Interview de M. François Fillon, Premier ministre, à France Inter le 29 mars 2012, sur la campagne pour les élections présidentielles de 2012, la lutte contre la montée de l'intégrisme, l'affaire Bettencourt, la politique fiscale à l'égard des grandes fortunes et le dialogue social.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN 1/ Le pouvoir d’achat. 2/ L’emploi. 3/ La santé, l’éducation. C’est ce que disent les Français quand on les interroge sur leurs préoccupations. Est-ce que vous trouvez que la campagne répond bien à ces attentes ?
 
FRANÇOIS FILLON Oh, la campagne elle a un premier résultat qui est extrêmement positif de mon point de vue : c’est qu’elle dissipe le nuage de fumée qui avait été dressé autour du bilan du gouvernement, du président de la République et puis elle commence à révéler les caractères des hommes qui sont dans la compétition, et au fond c’est ça le rôle de la campagne. Chacun essaye de lui donner une orientation mais en réalité, elle échappe à tous les pronostics parce qu’elle se déroule à partir des faiblesses des candidats. Elle se déroule à partir des caricatures et des excès dans les critiques.
 
PATRICK COHEN « Elle échappe aux pronostics » : ça veut dire que vous croyez aux chances de victoire de Nicolas SARKOZY.
 
FRANÇOIS FILLON Ça veut dire que je crois aux chances de victoire de Nicolas SARKOZY.
 
PATRICK COHEN Ça veut dire qu’il va exploser François HOLLANDE au second tour comme il l’a dit en confidence ces derniers jours.
 
FRANÇOIS FILLON Non. Je ne crois pas que dans un pays comme le nôtre quiconque explose quiconque. On est dans un pays où les élections présidentielles se jouent à quelques centaines de milliers de voix. Mais il y a une chose qui est certaine : c’est que les excès de critiques pendant quatre ans se payent aujourd'hui. C'est-à-dire que ceux qui ont été à l’origine de ces critiques sont en train d’en payer le prix.
 
PATRICK COHEN Vous pensez que c’est sur le bilan que Nicolas SARKOZY refait son retard ?
 
FRANÇOIS FILLON Le président des riches, l’injustice fiscale, le pouvoir d’achat en baisse, toutes ces accusations caricaturales de la gauche, elles se payent aujourd'hui parce que la campagne électorale, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, jette une lumière crue sur la réalité. Elle fait apparaître des vérités. Je voyais hier un journal qui fait ouvertement campagne pour la gauche qui écrivait : « Durant le quinquennat, le pouvoir d’achat a peu augmenté. » Ça a dû être très, très dur pour ceux qui ont écrit cet article de l’écrire de cette manière, mais c’est ça qui est en train de se dérouler. Alors après, il faut qu’au fur et à mesure qu’on s’approche de l’échéance de cette campagne, les questions que posent les Français sur les sujets qui les préoccupent – ceux que vous venez d’évoquer – ces questions reçoivent des réponses.
 
PATRICK COHEN Oui, parce que tout de même Nicolas SARKOZY, depuis jeudi dernier, a prononcé cinq discours consacrés pour l’essentiel à l’immigration et à la sécurité, à Strasbourg, Rueil-Malmaison, Nantes, dans le Loiret et les Yvelines.
 
FRANÇOIS FILLON Oui. Enfin la sécurité est un sujet qui préoccupe les Français. On vient de connaître des événements qui sont des événements d’une gravité extrême. Il n’est pas anormal que le chef de l’Etat et le candidat à l’élection présidentielle évoque ces sujets. Il les évoque d’ailleurs d’une façon qui est beaucoup plus mesurée que la caricature là aussi qui en est faite. Quand Nicolas SARKOZY…
 
PATRICK COHEN Vous voulez quelques – les radios diffusent les extraits de discours.
 
FRANÇOIS FILLON Non mais j’écoute les radios, j’écoute aussi les discours du président de la République.
 
PATRICK COHEN Quand on parle de vague migratoire incontrôlée comme avant-hier à Nantes…
 
FRANÇOIS FILLON Mais c’est un sujet. Il y a une vague migratoire incontrôlée sur l’ensemble des pays développés…
 
PATRICK COHEN Qui menace la France ?
 
FRANÇOIS FILLON Et le président de la République dit dans chacun de ses discours que l’immigration est une chance pour notre pays - première partie. C’est une phrase qu’on entend assez peu. Et ensuite, que cette immigration doit être contrôlée parce que nous sommes dans une situation de crise économique et financière. Notre modèle social est complètement remis en cause par les conséquences de la mondialisation et dans ces conditions, il est naturel de ne vouloir accueillir sur notre territoire que des immigrés qu’on peut loger, à qui on peut donner un travail, à qui on peut fournir une éducation, c'est-à-dire qu’on peut accueillir comme la République doit le faire dignement.
 
PATRICK COHEN Donc vous êtes, François FILLON, à l’aise avec la tonalité droitière ou populiste que Nicolas SARKOZY donne à sa campagne ?
 
FRANÇOIS FILLON Je récuse ces mots de « droitière » et de « populiste ». Que dire des candidats qui refusent de s’expliquer sur la plupart des sujets ? qui changent de position d’un jour à l’autre sur les retraites, sur la réduction des déficits…
 
PATRICK COHEN Mais qui ont un programme, ce qui n’est pas le cas du président sortant.
 
FRANÇOIS FILLON Je ne suis pas sûr qu’ils aient un programme car qu’est-ce que c’est que le programme de François HOLLANDE, quand chaque jour il revient sur les propositions qu’il a faites ? En réalité, François HOLLANDE a un discours par auditoire. Il plonge devant les plus grands patrons réunis dans un club célèbre, et il leur explique ce qu’ils ont envie d’entendre. Le lendemain, il explique que la finance c’est son adversaire, et il s’empresse quelques jours après de donner une interview à un journal britannique pour dire que la City n’a rien à craindre de lui. Je crois que c’est cette faiblesse, c’est ce refus de trancher, cette difficulté à avoir des convictions – en tous cas à les affirmer – qui expliquent aujourd'hui les difficultés de François HOLLANDE et peut-être les succès d’autres à gauche.
 
PATRICK COHEN Et ce serait un danger de voir François HOLLANDE accéder au pouvoir ? Vous diriez cela : c’est un président dangereux ?
 
FRANÇOIS FILLON Non. Non, ce n’est pas… Enfin je veux dire, on est dans une démocratie qui est une vieille démocratie et qui en a vu d’autres : ce n’est pas un danger. Simplement, je crois profondément qu’on n’est pas dans une crise. Une crise, c’est un moment passager, on a des difficultés, on va en sortir. On est dans un changement radical d’époque. Tous les grands pays européens sont défiés. Ils sont défiés d’une manière qui menace leur mode de vie. On a vu que notre monnaie elle-même est en danger et qu’elle est menacée par la spéculation, c'est-à-dire par les attaques des marchés qui n’ont pas confiance dans l’avenir de l’économie européenne. On est en train de conduire le changement qui vise à réduire les déficits, qui vise à donner de la compétitivité à l’économie, qui vise à essayer de construire une nouvelle Europe qui doit être sans doute plus resserrée autour d’une zone euro beaucoup plus forte. C’est un mouvement de réforme qui va durer encore dix ans. On a dix ans d’efforts si on veut sauver le modèle européen face à la compétition et je crois profondément que le programme de François HOLLANDE, que son indécision est une menace pour mener à bien ces réformes-là.
 
PATRICK COHEN Il n’est pas dangereux mais il est menaçant donc. Je note le mot « menace ». Pour le pouvoir d’achat, puisque nous y étions en tout début d’interview, qu’est-ce qu’on aurait à gagner, François FILLON, au déblocage de nos stocks stratégiques d’essence ?
 
FRANÇOIS FILLON Vous savez que c’est une opération qu’on a déjà fait je crois il y a deux ans.
 
PATRICK COHEN Pour la Libye.
 
FRANÇOIS FILLON Lorsque… Non, un peu moins effectivement, lorsqu’en raison de la guerre en Libye il y avait une pression très forte sur la production. Donc si on se met d’accord avec les autres pays développés, on peut en puisant dans nos stocks faire baisser les cours pendant une durée limitée. C’est une manière de faire face à la crise qui est largement due à la situation en Iran aujourd'hui, mais il ne faut pas en attendre des miracles sur la baisse du prix de l’essence. En tous cas, ça peut permettre de stabiliser le prix, de le baisser un peu, de l’orienter un peu à la baisse pendant quelques mois mais il faut, pour que ça fonctionne, que l’ensemble des pays concernés se mette d’accord. Il me semble qu’il y a aujourd'hui de bonnes perspectives notamment pour que les Etats-Unis et l’Europe s’accordent sur cette solution.
 
PATRICK COHEN Mais ce n’est pas fait pour. Au départ, le déblocage ça sert en cas d’événement géostratégique majeur normalement.
 
FRANÇOIS FILLON Oui. Enfin, on a vu qu’on pouvait – sauf naturellement à ce qu’on soit à la veille d’un conflit qui menacerait complètement… On n’y est pas.
 
PATRICK COHEN Non, non. On est plutôt à la veille d’une élection, là.
 
FRANÇOIS FILLON Donc cette élection a sans doute assez peu de conséquences sur les stocks de pétrole, et je crois qu’on peut utiliser ces stocks comme une sorte de tampon.
 
PATRICK COHEN Comme argument.
 
FRANÇOIS FILLON Non, non. Comme une sorte de tampon. C’est d’ailleurs une idée qui n’est pas une idée spécifiquement française. Je vous rappelle qu’il y a des élections en France, mais enfin il y a d’autres pays et l’économie continue à fonctionner.
 
PATRICK COHEN Bon. Et par économie d’énergie, vous voulez obliger les magasins à éteindre leurs lumières à une heure du matin, comme je l’ai lu ce matin dans Le Parisien. C’est vrai ?
 
FRANÇOIS FILLON Je ne suis pas au courant de cette proposition.
 
PATRICK COHEN Bon, alors on va en parler.
 
FRANÇOIS FILLON Mais en tous cas, toute économie d’énergie est bonne à faire.
 
PATRICK COHEN Parce que vous êtes ministre de l’Écologie en titre, depuis le départ de Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET. Puisqu’on parle d’énergie, les gaz de schiste François FILLON, ça reste une potentialité à explorer selon vous ?
 
FRANÇOIS FILLON Je crois qu’on a été très clair là-dessus : nous avons pris des dispositions pour interdire toute exploitation de gisement de gaz de schiste par la méthode dite de la fracturation hydraulique, parce que c’est une méthode qui abîme les sous-sols et qui peut avoir des conséquences graves sur l’environnement. Si demain on trouve des méthodes qui sont des méthodes propres, qui sont des méthodes respectueuses de l’environnement pour aller chercher ce gaz de schiste, alors on les mettra en oeuvre. Pour le moment, aucune entreprise n’a été en mesure de nous prouver qu’il y avait d’autres méthodes que la fracturation hydraulique, donc il n’y aura pas d’exploitation de gaz de schiste en France.
 
PATRICK COHEN L’affaire Merah : vous nous confirmez que le texte annoncé par Nicolas SARKOZY pour renforcer l’arsenal antiterroriste sera présenté dans un prochain conseil des ministres ?
 
FRANÇOIS FILLON Il sera sans doute présenté au conseil des ministres du 11 avril. Il est quasiment rédigé. Il est d’ailleurs assez facile à rédiger puisqu’au fond c’est des choses assez simples, et ensuite comme je l’avais indiqué, s’il y avait eu un consensus politique, on aurait proposé au Parlement une réunion extraordinaire pour le voter. Manifestement ce n’est pas le cas et donc ce texte fera l’objet d’un vote lors des premières semaines du nouveau Parlement.
 
PATRICK COHEN Si…
 
FRANÇOIS FILLON Si Nicolas SARKOZY est réélu et si nous y avons la majorité.
 
PATRICK COHEN Cette nouvelle loi aurait-elle permis d’éviter les tueries de Toulouse et de Montauban ?
 
FRANÇOIS FILLON Non, bien sûr. Il s’agit de se donner des outils supplémentaires pour lutter contre la montée d’un intégrisme, d’un fondamentalisme qui est véhiculé par souvent des sources extérieures qui utilisent les nouvelles technologies, qui utilisent Internet, qui utilisent aussi malheureusement un certain nombre de prêcheurs dans les quartiers de nos villes. C’est le devoir de la République de se défendre contre ces attaques qui sont des attaques directes contre ses valeurs et nous ne devons nous priver, dans le domaine des libertés individuelles, d’aucun moyen pour lutter contre ces attaques.
 
PATRICK COHEN Ce qui est difficile à comprendre, François FILLON, c’est qu’on nous a expliqué que les séjours en Afghanistan et au Pakistan de Mohamed MERAH ne suffisaient pas à le classer comme dangereux, et aujourd'hui on nous annonce une loi qui punirait ceux qui ont fait de tels séjours.
 
FRANÇOIS FILLON Non, c'est-à-dire qu’il ne suffit – aujourd'hui la loi ne nous permet pas, à partir de ces séjours, de poursuivre Mohamed MERAH. Nous voudrions que demain, la loi nous permette de le faire. Donc il s’agit de se doter d’instruments juridiques supplémentaires qui, en l’occurrence, auraient pu permettre peut-être de poursuivre…
 
PATRICK COHEN Et à défaut de poursuivre, il aurait pu y avoir une surveillance plus étroite.
 
FRANÇOIS FILLON La surveillance plus étroite, elle aurait été contraire aux libertés individuelles. Mohamed MERAH était surveillé. Il a été surveillé pendant plusieurs mois, il a été écouté. Je dois dire d’ailleurs qu’il a été écouté avec, contrairement à ce que j’ai entendu plusieurs fois, l’autorisation comme la loi le prévoit de la commission qui est chargée d’attribuer les autorisations d’écoute : ces écoutes n’ont absolument rien donné. C'est-à-dire qu’on a écouté Mohamed MERAH, on a écouté sa famille, enfin les services de renseignement et pendant plusieurs mois. Aucun élément permettant de penser que Mohamed MERAH était dangereux n’a été décelé dans ces écoutes et donc naturellement, il a été mis fin à ces écoutes. Nous sommes aussi redevables, nous devons défendre les libertés individuelles. La lutte contre le terrorisme ne nous autorise pas à utiliser les mêmes armes que les terroristes, sinon nous ne serions plus une démocratie.
 
PATRICK COHEN Dernière chose avant la pause et la revue de presse, François FILLON. L’UMP, par la voix de Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, a demandé hier soir à François HOLLANDE de s’expliquer sur l’affaire DSK et sur les liens révélés entre un de ses proches, le député URVOAS, et l’un des policiers mis en examen dans ce dossier. Est-ce que Nicolas SARKOZY ne devrait pas s’expliquer sur l’affaire Bettencourt puisque l’un des juges le soupçonne d’avoir fait financer illégalement sa campagne de 2007 par des remises de fonds des BETTENCOURT ?
 
FRANÇOIS FILLON Alors d’abord, premièrement, moi je ne commente aucune affaire de justice, qu’elle concerne monsieur STRAUSS-KAHN ou qu’elle concerne qui que ce soit.
 
PATRICK COHEN Donc vous, vous ne demandez pas à François HOLLANDE de s’expliquer.
 
FRANÇOIS FILLON Les socialistes sont en face de leurs responsabilités. Ils avaient un candidat qui était manifestement plébiscité, on sait aujourd'hui ce qu’il en est – au moins pour une partie des choses qui lui sont reprochées. Il y a une enquête judiciaire en cours, je n’ai aucun commentaire à faire. Sur l’affaire Bettencourt, ce que je veux simplement remarquer, ce que je peux remarquer en tant que chef du gouvernement sans mettre en cause le fonctionnement de la justice, c’est qu’il y a quand même des coïncidences. À chaque fois que François HOLLANDE est un peu en difficulté dans les sondages, on trouve de nouvelles affaires qui naissent et qui réapparaissent.
 
PATRICK COHEN Mais on peut dire la même chose de DSK alors !
 
FRANÇOIS FILLON Il y a quelques semaines, on a eu des journaux importants qui ont fait deux pages sur les fonds que le colonel KADHAFI aurait versés à la campagne de Nicolas SARKOZY. Cinquante millions, cinquante millions de dollars. Cinquante millions de dollars pour financer une campagne qui en a coûté vingt.
 
PATRICK COHEN La source était discutable.
 
FRANÇOIS FILLON La source était plus que discutable mais ça n’a pas empêché des grands journaux de faire deux pages sur ce sujet.
 
PATRICK COHEN Non mais là je vous parle de…
 
FRANÇOIS FILLON Aujourd'hui on nous sort de nouveau l’affaire Bettencourt, qui ressort régulièrement depuis deux ans, sans que jamais le début du commencement d’une preuve n’ait été apporté. Je trouve qu’il y a là des méthodes qui sont des méthodes qui, à mon avis, ne tromperont pas les Français. Puis une dernière chose que je veux dire…
 
PATRICK COHEN (inaudible), monsieur FILLON. Patrice de MAISTRE.
 
FRANÇOIS FILLON Oui, bien sûr, et alors ? Je veux dire ça veut dire quoi ? Ça prouve quelque chose sur le rapport entre Patrice de MAISTRE et Nicolas SARKOZY ?
 
PATRICK COHEN Non, ça ne prouve rien mais vous dites qu’il n’y a rien dans le dossier, que le dossier est vide.
 
FRANÇOIS FILLON Absolument rien. Absolument rien. D’ailleurs on peut s’étonner sur les raisons qui conduisent à écrouer cet homme par rapport aux règles qui sont celles de notre justice, mais enfin c’est un autre sujet.
 
PATRICK COHEN Vous pensez que les juges sont allés trop loin ?
 
FRANÇOIS FILLON Non, je ne veux pas commenter. Ce n’est pas mon rôle de commenter le rôle des juges.
 
PATRICK COHEN Vous venez de le faire.
 
FRANÇOIS FILLON Je dis simplement que je connais le président de la République, je viens de passer cinq années assez proche de lui et non seulement je ne crois absolument à aucune de ces accusations, mais en plus j’ai constaté à de nombreuses reprises, contrairement à ce qui est dit ici ou là, que le président de la République n’a jamais cherché dans l’exercice de ses fonctions à favoriser ses amis. J’ai même souvent vu le contraire. Il y a un certain nombre de grands responsables d’entreprises en France qui en savent quelque chose ; je pense en particulier au secteur de la téléphonie mobile. Ça n’a pas été toujours le cas dans le passé. Je pense à d’autres septennats où l’on favorisait systématiquement ses amis.
 
PATRICK COHEN Le Premier ministre François FILLON, est notre invité jusqu’à 9 heures moins 5. Des questions d’auditeurs pour vous, monsieur FILLON, avant d’aller au standard, une fiche d’un auditeur qui a dû partir travailler et qui ne peut pas passer à l’antenne. Alain de Haute-Savoie qui vous demande : en arrivant à Matignon, vous avez dit que la France était en faillite, que doit-on en dire aujourd’hui ?
 
FRANÇOIS FILLON Ce que j’ai dit, c’est que nous sommes endettés depuis 40 ans, nous avons tous les gouvernements et toutes les majorités, poursuivi une croissance forte qui serait venue nous permettre de rembourser cette dette qui n’est jamais venue. Aujourd’hui, nous sommes devant la réalité des choses, c’est vrai pour la France, c’est vrai pour les autres pays européens, il faut rembourser nos dettes, il faut revenir à l’équilibre des comptes, sans quoi, la monnaie européenne est menacée, la construction européenne est menacée et derrière le mode de vie qui est le nôtre, est menacé. Voilà ce que j’ai dit en 2007. nous avons eu affaire en 2008 à une crise extrêmement grave, qui nous a conduit à mettre en oeuvre des mesures, dont la gauche d’ailleurs à l’époque trouvait qu’elles étaient insuffisantes, pour la relance. Je le rappelle, certains voulaient qu’on baisse la TVA, voulaient qu’on mette en place un plan de relance, beaucoup plus ambitieux. Ce plan de relance a creusé les déficits, il a aussi évité des catastrophes sociales. Nous avons depuis 2011, commencé à réduire les dépenses publiques, pour la première fois, quasiment dans l’histoire de la 5ème République, c’est ce qu’il faut maintenant continuer à faire pendant les années à venir, avec un rendez-vous…
 
PATRICK COHEN Vous diriez vous aussi que la crise est derrière nous, François FILLON ?
 
FRANÇOIS FILLON Non, ce qui est derrière nous, c’est la crise financière, c'est-à-dire les attaques spéculatives, contre la Grèce et donc contre l’euro. Elles se sont arrêtées pourquoi ? Parce que les pays européens ont fait la démonstration de leur volonté de s’opposer à ces spéculations, de protéger la Grèce. On a beaucoup critiqué les mesures qui ont été proposées. Elles ont été efficaces, dans ce sens où il n’y a plus d’attaque spéculative contre l’euro. Mais à la minute où un autre pays européen ne respecterait pas ses engagements, et notamment à la minute où la France qui est la deuxième économie de la zone euro ne respecterait pas ses engagements, ce qui est contenu dans les propositions de François HOLLANDE, alors à ce moment-là, la spéculation reprendrait de plus belle, et je crois qu’alors nous n’aurions pas, compte tenu de la dimension de l’économie française, les moyens de s’y opposer.
 
PATRICK COHEN Au standard d’INTER, Jean-Pierre nous appelle de Paris. Bonjour, Jean-Pierre.
 
JEAN-PIERRE, AUDITEUR Bonjour.
 
PATRICK COHEN Nous vous écoutons.
 
JEAN-PIERRE, AUDITEUR Voilà, monsieur FILLON, vous savez que le milliardaire Martin BOUYGUES, propriétaire de TF1 a été témoin du mariage de Nicolas SARKOZY, que le milliardaire Bernard ARNAULT propriétaire des ECHOS et RADIO CLASSIQUE a été témoin de mariage de Nicolas SARKOZY, que le milliardaire Serge DASSAULT est propriétaire du FIGARO et marchand d’armes et membre de l’UMP, car il est sénateur UMP. Que le milliardaire Vincent BOLLORE, propriétaire de journaux gratuits et de DIRECT 8, a prêté son yacht La Paloma à Nicolas SARKOZY pour faire sa croisière en 2007…
 
PATRICK COHEN Vous ne vouliez pas poser une question sur le chômage, Jean- Pierre ?
 
JEAN-PIERRE, AUDITEUR Oui, j’y arrive…
 
PATRICK COHEN Parce que sinon on peut égrainer tous les milliardaires. Mais…
 
JEAN-PIERRE, AUDITEUR Non, non, mais j’y arrive. C'est-à-dire que par rapport au chômage justement, le milliardaire Arnaud LAGARDERE, marchand d’armes propriétaire d’EUROPE 1, de PARIS-MATCH, a qualifié Nicolas SARKOZY comme étant son frère. Alors finalement, Nicolas SARKOZY est le président des très riches oligarques propriétaires des médias en France. Et est-ce que pour vous, ça ne fait pas transpirer sous les aisselles de savoir que la démocratie n’est purement que formelle en France ?
 
FRANÇOIS FILLON Ce que vous, je vais vous répondre. C’est que toutes les personnes que vous venez de citer, sont à l’origine de la création de milliers d’emplois dans ce pays. Vous avez parlé tout à l’heure de Serge DASSAULT, c’est le patron d’une entreprise qui est une des plus belles entreprises françaises et une des plus belles entreprises européennes. Et je me réjouis que nous ayons des grandes entreprises dans notre pays qui créaient des emplois et qui sont nos meilleurs instruments dans la lutte, dans la bataille de la mondialisation. J’entends souvent parce que c’est un vrai sport national de dénigrer les grandes entreprises et magnifier les petites. La vérité, c’est que sans grandes entreprises, on n’a pas d’instrument pour lutter contre la mondialisation. Je disais tout à l’heure, que pendant 5 ans, je n’ai jamais vu le président de la République prendre des décisions qui conduisent à favoriser ses amis. Vous avez évoqué Martin BOUYGUES tout à l’heure, c’est le premier naturellement qui pourrait en témoigner. Les décisions que nous avons prises en matière de téléphonie mobile, les décisions que nous avons prises en matière de fiscalité, je rappelle que c’est la majorité et le gouvernement que je dirige qui ont pris toutes les décisions, accroissant la fiscalité sur les revenus du capital. Accroissant la fiscalité sur les stocks options, ce n’est jamais la gauche qui a pris ces décisions. La gauche fait des discours, François HOLLANDE a par ailleurs aussi des amis, qui sont des amis très riches, ce n’est pas un crime dans ce pays, à ma connaissance.
 
PATRICK COHEN Quand le patron de PUBLICIS se fait octroyer un super bonus de 16 millions d’euros, est-ce que ça ne justifie pas la proposition de François HOLLANDE de taxer les plus riches à 75 % ?
 
FRANÇOIS FILLON D’abord si François HOLLANDE était si critique à l’égard de cette proposition, il devrait se poser la question de savoir, pourquoi c’est ses propres amis et ses propres soutiens qui au conseil d’administration de PUBLICIS ont pris cette décision. Oui, enfin, c’est la gauche, c’est la gauche dans ce qu’elle a de plus détestable. C'est-à-dire la gauche dont les vapeurs sur l’argent ne durent que le temps d’un discours. A ma connaissance, François HOLLANDE est soutenu par…
 
PATRICK COHEN Oui, mais ma question posait, portait sur la proposition de François HOLLANDE d’imposer à 75 %, parce qu’on peut, je pourrais vous citer d’autres super bonus de grands patrons qui ne sont pas spécialement cataloguer à gauche.
 
FRANÇOIS FILLON Bien sûr, mais simplement, ce que je veux dire, c’est que François HOLLANDE passe son temps à avoir deux discours. Il a…
 
THOMAS LEGRAND Mais ça, c’est une proposition sur cette proposition…
 
FRANÇOIS FILLON C’est une proposition dont il a dit, lui-même, qu’elle ne rapporterait rien. C’est une proposition dont tous ses lieutenants sont employés, en particulier, monsieur FABIUS a expliqué qu’elle ne serait pas mise en oeuvre. Ça ne serait d’ailleurs pas la première fois, que la gauche ferait des propositions de ce type et ne les mettrait pas en oeuvre. Je veux quand même rappeler que les gens riches dans ce pays, paient plus d’impôts aujourd’hui, qu’ils n’en payaient quand monsieur JOSPIN était Premier ministre. Et je mets au défi quiconque de me prouver le contraire. Alors concernant les rémunérations…
 
PATRICK COHEN Oui, mais s’ils gagnent beaucoup plus d’argent…
 
FRANÇOIS FILLON Concernant les rémunérations, qui peuvent paraître extravagantes, moi, d’abord, premièrement, je ne veux pas faire de procès aux grandes entreprises. Je récuse ce sport national, qui est stupide. Deuxièmement je veux qu’il y ait plus de transparence, je suis pour la liberté. Il y a des footballeurs qui gagnent beaucoup d’argent, il y a des producteurs d’émission de télévision qui gagnent beaucoup d’argent, si ils ont du talent, si ils créaient des emplois, s’ils créaient de la richesse, ça ne me dérange pas. Mais je veux de la transparence. Et cette transparence nous, nous la proposons en souhaitant que désormais les rémunérations soient fixées par l’assemblée générale des actionnaires, de façon à ce que tout le monde, y compris les petits actionnaires puissent donner leur avis, y compris les représentants du personnel puissent donner leur avis sur les rémunérations. Ce sera un mode de régulation qui sera beaucoup plus intelligent que celui qui consisterait à normer le talent.
 
PATRICK COHEN Au standard d’INTER, Pascal, nous appelle du Finistère, bonjour Pascal.
 
PASCAL, AUDITEUR Oui, bonjour.
 
PATRICK COHEN Nous vous écoutons.
 
PASCAL, AUDITEUR Donc on nous parle de l’Allemagne et du renforcement du duo MERKEL/SARKOZY, mais ne faut-il pas s’en inquiéter quand un rapport de l’OCDE nous apprend que le pays qui a connu la plus forte croissance de ses inégalités et du taux de pauvreté est dans lequel les travailleurs perçoivent certaines des rémunérations les plus faibles d’Europe occidentale, eh bien, ce pays c’est l’Allemagne. Et donc ne pensez-vous pas que les oligarchies européennes donnent prétexte de la crise de la dette, qui, au départ est une dette privée, pour parachever la destruction des… sociales de l’après-guerre, et renforcer une politique au seul service des possédants, la bande du Fouquet’s, par exemple, avec SARKOZY qui s’est augmenté sans vergogne de 170 %, et a osé dire : l’environnement ça commence à bien faire.
 
PATRICK COHEN Voilà, il y a une sorte de communique de répétition, au standard d’INTER. Mais cela dit, sur…
 
FRANÇOIS FILLON Pardonnez-moi, non, mais je voudrais profiter de l’occasion qui m’est donnée par cet auditeur, pour démentir quelque chose qui est affirmé sans arrêt, sur toutes les ondes, depuis 4 ans, 5 ans, le président de la République s’est augmenté de 170 %. C’est faux ! C’est faux ! C’est un mensonge éhonté. La vérité, c’est que jusqu’à Nicolas SARKOZY, les présidents de la République n’avaient pas de salaire, ils prenaient dans la caisse. Ils prenaient ce dont ils avaient besoin.
 
PATRICK COHEN Oui, seulement c’est vrai, François FILLON…
 
FRANÇOIS FILLON Mais enfin…
 
PATRICK COHEN Entre le salaire, les rémunérations de Jacques CHIRAC et celle de Nicolas SARKOZY il y a bien une différence de 170 % ?
 
FRANÇOIS FILLON C’est faux. C’est faux. Parce que vous ne savez pas ce que les présidents de la République précédents avaient comme rémunération qui n’était pas connue…
 
PATRICK COHEN La rémunération officielle.
 
FRANÇOIS FILLON Qui n’étaient pas connue et la grande différence entre les autres et Nicolas SARKOZY, c’est qu’il a mis de l’ordre dans cette affaire. Il a fait voter par le Parlement, une rémunération qui, pardon, mais est celle du Premier ministre, c'est-à-dire était celle de Jean-Pierre RAFFARIN, était celle de Lionel JOSPIN, et il a mis en place la COUR DES COMPTES pour contrôler sa rémunération. Donc c’est, voilà, le genre de procès qu’on fait au président de la République qui est parfaitement scandaleux. Et que des commentateurs avisés comment dirais-je, la presse qui enquête devrait avoir eu à coeur de démentir, parce qu’il y avait un vrai scandale à voir un chef de l’Etat qui n’avait pas de limite dans la manière dont il était rémunéré. Alors quant à l’Allemagne, il y a des défauts dans le système allemand, évidemment, et l’Allemagne n’est pas un modèle en soi. Simplement, je vois assez peu d’Allemands qui cherchent à quitter le territoire de l’Allemagne pour aller vivre dans un autre pays. L’Allemagne est un pays où il y a peu de chômage, l’Allemagne est un pays qui a réussi à rendre son industrie compétitive. Tout n’est pas à prendre dans l’exemple allemand. Mais en tout cas, sur la compétitivité, je crois qu’on a intérêt à se rapprocher de ce que les Allemands ont fait.
 
PATRICK COHEN Question de Thomas LEGRAND.
 
THOMAS LEGRAND Depuis le début de la campagne, Nicolas SARKOZY fustige ce qu’il appelle les corps intermédiaires, veux avoir un accès comme ça directement au peuple, il a dit il y a deux ou trois jours lors d’un meeting que, vous allez voir quand je vais donner mon programme, je crois que c’est lundi, eh bien ça va choquer les belles âmes, c’est là qu’il a prononcé, il a dit qu’il y aurait du mépris pour ce qu’il va proposer, est-ce que…
 
PATRICK COHEN De la méprisance. Alors la question ?
 
THOMAS LEGRAND Est-ce que vous êtes d’accord avec ce ton comme ça qui met hors de champs les corps intermédiaires, je crois savoir que vous êtes plutôt pour le contrat plutôt que l’affrontement.
 
FRANÇOIS FILLON Il fait d’abord dire que pendant ces cinq années, on a beaucoup fait pour améliorer le fonctionnement du dialogue social dans notre pays. On a mis en place un système de représentativité qui est aujourd'hui bien meilleur que celui qui existait, on a mis en place les accords majoritaires….
 
THOMAS LEGRAND C’est pour ça que c’est contradictoire avec ce que dit Nicolas SARKOZY.
 
FRANÇOIS FILLON Le président de la République lui-même a proposé qu’on mette en place des contrats de compétitivité, des accords de compétitivité dans les entreprises qui ne fonctionneront que par accords entre les organisations syndicales et le corps patronat et donc il ne faut, en aucun jeter les corps intermédiaires aux orties, les corps intermédiaires sont absolument nécessaires. Simplement ce que dit le président de la République et il se trouve que plusieurs fois je l’ai expérimenté dans les fonctions de Premier ministre ou dans des fonctions précédentes, il y a des cas où certains corps intermédiaires, certains groupes de pression bloquent des réformes qui sont des réformes d’intérêt général, il n’est pas normal et c’est d’ailleurs l’esprit de la 5ème République, que MELENCHON veut détruire, de recourir à ce moment-là au référendum. Mais ça ne doit être que de manière exceptionnelle, voilà je vous ai donné mon sentiment sur ce sujet.
 
PATRICK COHEN Jean-François ACHILLI.
 
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI Deux questions très courtes, qu’est-ce que vous dites d’abord à François BAYROU qui fait campagne seul, il pèse autour de 10% aujourd'hui ?
 
FRANÇOIS FILLON François BAYROU représente un courant de pensée qui est proche de celui de la majorité, vous savez que moi je le connais bien, on s’est vu souvent ces cinq dernières années, j’ai été au gouvernement avec lui, voilà, je souhaite qu’il mène sa campagne et que de part et d’autre, on ne commette rien d’irréparable pour pouvoir parler ensemble après le premier tour.
 
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI Après ?
 
FRANÇOIS FILLON Oui bien sûr chacun… il est dans sa logique, il défend des idées qui sont les siennes, il a des convictions, il doit aller jusqu’au bout de sa démarche et puis on parlera ensuite.
 
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI Et juste une précision, vous avez déclaré tout à l’heure à Patrick COHEN « on peut s’étonner des conditions dans lesquelles les juges ont mis monsieur DEMESTRE en détention », pourquoi ? Pourquoi vous dites ça ?
 
FRANÇOIS FILLON En fait j’ai immédiatement regretté la phrase que j’avais prononcée, j’ai des opinions personnelles mais je suis Premier ministre et je suis garant aussi du bon fonctionnement des institutions judiciaires, donc je retire cette phrase.
 
PATRICK COHEN Parmi ceux qui portent la parole de Nicolas SARKOZY depuis quelques semaines et qui l’accompagnent dans les meetings encore hier soir, on a retrouvé Rachida DATI, votre ancienne ministre qui continue de dire que le 7ème arrondissement de Paris c’est chez elle, que vous êtes un intrus, qu’elle ira aux législatives, peut-être contre vous, ça vous agace monsieur FILLON ?
 
FRANÇOIS FILLON Le président de la République a raison de vouloir rassembler, moi-même j’ai fait la paix avec beaucoup de ceux qui m’avaient critiqué dans le passé… Ce qui est en jeu c’est la victoire à l’élection présidentielle et donc ça dépasse tout le reste, donc je ne fais aucun commentaire sur ce sujet. Par contre j’en fais un sur le maire de Paris qui a eu des propos racistes à mon égard puisqu’il a expliqué que j’étais un paysan et que naturellement, quelqu’un qui avait vécu à Sablé toute sa vie était tout à fait indigne d’être candidat à Paris. Je trouve que c'est tout à fait choquant pour la Sarthe et pour les paysans dans une démocratie comme la nôtre.
 
PATRICK COHEN Mais entre la présidentielle de 2012 et les municipales de 2014 il y aura des législatives en juin et comme on voit Rachida DATI auprès de Nicolas SARKOZY, les électeurs du 7ème vont se demander en juin qui est légitime à droite, vous ou Rachida DATI.
 
FRANÇOIS FILLON Ecoutez, les électeurs du 7ème feront leur choix et comme chacun le sait, je serai candidat dans cette circonscription.
 
Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 3 avril 2012