Extraits de l'entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "Les Dernières Nouvelles d'Alsace" le 15 février 2012 à Strasbourg, sur la crise de la zone euro et la dette grecque, et la question du rôle du Parlement européen et de son siège à Strasbourg.

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Média : Les Dernières Nouvelles d'Alsace

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Q - Vous venez plaider devant le Parlement européen pour une plus grande intégration européenne mais dans les opinions nationales, l’Europe suscite plutôt du scepticisme. Comment, peut-elle rester un rêve politique ?
R - (…) L’Europe doit être plus que jamais un projet pour nos sociétés. Et ce projet devrait mobiliser davantage. Si je suis l’avocat d’une percée sur le front de l’intégration européenne, c’est parce que l’enjeu est simple : si on ne fait pas plus d’Europe, l’Europe risquera de s’effondrer.
(...)
Q - Oui mais le règlement de la question grecque suscite aussi beaucoup d’indignation...
R - Je comprends le sentiment de révolte des Grecs à qui on demande des efforts extrêmement douloureux. Et je comprends qu’on puisse s’interroger sur la brutalité de certaines mesures. Quand on vous annonce que vous allez perdre 15 à 20 % au moins de votre salaire, c’est évidemment un choc. Mais la rupture avec l’Europe serait bien pire. Aujourd’hui c’est l’Europe qui continue de représenter une promesse de stabilité. C’est elle qui a considérablement augmenté le niveau de vie des Grecs avant qu’une dérive sans limite des déficits n’amène le pays là où il est. Il ne faudrait pas oublier non plus l’énorme effort de solidarité des pays européens pour effacer purement et simplement 100 milliards de dette grecque !
Q - La Banque centrale européenne prête aux banques à 1 %. Pourquoi ne pas lui demander de prêter directement aux États à ce taux ?
R - Parce que le point d’entente entre Mme Merkel et M. Sarkozy, c’est le respect absolu de l’indépendance de la BCE : l’Allemagne n’a pas à lui dire ce qu’elle ne doit pas faire et la France n’a pas à lui dire ce qu’elle doit faire. Je remarque aussi qu’au-delà du problème grec, les marchés financiers se stabilisent. Regardez l’appréciation de Moody’s, elle n’a eu aucune incidence à ce stade. Parce que les marchés se disent que notre dispositif de retour à l’équilibre tient la route et que l’accord trouvé à Bruxelles sur le mécanisme européen de stabilité est une bonne garantie.
Q - À Strasbourg vous allez saluer le rôle du Parlement européen. Mais bon nombre de députés européens ont regretté qu’il ait été quasiment hors jeu durant toute la crise de la zone euro. L’urgence serait-elle incompatible avec un fonctionnement normal de la démocratie européenne ?
R - Dans les crises financières, on ne dispose que de quelques heures pour réagir, c’est vrai, et ce sont les exécutifs qui, forcément, sont à la manœuvre. Le Parlement, lui, n’est pas là pour gouverner - c’est déjà suffisamment difficile pour les gouvernements de le faire à 27 - mais pour légiférer et contrôler. Sur ce point le Traité de Lisbonne a marqué des avancées considérables dans le domaine de la codécision puisqu’elle s’applique désormais à une très large majorité des sujets. Par ailleurs, les parlements nationaux sont associés de plus en plus étroitement aux processus de décision. C’est une vraie avancée démocratique.
Q - Faut-il sortir de l’interminable guerre du siège en imaginant un autre rôle, plus permanent, pour Strasbourg, qu’une session mensuelle du Parlement jugée souvent coûteuse et peu pratique par de nombreux parlementaires nordiques et anglo-saxons ?
R - Non. Il faut s’en tenir au symbole de Strasbourg, bien ancré et sauvegardé, d’ailleurs, par les traités. Quant aux «déménagements» qui seraient coûteux, je ne suis pas convaincu par l’argument. La technologie des tablettes numériques devrait mettre fin sans difficulté à la valse des cantines…
Q - Allez-vous soutenir l’installation à Strasbourg d’un futur secrétariat de la zone euro, un projet porté par votre collègue alsacien, Philippe Richert ?
R - Naturellement… mais il faudrait déjà que le projet soit acté.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2012