Texte intégral
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs,
I- L'essor de la démocratie participative
Je suis très heureux de conclure cette rencontre nationale que j'ai souhaité consacrer aux conseils de quartiers et à la démocratie locale. Le nombre des participants, la qualité des interventions, parfois divergentes, toujours riches, la vivacité des débats, tout cela me renforce dans la conviction que les thèmes que nous avons abordés sont au coeur même des enjeux fondamentaux de notre démocratie.
Ces enjeux sont d'autant plus forts quand on parle de territoires, et notamment de certains quartiers populaires de notre pays, qui cumulent des handicaps sociaux et urbains. Leurs habitants sont en attente forte de s'exprimer et en droit d'être mieux entendus par leurs élus.
1) La démocratie de proximité constitue un enjeu politique majeur car elle est une exigence croissante de nos concitoyens
Les dernières élections municipales ont encore montré l'importance de cette préoccupation et cette rencontre d'aujourd'hui tombe à pic ! Après des élections où la demande de proximité n'a jamais été aussi manifeste, après des élections qui ont montré une abstention toujours plus forte des habitants des quartiers populaires par rapport à ceux des centres villes, parler de démocratie de proximité, constituait bien une opportunité politique à saisir.
La politique de la ville a été portée il y a plus de 20 ans sur ses fonds baptismaux par Hubert DUBEDOUT, avec l'intime conviction que sa réussite était conditionnée par la participation des habitants, et par leur réelle implication dans sa conception. 20 ans plus tard, il était non seulement temps de tirer un bilan des expériences menées, mais surtout de revisiter ensemble la méthode et le contenu politique qu'il nous faut donner à cette notion de "participation".
Pour la politique de la ville, la démocratie de proximité ne peut se résumer à un simple dispositif technique qui s'ajouterait à bien d'autres. C'est un des actes fondateurs de notre action autant qu'un impératif de réussite ; notre devoir est de ne jamais le perdre de vue.
2) La démarche participative est une condition de la réussite du renouveau social et urbain de nos villes
L'expérience nous l'a prouvé, les bonnes intentions ne suffisent pas à concrétiser la démarche participative. Si aujourd'hui nous voulons marquer des points dans ce domaine, il nous faut définir les moyens, la méthode, les objectifs à atteindre, et les évaluer en permanence.
C'est la raison pour laquelle j'ai voulu que dans tous les Contrats de Ville, et encore plus dans tous les Grands Projets de Ville, soient mentionnées clairement les conditions dans lesquelles la participation des habitants sera mise en oeuvre.
Cette obligation "contractuelle", signée entre les partenaires des dispositifs de la politique de la ville, constitue une première, qui doit nous permettre d'obtenir des résultats significatifs. Plusieurs expériences qui ont été présentées au cours de cette journée, prouvent que ces démarches se mettent en place, parfois même de manière exemplaire, à travers de véritables chartes de la participation. J'appelle tous les élus à adopter cet engagement : symbole d'une volonté locale, la charte de la participation contribuera à définir une méthode, des moyens, et les conditions de son évaluation.
J'attire aussi votre attention sur un aspect auquel je tiens tout particulièrement : L'ensemble des dispositifs de la politique de la ville, et en priorité les contrats de ville, seront soumis à évaluation à mi-parcours. Cette façon moderne de concevoir le partenariat entre l'Etat et les collectivités locales, constitue une nouveauté, et devra en particulier examiner avec beaucoup d'attention, les dispositifs par lesquels les habitants ont pu s'exprimer sur le projet de leur ville. Un comité national d'évaluation, dont j'ai demandé à René Vandierendonck, Maire de Roubaix, d'assumer la présidence, veillera en particulier à inscrire dans les critères d'évaluation, la participation des habitants.
C'est aussi dans cette logique que je souhaite la création d'une conférence permanente de la démocratie locale et des conseils de quartiers, dont l'animation serait confiée au Conseil National des Villes. Le CNV pourrait dans ce cadre, organiser régulièrement des débats dans toutes les régions, pour confronter les points de vue des élus, des habitants et des professionnels et procéder à des évaluations annuelles sur cette question.
3) La nouvelle culture de la confiance, c'est d'abord prendre en compte le temps de la concrétisation
En définitive, cette revendication citoyenne doit pouvoir trouver à chaque moment et à chaque niveau de la décision publique, des espaces de débats et de confrontations, des interlocuteurs et des partenaires qui l'accueillent avec un esprit d'ouverture, et non une culture de la méfiance. Ce changement là, le plus subtil, le plus ténu, celui par lequel les relations entre les élus, les services de l'Etat et des collectivités locales, les citoyens, les associations, peuvent le plus changer, dépend de chacun d'entre nous.
Jouer le jeu de la démocratie de proximité implique de respecter le sens du courant : ne pas soumettre des projets "ficelés d'avance" à une fausse approbation populaire - quelle qu'en soit la forme -, mais accepter l'intelligence collective pour répondre aux préoccupations des habitants, en bref, élaborer ensemble un projet faisant écho aux attentes de nos concitoyens.
Les conseils de quartiers sont des lieux de confrontation essentiels à la démocratie, essentiels pour gouverner une ville.
L'expression du citoyen devient l'arme d'un pouvoir : pouvoir de dire mais aussi de faire, pouvoir de sortir de sa solitude et d'agir collectivement, pouvoir de se sentir acteur du développement de sa cité.
Ce sentiment d'être dépositaire des clés de sa ville est le socle même du politique dont on dit, à raison, qu'il est parfois affaibli. C'est lorsque les habitants se sentent investis et responsables qu'ils peuvent reconsidérer la politique, puisqu'ils en sont alors les premiers acteurs.
C'est donc d'abord sur le quotidien qu'il nous faut répondre à nos concitoyens. Qu'il s'agisse de propreté, d'éclairage public, de tranquillité publique, qu'il s'agisse de l'implantation du mobilier urbain, des aménagements de voirie, et de la définition de l'offre de loisirs et d'accès à la culture, il nous faut débattre et nous organiser pour répondre à des demandes ascendantes, et non pas seulement discuter de propositions descendantes.
Un exemple possible parmi d'autres d'une démarche ascendante, est cette question que nous sentons très sensible, car très concrète, très quotidienne, et que nous résumons dans une expression encore enigmatique pour certains, mais explicite dans ses objectifs : "le temps des villes". Comme vous le savez, j'ai confié à Edmond Hervé, député-maire de Rennes, une mission sur ce sujet.
Des villes ont déjà engagé une réflexion, et Paris a récemment montré la voie en chargeant la première adjointe au Maire, Anne Hidalgo, de cette délégation. Mettre en oeuvre des politiques temporelles, pour mieux faire coïncider les temps des citoyens avec ceux des services publics, pour que la double journée des femmes cesse et que la ville batte au tempo des habitants, semble aujourd'hui une véritable attente. J'ai proposé que, dans la prochaine loi de décentralisation, un article prenne en compte la place préeminente des conseils des quartiers dans cette nouvelle façon de penser la vie quotidienne en ville.
C'est par cette méthode du quotidien, que la démarche participative trouvera son ancrage et permettra véritablement de définir des projets à plus long terme, comme ceux relatifs aux grands enjeux d'urbanisme.
Il nous faut, en définitive, relier deux échelles de temps différentes : l'immédiat, qui transformera le futur en espoir, et non en résignation.
4) La nouvelle culture de la confiance, c'est aussi accorder aux citoyens les vrais moyens de leur expression
La participation, telle que nous l'évoquons, est un processus complexe fait de dialogue, d'écoute, et de réponses.
Mais participer, c'est aussi le pouvoir d'agir directement, de façon autonome, sur la vie de son quartier, de sa ville. Les associations notamment, sont des acteurs essentiels de la vie locale, elles sont devenues avec le temps de véritables partenaires de la politique de la ville. Dans le champ qui leur est spécifique, elles sont des vecteurs de lien social, de proximité, de convivialité, extrêmement important.
En ayant considérablement augmenté les moyens budgétaires qui leurs sont destinées, j'ai voulu les aider dans leur travail quotidien. En cherchant par tous les bouts à simplifier les démarches administratives auxquelles elles sont confrontées, j'ai voulu leur faciliter la vie, j'ai surtout voulu qu'elles s'occupent d'abord de répondre à leur objet social, plutôt que de passer un temps trop important, à la recherche de financements. Je le sais, nous avons encore beaucoup de progrès à faire en ce domaine.
Monsieur Jean-Claude Sandrier, député du Cher, me remettra dans les prochaines semaines, le rapport que le Premier ministre lui a commandé sur ce sujet. J'en tirerai toutes les conclusions pour, très rapidement, poursuivre les mesures de simplification qui devront permettre de résoudre l'essentiel des difficultés encore relevées actuellement.
Enfin, en créant des fonds de participation des habitants - dont la fonction principale sera d'aider les habitants à prendre de manière autonome des initiatives dans leurs quartiers - j'ai voulu donner les moyens aux habitants d'être directement porteurs de projets. A ce jour, 150 fonds de participation sont créés, mais nous voulons en créer bien davantage et élargir leur rôle, par exemple pour financer un droit à l'expertise technique, à la demande de plusieurs associations. J'en appelle donc aux élus, aux représentants de l'Etat au niveau local, et aux associations, pour qu'ils prennent en main cette possibilité et la concrétisent au service des habitants.
5) Une perspective nouvelle : le projet de loi relatif à la démocratie de proximité et aux institutions locales
Le Gouvernement s'est aujourd'hui engagé dans une voie résolument nouvelle. Inspiré par les pratiques de terrain qui n'ont cessé de se développer ces dernières années, fort des expériences locales des conseils de quartiers, des commissions extra municipales et autres formes d'association des habitants à la vie de la cité, le temps semble venu de généraliser les pratiques participatives.
Cette dynamique a été renforcée dès 1992 par la loi sur l'administration territoriale de la République, qui avait introduit, entre autres innovations, la possibilité pour les maires d'organiser des référendums d'initiative locale, sur les sujets qui dépendent de leurs autorités. Nous avons constaté l'intérêt de cette démarche, tant du point de vue des élus que des habitants.
C'est dans cette perspective que Daniel VAILLANT, Ministre de l'intérieur, présentera dans les tous prochains jours, un projet de loi sur la "Démocratie de proximité et les institutions locales".
L'article 1er de cette loi proposera la création, dans toutes les villes de plus de 20 000 habitants, de "conseils de quartiers" issus des pratiques expérimentales dont nous avons parlé aujourd'hui. C'est un événement important pour notre pays, car c'est la première fois que le législateur introduit dans la loi, une forme élaborée de démocratie participative.
Il dépendra de nous, de notre mobilisation collective, de la conviction des élus, d'assurer la mise en uvre de cette loi quand elle aura été définitivement adoptée. Le gouvernement propose un outil, mais c'est aux acteurs socio-politiques de s'en emparer, pour en faire une réalité vivante et dynamique. J'espère que nos travaux de ce jour contribueront à cette dynamique.
II- La modernisation de notre système démocratique
Je pense par ailleurs que ce développement de la démocratie de proximité, que nous appelons tous de nos voeux, ne pourra se réaliser si, dans le même temps, nous ne rénovons pas notre démocratie représentative, si nous n'engageons pas un nouveau et puissant mouvement de décentralisation et si nous ne lançons pas la réforme de l'Etat qui doit l'accompagner.
1) La rénovation de notre démocratie représentative, d'abord
En introduisant par la loi, la parité hommes-femmes, le Gouvernement a posé un acte politique majeur. Nous avons tous observé - et les élues qui sont présentes dans cette salle en sont une parfaite expression - l'émergence de toute une génération de femmes, aujourd'hui en charge d'importantes responsabilités au sein des conseils municipaux.
Cette avancée considérable constitue une première étape d'une rénovation démocratique qu'il nous faut poursuivre en profondeur.
Cela passe toujours par la limitation du cumul des mandats et par l'élaboration d'un statut de l'élu.
Cette rénovation démocratique impliquera également une meilleure prise en compte de la représentativité urbaine dans l'élection des assemblées départementales, et, demain, l'élection au suffrage universel direct des responsables d'agglomération, dont les responsabilités importantes impliquent le contrôle des citoyens.
Il nous faudra bien sûr renforcer le droit des minorités dans les conseils élus, en garantissant notamment la pluralité de l'information locale.
Il nous faudra enfin envisager une séparation des fonctions exécutives et des fonctions délibérantes, afin que le principe de séparation des pouvoirs s'applique aussi aux collectivités locales.
Le projet de loi que présentera Daniel Vaillant, répond déjà à certaines de ces préoccupations.
Je souhaite évidemment par ailleurs, que le droit de vote des étrangers aux élections locales reste dans nos objectifs, comme un acte majeur de réactivation de la démocratie locale. J'espère vivement que dans un proche avenir, nous pourrons réunir les conditions politiques nécessaires à l'adoption d'une loi relative au droit de vote des étrangers aux élections locales. Mais face aux difficultés politiques que nous connaissons pour atteindre cet objectif, les formations politiques doivent anticiper. Ces citoyens représentent déjà naturellement notre pays dans de nombreux domaines, notamment sportifs ou culturels, ouvrons-leur plus largement la porte de la participation à la vie politique.
2) La nécessaire accentuation de la décentralisation, ensuite
Depuis 20 ans, un certain nombre de lois ont permis à notre pays de sortir de l'immobilisme et d'un jacobinisme étatique dépassé.
Dès 1982, les grandes lois de la décentralisation ont été mises en chantier. Elles ont abouti aujourd'hui à des transferts de compétences importants vers les collectivités locales, que se soient les communes, les conseils généraux ou les conseils régionaux.
Ces lois doivent être aujourd'hui prolongées par une deuxième étape de la décentralisation. Notre organisation actuelle, à la fois confuse et toujours trop centralisée, bloque le développement des territoires et inhibe ses ressources.
Il faut reconnaître par exemple que notre modèle d'éducation nationale - même si le sujet est sensible et complexe - doit évoluer vers une plus grande territorialisation, et donner plus d'autonomie et de responsabilités aux équipes éducatives (enseignants, associations, parents, élus...) afin de retrouver son rôle majeur de promotion et de réussite sociales.
Il faut admettre aussi que les maires ont un rôle légitime à jouer dans la coordination des acteurs de la sécurité, car ils sont au coeur de la vie locale et doivent en rendre compte, en permanence, à leurs administrés.
Mais dans les domaines des transports, de l'aménagement, du logement, de la culture, du tourisme, de l'environnement, sur tous ces secteurs, le transfert de nouvelles compétences au niveau local apparaîtra de façon encore plus évidente comme un mouvement inéluctable.
Il nous faudra aussi aller plus loin dans les mécanismes de solidarité financière entre les communes à fort potentiel fiscal et celles à fortes dépenses sociales.
3) L'indispensable réforme de l'Etat, enfin
Je suis convaincu qu'il n'y aura désormais plus de réelle réforme de l'Etat sans un puissant mouvement de déconcentration, et inversement, de nouvelles avancées dans la décentralisation devra correspondre une profonde réforme de l'Etat. La norme de fonctionnement doit être la déconcentration. Il est aberrant de constater aujourd'hui encore, que subsistent de nombreux fonds d'intervention gérés par les ministères au niveau national ! Tout cela doit disparaître. La politique de la ville veut donner l'exemple, elle qui déconcentre 95 % de ses crédits publics au plus près du terrain.
***
Mesdames et Messieurs,
Cette démocratie participative que nos voulons construire, n'est pas un cadeau ou une concession que ferait l'Etat à des citoyens de seconde zone qu'on consulterait de temps en temps, quand vraiment on ne peut pas faire autrement. Elle ne doit pas être non plus une contrainte supplémentaire qu'auraient à subir les habitants des quartiers populaires. Bien au contraire, le développement et la consolidation de cette démocratie de proximité représentent un enjeu de relégitimation de l'action publique.
Nous connaissons la difficulté de faire participer à des réunions de concertation - parfois trop techniques et aux enjeux quelquefois lointains - des personnes écrasées par leurs problèmes d'emploi, de logement, de formation, d'éducation et qui ont du mal à joindre les deux bouts. La participation ne peut pas fonctionner par injonction à des populations précarisées, qui ignorent leurs propres compétences, se heurtent à des barrages culturels connus, et sont en ignorance de leurs droits, parfois les plus élémentaires.
Les réussites sont nombreuses et doivent nous encourager à les amplifier, à les généraliser. C'est d'ailleurs l'une des conditions indispensables pour éviter un développement séparé de la ville, l'installation d'enclaves ethniques et de ghettos sociaux et culturels avec comme corollaire, l'émergence de mouvements nihilistes, communautaires ou extrêmistes.
Je voudrais que vous repartiez ce soir dans vos villes et vos quartiers, convaincus de notre volonté commune de développer et de renforcer la démocratie de proximité, pour répondre à ces attentes légitimes, confortés par le bouillonnement formidable qui existe déjà et dont cette journée a été un écho remarquable.
Mesdames et Messieurs,
Aujourd'hui, nous avons une obligation de résultat. Après le temps des intentions, puis des expériences, vient le temps de traduire dans les faits ce puissant désir de démocratie. Notre pays avec ses fortes traditions de luttes sociales, de débats politiques intenses et sa passion démocratique, doit pouvoir être fier de ses modes de représentation. Dans un pays où 80 % des citoyens vivent dans des zones urbaines, l'édification de villes plus humaines me paraît être l'un des enjeux majeurs de ce nouveau bouillonnement démocratique que j'appelle de mes voeux.
(source http://www.ville.gouv.fr, le 21 mai 2001)
Mesdames et Messieurs,
I- L'essor de la démocratie participative
Je suis très heureux de conclure cette rencontre nationale que j'ai souhaité consacrer aux conseils de quartiers et à la démocratie locale. Le nombre des participants, la qualité des interventions, parfois divergentes, toujours riches, la vivacité des débats, tout cela me renforce dans la conviction que les thèmes que nous avons abordés sont au coeur même des enjeux fondamentaux de notre démocratie.
Ces enjeux sont d'autant plus forts quand on parle de territoires, et notamment de certains quartiers populaires de notre pays, qui cumulent des handicaps sociaux et urbains. Leurs habitants sont en attente forte de s'exprimer et en droit d'être mieux entendus par leurs élus.
1) La démocratie de proximité constitue un enjeu politique majeur car elle est une exigence croissante de nos concitoyens
Les dernières élections municipales ont encore montré l'importance de cette préoccupation et cette rencontre d'aujourd'hui tombe à pic ! Après des élections où la demande de proximité n'a jamais été aussi manifeste, après des élections qui ont montré une abstention toujours plus forte des habitants des quartiers populaires par rapport à ceux des centres villes, parler de démocratie de proximité, constituait bien une opportunité politique à saisir.
La politique de la ville a été portée il y a plus de 20 ans sur ses fonds baptismaux par Hubert DUBEDOUT, avec l'intime conviction que sa réussite était conditionnée par la participation des habitants, et par leur réelle implication dans sa conception. 20 ans plus tard, il était non seulement temps de tirer un bilan des expériences menées, mais surtout de revisiter ensemble la méthode et le contenu politique qu'il nous faut donner à cette notion de "participation".
Pour la politique de la ville, la démocratie de proximité ne peut se résumer à un simple dispositif technique qui s'ajouterait à bien d'autres. C'est un des actes fondateurs de notre action autant qu'un impératif de réussite ; notre devoir est de ne jamais le perdre de vue.
2) La démarche participative est une condition de la réussite du renouveau social et urbain de nos villes
L'expérience nous l'a prouvé, les bonnes intentions ne suffisent pas à concrétiser la démarche participative. Si aujourd'hui nous voulons marquer des points dans ce domaine, il nous faut définir les moyens, la méthode, les objectifs à atteindre, et les évaluer en permanence.
C'est la raison pour laquelle j'ai voulu que dans tous les Contrats de Ville, et encore plus dans tous les Grands Projets de Ville, soient mentionnées clairement les conditions dans lesquelles la participation des habitants sera mise en oeuvre.
Cette obligation "contractuelle", signée entre les partenaires des dispositifs de la politique de la ville, constitue une première, qui doit nous permettre d'obtenir des résultats significatifs. Plusieurs expériences qui ont été présentées au cours de cette journée, prouvent que ces démarches se mettent en place, parfois même de manière exemplaire, à travers de véritables chartes de la participation. J'appelle tous les élus à adopter cet engagement : symbole d'une volonté locale, la charte de la participation contribuera à définir une méthode, des moyens, et les conditions de son évaluation.
J'attire aussi votre attention sur un aspect auquel je tiens tout particulièrement : L'ensemble des dispositifs de la politique de la ville, et en priorité les contrats de ville, seront soumis à évaluation à mi-parcours. Cette façon moderne de concevoir le partenariat entre l'Etat et les collectivités locales, constitue une nouveauté, et devra en particulier examiner avec beaucoup d'attention, les dispositifs par lesquels les habitants ont pu s'exprimer sur le projet de leur ville. Un comité national d'évaluation, dont j'ai demandé à René Vandierendonck, Maire de Roubaix, d'assumer la présidence, veillera en particulier à inscrire dans les critères d'évaluation, la participation des habitants.
C'est aussi dans cette logique que je souhaite la création d'une conférence permanente de la démocratie locale et des conseils de quartiers, dont l'animation serait confiée au Conseil National des Villes. Le CNV pourrait dans ce cadre, organiser régulièrement des débats dans toutes les régions, pour confronter les points de vue des élus, des habitants et des professionnels et procéder à des évaluations annuelles sur cette question.
3) La nouvelle culture de la confiance, c'est d'abord prendre en compte le temps de la concrétisation
En définitive, cette revendication citoyenne doit pouvoir trouver à chaque moment et à chaque niveau de la décision publique, des espaces de débats et de confrontations, des interlocuteurs et des partenaires qui l'accueillent avec un esprit d'ouverture, et non une culture de la méfiance. Ce changement là, le plus subtil, le plus ténu, celui par lequel les relations entre les élus, les services de l'Etat et des collectivités locales, les citoyens, les associations, peuvent le plus changer, dépend de chacun d'entre nous.
Jouer le jeu de la démocratie de proximité implique de respecter le sens du courant : ne pas soumettre des projets "ficelés d'avance" à une fausse approbation populaire - quelle qu'en soit la forme -, mais accepter l'intelligence collective pour répondre aux préoccupations des habitants, en bref, élaborer ensemble un projet faisant écho aux attentes de nos concitoyens.
Les conseils de quartiers sont des lieux de confrontation essentiels à la démocratie, essentiels pour gouverner une ville.
L'expression du citoyen devient l'arme d'un pouvoir : pouvoir de dire mais aussi de faire, pouvoir de sortir de sa solitude et d'agir collectivement, pouvoir de se sentir acteur du développement de sa cité.
Ce sentiment d'être dépositaire des clés de sa ville est le socle même du politique dont on dit, à raison, qu'il est parfois affaibli. C'est lorsque les habitants se sentent investis et responsables qu'ils peuvent reconsidérer la politique, puisqu'ils en sont alors les premiers acteurs.
C'est donc d'abord sur le quotidien qu'il nous faut répondre à nos concitoyens. Qu'il s'agisse de propreté, d'éclairage public, de tranquillité publique, qu'il s'agisse de l'implantation du mobilier urbain, des aménagements de voirie, et de la définition de l'offre de loisirs et d'accès à la culture, il nous faut débattre et nous organiser pour répondre à des demandes ascendantes, et non pas seulement discuter de propositions descendantes.
Un exemple possible parmi d'autres d'une démarche ascendante, est cette question que nous sentons très sensible, car très concrète, très quotidienne, et que nous résumons dans une expression encore enigmatique pour certains, mais explicite dans ses objectifs : "le temps des villes". Comme vous le savez, j'ai confié à Edmond Hervé, député-maire de Rennes, une mission sur ce sujet.
Des villes ont déjà engagé une réflexion, et Paris a récemment montré la voie en chargeant la première adjointe au Maire, Anne Hidalgo, de cette délégation. Mettre en oeuvre des politiques temporelles, pour mieux faire coïncider les temps des citoyens avec ceux des services publics, pour que la double journée des femmes cesse et que la ville batte au tempo des habitants, semble aujourd'hui une véritable attente. J'ai proposé que, dans la prochaine loi de décentralisation, un article prenne en compte la place préeminente des conseils des quartiers dans cette nouvelle façon de penser la vie quotidienne en ville.
C'est par cette méthode du quotidien, que la démarche participative trouvera son ancrage et permettra véritablement de définir des projets à plus long terme, comme ceux relatifs aux grands enjeux d'urbanisme.
Il nous faut, en définitive, relier deux échelles de temps différentes : l'immédiat, qui transformera le futur en espoir, et non en résignation.
4) La nouvelle culture de la confiance, c'est aussi accorder aux citoyens les vrais moyens de leur expression
La participation, telle que nous l'évoquons, est un processus complexe fait de dialogue, d'écoute, et de réponses.
Mais participer, c'est aussi le pouvoir d'agir directement, de façon autonome, sur la vie de son quartier, de sa ville. Les associations notamment, sont des acteurs essentiels de la vie locale, elles sont devenues avec le temps de véritables partenaires de la politique de la ville. Dans le champ qui leur est spécifique, elles sont des vecteurs de lien social, de proximité, de convivialité, extrêmement important.
En ayant considérablement augmenté les moyens budgétaires qui leurs sont destinées, j'ai voulu les aider dans leur travail quotidien. En cherchant par tous les bouts à simplifier les démarches administratives auxquelles elles sont confrontées, j'ai voulu leur faciliter la vie, j'ai surtout voulu qu'elles s'occupent d'abord de répondre à leur objet social, plutôt que de passer un temps trop important, à la recherche de financements. Je le sais, nous avons encore beaucoup de progrès à faire en ce domaine.
Monsieur Jean-Claude Sandrier, député du Cher, me remettra dans les prochaines semaines, le rapport que le Premier ministre lui a commandé sur ce sujet. J'en tirerai toutes les conclusions pour, très rapidement, poursuivre les mesures de simplification qui devront permettre de résoudre l'essentiel des difficultés encore relevées actuellement.
Enfin, en créant des fonds de participation des habitants - dont la fonction principale sera d'aider les habitants à prendre de manière autonome des initiatives dans leurs quartiers - j'ai voulu donner les moyens aux habitants d'être directement porteurs de projets. A ce jour, 150 fonds de participation sont créés, mais nous voulons en créer bien davantage et élargir leur rôle, par exemple pour financer un droit à l'expertise technique, à la demande de plusieurs associations. J'en appelle donc aux élus, aux représentants de l'Etat au niveau local, et aux associations, pour qu'ils prennent en main cette possibilité et la concrétisent au service des habitants.
5) Une perspective nouvelle : le projet de loi relatif à la démocratie de proximité et aux institutions locales
Le Gouvernement s'est aujourd'hui engagé dans une voie résolument nouvelle. Inspiré par les pratiques de terrain qui n'ont cessé de se développer ces dernières années, fort des expériences locales des conseils de quartiers, des commissions extra municipales et autres formes d'association des habitants à la vie de la cité, le temps semble venu de généraliser les pratiques participatives.
Cette dynamique a été renforcée dès 1992 par la loi sur l'administration territoriale de la République, qui avait introduit, entre autres innovations, la possibilité pour les maires d'organiser des référendums d'initiative locale, sur les sujets qui dépendent de leurs autorités. Nous avons constaté l'intérêt de cette démarche, tant du point de vue des élus que des habitants.
C'est dans cette perspective que Daniel VAILLANT, Ministre de l'intérieur, présentera dans les tous prochains jours, un projet de loi sur la "Démocratie de proximité et les institutions locales".
L'article 1er de cette loi proposera la création, dans toutes les villes de plus de 20 000 habitants, de "conseils de quartiers" issus des pratiques expérimentales dont nous avons parlé aujourd'hui. C'est un événement important pour notre pays, car c'est la première fois que le législateur introduit dans la loi, une forme élaborée de démocratie participative.
Il dépendra de nous, de notre mobilisation collective, de la conviction des élus, d'assurer la mise en uvre de cette loi quand elle aura été définitivement adoptée. Le gouvernement propose un outil, mais c'est aux acteurs socio-politiques de s'en emparer, pour en faire une réalité vivante et dynamique. J'espère que nos travaux de ce jour contribueront à cette dynamique.
II- La modernisation de notre système démocratique
Je pense par ailleurs que ce développement de la démocratie de proximité, que nous appelons tous de nos voeux, ne pourra se réaliser si, dans le même temps, nous ne rénovons pas notre démocratie représentative, si nous n'engageons pas un nouveau et puissant mouvement de décentralisation et si nous ne lançons pas la réforme de l'Etat qui doit l'accompagner.
1) La rénovation de notre démocratie représentative, d'abord
En introduisant par la loi, la parité hommes-femmes, le Gouvernement a posé un acte politique majeur. Nous avons tous observé - et les élues qui sont présentes dans cette salle en sont une parfaite expression - l'émergence de toute une génération de femmes, aujourd'hui en charge d'importantes responsabilités au sein des conseils municipaux.
Cette avancée considérable constitue une première étape d'une rénovation démocratique qu'il nous faut poursuivre en profondeur.
Cela passe toujours par la limitation du cumul des mandats et par l'élaboration d'un statut de l'élu.
Cette rénovation démocratique impliquera également une meilleure prise en compte de la représentativité urbaine dans l'élection des assemblées départementales, et, demain, l'élection au suffrage universel direct des responsables d'agglomération, dont les responsabilités importantes impliquent le contrôle des citoyens.
Il nous faudra bien sûr renforcer le droit des minorités dans les conseils élus, en garantissant notamment la pluralité de l'information locale.
Il nous faudra enfin envisager une séparation des fonctions exécutives et des fonctions délibérantes, afin que le principe de séparation des pouvoirs s'applique aussi aux collectivités locales.
Le projet de loi que présentera Daniel Vaillant, répond déjà à certaines de ces préoccupations.
Je souhaite évidemment par ailleurs, que le droit de vote des étrangers aux élections locales reste dans nos objectifs, comme un acte majeur de réactivation de la démocratie locale. J'espère vivement que dans un proche avenir, nous pourrons réunir les conditions politiques nécessaires à l'adoption d'une loi relative au droit de vote des étrangers aux élections locales. Mais face aux difficultés politiques que nous connaissons pour atteindre cet objectif, les formations politiques doivent anticiper. Ces citoyens représentent déjà naturellement notre pays dans de nombreux domaines, notamment sportifs ou culturels, ouvrons-leur plus largement la porte de la participation à la vie politique.
2) La nécessaire accentuation de la décentralisation, ensuite
Depuis 20 ans, un certain nombre de lois ont permis à notre pays de sortir de l'immobilisme et d'un jacobinisme étatique dépassé.
Dès 1982, les grandes lois de la décentralisation ont été mises en chantier. Elles ont abouti aujourd'hui à des transferts de compétences importants vers les collectivités locales, que se soient les communes, les conseils généraux ou les conseils régionaux.
Ces lois doivent être aujourd'hui prolongées par une deuxième étape de la décentralisation. Notre organisation actuelle, à la fois confuse et toujours trop centralisée, bloque le développement des territoires et inhibe ses ressources.
Il faut reconnaître par exemple que notre modèle d'éducation nationale - même si le sujet est sensible et complexe - doit évoluer vers une plus grande territorialisation, et donner plus d'autonomie et de responsabilités aux équipes éducatives (enseignants, associations, parents, élus...) afin de retrouver son rôle majeur de promotion et de réussite sociales.
Il faut admettre aussi que les maires ont un rôle légitime à jouer dans la coordination des acteurs de la sécurité, car ils sont au coeur de la vie locale et doivent en rendre compte, en permanence, à leurs administrés.
Mais dans les domaines des transports, de l'aménagement, du logement, de la culture, du tourisme, de l'environnement, sur tous ces secteurs, le transfert de nouvelles compétences au niveau local apparaîtra de façon encore plus évidente comme un mouvement inéluctable.
Il nous faudra aussi aller plus loin dans les mécanismes de solidarité financière entre les communes à fort potentiel fiscal et celles à fortes dépenses sociales.
3) L'indispensable réforme de l'Etat, enfin
Je suis convaincu qu'il n'y aura désormais plus de réelle réforme de l'Etat sans un puissant mouvement de déconcentration, et inversement, de nouvelles avancées dans la décentralisation devra correspondre une profonde réforme de l'Etat. La norme de fonctionnement doit être la déconcentration. Il est aberrant de constater aujourd'hui encore, que subsistent de nombreux fonds d'intervention gérés par les ministères au niveau national ! Tout cela doit disparaître. La politique de la ville veut donner l'exemple, elle qui déconcentre 95 % de ses crédits publics au plus près du terrain.
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Mesdames et Messieurs,
Cette démocratie participative que nos voulons construire, n'est pas un cadeau ou une concession que ferait l'Etat à des citoyens de seconde zone qu'on consulterait de temps en temps, quand vraiment on ne peut pas faire autrement. Elle ne doit pas être non plus une contrainte supplémentaire qu'auraient à subir les habitants des quartiers populaires. Bien au contraire, le développement et la consolidation de cette démocratie de proximité représentent un enjeu de relégitimation de l'action publique.
Nous connaissons la difficulté de faire participer à des réunions de concertation - parfois trop techniques et aux enjeux quelquefois lointains - des personnes écrasées par leurs problèmes d'emploi, de logement, de formation, d'éducation et qui ont du mal à joindre les deux bouts. La participation ne peut pas fonctionner par injonction à des populations précarisées, qui ignorent leurs propres compétences, se heurtent à des barrages culturels connus, et sont en ignorance de leurs droits, parfois les plus élémentaires.
Les réussites sont nombreuses et doivent nous encourager à les amplifier, à les généraliser. C'est d'ailleurs l'une des conditions indispensables pour éviter un développement séparé de la ville, l'installation d'enclaves ethniques et de ghettos sociaux et culturels avec comme corollaire, l'émergence de mouvements nihilistes, communautaires ou extrêmistes.
Je voudrais que vous repartiez ce soir dans vos villes et vos quartiers, convaincus de notre volonté commune de développer et de renforcer la démocratie de proximité, pour répondre à ces attentes légitimes, confortés par le bouillonnement formidable qui existe déjà et dont cette journée a été un écho remarquable.
Mesdames et Messieurs,
Aujourd'hui, nous avons une obligation de résultat. Après le temps des intentions, puis des expériences, vient le temps de traduire dans les faits ce puissant désir de démocratie. Notre pays avec ses fortes traditions de luttes sociales, de débats politiques intenses et sa passion démocratique, doit pouvoir être fier de ses modes de représentation. Dans un pays où 80 % des citoyens vivent dans des zones urbaines, l'édification de villes plus humaines me paraît être l'un des enjeux majeurs de ce nouveau bouillonnement démocratique que j'appelle de mes voeux.
(source http://www.ville.gouv.fr, le 21 mai 2001)