Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, à France 2 le 28 mai 2001, sur la défense européenne, le refus des députés communistes de voter le projet de loi de modernisation sociale et les sanctions suite aux propos du général Aussaresses sur la torture pendant la guerre d'Algérie.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

G. Morin Dans quelques heures,, L. Jospin donnera son projet pour l'Europe dans un discours important. Peut-on faire un point sur l'Europe de la défense dont on a beaucoup parlé ?
-" Pendant la guerre froide, L'Europe était coincée face à une menace plus importante qu'elle. Sa défense était entièrement structurée autour du rapport avec les Etats-Unis. Dans le type de conflit que nous avons actuellement en Bosnie ou au Kosovo, l'Europe peut agir en partie de façon autonome. Par ailleurs, l'Europe est devenue un vrai être démocratique et politique. C'est la rencontre de ces deux faits qui fait qu'aujourd'hui la défense devient une des dimensions de l'Europe. Je dois dire d'ailleurs que cela s'est fait assez facilement : ce n'est pas pour réduire notre mérite mais on sent que la situation était mûre. S'il se produit des crise avec une dimension armée dans les années qui viennent, la possibilité que l'Europe soit le moyen de rétablir la paix avec ses propres capacités existe : on l'a a créée. Cela a un rapport avec ce que va exprimer le premier ministre parce que cela veut dire que l'Europe est en effet un moyen de changer les équilibres et les valeurs qui s'imposent au niveau des rapports mondiaux."
On voit quand même dans certains conflits, aussi bien dans l'aspect diplomatique que dans l'aspect défense, que l'Europe est très largement en-deçà. Quand on regarde ce qui se passe au Proche-Orient en ce moment, on constate qu'il n'y a pas de voix européenne spéciale.
- "C'est vrai, mais le conflit du Proche-Orient est un conflit ancien qui se reconduit et dans lequel les réactions des principaux protagonistes sont des réactions elles-mêmes dictées par l'histoire. Donc, l'Europe est un acteur nouveau. Il s'y intéresse un peu mais au fond, quand la situation devient très dure, il se retourne vers les alliés ou les partenaires traditionnels. Cela n'empêche que dans beaucoup d'autres zones au monde, les dirigeants, ou d'ailleurs les journalistes, s'intéressent beaucoup à ce que devient l'Europe parce que c'est un nouvel acteur dont les gens attendent beaucoup."
L. Jospin s'exprimera tout à l'heure sur l'Europe. C'est une semaine un peu chargée pour lui.
- "Toutes les semaines sont chargées."
Demain, à l'Assemblée nationale, les députés communistes risquent de ne pas voter le projet de loi de modernisation sociale. Ce texte risque de ne pas être adopté. Est-ce un grave danger pour la majorité plurielle ?
- "Ce serait dommage, car il faut quand même garder la cohérence de ce que nous faisons ensemble depuis quatre ans. Ce qui est en jeu, c'est que nous devons faire les correctifs sociaux, nous devons donner en particulier de meilleurs moyens de se défendre dans une économie de marché."
Vous pensez que les communistes viennent de le découvrir ?
- "Personne ne s'est trompé sur le fait que dans une économie ouverte comme la nôtre, pour créer des richesses et pour créer des emplois, il faut des entreprises qui aient leur marge de liberté. Cela a été la ligne politique du Gouvernement depuis quatre ans. Elle n'a pas changé et elle a donné des résultats."
Si les communistes ne votent pas ce texte, on remballe avec certains éléments ?
- "Je pense qu'il y a encore un temps pour la réflexion. Je ne vais pas me livrer à des scénarios à plusieurs rebonds. Il y a de bonnes chances que l'affaire se règle bien."
Demain, vous aborderez un autre sujet au sein du Conseil supérieur militaire à propos de l'affaire Aussaresses.
- "Oui, sur une proposition de sanction du Président de la République dont c'est la responsabilité. C'est lui qui l'a souhaité, j'en ai été heureux, car c'est une question de morale du passé. Je pense que c'est au Chef de l'Etat, chef des Armées, de prendre des dispositions. Ma propre disposition d'esprit, c'est d'être sûr que les militaires, les officiers français sont aujourd'hui à l'opposé de ce type de comportements. Je sais que nous avons aujourd'hui des forces armées qui sont prêtes, et qui le montrent tous les jours dans les crises, à servir en appliquant les principes de la République."
Vous pensez donc qu'on est aujourd'hui à l'abri de ce type de comportements.
- "Oui. C'est la responsabilité du Gouvernement."
L'Etat était derrière Aussaresses.
- "Ne revenons pas là-dessus, c'est un débat d'historiens, je n'en suis pas un."
Demain en tout cas, vous ferez des propositions au Chef de l'Etat pour ce qui concerne cette affaire.
-"Oui."
Autre actualité vous concernant : la professionnalisation de l'armée est engagée depuis un moment déjà.
- "Assez près d'être finie."
On dit que finalement on pourrait beaucoup discuter des conditions de travail des militaires.
- "On n'arrête pas depuis des années, de façon non fracassante. Cela se fait comme une vraie concertation."
Est-il envisageable de leur appliquer la loi sur les 35 heures par exemple ?
- "Non, mais si vous vous intéressez au sujet, sachez qu'on publie maintenant régulièrement les débats des Conseils de fonction militaire par armée, de manière justement à ce que la presse y voit clair. La question de la surcharge de travail est fréquemment posée : il y a un principe de disponibilité, il y a des tâches multiples, aussi bien en opérations extérieures qu'en aides au service public - on l'a vu avec la Somme, avec les tempêtes l'an dernier, etc. Donc, il faut aménager l'organisation du travail en profitant de la professionnalisation. Pour aller plus loin dans la qualité de ce dialogue, je mets en place, à partir de l'automne, un système d'élection de délégués dans les unités militaires."
Ce sont des syndicats ?
- "Non, ce sont des délégués élus. Je pense que, dans le cadre d'une organisation militaire, c'est une meilleure formule."
Au niveau du recrutement, on voit régulièrement des campagnes à la télévision qui invitent les jeunes gens et les jeunes filles à rejoindre l'armée. Est-ce que ce genre de campagnes marche ?
- "Bien sûr, parce que les armées et les emplois militaires ont dans l'ensemble une bonne image. Les gens se rendent compte que ce sont des emplois de vrais professionnels, qui permettent des développements de capacité, avec une forme d'engagement qui passionne effectivement beaucoup de jeunes. Il faut revenir sur cette information, mesurer que les armées, depuis les jeunes officiers jusqu'aux militaires du rang, recrutent 26 000 à 27 000 jeunes par an de tous grades, jeunes hommes et jeunes femmes, en proportion croissante par rapport aux hommes. Donc, il faut que l'information vienne. Malgré la très forte amélioration de la condition d'emploi des jeunes, ce recrutement continue à se dérouler avec un bon niveau d'attractivité."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 30 mai 2001)