Interview de M. Benoist Apparu, secrétaire d'Etat chargé du logement, à Europe 1 le 23 janvier 2012, sur le discours de François Hollande au Bourget, son opposition à l'encadrement des loyers, l'application de la loi SRU et le financement du logement social.

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Média : Europe 1

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT Benoist APPARU, secrétaire d’État au logement est notre invité. Il était bon ?
 
BENOIST APPARU Sur la forme ? Oui, je trouve qu’il était plutôt pas mal. Une belle salle.
 
BRUCE TOUSSAINT Oui. Présidentiel ?
 
BENOIST APPARU Je n’irai pas jusque-là et je n’en sais rien d’ailleurs mais sur le fond, oui. Sur la forme, pardon !, il y avait un truc qui n’était pas mal. Sur le fond, j’ai trouvé ça beaucoup plus fade, beaucoup plus creux. J’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de constat mais peu de solutions.
 
BRUCE TOUSSAINT Oui. Vous avez remarqué quand François HOLLANDE dit : « Mon adversaire, c’est la finance » on dit : « C’est un coup de barre à gauche » et quand c’est Nicolas SARKOZY qui le fait dans son grand discours de Toulon, on dit qu’il est responsable.
 
BENOIST APPARU Entre dire : « Mon adversaire », sous-entendu entre guillemets : « Mon ennemi principal, c’est la finance », là ça va un peu trop loin. Je trouve que la formule de François BAROIN hier résumait parfaitement les choses.
 
BRUCE TOUSSAINT Il a dit : « C’est idiot. »
 
BENOIST APPARU Je ne sais pas si c’est la bonne formule. En tous cas…
 
BRUCE TOUSSAINT Ah, il a dit : « C’est idiot. »
 
BENOIST APPARU J’ai bien entendu.
 
BRUCE TOUSSAINT Pardon.
 
BENOIST APPARU En tout état de cause, c’est un peu comme dire effectivement : « Je suis contre le soleil ou contre la pluie. » C’est un peu ridicule.
 
BRUCE TOUSSAINT Oui. Ridicule, carrément ?
 
BENOIST APPARU Oui, ridicule parce que là encore je comprends qu’il est en campagne électorale. Je comprends qu’il est devant une salle…
 
BRUCE TOUSSAINT Dénoncer les dérives de la finance, c’est ridicule ?
 
BENOIST APPARU Je comprends qu’il ait envie de se gaucher, se gauchiser… Non, non, il y a deux choses différentes. Il y a les dérives de la finance – c'est une chose – et puis il y a la finance tout court.
 
BRUCE TOUSSAINT Oui, oui. Le problème c’est qu’en ce moment, on voit plus les dérives de la finance que les bons côtés de la finance. Reconnaissez-le.
 
BENOIST APPARU J’entends bien. Mais simplement la France doit emprunter sur les marchés financiers 200 ou 300 milliards d’euros par an, alors on peut être contre la finance. Si on se passe de ces gens-là, comment on fait pour tout simplement rembourser nos emprunts ? Donc il y a un moment, attaquer frontalement ceux avec qui de fait on travaille au quotidien me paraît effectivement un peu ridicule.
 
BRUCE TOUSSAINT On parle du logement ?
 
BENOIST APPARU On parle du logement.
 
BRUCE TOUSSAINT Le point commun entre Éric CANTONA et François HOLLANDE, c’est qu’ils mettent la question du logement au coeur de la campagne. Ça, ça vous réjouit forcément.
 
BENOIST APPARU Tout à fait.
 
BRUCE TOUSSAINT Oui. Et après, sur le reste, c’est plus compliqué. On prend les solutions une par une ?
 
BENOIST APPARU On y va !
 
BRUCE TOUSSAINT Et on en parle. Allons-y ! Encadrer les loyers là où ils sont excessifs. Bonne idée ?
 
BENOIST APPARU Très mauvaise idée.
 
BRUCE TOUSSAINT Très mauvaise idée.
 
BENOIST APPARU Très mauvaise idée et je ne suis pas le seul à le dire. Gérard COLLOMB, le maire de Lyon, dit exactement la même chose. Pourquoi une très mauvaise idée ? Quand vous êtes propriétaire, que vous attendez un loyer de 1 000 euros par mois et que, du jour au lendemain on vous dit : « Ce n’est plus 1 000 euros, c’est 900 euros maintenant pour le loyer », quelle est la conséquence ? Eh bien un certain nombre de propriétaires – pas tous, on est d’accord.
 
BRUCE TOUSSAINT Non mais on peut s’arrêter à 1 000 et ne pas passer à 1 100 ou 1 200. Il a dit « stopper ».
 
BENOIST APPARU Non mais il a dit – non, il a dit « encadrer » ; il a dit que les loyers étaient trop chers. Si les loyers sont trop chers, j’imagine qu’il veut les baisser. S’ils sont trop chers et qu’il laisse au prix où ils sont actuellement, ça n’a aucun intérêt. Encadrer les loyers, ça veut dire les baisser. Donc je suis propriétaire, j’ai 1 000 euros. On me dit demain : « Non, ce n’est plus 1 000, c’est 900 », que font les propriétaires ? Au revoir ! Je vends et j’investis ailleurs. La conséquence, c’est moins de biens sur le marché locatif. Je ne suis pas convaincu que ce soit une très bonne solution pour les locataires.
 
BRUCE TOUSSAINT Vous regardez de temps en temps les petites annonces ?
 
BENOIST APPARU Je les regarde, oui, de temps en temps.
 
BRUCE TOUSSAINT Par exemple j’ai Le Figaro de ce matin, décidément, qui m’a beaucoup inspiré, Le Figaro. « Beau deux pièces dans le XVIème, Victor Hugo, 1 500 euros ». Un deux pièces à 1 500 euros ! Attendez, alors ça c’est dans le XVIème. Dans le XIIème, rue Charenton, deux pièces : 1 080 euros.
 
BENOIST APPARU Mais là encore, ne confondons pas un constat et une solution. Il y a un constat : les loyers sont trop chers, notamment en Ile-de-France.
 
BRUCE TOUSSAINT Parking sous-sol, 200 euros.
 
BENOIST APPARU On sera d’accord sur le constat ; là on ne parle pas du constat.
 
BRUCE TOUSSAINT Oui, mais on ne peut rien faire.
 
BENOIST APPARU Ce n’est pas ce que j’ai dit. Là on ne parle pas du constat : on parle de la solution que préconise François HOLLANDE. Cette solution-là me paraît particulièrement mauvaise.
 
BRUCE TOUSSAINT Votre solution ?
 
BENOIST APPARU La solution c’est de construire, de produire beaucoup plus de logements en Ile-de-France et vous verrez dans quelques jours qu’on s’y met aussi.
 
BRUCE TOUSSAINT Multiplier par cinq les sanctions qui pèsent sur les communes qui bafouent les règles de la fameuse loi SRU sur le logement social, donc. Cette loi qui oblige les villes à avoir au moins 20 % de logements sociaux. On multiplie par cinq ?
 
BENOIST APPARU Première chose : regardons le constat. Est-ce que cette loi marche ou ne marche pas ? fonctionne ou ne fonctionne pas ? est appliquée ou n’est pas appliquée ? puisqu’on nous dit en permanence que cette loi n’est pas appliquée.
 
BRUCE TOUSSAINT Oui.
 
BENOIST APPARU Cette loi existe depuis dix ans. Quelle est l’obligation légale de par cette loi de construire des logements dans les territoires qui n’ont pas les 20 % ? Il fallait en faire 200 000 logements sociaux, 200 000. On en a fait combien ? 300 000, et c’est j’imagine ce qu’on appelle une loi qui n’est pas appliquée. Donc cette loi marche, elle fonctionne, elle est appliquée et plus qu’appliquée, même. Est-ce qu’il faut mettre des sanctions contre les très mauvais élèves, ceux qui ne jouent pas du tout le jeu ? La réponse est oui.
 
BRUCE TOUSSAINT Neuilly et puis il n’y a pas que ça d’ailleurs. Il y en a d’autres. Il y a aussi des communes de gauche, il ne s’agit pas de stigmatiser, mais enfin ! Paris par exemple…
 
BENOIST APPARU Paris par exemple. Si vous citez Neuilly, n’hésitez surtout pas à citer Paris en même temps, vous avez tout à fait raison.
 
BRUCE TOUSSAINT C’est ce que je viens de dire.
 
BENOIST APPARU Donc là encore, multiplier par cinq, pourquoi pas ? Est-ce que c’est cinq ? Je ne suis pas convaincu que le chiffre soit intéressant parce que là encore, il y a deux cliqués dans la loi : ceux qui n’ont pas les 20 % et ceux qui ne font pas, même pas l’effort de bouger. Paris et Neuilly font l’effort de bouger par exemple et du coup ne payent pas l’amende. Si vous multipliez par cinq alors qu’ils font des efforts, ils vont payer des amendes…
 
BRUCE TOUSSAINT Oui. Le maire de Neuilly qu’on attendu tout à l'heure sur Europe 1 dit : « J’ai un problème, je n’ai pas de place dans ma ville. Je n’ai pas de terrain. »
 
BENOIST APPARU C’est pour ça que les choses sont un tout petit peu plus compliquées et un tout petit peu plus nuancées qu’on veut bien l’entendre.
 
BRUCE TOUSSAINT Alors qu’est-ce qu’on a d’autre ? On a la mise à disposition des terrains de l’État pour construire de nouveaux logements.
 
BENOIST APPARU Excellente idée.
 
BRUCE TOUSSAINT Excellente idée ? Oui. Bien dites-donc !
 
 
BENOIST APPARU Mais vous verrez dans quelques jours. Il y a ceux qui font des discours et puis ceux qui les font dans la vraie vie, dans l’application.
 
BRUCE TOUSSAINT On aurait pu le faire plus tôt d’ailleurs, non.
 
BENOIST APPARU On l’a déjà fait. Il y a eu un programme 2008-2012 permettant de construire 50 000 logements sur terrains publics. Ça existe déjà.
 
BRUCE TOUSSAINT Vous vous souvenez du discours du 11 décembre 2007 du président de la République à Vandoeuvre ? Vous n’étiez pas encore secrétaire d’État au logement, mais enfin c’est un discours qui est resté évidemment et le président avait dit : « L’État sera exemplaire en lançant un plan de vente sans précédent des terrains de son domaine et de celui de ses établissements publics. D’ici à 2012, il y aura 60 000 logements nouveaux. » On en est où, là ?
 
BENOIST APPARU Ça a été fait.
 
BRUCE TOUSSAINT 60 000 ?
 
BENOIST APPARU On n’a peut-être pas fait les 60 000, si mes souvenirs sont bons on doit être à 48 ou 49 000, mais ça a été fait.
 
BRUCE TOUSSAINT Bon. Il disait aussi dans ce fameux discours, cette phrase qui est restée célèbre évidemment : « La France de propriétaires. Aujourd'hui à peine plus de la moitié des Français sont propriétaires de leurs logements. Je souhaite que cette proportion dépasse les deux tiers. »
 
BENOIST APPARU C’est l’objectif qu’on s’est fixé, les deux tiers de propriétaires. Nous aurons commencé le quinquennat à 56 % de propriétaires, on le finira à 58. C’est vrai que ça n’a pas progressé à la hauteur de ce qu’on souhaitait avec un élément là encore : c’est que la crise a fait évidemment exploser les taux d’intérêt et donc il était devenu plus difficile d’être propriétaire. BRUCE TOUSSAINT Un dernier mot sur le Livret A ?
 
BENOIST APPARU Oui. BRUCE TOUSSAINT Doubler le plafond. On sait qu’aujourd'hui c’est 15 000 euros, on ne peut pas mettre plus de 15 000 euros sur un Livret A donc François HOLLANDE propose de doubler, de passer à 30 000 pour financer le logement.
 
BENOIST APPARU Là pour moi il y a vraiment un problème de fiche. Il faudrait qu’il relise ses fiches.
 
BRUCE TOUSSAINT C'est-à-dire ?
 
BENOIST APPARU Il a fait deux grosses erreurs hier en parlant de logement. La première c’est dire il faut un million de logements neufs construits en basse consommation ; c'est-à-dire qu’ils ne dépensent pas beaucoup sur le plan énergétique. Il faudrait juste lui rappeler que ce sera une obligation légale pour tous les producteurs de logements à partir du 1er janvier prochain. Ça, c’est déjà fait. Deuxième chose, il nous dit : il faut pour produire plus de logements sociaux doubler le Livret A. 1/ On a fait 600 000 logements sociaux pendant ce quinquennat. Le quinquennat JOSPIN c’était 265 000. On a presque triplé le nombre de logements produits sous ce quinquennat. Deuxième élément : il n’y a pas de rapport entre le plafond du Livret A et la construction de logements sociaux. L’un n’entraînera pas l’autre.
 
BRUCE TOUSSAINT Ce n’est pas le Livret A qui finance le logement social ?
 
BENOIST APPARU Le Livret A fonctionne comment ? Je mets mes 16 000 euros sur le Livret A ; ça rentre dans une caisse, la CAISSE DES DÉPÔTS ET CONSIGNATIONS qui ensuite prête de l’argent. Si on nous dit : « Je baisse les taux auxquels la CAISSE DES DÉPÔTS ET CONSIGNATIONS prête… »
 
BRUCE TOUSSAINT Mais s’il y a plus d’argent, si on passe de 15 000 à 30 000 multiplié par le nombre de Livrets A qu’il y a en France…
 
BENOIST APPARU S’il y a plus d’argent, ça fait potentiellement plus d’endettement pour les bailleurs sociaux. Je ne suis pas convaincu que ça aidera à construire des logements.
 
BRUCE TOUSSAINT On a beaucoup parlé de logement. C’est bien non ?
 
BENOIST APPARU C’est très bien même.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 23 janvier 2012