le maire du Chambon sur Lignon, comme les habitants du Chambon, ils sont d'abord dans essayer de panser les blessures, et pas à commencer à être dans la polémique.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais qu'est-ce qu'on fait à l'égard de, même de jeunes criminels sexuels ?
 
LAURENT WAUQUIEZ Vous savez, là-dessus, je pense qu'honorer la mémoire d'Agnès c'est aussi accepter de se poser les questions que soulève son drame. Pour moi, il y a trois questions qui sortent de ce drame. Le premier d'abord, c'est la question des criminels sexuels, de ces prédateurs, et je crois qu'il faut à un moment employer les termes clairement.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Même quand ils sont jeunes, même qu'ils sont bons élèves comme Mathieu ?
 
LAURENT WAUQUIEZ Bien sûr, ce n'est pas tout à fait…enfin, ce n'est pas la même chose, mais en même temps qu'est-ce qui s'est passé ? Ca été un drame terrible. Et je crois qu'une des questions qui est posée autour de ces…enfin, voilà, de ces dérives, c'est d'abord la première chose, en apparence ils se sont, voilà, bien intégrés. Un élève qui suivait ses cours normalement, dont on pouvait penser qu'il n'avait pas de pulsion spécifique. Sauf qu'on s'aperçoit bien, je trouve, que sur ces histoires de criminels sexuels la pulsion revient. Et donc, si on veut s'en protéger, il faut qu'on prenne ça en compte. Cette pulsion peut toujours revenir. Comment est-ce qu'on fait pour protéger la société par rapport à ces criminels sexuels.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et en même temps, protéger les mineurs.
 
LAURENT WAUQUIEZ Alors, ça, c'est pour moi la deuxième question. On a des règles juridiques qui assurent une très grosse protection des mineurs. Sauf qu'un certain nombre de jeunes dans notre société sont beaucoup plus violents, beaucoup plus violents qu'à l'époque où on avait adopté ces règles dans l'immédiat après-guerre. Et donc, il faut sans doute qu'on se pose les bonnes questions. Comment est-ce que aussi, moi…enfin, et là c'est le papa qui parle, comment est-ce qu'on assure protège nos enfants dans cette société moderne et comment est-ce que bien sûr il y a la protection des mineurs. Et en même temps, on ne peut pas laisser n'importe qui pouvoir faire n'importe quoi dans cette société où on aussi besoin de savoir que l'on est protégé.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Est-ce que vous en concluez que la justice et les établissements doivent s'informer, se concerter sur des cas particuliers, troubles, et en quelque sorte partager les secrets ?
 
LAURENT WAUQUIEZ Alors, ça, pour moi, c'est la dernière question, c'est celle de l'information : comment est-ce qu'on fait pour informer correctement ? Alors, il faudrait qu'on prenne le temps, qu'on prenne le temps de faire la lumière sur ce qui s'est passé, de bien comprendre, ne pas instrumentaliser…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH … parce qu'il faut connaître la vérité de ce qui s'est passé, et vous pensez bien qu'il y a eu des défaillances et probablement des dysfonctionnements et des erreurs. Il ne faut pas le nier.
 
LAURENT WAUQUIEZ Je pense qu'il y a eu un enchaînement.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Oui !
 
LAURENT WAUQUIEZ Il y a eu un enchaînement macabre. Maintenant, ce qu'il faut comprendre, c'est bien se poser cette question : comment est-ce que quand il y a des gens qui sont placés sous protection judiciaire, notamment pour des crimes sexuels, comment est-ce qu'on assure une bonne information de tous les acteurs qui doivent être là pour faire quelque part un cordon de protection inaliénable ?
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Laurent WAUQUIEZ, on n'a pas entendu la voix du ministre de la Justice. Est-il normal que Michel MERCIER reste silencieux dans une affaire pareille ?
 
LAURENT WAUQUIEZ Moi, la voix du ministre de la Justice je l'ai entendue, et je peux vous dire que je l'ai même entendue très tôt. J'ai eu Michel MERCIER dès vendredi au téléphone. On a eu des très longs échanges ensemble. Et j'ai eu des discussions avec les équipes du Premier ministre. Et j'ai senti chez eux que, voilà, ils ont tout de suite pris la mesure de ce drame. Il y a d'ailleurs dès cet après-midi une réunion autour de François FILLON sur ce sujet. Et je sais qu'ils auront à coeur de ne pas laisser ça passer. Mais, permettez-moi d'ajouter une chose, je voudrais bien qu'on n'instrumentalise pas ce qui s'est passé, cette tragédie dans un lieu de paix. Hier, les habitants du Chambon sur Lignon ont donné une image de dignité, et je ne voudrais pas que avec l'emballement politique, médiatique, qu'on connaît souvent, que chacun se mette à aller de son petit commentaire à la va-vite.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais, vous avez noté que tout à l'heure Pierre MOSCOVICI, avec Bruce TOUSSAINT, a exclu une exploitation politicienne de ce drame de Chambon sur Lignon.
 
LAURENT WAUQUIEZ C'est bien pour ça que ce matin si j'ai voulu prendre la parole alors que jusque-là je ne l'avais pas fait, c'était pour faire un appel à la retenue, voilà. Je ne veux pas que ça aboutisse à une instrumentalisation. Honorer la mémoire d'Agnès c'est accepter de se poser les questions, mais pas dans la polémique, dans le respect et dans la dignité.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 novembre 2011