Texte intégral
Mesdames, Messieurs, chers amis, au lendemain du premier tour de lélection présidentielle, je ne me suis pas posé de question : je savais que je devais venir en Bretagne. Javais tant de raisons dêtre parmi vous ce lundi ! La première, cest le résultat que ma donné la Bretagne. Et si je suis sorti en tête du scrutin du premier tour, cest bien parce que les Bretons lont décidé ainsi. Et donc, je voulais vous exprimer ma gratitude. Vous allez me dire, il y a dautres régions qui lont fait. Je les visiterai. Et jirai même voir les régions qui ne mont pas donné encore le plein de leur suffrage. (Huées !) Mais ne les accusez pas, jaurais besoin de tout le monde enfin, de toute la France.
Mais je voulais être ici à Lorient, parce que je suis venu tant dannées à Lorient pour préparer le socialisme du XXIe siècle. Jai bien fait de mentraîner, jy suis ! Avec Jean-Yves, avec Norbert, chaque fois jai fait en sorte de rassembler la Gauche bretonne oh, ce nétait pas la plus turbulente. Et jai aussi une dette à légard de la Bretagne : cest à Brest que javais été élu premier Secrétaire du Parti socialiste. Cétait en 1997. Cela paraît très loin. Mais dans une vie politique, tout à un sens. Ce sont les premières étapes qui parfois conduisent à la destinée que lon sest donnée à un moment parce quune responsabilité a été confiée. Et cest parce que les Socialistes un jour m'ont choisi et Lionel Jospin y avait contribué comme Premier secrétaire du Parti socialiste que, des années plus tard, je peux être aujourdhui en situation dêtre le prochain président socialiste de la République.
Je voulais aussi dire combien la France attend de la Bretagne. Bretagne, grande région agricole, industrielle, économique, qui avec son littoral est une grande région maritime. Je me souviens quen 1981, François Mitterrand élu président de la République avait composé son gouvernement et avait nommé Louis Le Pensec comme ministre de la Mer. Si les électeurs en décident, bientôt le 6 mai cest tout de suite, vous avez commencé à faire votre choix (Oui !) , eh bien si les Français décident de me confier la responsabilité de la France, il y aura de nouveau dans le gouvernement de la République un ministre de la Mer.
Le Bretagne a aussi, dune certaine façon, inventé la décentralisation. Ici pendant des années les plus jeunes ne peuvent pas sen souvenir , dans les années 60-70, des hommes et des femmes qui nétaient dailleurs pas tous de gauche réfléchissaient à ce que pouvait être lavenir des territoires. Ils avaient formé des comités, des bureaux. Et ils avaient convaincu, et notamment les Socialistes, dengager létape de la décentralisation. Ce fut fait en 1981. Mitterrand, Mauroy, Defferre ont laissé leur nom pour ces grandes lois de la République. La décentralisation et ici je salue les élus, présidents de département, président de région, Jean-Yves, maires de grandes villes, de villes moyennes , tous ces élus, Claudy Lebreton pourrait en témoigner, ont fait vivre nos territoires, ont considérablement changé la vie quotidienne de nos concitoyens. Et en même temps, moi-même, élu local, président dun conseil général qui ai été également maire et qui veux rendre tous mes mandats le 6 mai pour servir la France, je mesure que notre décentralisation a besoin dune étape supplémentaire. A la fois des transferts de compétences, qui devront être confiées aux assemblées régionales, départementales, locales, une clarification des interventions de chaque niveau, une réforme profonde du financement des territoires et puis des défis nouveaux que nous devons porter ensemble : la réforme de la dépendance, essentielle pour assurer la fin de vie de beaucoup de nos concitoyens ; la petite enfance, parce que cest la condition de légalité entre les femmes et les hommes, de la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale oui, nous le ferons ensemble, le service public de la petite enfance ; laction économique ; le soutien aux entreprises ; les interventions y compris au capital dun certain nombre dentreprises intermédiaires qui ont besoin de lapport des collectivités locales et de la future banque publique dinvestissement. Oui, nous aurons à agir ensemble pour les infrastructures, et pour lécologie, pour la transition énergétique. Nous aurons besoin dun Etat qui travaillera avec les collectivités locales. Et cest la raison pour laquelle jannonce ici quau lendemain du 6 mai, jengagerai un nouvel acte de décentralisation.
Enfin, je suis en Bretagne, en Bretagne fière de sa langue, fière de sa culture, fière de son histoire, qui attend depuis des années que lEtat enfin ratifie la charte des langues minoritaires et régionales. Eh bien nous le ferons ensemble ! Et nous ferons en sorte que la langue française ne soit en aucune façon menacée, mais que la langue bretonne puisse être enseignée, parlée, diffusée, comme les langues minoritaires. Voilà le message que je voulais vous adresser ici, amis bretons.
Mais dabord, je reviens à ce qui sest passé hier, premier tour de lélection présidentielle. Nous avons franchi une étape majeure vers le changement. La première, celle qui ouvre. La seconde permettra la victoire et la transformation de notre pays. Je suis arrivé en tête du scrutin. Cétait lobjectif. Nous avions même été prudents. Javais dit « le meilleur score possible » et je nétais pas sûr dêtre le premier. Eh bien nous y sommes parvenus ! Nous avons même fait le meilleur résultat pour un candidat socialiste depuis François Mitterrand en 1988, président sortant. Nous avons fait mieux, même, je le disais à linstant à Quimper et sans vouloir le froisser, lui qui nous regarde, François Mitterrand , nous avons même fait mieux que lui en 1981. Il avait fait 26, nous faisons 28,6. Il était second, nous sommes premiers. Et quest-ce qui sest produit ? Il a gagné lélection présidentielle. Alors quest-ce qui va se produire maintenant ? Nous allons gagner lélection présidentielle ! Oh, je suis prudent. Rien nest encore décidé. Les Français nont pas voté. Enfin, je sens un mouvement. Je sens une confiance qui se lève. Je sens une volonté de changement. Et puis je regarde les autres cest toujours intéressant de se comparer. Le candidat sortant est arrivé second. Cest la première fois première fois ! (Hou !) Oui ! Il ne mérite pas vos compliments , cest la première fois dans lhistoire de la Cinquième République quun président sortant arrive second. A droite, ils ont toujours réponse à tout. Jen entendais un, de ces conseilleurs qui fut autrefois ministre de lIntérieur pas le meilleur, mais enfin il y en a aussi eu de plus mauvais et qui disait : « Il valait mieux ne pas arriver premiers ». A ce compte-là, ils auraient pu arriver troisièmes !
Mais, au-delà dailleurs de cet ordre darrivée, le candidat sortant fait cinq points de moins quen 2007. Et donc il est dans cette situation paradoxale où il vient de vivre un échec qui finalement est celui de son quinquennat, un désaveu de ce quil a pendant cinq ans présenté comme autant de titres de gloire et qui se sont révélés autant de désillusions mais le voilà qui présente ce piètre résultat comme un tremplin, comme un ressort. Cest dailleurs tout ce quil a fait depuis cinq ans : une somme déchecs quil essaie de faire passer comme une agrégation de réussites. Et comme certains mauvais élèves qui ne sont pas satisfaits de la note qui leur a été attribuée, demande maintenant des oraux de rattrapage à ceux qui ont fait mieux que lui ! Avant le premier tour, il me proposait deux débats. Après le premier tour, voilà quil en veut trois. Et après le second tour, combien en voudra-t-il ?
Je veux mettre dailleurs un terme à cette polémique nouvelle : il ny aura quun seul débat, un grand débat, un vrai débat, un long débat, comme il y en a toujours eu depuis lélection présidentielle. Et dailleurs, en 2007, avait-il proposé, Nicolas Sarkozy, trois débats à Ségolène Royal ? Pas du tout, il ny en a eu quun seul ! Que sétait-il passé en 2002, hélas, avec le fait que Le Pen ait surgi ? Il ny avait même pas eu de débat face à Jacques Chirac. En 1995 un débat, en 1988 un débat, en 1981 un débat et on sen souvient, parce que ce fut pour François Mitterrand loccasion de remettre en cause, déjà, le bilan dun candidat sortant.
Eh bien oui, il y aura donc un grand rendez-vous. Et dici là, jai le devoir de rassembler. Rassembler dabord la Gauche qui sest dès dimanche soir placée clairement derrière ma candidature. Je veux remercier Jean-Luc Mélenchon, qui a fait un bon résultat, saluer Eva Joly et les écologistes qui ont permis, là aussi sans bargouiner, sans négocier, le soutien à ma candidature. Et puis dautres qui nous rejoignent. Tant mieux ! Je dois être le candidat du rassemblement le plus large. Je suis socialiste, je suis de gauche, et en même temps je dois comprendre tous les messages qui ont été adressés par le peuple français au premier tour, les colères, les frustrations, les doutes. Je suis comme vous, je suis conscient aussi quil y a eu parmi nos concitoyens la tentation daller vers lextrême-droite, parce quils ne savent plus aujourdhui comment traduire leur déception, leur désillusion. Ils avaient été séduits il y a cinq ans par le candidat qui se présentait à eux, qui leur avait tant promis. Et les voilà aujourdhui désemparés. Jen connais qui, agriculteurs, sinterrogent même sur la pérennité de leur exploitation, et de peur de lavenir se réfugient dans le repli. Jen connais dautres, ouvriers, qui ne savent pas ce que sera lavenir tant leur entreprise paraît fragile, les délocalisations hélas trop nombreuses, et puis cette mondialisation, cette Europe trop ouverte, trop offerte, qui vient les frapper dans leurs conditions de vie. Je nexcuse rien, mais je cherche à comprendre. Je ne séduis pas ces électeurs par je ne sais quelle surenchère. Je laisse ça à dautres ! Moi, je ne ferai pas de létranger, de limmigré, la question qui nous séparera dans cette élection présidentielle !
Je ne dirai pas aux travailleurs quils doivent dabord sen prendre aux chômeurs, je ne dirai pas que les chômeurs sont des assistés ! Je ferai attention aussi à ne pas séparer les habitants des banlieues de ceux qui vivent en zone rurale. Parce que je veux être le président, demain, de tous les Français !
Le responsable de la montée de lextrême-droite, cest celui qui a utilisé parfois les mots de lextrême-droite pour essayer de contrecarrer sa progression. Le responsable de la montée de lextrême-droite, cest celui qui depuis cinq ans a fracturé un certain nombre de droits fondamentaux. Le responsable de la montée de lextrême-droite, cest celui qui a laissé le chômage atteindre 10 % de la population active, qui a laissé lindustrie française dans létat que lon sait 400 000 emplois industriels qui ont été perdus. Cest celui qui a laissé faire une politique européenne de libre-échange, de libre circulation. Cest celui qui na pas dominé la finance, et qui viendrait se plaindre aujourdhui des désordres quil a lui-même mis en uvre, et qui se veut candidat du peuple alors quil na protégé que les privilégiés, les puissants et les forces de largent !
Non, si nous voulons surmonter lépreuve elle est là, devant nous, le redressement de notre pays, le redressement de notre industrie, le développement de notre agriculture , si nous voulons donner une perspective à chacune et à chacun, notamment à celles et ceux qui souffrent de la situation daujourdhui, il nous faut dabord nous appuyer sur nos atouts, sur nos forces, sur nos énergies, sur ce qui nous rend fiers, cest-à-dire ce qui nous permet dêtre capables de donner le meilleur de nous-mêmes. La France ne se redressera pas en se repliant, en se fracturant, en se divisant. La France mérite mieux. La France mérite dêtre fière de ce que notre histoire nous a donné et de ce que notre avenir nous prépare !
Jentendais le candidat sortant annoncer pour le 1er mai quil allait organiser une fête du « vrai travail ». Cela voudrait dire quil y aurait un faux travail en France ? Quil y aurait, finalement, une opposition à organiser ce jour-là, le 1er mai, entre les travailleurs eux-mêmes ou entre les travailleurs et les chômeurs, ou entre les travailleurs et les assistés ? Non ! Si la fête du travail a été instituée aux XIXe siècle, cest parce quil y a eu des hommes et des femmes qui voulaient se réunir, se rassembler, se mettre ensemble pour la dignité du travail, pour la valeur du travail, pour le travail pour tous, pour la reconnaissance du travail, pour la rémunération du travail. Et cette grande idée, qui est dailleurs venue des Etats-Unis dAmérique, cette grande idée du travail a fédéré, a réuni, a permis à des syndicats de se constituer, puis ensuite à des salariés de sorganiser et de venir tous les 1er mai à la fois demander que lon respecte leur travail, et en même temps quon les rémunère et quon lutte contre le chômage. Parce que ce doit être cela, la priorité première de laction publique ! Le 1er mai, cest la fête du travail pour les syndicats. Et moi je respecte les syndicats, leur indépendance, leur responsabilité, leur rôle dans la société française !
Rassembler, vous disais-je, cest mon devoir. Rassembler la Gauche, rassembler les Français, rassembler les hommes et les femmes qui veulent le changement. Je veux dire aussi à celles et ceux qui nont pas voté au premier tour pour ma candidature et qui sinterrogent aujourdhui sur le sens à donner à leur vote le 6 mai, que ma première exigence sera lexemplarité de lEtat. Cest-à-dire le respect que doit avoir le président de la République à légard de tous les pouvoirs, de ce quon appelle les corps intermédiaires, cest-à-dire les élus de nos territoires, les syndicats, les organisations professionnelles, les associations, les militants engagés. Oui, être à lécoute, considérer chacune et chacun pour ce quil peut apporter, donner du sens à laction publique et en même temps, à chaque fois, être conscient que lexemple doit venir den haut et quil ne peut pas y avoir une demande deffort supplémentaire, de sacrifice pour le redressement du pays, sans quau tout premier chef, celui qui est président montre la voie à suivre et lexemple lui-même de cet effort, de ce respect, de cette retenue, de cette réserve, de cette modestie.
Impartialité aussi de lEtat. Moi, je ne placerai pas mes amis je ne veux pas ici les décevoir
dans toutes les fonctions publiques et même à la télévision, et encore moins dans certaines industries. Le suffrage universel nautorise pas tout ! Autant il est normal de constituer un gouvernement avec ceux qui vous ont soutenu dans lélection présidentielle au premier tour, au second tour je nirai pas chercher plus loin, nous avons tout ce quil faut chez nous ! Nous nirons pas capter tel ou tel, ni même récupérer les autres, on les laissera ! Mais en même temps, autant un gouvernement doit être respectueux de ce qua été la majorité présidentielle ou de ce que sera demain la majorité parlementaire, pour les responsables de lEtat préfets, ambassadeurs, directeurs dadministration centrale autant il ny a nul besoin daller mettre des amis, des proches ou des soumis ! Il y a suffisamment de compétences dans ladministration sans quon ait besoin daller faire ce lien-là, qui devient un lien de soumission et de subordination. Il ny aura de loyauté à exercer que vis-à-vis de lEtat, et non du chef de lEtat.
De la même manière, lindépendance de la Justice sera pleinement garantie. Les magistrats du Parquet seront soumis aux mêmes règles de nomination que les magistrats du Siège. Il ny aura plus dintervention du ministre de la Justice, voire même du président de la République quand ce nest pas le ministre de lIntérieur lui-même sur les magistrats.
Les journalistes nauront rien à craindre pour la protection de leurs sources, et nous naurons pas besoin de nommer les présidents des chaînes publiques de télévision. Des instances seront constituées pour cela, et ceux qui seront membres de ces instances seront désignés par lAssemblée nationale et par le Sénat à une majorité des deux tiers, ce qui fera que lopposition sera associée à ces décisions.
Moralisation également de la vie politique. Tout élu, même sil est de notre sensibilité politique, qui sera condamné pour fait de corruption ne pourra plus se présenter devant les électeurs avant dix ans. Nous navons pas besoin de donner cette image de limpunité !
Le chef de lEtat naura plus de statut spécial le protégeant. Il ny aura plus de justice de la République pour les ministres. Le droit commun simposera comme pour tout citoyen. Voilà ce que nous devons démontrer !
Et puis, nous montrerons aussi un changement : le gouvernement sera constitué à la parité, autant de femmes que dhommes. Il ny aura plus de cumul de mandats. La proportionnelle sera introduite à lAssemblée nationale pour une part de députés. Je dis cela non pas simplement pour vous convaincre, vous lêtes déjà, mais pour dire à ces électrices, à ces électeurs qui nont pas choisi au premier tour de soutenir notre candidature quils peuvent le faire. Parce que le changement ne sera pas simplement sur la politique économie et sociale ce sera nécessaire , sur les services publics, sur le redressement de lécole. Non, le changement sera aussi dans la conception de lEtat, dans la vie de nos institutions, dans la répartition des pouvoirs et dans lexercice même de la fonction présidentielle. Chacun pourra faire la différence entre ce qui sest, hélas, fait ou défait depuis cinq ans, et ce que nous proposons maintenant pour le pays.
Javais dit : je veux être un candidat normal. Certains avaient souri. Je dis si, je veux être un président normal. Ça nous changera !
Source http://francoishollande.fr, le 25 avril 2012