Entretien de M. Nicolas Sarkozy, candidat à l'élection présidentielle, dans "La Dépêche de Tahiti" du 5 avril 2012, sur la situation en Polynésie française.

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Média : La Dépêche de Tahiti

Texte intégral

* La Polynésie est confrontée à une grave instabilité politique depuis 2004. Organiserez-vous des élections anticipées ?
Un retour aux urnes ne peut se faire que dans le cadre du statut actuel de la Polynésie française. Aujourd’hui, il n’y a que trois possibilités : soit les institutions sont bloquées au point de ne plus pouvoir fonctionner, et le président de la République peut dissoudre l’Assemblée de Polynésie ; soit le Parlement décide d’abréger les mandats, par exemple, lors du vote d’une loi électorale ; soit enfin le gouvernement de Polynésie le demande. À l’heure actuelle, nous ne sommes dans aucun de ces trois cas, ce qui fait que les élections territoriales sont prévues au premier trimestre de 2013. Peut-on aller plus vite ? Nous le verrons, si les circonstances l’exigent.
* Envisagez-vous de modifier à nouveau le statut de la Polynésie française ?
Comme vous le savez, j’ai souhaité la réforme statutaire de 2011 pour rétablir la stabilité politique et ainsi redonner du sens, de la cohérence et de la durée à l’action politique. Il manquait à la Polynésie, ces dernières années, la visibilité politique nécessaire à l’exercice convenable de l’autonomie au sein de la République. L’urgence, c’était la stabilité : c’est aujourd’hui le cas, puisque les dispositions qui rendent plus difficiles un renversement de gouvernement sont entrées en vigueur immédiatement. Ensuite, il faut que le gouvernement qui sera issu des urnes soit vraiment représentatif d’une majorité de Polynésiens. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu une forte prime pour la liste qui arrivera en tête à l’issue du second tour. Aucun système n’est parfait, mais celui qui préexistait avant la réforme avait tous les défauts : non seulement, il a apporté une instabilité chronique qui a été préjudiciable aux Polynésiens, mais en plus, il a permis qu’un parti ayant rassemblé moins d’un tiers des suffrages en 2008 contrôle à la fois le Gouvernement et l’Assemblée. Il fallait prendre ses responsabilités pour que la volonté exprimée par les électeurs de Polynésie se traduise dans la réalité des institutions locales. C’est ce que j’ai essayé de faire avec ce statut. Il faut maintenant que nous fassions une pause dans ce domaine, et que nous nous concentrions sur les problèmes, lourds, auxquels les Polynésiens sont confrontés dans leur vie quotidienne.
* Oscar Temaru souhaite réinscrire la Polynésie française sur la liste de l’ONU des pays à décoloniser. Qu’en pensez-vous ?
Comme j’ai eu l’occasion de vous le dire le 15 juillet 2011, je ne crois pas que l’urgence soit là aujourd’hui. Je suis vraiment très préoccupé par la situation en Polynésie française. Je trouve que les responsables du pays font trop de politique, pendant que les Polynésiens ont de plus en plus de mal à trouver un logement, un emploi, des chantiers pour leurs entreprises, un avenir pour leurs enfants. Parfois, ils ont même des difficultés à trouver tout simplement de quoi manger. Ce n’est pas l’ONU qui réglera ces problèmes. Il faut qu’on arrive à se mettre autour d’une table pour discuter de manière apaisée de ces questions. Je l’ai proposé à deux reprises, le 14 juillet 2011 et le 3 février dernier. Le gouvernement local a préféré la surenchère et les provocations. Je trouve cela dommage, d’autant que les atouts de la Polynésie sont immenses, et que les savoir-faire des Polynésiens sont réels.
* Êtes-vous favorable à des Accords de Tahiti Nui, sur le modèle de l’Accord de Nouméa, avec, à l’issue un referendum d’autodétermination ?
Chaque territoire du Pacifique a un destin unique et l’histoire n’aime pas les “copier-coller”. Je rappelle que la Polynésie bénéficie déjà, aujourd’hui, du plus large degré d’autonomie de toute la République.
Encore une fois, je ne pense pas que les Polynésiens ressentent comme une urgence le fait que nous engagions un débat institutionnel alors que la situation sociale est aujourd’hui critique. Ils veulent que nous agissions aujourd’hui pour que leur vie soit meilleure. Ils veulent que les responsables politiques locaux et nationaux travaillent ensemble pour trouver maintenant des solutions à leurs problèmes quotidiens. Je comprends leur impatience. Quand vous êtes dans les difficultés, le fait que celles-ci soient imputables au territoire ou à l’État vous est bien égal. Je dirais même que le fait que les uns et les autres se renvoient la balle au lieu d’agir a plutôt tendance à vous exaspérer. Je comprends tout cela, c’est pourquoi j’ai proposé à deux reprises que nous travaillons, avec les Polynésiens, à la définition d’un projet de développement économique et social pour les 10 ou 15 prochaines années. Voilà l’urgence. Au risque de me répéter, je crois qu’il nous faut agir ensemble, l’État et le “Pays”, pour trouver des solutions aujourd’hui aux multiples questions qui se posent en Polynésie : que fait-on pour l’emploi des jeunes ? Comment construire davantage de logements, notamment pour les foyers les plus modestes ? Comment l’État peut-il mieux accompagner la Protection sociale généralisée, notamment via le Régime de Solidarité ? Quelle caisse de retraite complémentaire peut-on mettre en place pour les fonctionnaires ? Comment modernise-t-on l’aéroport de Faa’a ? Quels projets pour la reconversion des sites militaires et des atolls de Moruroa et de Hao ? Comment régler le problème du foncier ? Quelles sont les deux ou trois grandes orientations économiques sur lesquelles l’État et le “Pays” mettent, ensemble, le paquet pour relancer l’activité et l’emploi ? Voilà les questions auxquelles nous devons apporter des réponses. Je suis prêt à prendre mes responsabilités sur l’ensemble de ces dossiers. Tout ne peut pas toujours être de la faute des institutions, de la monnaie, du lien avec la France, que sais-je encore… Il faut nous mettre au travail. Si je suis réélu, je proposerai une grande loi d’orientation pour le développement économique et social de la Polynésie française au Parlement, qui fera la synthèse de nos échanges et qui fixera très clairement les engagements des uns et des autres, au premier rang desquels l’État. Pour cela, il faut que nous arrivions à avoir des débats plus apaisés qu’aujourd’hui. C’est désormais une question vitale pour les Polynésiens.
* Le sénateur Tuheiava souhaite que la France cède à la Polynésie le droit d’exploiter les fonds sous-marins de sa ZEE, notamment pour les terres rares qui s’y trouvent. Qu’en pensez-vous ?
Je ne suis fermé à rien de ce qui peut permettre de créer davantage de richesses et d’emplois en Polynésie française. Discutons-en de manière apaisée. Ces gisements pourraient constituer des ressources prometteuses pour la Polynésie, en raison notamment de la forte demande de cette matière première utilisée par l’industrie des nouvelles technologies. En Nouvelle-Calédonie, le territoire bénéficie de l’ensemble des ressources générées par le nickel. Donc personne n’est crispé, il ne faut pas créer de faux débats. Dans le même temps, il faut dire la vérité : ces ressources potentielles sont encourageantes pour l’avenir, mais cette promesse ne doit pas servir de paravent pour ne pas trouver de solutions aux problèmes qui se posent aux Polynésiens aujourd’hui. Lorsque je propose 3 500 contrats de travail nouveaux pour les jeunes afin de répondre aux urgences sociales du territoire, le président du gouvernement trouve encore le moyen d’aller à la télévision dire qu’il les refuse, tout en faisant miroiter la création de dizaines de milliers d’emplois demain. Avec lui, tout est toujours demain. Les Polynésiens veulent des réponses pour aujourd’hui.
* Le nombre de victimes reconnues par loi d’indemnisation des victimes des essais nucléaires se compte sur les doigts d’une seule main. La modification du décret ne satisfait pas les associations qui estiment qu’il faut changer la méthodologie. Envisagez-vous une nouvelle adaptation ?
Tout d’abord, je souhaite rappeler que, pour la première fois depuis l’ouverture du CEP, la France a osé briser le tabou des conséquences des essais nucléaires sur la santé humaine. La loi du 5 janvier 2010 faisait partie de mes promesses de campagne pour la Polynésie, j’ai mis un point d’honneur à ce que le Parlement la vote. Cela n’a pas été facile. Mais je l’ai fait parce que c’était une question de justice. Comme il était juste de permettre aux historiens d’avoir accès à l’ensemble des archives sur Pouvanaa a Opaa. D’ailleurs, à la suite de ma déclaration de février, l’universitaire Jean-Marc Regnault a demandé à avoir accès à certaines archives, ce qui lui a été accordé sans la moindre difficulté. Parfois, il faut prendre des décisions sans se demander si elles sont de droite ou de gauche, mais simplement si elles sont justes ou non. Pour en revenir à la question de l’indemnisation des victimes des essais nucléaires, j’ai demandé à ce que les critères retenus dans le premier décret, qui étaient sans doute trop restrictifs, soient assouplis dans le sens demandé par les associations : plus de maladies reconnues et un zonage très largement étendu. Ce décret est actuellement devant le Conseil d’État, et sera pris dans quelques jours. Je pense que nous sommes arrivés à un bon équilibre.
* L’inspection générale des finances juge les niches fiscales et sociales outre-mer peu efficaces, les parlementaires sont de plus en plus nombreux à penser que des dotations seraient plus efficaces. Que ferez-vous ?
Je n’ai jamais douté que le dispositif de défiscalisation en faveur des investissements productifs ou du logement constitue un levier de croissance indispensable pour les territoires ultramarins, et donc pour la Polynésie. Ce dispositif, qui a pu présenter des défauts par le passé, a été à la fois réorienté et rendu plus transparent. Aujourd’hui, j’ai bien conscience que les dossiers qui remontent à Paris ont une durée d’instruction parfois très longue et, pourquoi ne pas le dire, que les retombées économiques sur le territoire ne sont pas toujours la priorité des services instructeurs. Je vais donc proposer, si je suis réélu, une mesure simple : que les dossiers de défiscalisation soient instruits par les services de l’État local jusqu’à 3 millions d’euros. Concrètement, cela veut dire que nous allons multiplier par deux les marges de manoeuvre laissées aux services locaux, ce qui donnera de l’air aux entrepreneurs. La défiscalisation, j’y crois vraiment. Dans le contexte budgétaire qui est le nôtre, vouloir remplacer la défiscalisation par un système de subventions directes serait une folie. En outre, il est certain que le secteur privé est mieux armé que l’administration pour impulser un véritable développement économique. Je n’ai d’ailleurs pas bien compris ce que propose le candidat socialiste sur ce point, lui qui promet de réduire de 29 milliards d’euros les niches fiscales et de plafonner les possibilités de déduction à 10 000 euros par foyer. Faire cela, c’est mettre fin à la défiscalisation sans avoir le courage de le dire.
* Êtes-vous favorable à l’introduction de l’euro dans les territoires français du Pacifique. Dans le cas contraire, une dévaluation du franc Pacifique est-elle envisageable ?
Sur l’euro, pourquoi pas ? Je sais que les Polynésiens y sont favorables, d’autres territoires du Pacifique sont plus hésitants, discutons-en. En réalité, le franc pacifique est déjà indexé sur l’euro, il ne faut donc pas attendre d’effet d’entraînement massif de cette décision sur l’économie. En revanche, je ne suis clairement pas favorable à une dévaluation du franc Pacifique, qui aurait des conséquences catastrophiques en Polynésie : ce serait un facteur de renchérissement des prix très important, et cela viendrait écorner durablement la crédibilité de cette monnaie dont la stabilité est très appréciée des opérateurs économiques. Il ne faut pas ajouter une crise monétaire aux autres crises que connaît aujourd’hui la Polynésie.
* En Polynésie française, les fonctionnaires d’État sont indexés à 75 %. Cette surémunération explique pour une part la cherté de la vie locale. Êtes-vous favorable à une réforme de cette indexation ?
Cette réforme n’est pas à l’ordre du jour.
Source http://www.lafranceforte.fr, le 11 avril 2012