Texte intégral
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Je voudrais souligner lobjectivité de la présentation du bilan que vient de faire Brice Couturier et que jai trouvé tout à fait équilibré.
Je ne vais pas revenir sur les points forts de ce bilan en matière de politique étrangère : le Traité qui est devenu le Traité de Lisbonne qui a permis de sortir lUnion européenne de la crise ; le succès de la Présidence française de lUnion européenne qui est saluée par tout le monde ; ainsi quun certain nombre dautres points forts que vous avez signalés.
Je voudrais ajouter dautres succès : la Présidence du G8 et la Présidence du G20 qui ont été, là aussi salués. Le président français a été félicité pour son leadership - vous savez que cest un mot qui revient souvent dans les relations internationales. Je voudrais insister en particulier sur ce que lon a appelé le Partenariat de Deauville, cest-à-dire ce plan qui se propose daider les pays du Printemps arabe en transition. Les États-Unis sont en train de poursuivre laction que la France avait engagée dans ce domaine.
Trois remarques quand même qui sont quelques points de désaccord avec ce qua dit Brice Couturier. La taxe sur les transactions financières nest pas abandonnée : la Commission européenne, à la demande de la France, a bâti un projet que les Européens vont adopter. Nicolas Sarkozy a souhaité anticiper, en prenant une première décision franco-française, si je puis dire, mais lAllemagne, lEspagne et lItalie sont daccord avec nous pour mettre en place une taxe sur les transactions financières. Je vous rappelle également quà la suite du G20, à Cannes, le président Obama lui-même a dit : «il est normal que le secteur bancaire apporte sa contribution à la reconstruction de léconomie mondiale sous des formes qui seront peut-être différentes». Mais cette taxe, je le répète nest pas abandonnée.
Q - Quand verra-t-elle le jour ?
R - Le plus vite possible, je lespère, et je pense que les Européens vont bouger là-dessus, si tout se passe bien, peut-être dans la deuxième partie de cette année. Cest difficile, cest long mais nous allons y arriver.
Deuxième désaccord avec Brice Couturier : lUnion pour la Méditerranée a connu des difficultés mais elle na pas échoué. Je vous signale par exemple quun nouveau secrétaire général vient dêtre désigné, que lUnion européenne a accepté de prendre la coprésidence nord de lUnion pour la Méditerranée et, surtout, que nous avançons sur un certain nombre de projets concrets. Cest cela lUpM, ce nest pas simplement une grand-messe avec 48 pays, ce sont aussi des projets concrets : une usine de dessalement de leau de mer pour Gaza ; un projet dautoroute transmaghrebine en Afrique du Nord ; etc. Je ne mattarderai pas plus longtemps sur ce point.
Q - Les révolutions arabes et le Printemps arabe ne changent-ils pas la donne dans de tels accords et dans le principe de coopération de lautre côté de la Méditerranée ?
R - Vous avez tout à fait raison et si lUPM a eu des difficultés - je ne vais pas dire quelle nen a pas eu même si je pense quelle nest pas morte -, cest notamment parce quau sud, il sest passé des choses sur lesquels je vais revenir.
Q - La présidence de M. Sarkozy na-t-elle pas eu pour conséquence une rupture dramatique de nos liens traditionnels damitié avec la Turquie ?
R - Non. Nous avons eu des difficultés avec la Turquie sur le seul point de désaccord que jai eu avec Nicolas Sarkozy : la pénalisation de la mise en cause du génocide arménien. Ny revenons pas. Mais nos relations avec la Turquie ne sont pas rompues bien au contraire, nos relations économiques restent extrêmement fortes et javais encore des témoignages dentreprises françaises qui sont appelées à simplanter ou à concourir en Turquie. Nos liens culturels restent entiers, notamment - et vous savez que jy tiens beaucoup - avec luniversité Galatasaray et nous continuons à parler avec la Turquie. Les difficultés de lUpM ne viennent pas de là.
Q - Enfin, on leur a fermé la porte de lUnion européenne au nez maintenant et cest sous la présidence Sarkozy que cela a eu lieu !
R - Je vous rappelle que le président de lUMP qui a fait délibérer son parti pour dire que lUnion européenne, telle quelle est aujourdhui na pas la capacité daccueillir la Turquie, cest moi. Je ne suis pas en désaccord avec Nicolas Sarkozy sur ce point.
Sur lAfrique, un point très intéressant : nous avons complètement mis notre politique africaine en cohérence autour du principe de démocratisation, de respect des droits de lHomme et de lutte contre la corruption. Nous avons par exemple fait ce qui navait jamais été fait, cest-à-dire remis complètement à plat tous nos accords de défense avec les pays africains. Désormais, ces accords sont publics, ils sont approuvés par le Parlement et il ny a plus de clause secrète.
Je prendrais un exemple qui montre que, là aussi, il faut sortir des idées reçues. M. Fabius est allé récemment au Gabon. Ce pays a été longtemps considéré comme le symbole de ce que lon a appelé la «Françafrique». Et qua dit Laurent Fabius en rentrant de Libreville ? «Je me réjouis de lexcellence des relations entre la France et le Gabon». Jy ai vu un satisfecit de notre politique africaine.
Enfin, les Printemps arabes : vous dites que le Quai dOrsay était habitué à fraterniser avec des régimes autoritaires. Qui ne fraternisaient pas avec des régimes autoritaires ? Quel Département dÉtat américain ne soutenait pas, perinde ac cadaver, M. Moubarak !
Q - Ce nest pas une raison !
R - Bien sûr que ce nest pas une bonne raison, rétrospectivement, vous avez tout à fait raison. Mais qui a vu venir les Printemps arabes ? Je ne me suis pas repassé les différentes chroniques de France-Culture depuis cinq ans Qui a vu venir les Printemps arabes ? Personne. Cest vrai que nous avons eu un peu de retard au départ, sur la Tunisie, mais je crois pouvoir dire que, depuis, la ligne de la diplomatie française est dune parfaite clarté même si - jai eu loccasion de le dire tout à lheure pendant le journal - sur la Syrie, nous sommes évidemment extraordinairement frustrés par ce qui sy passe. Jai une pensée pour le peuple syrien car cest aujourdhui, je crois, le premier anniversaire du déclenchement de sa révolte.
Je suis absolument convaincu quun régime qui massacre des milliers de ses citoyens ne peut pas durablement se maintenir au pouvoir ; alors, le plus tôt sera le mieux. Il y a un plan de la Ligue arabe, que nous soutenons, mais je crois quil faut rester tout à fait déterminé aux côtés du peuple syrien.
Un dernier point enfin, sans être trop long, sur les relations avec les États-Unis. Il est vrai quelles sont bonnes.
Q - Cest un alignement ?
R - Non, pas du tout. Cela ne nous empêche pas de défendre nos intérêts réciproques. Quand le président français a dit, au nom des intérêts de la France, quil faut accélérer le processus de retrait des troupes dAfghanistan - ce ne sera pas fin 2014, ce sera fin 2013 -, nous nétions pas à la remorque des États-Unis. Cest plutôt les États-Unis qui, depuis, sinterrogent en se disant quaprès tout, ce serait peut-être une bonne idée que daccélérer le processus. Vous voyez donc que la France garde aussi une marge dinitiative tout à fait importante.
Q - Ce nest quand même pas ce que disaient les «amis» dEtienne Pellot dans «Libération», un groupe de hauts fonctionnaires anonymes qui ont publié un article le 13 mars. Il dénonce le bilan du gouvernement en matière de politique étrangère et disent, tout de même, quau fond, on néglige un vrai dossier de fond qui est la question de notre présence dans lOTAN et de la question de la prolifération nucléaire. Que fait-on réellement dans lOTAN ? Quelle est la place réelle de la France dans lOTAN que nous avons réintégrée ?
R - Je me suis fixé une règle de conduite morale, cest quen général, je ne lis jamais les papiers anonymes. Lanonymat, cest la quintessence de la lâcheté. Celui-là, je lai lu quand même parce quil sagissait du Quai dOrsay et je lai trouvé particulièrement débile. Il ne contient rien qui ne soit véritablement marqué par le bon sens, alors nen parlons pas.
Concernant la réintégration de la France dans les structures intégrées de lAlliance, vous disiez tout à lheure à juste titre que javais eu des hésitations il y a quelque temps. Je voudrais quand même rappeler que cest depuis 1995 que, sous la présidence de Jacques Chirac, nous avions lintention de les réintégrer sous certaines conditions. Les conditions étaient au nombre de deux. La première était que les responsabilités au sein de lAlliance soient rééquilibrées et quil y ait des commandements confié à des officiers supérieurs ou généraux européens. Cela a été le cas avec lun des grands commandements important qui est confié au général Abrial, un général français.
La deuxième condition, cétait que lon progresse dans la mise en uvre dune politique européenne de sécurité et de défense et on a progressé. Depuis cette période-là, il y a eu plusieurs opérations conduites sous pavillon européen, en République démocratique du Congo, au Tchad, en ce moment-même, au large de la Corne de lAfrique où il y a une force internationale sous le drapeau de lUnion européenne. Nous avons obtenu en septembre dernier, je nai pas le temps dentrer dans le détail, après - il faut bien le dire - une partie un peu difficile avec les Britanniques, trois avancées très significatives.
La première, cest que nous sommes en train de préparer deux nouvelles missions de la PSDC la Politique de sécurité et de défense commune en Europe, une nouvelle dans la Corne de lAfrique et une autre au Sahel.
La deuxième avancée, cest que nous avons obtenu lactivation du Centre dopération européen qui est un peu létat-major européen pour conduire ces opérations.
Enfin, et cest peut-être le plus important, nous avons obtenu un accord sur 11 opérations de mutualisation au sein de lAgence européenne de Défense. Je prends un seul exemple en matière de ravitailleur aérien, nous sommes en train de mutualiser nos moyens puisque tous nos budgets de défense en Europe diminuent. Les Américains dailleurs considèrent que la PSDC peut être, à côté de lOTAN, en parallèle de lOTAN, lun des piliers de la défense de lEurope.
Q - Je voudrais parler dun pays dont on na pas parlé pour linstant, la Chine, grande puissance daujourdhui qui est à la fois un pays en développement et une puissance économique qui sait admirablement jouer sur les deux tableaux. Vous êtes arrivé à un moment où les relations sont relativement tendues entre la Chine et les États-Unis. Le G20 a joué un rôle pacificateur sans doute dans cette relation, mais le rêve des Chinois nest-il pas davoir devant eux des Européens bien unis ?
R - Un rêve ou un cauchemar ?
Q - Ils feignent de ne pas comprendre grand-chose à la crise en Europe mais ne sont-ils pas tentés de parler plutôt avec les Allemands quavec les Français ?
R - Non pas du tout, ils parlent très régulièrement avec les Français. Je lai vu à Deauville pendant le G20 où jai assisté aux rencontres entre le président chinois, Hu Jintao, et le président Sarkozy. Ce que vous dites est vraiment très intéressant. Je pense quil ne faut pas cesser de répéter - et ce sera une banalité peut-être pour les auditeurs de France-Culture - que nous sommes dans un nouveau monde. Le monde ancien a complètement changé. Ce monde nouveau est global, multipolaire, instable et dangereux.
Q - Y compris en Chine avec les déclarations hier du premier ministre chinois se disant dun côté profondément affecté par les immolations des Tibétains et de lautre côté, économiquement, en disant quil fallait sans doute laisser flotter davantage la monnaie chinoise et partir davantage à lassaut, économiquement, du reste du monde ?
R - La Chine a profondément changé depuis Deng Xiaoping. La Chine a reconquis la place qui était la sienne dans léconomie mondiale il y a quelques siècles. Au XVè ou au XVIè siècle, la Chine était la puissance la plus importante. Elle est redevenue une puissance majeure sur le plan commercial et sur le plan économique.
Son régime politique na pas encore changé. Sur la question tibétaine, jai eu loccasion de dire que la politique sécuritaire et répressive nétait pas une solution, quil fallait un dialogue permettant de garantir lidentité culturelle et religieuse des Tibétains dans le cadre de lintégrité territoriale de la Chine.
Ce que je voudrais dire, cest que dans ce monde multipolaire, lEurope reprend toute sa signification. Je voudrais saluer le discours du président de la République à Villepinte car cest un discours refondateur du projet européen. Dans le monde tel quil est, lEurope doit nous protéger, si elle a un sens vis-à-vis des peuples européens et du peuple français. Cela veut dire trois choses.
Cest une Europe qui a des frontières et qui les contrôle. Ce que le président de la République a dit sur lespace Schengen est profondément marqué au coin du bon sens : nous sommes pour la liberté de circulation à lintérieur de lespace Schengen à condition que les frontières extérieures soient réellement contrôlées et maîtrisées, ce qui nest pas le cas aujourdhui.
Q - Qui cela concerne-t-il ? Soyez précis ?
R - On sait très bien notamment que la frontière gréco-turque - 130 ou 140 km - nest pas contrôlée. Les Grecs eux-mêmes nous disent quil y a 60.000 clandestins qui passent chaque année ; nous pensons que cest plus du double. Il faut contrôler cette frontière sinon lEspace Schengen explosera.
Ensuite, une Europe qui protège, cest une Europe qui défend ses intérêts économiques. On en revient à la question de la Chine : nous avons signé un accord sur louverture des marchés publics. Cest très important : il sagit de tous les marchés passés par les collectivités publiques, cest-à-dire 10 à 15 % de la richesse mondiale. Quavons-nous fait, nous Européens ? Nous avons entièrement ouvert laccès aux marchés publics. Une entreprise chinoise peut donc venir soumissionner dans un marché public français, en pleine concurrence avec les autres entreprises. Pensez-vous que les Chinois ont ouvert leur marché public ? Pratiquement pas ; les Japonais ? Pratiquement pas non plus ; les Canadiens ? Non plus. Nous disons que désormais, il faut que le principe de réciprocité soit un principe directeur de la politique commerciale de lUnion européenne.
Enfin, une Europe qui protège, comme je lai déjà dit, cest une Europe capable de se doter dune politique étrangère et dune politique de sécurité et de défense.
Là, je crois que Nicolas Sarkozy a redonné du sens au projet européen et à la place de la France dans lEurope.
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Q - Le Quai dOrsay a longtemps soutenu les despotes laïques parce quils prétendaient nous défendre contre la menace islamiste.
R - Le Quai dOrsay ? La France en fait.
Q - Ce virage à 180° qui a été pris à propos de laffaire libyenne ne la pas été de manière correcte. On sest beaucoup moqué des Américains qui sont allés chasser Saddam Hussein mais qui ont été incapables de reconstruire un État irakien après leur victoire. Ne peut-on pas faire exactement le même reproche à la France qui a débarrassé le peuple libyen de Kadhafi mais qui a été incapable daider ce peuple à sortir dune situation de véritable chaos aujourdhui ?
R - Je nai aucun regret sur la Libye. Quand jai dit au Conseil de sécurité quil sagissait dune question dheures, cétait la vérité. Si nous navions pas fait ce que nous avons fait, Kadhafi aurait massacré le peuple de Benghazi. Il lavait annoncé.
Q - Mais cela ne suffit pas...
R - Vous me demandez si nous navons pas fait une erreur, je vous dis non. Je pense que nous navons pas fait derreur ; souvenez-vous, il traitait les gens de Benghazi de rats. Il allait les massacrer et nous avons évité ce massacre.
De plus, on ne peut absolument pas comparer aujourdhui ce qui sest passé en Irak et ce qui sest passé en Libye. Il ny a pas eu doccupation de la Libye. LIrak a été occupé par une force internationale et vous savez quel était notre point de vue là-dessus. Les morts dans les attentats qui se sont succédés en Irak se chiffrent par centaines et sans doute par milliers. Ce nest pas le cas de la Libye aujourdhui. La Libye est confrontée à des difficultés, cest vrai. Il ny a pas de processus révolutionnaire qui se déroule tranquillement, mais je suis confiant dans lavenir de ce pays. Le pouvoir veut sengager dans un processus électoral et de démocratisation et nous continuons à aider la Libye. Jai parlé tout à lheure du Partenariat de Deauville : la Libye est un pays qui a de largent et qui a retrouvé le niveau de production pétrolière qui était le sien avant cette guerre. Elle a récupéré des avoirs gelés qui appartenaient au peuple Libye.
Nous allons continuer à laccompagner dans sa reconstruction et je ne suis pas pessimiste.
Q - Pourquoi ne parvient-on pas à faire la même chose sur la Syrie ?
R - Pourquoi me posez-vous la question ? Vous connaissez la réponse. Je lai déjà dit vingt fois, au Conseil de sécurité des Nations unies pour la Libye, nous sommes parvenus à obtenir, sinon lunanimité, au moins une absence de veto de la Russie et de la Chine. Aujourdhui, pourquoi la Russie met-elle son veto - je lai peut-être dit de manière un peu brutale ? Dabord, parce que la Russie nous reproche lintervention en Libye. Elle estime que nous avons été au-delà de notre mandat. Je ne le pense pas mais elle nous fait, dune certaine façon - pardon de la brutalité du mot - payer lopération libyenne.
La Russie, quoi que mait dit M. Lavrov à New York, a des intérêts en Syrie. Elle vend ou elle a vendu beaucoup darmes au régime syrien, mais je pense quelle fait un mauvais calcul sur le moyen terme.
La Russie craint aussi la contagion islamique sur son propre territoire ; cest aussi pour cela quelle est hostile à ce qui se passe en Syrie.
Enfin, il y a eu la campagne électorale avec un discours très nationaliste du principal candidat. La Russie, aujourdhui, peut-elle ouvrir les yeux sur ce qui se passe véritablement en Syrie et évoluer pour que la communauté internationale puisse enfin intervenir ? Je lespère de tout cur.
Je voudrais enfin ajouter quelque chose : il y a une différence fondamentale entre la Syrie et la Libye. Le peuple libyen est un peuple relativement homogène, ce sont à 95 % des sunnites. Le peuple syrien est profondément divisé et si nous donnons des armes à une certaine fraction de lopposition en Syrie, nous allons avoir une guerre civile. Cela pourrait être une catastrophe encore plus grande que ce qui existe aujourdhui.
Q - Vous avez dit quun régime qui opprime et massacre son peuple comme en Syrie ne peut pas tenir longtemps. Donc ce régime va tomber si on vous écoute. Comment va-t-on faire après ? Ny aura-t-il pas une guerre civile inéluctable ?
R - Je ne pense pas. La Ligue arabe sest engagée et a proposé un plan ; ce fut un moment important dans le conflit. Ce sont les voisins de la Syrie qui sont les principaux concernés. La Ligue arabe demande non pas - et cest exact lorsquon lit bien son plan - le départ de Bachar Al-Assad, mais le transfert des pouvoirs à son vice-président pour organiser la constitution dun gouvernement inclusif dans lequel lopposition pourrait être représentée ; et ensuite la préparation dun processus électoral avec des élections libres.
Voilà le plan de sortie de cette crise ; comme les Égyptiens sont en train, là aussi dans la difficulté, dessayer de le mener à bien ; comme les Tunisiens lont fait. Il y a eu en Tunisie lélection dune Assemblée constituante - et les choses progressent - comme les Libyens se préparent à le faire.
Voilà la porte de sortie.
Q - Ce qui veut dire que le régime Assad doit tomber mais pas tout à fait sans quoi cest linconnu
R - Non, je dis que lobjectif est de donner aux Syriens la possibilité de sexprimer librement. Cela doit se faire dans des élections libres comme il y en a eu globalement en Égypte et en Tunisie et comme il y en aura, je lespère, en Libye.
Q - Cela passe par ce que lon appelle une «solution yéménite» : exfiltrer Bachar Al-Assad en lui promettant la vie sauve et limmunité quelque part dans le monde ?
R - Cest aux Libyens den décider, le moment venu, dans le cadre du plan de règlement que nous soutenons.
Q - Vous avez dit que le problème de la Syrie vous empêchait de dormir ?
R - Bien sûr que cest une frustration extraordinaire. Bien sûr que jaimerais trouver une solution pour arrêter ce massacre. Jai dit au Conseil des droits de lHomme à Genève que nous rassemblions les éléments pour pouvoir convaincre la communauté internationale de saisir la Cour pénale internationale parce quil y a eu des crimes de guerre. Jai rencontré Mme Amos, la directrice de lOffice des Nations unies qui soccupe de lhumanitaire. Elle est allée à Homs et a dit quelle était horrifiée par ce quelle avait vu. Il y a des crimes de guerre et, de mon point de vue, il faudra les sanctionner ; cest à la Cour pénale internationale quil appartiendra de le faire.
Q - Dune façon générale, comme Hubert Védrine, vous dites que le «droit de lhommisme» nest pas une politique ?
R - En général, je suis à peu près daccord sur tout avec lui, mais là je suis en désaccord formel.
Q - Lidéologie des droits de lHomme ne règle pas les conflits ?
R - Bien sûr que non. Il est écrit dans le Livre Blanc que javais proposé au gouvernement, avec Louis Schweitzer il y a quelques années, que lun des principes directeurs de la diplomatie française est la défense des droits de lHomme et de la démocratie dans le monde.
Q - Cela ny fait pas grand-chose ?
R - Si, bien sûr, notre discours est constant. En Afrique par exemple, le nombre de pays dans lesquels des élections relativement libres sont en train de se dérouler, au nom du principe démocratique et du respect des droits de lHomme est impressionnant : au Niger, au Sénégal Nous avons émis des critiques sur ce qui se passait au Sénégal et que se passe-t-il ? Le peuple sénégalais a fait preuve dune très grande maturité démocratique. Le premier tour sest déroulé convenablement et le deuxième se prépare dans le calme. Voilà ! Cette politique des droits de lHomme marque des points.
Q - En Russie, M. Poutine est réélu pour des questions déconomie et de croissance et pas pour des raisons de libéralisation du régime et des droits de lHomme !
R - Nous avons dit aussi que la Russie doit évoluer. Nous avons pris acte des critiques qui ont été apportées au déroulement des élections. Nous avons aussi constaté que ceux qui avaient dit quil existait des irrégularités reconnaissaient que, de toute manière, Poutine aurait été élu. Nous souhaitons que le régime évolue.
Je voudrais aller au bout de mon raisonnement. La défense des droits de lHomme et de la démocratie est pour nous un principe fondamental, parce que je pense que sur le moyen terme il ny a pas de régime dans le monde où nous vivons aujourdhui qui puisse longtemps fouler au pied les droits de ses peuples. Pour autant, nous défendons les intérêts de la France. En tant que chef de la diplomatie française, je me sens comptable des intérêts de la France. Vous me direz que cest un double langage, de la realpolitik Non, je crois quil sagit dêtre ferme sur les principes tout en tenant compte des réalités.
Q - La France entretient le deuxième ou le troisième réseau dagences diplomatiques et dambassades à travers le monde, tout cela est fort coûteux. Je sais bien que le Quai dOrsay a fait des sacrifices financiers considérables depuis une dizaine dannées, reste que tout cela reste très coûteux.
Il y a de nombreux projets de fusionner notre outil diplomatique avec celui dautres pays européens comme lAllemagne. Pensez-vous quil est raisonnable pour un pays comme le nôtre de continuer à entretenir un réseau dambassades dans des pays de peu dintérêt finalement pour nous mais peut-être dintérêt pour lUnion européenne en tant que telle ?
R - Je crois quil faut se poser une autre question. La France a-t-elle toujours lambition davoir une grande politique étrangère ? La France pense-t-elle quelle a un rôle à jouer sur la scène mondiale ? Y a-t-il une attente dans le monde des positions françaises ? Ma réponse à ces questions est définitivement oui. Je le constate, comme je lavais déjà constaté entre 1993 et 1995, la France à un message à délivrer sur la scène internationale.
Q - Cest le même que celui de lUnion européenne ?
R - Non, cest un message souvent cohérent avec celui de lUnion européenne mais la voix de la France a beaucoup plus de portée que celle de lUnion européenne sur un certain nombre de questions.
Q - Vous parlez de Mme Ashton, vous savez, celle que lon nentend pas
R - Ce nest pas tout à fait vrai, il ne faut pas être trop sévère. Cest un poste récent, cest difficile. Avant de parler, il faut quelle mette daccord 27 ministres. Cest la raison pour laquelle la France a un rôle à jouer.
Je pense que la France doit continuer à avoir une politique étrangère autonome, coordonnée avec celle de lEurope, mais qui porte le message français. A partir de là, il nous faut un réseau diplomatique. Vous avez dit que le Quai dOrsay avait fait des efforts, cest ladministration civile qui, depuis dix ans, a le plus réduit ces effectifs. Dun côté, on nous dit que lon «est à los» et que nous navons plus les moyens et, de lautre côté, on nous dit que nous avons encore un réseau trop important. Je crois que nous avons aujourdhui un réseau bien calibré, un réseau culturel en particulier qui est sans exemple au monde et qui est très important pour le rayonnement de notre langue et de notre pensée.
( ).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mars 2012
Je voudrais souligner lobjectivité de la présentation du bilan que vient de faire Brice Couturier et que jai trouvé tout à fait équilibré.
Je ne vais pas revenir sur les points forts de ce bilan en matière de politique étrangère : le Traité qui est devenu le Traité de Lisbonne qui a permis de sortir lUnion européenne de la crise ; le succès de la Présidence française de lUnion européenne qui est saluée par tout le monde ; ainsi quun certain nombre dautres points forts que vous avez signalés.
Je voudrais ajouter dautres succès : la Présidence du G8 et la Présidence du G20 qui ont été, là aussi salués. Le président français a été félicité pour son leadership - vous savez que cest un mot qui revient souvent dans les relations internationales. Je voudrais insister en particulier sur ce que lon a appelé le Partenariat de Deauville, cest-à-dire ce plan qui se propose daider les pays du Printemps arabe en transition. Les États-Unis sont en train de poursuivre laction que la France avait engagée dans ce domaine.
Trois remarques quand même qui sont quelques points de désaccord avec ce qua dit Brice Couturier. La taxe sur les transactions financières nest pas abandonnée : la Commission européenne, à la demande de la France, a bâti un projet que les Européens vont adopter. Nicolas Sarkozy a souhaité anticiper, en prenant une première décision franco-française, si je puis dire, mais lAllemagne, lEspagne et lItalie sont daccord avec nous pour mettre en place une taxe sur les transactions financières. Je vous rappelle également quà la suite du G20, à Cannes, le président Obama lui-même a dit : «il est normal que le secteur bancaire apporte sa contribution à la reconstruction de léconomie mondiale sous des formes qui seront peut-être différentes». Mais cette taxe, je le répète nest pas abandonnée.
Q - Quand verra-t-elle le jour ?
R - Le plus vite possible, je lespère, et je pense que les Européens vont bouger là-dessus, si tout se passe bien, peut-être dans la deuxième partie de cette année. Cest difficile, cest long mais nous allons y arriver.
Deuxième désaccord avec Brice Couturier : lUnion pour la Méditerranée a connu des difficultés mais elle na pas échoué. Je vous signale par exemple quun nouveau secrétaire général vient dêtre désigné, que lUnion européenne a accepté de prendre la coprésidence nord de lUnion pour la Méditerranée et, surtout, que nous avançons sur un certain nombre de projets concrets. Cest cela lUpM, ce nest pas simplement une grand-messe avec 48 pays, ce sont aussi des projets concrets : une usine de dessalement de leau de mer pour Gaza ; un projet dautoroute transmaghrebine en Afrique du Nord ; etc. Je ne mattarderai pas plus longtemps sur ce point.
Q - Les révolutions arabes et le Printemps arabe ne changent-ils pas la donne dans de tels accords et dans le principe de coopération de lautre côté de la Méditerranée ?
R - Vous avez tout à fait raison et si lUPM a eu des difficultés - je ne vais pas dire quelle nen a pas eu même si je pense quelle nest pas morte -, cest notamment parce quau sud, il sest passé des choses sur lesquels je vais revenir.
Q - La présidence de M. Sarkozy na-t-elle pas eu pour conséquence une rupture dramatique de nos liens traditionnels damitié avec la Turquie ?
R - Non. Nous avons eu des difficultés avec la Turquie sur le seul point de désaccord que jai eu avec Nicolas Sarkozy : la pénalisation de la mise en cause du génocide arménien. Ny revenons pas. Mais nos relations avec la Turquie ne sont pas rompues bien au contraire, nos relations économiques restent extrêmement fortes et javais encore des témoignages dentreprises françaises qui sont appelées à simplanter ou à concourir en Turquie. Nos liens culturels restent entiers, notamment - et vous savez que jy tiens beaucoup - avec luniversité Galatasaray et nous continuons à parler avec la Turquie. Les difficultés de lUpM ne viennent pas de là.
Q - Enfin, on leur a fermé la porte de lUnion européenne au nez maintenant et cest sous la présidence Sarkozy que cela a eu lieu !
R - Je vous rappelle que le président de lUMP qui a fait délibérer son parti pour dire que lUnion européenne, telle quelle est aujourdhui na pas la capacité daccueillir la Turquie, cest moi. Je ne suis pas en désaccord avec Nicolas Sarkozy sur ce point.
Sur lAfrique, un point très intéressant : nous avons complètement mis notre politique africaine en cohérence autour du principe de démocratisation, de respect des droits de lHomme et de lutte contre la corruption. Nous avons par exemple fait ce qui navait jamais été fait, cest-à-dire remis complètement à plat tous nos accords de défense avec les pays africains. Désormais, ces accords sont publics, ils sont approuvés par le Parlement et il ny a plus de clause secrète.
Je prendrais un exemple qui montre que, là aussi, il faut sortir des idées reçues. M. Fabius est allé récemment au Gabon. Ce pays a été longtemps considéré comme le symbole de ce que lon a appelé la «Françafrique». Et qua dit Laurent Fabius en rentrant de Libreville ? «Je me réjouis de lexcellence des relations entre la France et le Gabon». Jy ai vu un satisfecit de notre politique africaine.
Enfin, les Printemps arabes : vous dites que le Quai dOrsay était habitué à fraterniser avec des régimes autoritaires. Qui ne fraternisaient pas avec des régimes autoritaires ? Quel Département dÉtat américain ne soutenait pas, perinde ac cadaver, M. Moubarak !
Q - Ce nest pas une raison !
R - Bien sûr que ce nest pas une bonne raison, rétrospectivement, vous avez tout à fait raison. Mais qui a vu venir les Printemps arabes ? Je ne me suis pas repassé les différentes chroniques de France-Culture depuis cinq ans Qui a vu venir les Printemps arabes ? Personne. Cest vrai que nous avons eu un peu de retard au départ, sur la Tunisie, mais je crois pouvoir dire que, depuis, la ligne de la diplomatie française est dune parfaite clarté même si - jai eu loccasion de le dire tout à lheure pendant le journal - sur la Syrie, nous sommes évidemment extraordinairement frustrés par ce qui sy passe. Jai une pensée pour le peuple syrien car cest aujourdhui, je crois, le premier anniversaire du déclenchement de sa révolte.
Je suis absolument convaincu quun régime qui massacre des milliers de ses citoyens ne peut pas durablement se maintenir au pouvoir ; alors, le plus tôt sera le mieux. Il y a un plan de la Ligue arabe, que nous soutenons, mais je crois quil faut rester tout à fait déterminé aux côtés du peuple syrien.
Un dernier point enfin, sans être trop long, sur les relations avec les États-Unis. Il est vrai quelles sont bonnes.
Q - Cest un alignement ?
R - Non, pas du tout. Cela ne nous empêche pas de défendre nos intérêts réciproques. Quand le président français a dit, au nom des intérêts de la France, quil faut accélérer le processus de retrait des troupes dAfghanistan - ce ne sera pas fin 2014, ce sera fin 2013 -, nous nétions pas à la remorque des États-Unis. Cest plutôt les États-Unis qui, depuis, sinterrogent en se disant quaprès tout, ce serait peut-être une bonne idée que daccélérer le processus. Vous voyez donc que la France garde aussi une marge dinitiative tout à fait importante.
Q - Ce nest quand même pas ce que disaient les «amis» dEtienne Pellot dans «Libération», un groupe de hauts fonctionnaires anonymes qui ont publié un article le 13 mars. Il dénonce le bilan du gouvernement en matière de politique étrangère et disent, tout de même, quau fond, on néglige un vrai dossier de fond qui est la question de notre présence dans lOTAN et de la question de la prolifération nucléaire. Que fait-on réellement dans lOTAN ? Quelle est la place réelle de la France dans lOTAN que nous avons réintégrée ?
R - Je me suis fixé une règle de conduite morale, cest quen général, je ne lis jamais les papiers anonymes. Lanonymat, cest la quintessence de la lâcheté. Celui-là, je lai lu quand même parce quil sagissait du Quai dOrsay et je lai trouvé particulièrement débile. Il ne contient rien qui ne soit véritablement marqué par le bon sens, alors nen parlons pas.
Concernant la réintégration de la France dans les structures intégrées de lAlliance, vous disiez tout à lheure à juste titre que javais eu des hésitations il y a quelque temps. Je voudrais quand même rappeler que cest depuis 1995 que, sous la présidence de Jacques Chirac, nous avions lintention de les réintégrer sous certaines conditions. Les conditions étaient au nombre de deux. La première était que les responsabilités au sein de lAlliance soient rééquilibrées et quil y ait des commandements confié à des officiers supérieurs ou généraux européens. Cela a été le cas avec lun des grands commandements important qui est confié au général Abrial, un général français.
La deuxième condition, cétait que lon progresse dans la mise en uvre dune politique européenne de sécurité et de défense et on a progressé. Depuis cette période-là, il y a eu plusieurs opérations conduites sous pavillon européen, en République démocratique du Congo, au Tchad, en ce moment-même, au large de la Corne de lAfrique où il y a une force internationale sous le drapeau de lUnion européenne. Nous avons obtenu en septembre dernier, je nai pas le temps dentrer dans le détail, après - il faut bien le dire - une partie un peu difficile avec les Britanniques, trois avancées très significatives.
La première, cest que nous sommes en train de préparer deux nouvelles missions de la PSDC la Politique de sécurité et de défense commune en Europe, une nouvelle dans la Corne de lAfrique et une autre au Sahel.
La deuxième avancée, cest que nous avons obtenu lactivation du Centre dopération européen qui est un peu létat-major européen pour conduire ces opérations.
Enfin, et cest peut-être le plus important, nous avons obtenu un accord sur 11 opérations de mutualisation au sein de lAgence européenne de Défense. Je prends un seul exemple en matière de ravitailleur aérien, nous sommes en train de mutualiser nos moyens puisque tous nos budgets de défense en Europe diminuent. Les Américains dailleurs considèrent que la PSDC peut être, à côté de lOTAN, en parallèle de lOTAN, lun des piliers de la défense de lEurope.
Q - Je voudrais parler dun pays dont on na pas parlé pour linstant, la Chine, grande puissance daujourdhui qui est à la fois un pays en développement et une puissance économique qui sait admirablement jouer sur les deux tableaux. Vous êtes arrivé à un moment où les relations sont relativement tendues entre la Chine et les États-Unis. Le G20 a joué un rôle pacificateur sans doute dans cette relation, mais le rêve des Chinois nest-il pas davoir devant eux des Européens bien unis ?
R - Un rêve ou un cauchemar ?
Q - Ils feignent de ne pas comprendre grand-chose à la crise en Europe mais ne sont-ils pas tentés de parler plutôt avec les Allemands quavec les Français ?
R - Non pas du tout, ils parlent très régulièrement avec les Français. Je lai vu à Deauville pendant le G20 où jai assisté aux rencontres entre le président chinois, Hu Jintao, et le président Sarkozy. Ce que vous dites est vraiment très intéressant. Je pense quil ne faut pas cesser de répéter - et ce sera une banalité peut-être pour les auditeurs de France-Culture - que nous sommes dans un nouveau monde. Le monde ancien a complètement changé. Ce monde nouveau est global, multipolaire, instable et dangereux.
Q - Y compris en Chine avec les déclarations hier du premier ministre chinois se disant dun côté profondément affecté par les immolations des Tibétains et de lautre côté, économiquement, en disant quil fallait sans doute laisser flotter davantage la monnaie chinoise et partir davantage à lassaut, économiquement, du reste du monde ?
R - La Chine a profondément changé depuis Deng Xiaoping. La Chine a reconquis la place qui était la sienne dans léconomie mondiale il y a quelques siècles. Au XVè ou au XVIè siècle, la Chine était la puissance la plus importante. Elle est redevenue une puissance majeure sur le plan commercial et sur le plan économique.
Son régime politique na pas encore changé. Sur la question tibétaine, jai eu loccasion de dire que la politique sécuritaire et répressive nétait pas une solution, quil fallait un dialogue permettant de garantir lidentité culturelle et religieuse des Tibétains dans le cadre de lintégrité territoriale de la Chine.
Ce que je voudrais dire, cest que dans ce monde multipolaire, lEurope reprend toute sa signification. Je voudrais saluer le discours du président de la République à Villepinte car cest un discours refondateur du projet européen. Dans le monde tel quil est, lEurope doit nous protéger, si elle a un sens vis-à-vis des peuples européens et du peuple français. Cela veut dire trois choses.
Cest une Europe qui a des frontières et qui les contrôle. Ce que le président de la République a dit sur lespace Schengen est profondément marqué au coin du bon sens : nous sommes pour la liberté de circulation à lintérieur de lespace Schengen à condition que les frontières extérieures soient réellement contrôlées et maîtrisées, ce qui nest pas le cas aujourdhui.
Q - Qui cela concerne-t-il ? Soyez précis ?
R - On sait très bien notamment que la frontière gréco-turque - 130 ou 140 km - nest pas contrôlée. Les Grecs eux-mêmes nous disent quil y a 60.000 clandestins qui passent chaque année ; nous pensons que cest plus du double. Il faut contrôler cette frontière sinon lEspace Schengen explosera.
Ensuite, une Europe qui protège, cest une Europe qui défend ses intérêts économiques. On en revient à la question de la Chine : nous avons signé un accord sur louverture des marchés publics. Cest très important : il sagit de tous les marchés passés par les collectivités publiques, cest-à-dire 10 à 15 % de la richesse mondiale. Quavons-nous fait, nous Européens ? Nous avons entièrement ouvert laccès aux marchés publics. Une entreprise chinoise peut donc venir soumissionner dans un marché public français, en pleine concurrence avec les autres entreprises. Pensez-vous que les Chinois ont ouvert leur marché public ? Pratiquement pas ; les Japonais ? Pratiquement pas non plus ; les Canadiens ? Non plus. Nous disons que désormais, il faut que le principe de réciprocité soit un principe directeur de la politique commerciale de lUnion européenne.
Enfin, une Europe qui protège, comme je lai déjà dit, cest une Europe capable de se doter dune politique étrangère et dune politique de sécurité et de défense.
Là, je crois que Nicolas Sarkozy a redonné du sens au projet européen et à la place de la France dans lEurope.
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Q - Le Quai dOrsay a longtemps soutenu les despotes laïques parce quils prétendaient nous défendre contre la menace islamiste.
R - Le Quai dOrsay ? La France en fait.
Q - Ce virage à 180° qui a été pris à propos de laffaire libyenne ne la pas été de manière correcte. On sest beaucoup moqué des Américains qui sont allés chasser Saddam Hussein mais qui ont été incapables de reconstruire un État irakien après leur victoire. Ne peut-on pas faire exactement le même reproche à la France qui a débarrassé le peuple libyen de Kadhafi mais qui a été incapable daider ce peuple à sortir dune situation de véritable chaos aujourdhui ?
R - Je nai aucun regret sur la Libye. Quand jai dit au Conseil de sécurité quil sagissait dune question dheures, cétait la vérité. Si nous navions pas fait ce que nous avons fait, Kadhafi aurait massacré le peuple de Benghazi. Il lavait annoncé.
Q - Mais cela ne suffit pas...
R - Vous me demandez si nous navons pas fait une erreur, je vous dis non. Je pense que nous navons pas fait derreur ; souvenez-vous, il traitait les gens de Benghazi de rats. Il allait les massacrer et nous avons évité ce massacre.
De plus, on ne peut absolument pas comparer aujourdhui ce qui sest passé en Irak et ce qui sest passé en Libye. Il ny a pas eu doccupation de la Libye. LIrak a été occupé par une force internationale et vous savez quel était notre point de vue là-dessus. Les morts dans les attentats qui se sont succédés en Irak se chiffrent par centaines et sans doute par milliers. Ce nest pas le cas de la Libye aujourdhui. La Libye est confrontée à des difficultés, cest vrai. Il ny a pas de processus révolutionnaire qui se déroule tranquillement, mais je suis confiant dans lavenir de ce pays. Le pouvoir veut sengager dans un processus électoral et de démocratisation et nous continuons à aider la Libye. Jai parlé tout à lheure du Partenariat de Deauville : la Libye est un pays qui a de largent et qui a retrouvé le niveau de production pétrolière qui était le sien avant cette guerre. Elle a récupéré des avoirs gelés qui appartenaient au peuple Libye.
Nous allons continuer à laccompagner dans sa reconstruction et je ne suis pas pessimiste.
Q - Pourquoi ne parvient-on pas à faire la même chose sur la Syrie ?
R - Pourquoi me posez-vous la question ? Vous connaissez la réponse. Je lai déjà dit vingt fois, au Conseil de sécurité des Nations unies pour la Libye, nous sommes parvenus à obtenir, sinon lunanimité, au moins une absence de veto de la Russie et de la Chine. Aujourdhui, pourquoi la Russie met-elle son veto - je lai peut-être dit de manière un peu brutale ? Dabord, parce que la Russie nous reproche lintervention en Libye. Elle estime que nous avons été au-delà de notre mandat. Je ne le pense pas mais elle nous fait, dune certaine façon - pardon de la brutalité du mot - payer lopération libyenne.
La Russie, quoi que mait dit M. Lavrov à New York, a des intérêts en Syrie. Elle vend ou elle a vendu beaucoup darmes au régime syrien, mais je pense quelle fait un mauvais calcul sur le moyen terme.
La Russie craint aussi la contagion islamique sur son propre territoire ; cest aussi pour cela quelle est hostile à ce qui se passe en Syrie.
Enfin, il y a eu la campagne électorale avec un discours très nationaliste du principal candidat. La Russie, aujourdhui, peut-elle ouvrir les yeux sur ce qui se passe véritablement en Syrie et évoluer pour que la communauté internationale puisse enfin intervenir ? Je lespère de tout cur.
Je voudrais enfin ajouter quelque chose : il y a une différence fondamentale entre la Syrie et la Libye. Le peuple libyen est un peuple relativement homogène, ce sont à 95 % des sunnites. Le peuple syrien est profondément divisé et si nous donnons des armes à une certaine fraction de lopposition en Syrie, nous allons avoir une guerre civile. Cela pourrait être une catastrophe encore plus grande que ce qui existe aujourdhui.
Q - Vous avez dit quun régime qui opprime et massacre son peuple comme en Syrie ne peut pas tenir longtemps. Donc ce régime va tomber si on vous écoute. Comment va-t-on faire après ? Ny aura-t-il pas une guerre civile inéluctable ?
R - Je ne pense pas. La Ligue arabe sest engagée et a proposé un plan ; ce fut un moment important dans le conflit. Ce sont les voisins de la Syrie qui sont les principaux concernés. La Ligue arabe demande non pas - et cest exact lorsquon lit bien son plan - le départ de Bachar Al-Assad, mais le transfert des pouvoirs à son vice-président pour organiser la constitution dun gouvernement inclusif dans lequel lopposition pourrait être représentée ; et ensuite la préparation dun processus électoral avec des élections libres.
Voilà le plan de sortie de cette crise ; comme les Égyptiens sont en train, là aussi dans la difficulté, dessayer de le mener à bien ; comme les Tunisiens lont fait. Il y a eu en Tunisie lélection dune Assemblée constituante - et les choses progressent - comme les Libyens se préparent à le faire.
Voilà la porte de sortie.
Q - Ce qui veut dire que le régime Assad doit tomber mais pas tout à fait sans quoi cest linconnu
R - Non, je dis que lobjectif est de donner aux Syriens la possibilité de sexprimer librement. Cela doit se faire dans des élections libres comme il y en a eu globalement en Égypte et en Tunisie et comme il y en aura, je lespère, en Libye.
Q - Cela passe par ce que lon appelle une «solution yéménite» : exfiltrer Bachar Al-Assad en lui promettant la vie sauve et limmunité quelque part dans le monde ?
R - Cest aux Libyens den décider, le moment venu, dans le cadre du plan de règlement que nous soutenons.
Q - Vous avez dit que le problème de la Syrie vous empêchait de dormir ?
R - Bien sûr que cest une frustration extraordinaire. Bien sûr que jaimerais trouver une solution pour arrêter ce massacre. Jai dit au Conseil des droits de lHomme à Genève que nous rassemblions les éléments pour pouvoir convaincre la communauté internationale de saisir la Cour pénale internationale parce quil y a eu des crimes de guerre. Jai rencontré Mme Amos, la directrice de lOffice des Nations unies qui soccupe de lhumanitaire. Elle est allée à Homs et a dit quelle était horrifiée par ce quelle avait vu. Il y a des crimes de guerre et, de mon point de vue, il faudra les sanctionner ; cest à la Cour pénale internationale quil appartiendra de le faire.
Q - Dune façon générale, comme Hubert Védrine, vous dites que le «droit de lhommisme» nest pas une politique ?
R - En général, je suis à peu près daccord sur tout avec lui, mais là je suis en désaccord formel.
Q - Lidéologie des droits de lHomme ne règle pas les conflits ?
R - Bien sûr que non. Il est écrit dans le Livre Blanc que javais proposé au gouvernement, avec Louis Schweitzer il y a quelques années, que lun des principes directeurs de la diplomatie française est la défense des droits de lHomme et de la démocratie dans le monde.
Q - Cela ny fait pas grand-chose ?
R - Si, bien sûr, notre discours est constant. En Afrique par exemple, le nombre de pays dans lesquels des élections relativement libres sont en train de se dérouler, au nom du principe démocratique et du respect des droits de lHomme est impressionnant : au Niger, au Sénégal Nous avons émis des critiques sur ce qui se passait au Sénégal et que se passe-t-il ? Le peuple sénégalais a fait preuve dune très grande maturité démocratique. Le premier tour sest déroulé convenablement et le deuxième se prépare dans le calme. Voilà ! Cette politique des droits de lHomme marque des points.
Q - En Russie, M. Poutine est réélu pour des questions déconomie et de croissance et pas pour des raisons de libéralisation du régime et des droits de lHomme !
R - Nous avons dit aussi que la Russie doit évoluer. Nous avons pris acte des critiques qui ont été apportées au déroulement des élections. Nous avons aussi constaté que ceux qui avaient dit quil existait des irrégularités reconnaissaient que, de toute manière, Poutine aurait été élu. Nous souhaitons que le régime évolue.
Je voudrais aller au bout de mon raisonnement. La défense des droits de lHomme et de la démocratie est pour nous un principe fondamental, parce que je pense que sur le moyen terme il ny a pas de régime dans le monde où nous vivons aujourdhui qui puisse longtemps fouler au pied les droits de ses peuples. Pour autant, nous défendons les intérêts de la France. En tant que chef de la diplomatie française, je me sens comptable des intérêts de la France. Vous me direz que cest un double langage, de la realpolitik Non, je crois quil sagit dêtre ferme sur les principes tout en tenant compte des réalités.
Q - La France entretient le deuxième ou le troisième réseau dagences diplomatiques et dambassades à travers le monde, tout cela est fort coûteux. Je sais bien que le Quai dOrsay a fait des sacrifices financiers considérables depuis une dizaine dannées, reste que tout cela reste très coûteux.
Il y a de nombreux projets de fusionner notre outil diplomatique avec celui dautres pays européens comme lAllemagne. Pensez-vous quil est raisonnable pour un pays comme le nôtre de continuer à entretenir un réseau dambassades dans des pays de peu dintérêt finalement pour nous mais peut-être dintérêt pour lUnion européenne en tant que telle ?
R - Je crois quil faut se poser une autre question. La France a-t-elle toujours lambition davoir une grande politique étrangère ? La France pense-t-elle quelle a un rôle à jouer sur la scène mondiale ? Y a-t-il une attente dans le monde des positions françaises ? Ma réponse à ces questions est définitivement oui. Je le constate, comme je lavais déjà constaté entre 1993 et 1995, la France à un message à délivrer sur la scène internationale.
Q - Cest le même que celui de lUnion européenne ?
R - Non, cest un message souvent cohérent avec celui de lUnion européenne mais la voix de la France a beaucoup plus de portée que celle de lUnion européenne sur un certain nombre de questions.
Q - Vous parlez de Mme Ashton, vous savez, celle que lon nentend pas
R - Ce nest pas tout à fait vrai, il ne faut pas être trop sévère. Cest un poste récent, cest difficile. Avant de parler, il faut quelle mette daccord 27 ministres. Cest la raison pour laquelle la France a un rôle à jouer.
Je pense que la France doit continuer à avoir une politique étrangère autonome, coordonnée avec celle de lEurope, mais qui porte le message français. A partir de là, il nous faut un réseau diplomatique. Vous avez dit que le Quai dOrsay avait fait des efforts, cest ladministration civile qui, depuis dix ans, a le plus réduit ces effectifs. Dun côté, on nous dit que lon «est à los» et que nous navons plus les moyens et, de lautre côté, on nous dit que nous avons encore un réseau trop important. Je crois que nous avons aujourdhui un réseau bien calibré, un réseau culturel en particulier qui est sans exemple au monde et qui est très important pour le rayonnement de notre langue et de notre pensée.
( ).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mars 2012